CA Paris, 4e ch. B, 29 novembre 1996, n° 96-3656
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Intégrale (SARL), Intégrale Math (SARL)
Défendeur :
Optimal Prépa (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Valdelievre-Garnier, SCP Gaultier-Kistner
Avocats :
Me de Leusse, SCP Ravinetti-Fouassier.
Les sociétés Intégrale et Intégrale Math ont interjeté appel du jugement rendu le 20 novembre 1995 par le Tribunal de commerce de Paris, qui dans le litige les opposant à la société Optimal Prépa a :
- dit qu'Optimal Prépa était fondée à se considérer victime des agissements déloyaux et parasitaires d'Intégrale et d'Intégrale Math,
- condamné in solidum Intégrale et Intégrale Math à payer à Optimal Prépa la somme forfaitaire de 400 000 F, outre la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NPCP,
- rejeté l'ensemble des autres demandes.
Référence étant faite à cette décision et aux écritures échangées devant la Cour pour un exposé plus complet des faits, de la procédure et des moyens des parties, il suffit de rappeler que :
Optimal Prépa a été créée en 1992 par un ancien élève d'HEC, M. Sarfati, avec pour objet la préparation des étudiants aux épreuves de mathématiques des concours d'entrée aux écoles commerciales. Cette préparation a pour spécificité d'être exclusivement centrée sur les mathématiques, matière à fort coefficient dans ces concours, de s'étendre sur toute l'année scolaire, d'être assurée par des enseignants recrutés parmi les meilleurs élèves admis en HEC et ayant eu d'excellents résultats en mathématiques.
A la rentrée 1994, Optimal Prepa a constaté qu'Intégrale, connue parmi les bonnes préparations privées à toutes les matières des concours des écoles commerciales, avait créé une filiale, Intégrale Math, spécialisée comme elle sur les seules mathématiques.
Reprochant à Intégrale et à sa filiale d'avoir copié son concept originalde préparation des étudiants aux épreuves de mathématiques, d'avoir débauché l'un de ses enseignants, de s'être livrées à des actes de dénigrement et de publicité mensongère, Optimal Prépa a assigné les deux sociétés en concurrence déloyale et parasitaire.
Le Tribunal ayant rendu le jugement précédemment rappelé, Intégrale et Intégrale Math en poursuivent l'infirmation. Elles soutiennent que :
- le concept pédagogique développé par Optimal Prépa n'est pas original et a été mis en œuvre antérieurement tant par Intégrale que par d'autres écoles,
- la formule revendiquée est banale, s'agissant de cours de complément et de perfectionnement qui ne peuvent être dispensés selon les modalités classiques de l'enseignement magistral,
- le prétendu débauchage de M. Paget-Domet n'a entraîné aucune désorganisation d'Optimal Prépa, ne serait-ce qu'eu égard au faible nombre d'heures de cours donnés par l'intéressé pendant sept mois par an,
- la publicité prétendument mensongère consistant dans la diffusion, à la rentrée 1994, d'une brochure publicitaire présentant l'activité d'Intégrale Math, n'a revêtu aucun caractère déloyal,
- leur adversaire s'est rendue coupable de dénigrement en laissant croire à la disparition de son concurrent (sur les autres faits de dénigrement, elles font leurs les motifs du tribunal qui a renvoyé les parties " dos à dos "),
- subsidiairement, le préjudice doit être minoré.
Les appelantes demandent en conséquence à la Cour de condamner Optimal Prépa à leur payer en réparation du préjudice causé par ses agissements fautifs la somme de 200 000 F de dommages-intérêts, outre une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Optimal Prépa conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre d'Intégrale et d'Intégrale Math et au rejet des demandes reconventionnelles des appelantes. Elle relève appel incident sur le montant des dommages-intérêts en sollicitant une somme de 4 000 000 F subsidiairement une expertise et l'allocation d'une provision de 1 000 000 F. Elle demande des mesures d'interdiction sous astreinte ainsi qu'une somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
L'intimée à l'appui de sa demande pour faits de concurrence déloyale, reproche de nouveau en appel aux deux appelantes :
- le " copiage " à l'identique de son concept pédagogique,
- le débauchage de salariés, en l'espèce celui de M. Paget-Domet,
- des faits de dénigrement,
- des faits de publicité mensongère.
Sur ce, LA COUR,
Sur la reprise du " concept pédagogique "
Considérant qu'Optimal Prépa estime avoir innové dans le domaine de la préparation au concours HEC en créant en 1992, les caractéristiques des cours actuellement dispensés, caractéristiques reprises selon elle, dans leur quasi totalité à la rentrée 1994, par Intégrale Math à savoir :
- cours en petits groupes de 8 à 12 étudiants,
- groupe de niveaux,
- professeurs élèves de grandes écoles de commerce parisiennes,
- horaires flexibles, à la demande des étudiants,
- cours à l'année, au prix de 100 F de l'heure,
- différents cycles et formules disponibles pour les étudiants,
- formule garantissant la satisfaction des clients à l'issue de la première séance de cours : " satisfaits ou remboursés ",
- publication des résultats des étudiants en stages,
- nouvelle méthode commerciale : démarchage des étudiants dans les classes préparatoires HEC, pendant le mois de septembre,
- standard ouvert le soir et le week-end aux horaires de disponibilité des étudiants,
- paiement possible par échelonnement ;
Considérant que l'intimée ajoute que ses adversaires ont également copié plusieurs autres de ses innovations, organisation de stages à la montagne en hiver, publication d'ouvrages écrits par les enseignants de l'école ;
Considérant qu'Intégrale réplique que l'activité d'Optimal Prépa à partir de la rentrée 1992 lui a permis de constater que les besoins des élèves en cours de complément n'étaient pas entièrement satisfaits et qu'il y avait donc place pour d'autres préparations similaires ; qu'elle ajoute qu'Optimal Prépa ne peut prétendre à un monopole sur une formule banale, les cours de perfectionnement ne pouvant être dispensés selon des méthodes classiques ;
Considérant que la Cour fait siens les motifs pertinents par lesquels les premiers juges, analysant de manière détaillée les abondantes explications des parties ont retenu que le " concept " développé par Optimal se différenciait des méthodes antérieures notamment par le choix d'une préparation en continu plutôt que par stages intensifs et par le recours exprimant un parti-pris pédagogique nouveau, le tout appuyé sur une approche commerciale comportant des dispositions énergiques (emploi intensif du démarchage) et nouvelles pour la clientèle recherchée ;
Considérant qu'il est constant, qu'à la suite du succès rencontré par Optimal Intégrale, qui dispensait avant 1992 une préparation traditionnelle avec des cours magistraux donnés par des professeurs agrégés, a créé Intégrale math reprenant les formules pédagogiques introduites par Optimal ;
Considérant qu'Intégrale n'a pas seulement repris à son compte les " concepts " pédagogiques et commerciaux d'Optimal sur lesquels celle-ci ne peut prétendre à un quelconque monopole mais a démarqué ligne à ligne dans sa première brochure de présentation pour 1994/1995, celle diffusée par Optimal en 1993/1994, tant dans sa structure que dans sa formulation;
Qu'ainsi l'ancien " cycle continu " d'Intégrale s'appelle " cycle annuel " à Intégrale Math, comme à Optimal ;
Que la formule " Classic " d'Optimal devient formule " classique " ;
Que la forme " Light " s'appelle formule " allégée ".
Que le cycle intensif semi-annuel d'Optimal Prépa devient cycle semi-annuel à Intégrale Math ;
Considérant que les mots, les phrases, les tournures employées par Optimal sont servilement reprises par Intégrale;
Considérant qu'en se plaçant de la sorte dans le sillage d'Optimal pour profiter sans bourse délier de ses efforts d'innovation, et des investissements par elle consacrés à la mise au point de nouvelles prestations, Intégrale et Intégrale Math ont commis comme l'ont retenu les premiers juges des actes de concurrence parasitaire à l'égard de l'intimée ;
Considérant qu'à l'inverse les appelantes n'établissent pas qu'Optimal aurait elle-même repris leurs formules, dans sa dernière brochure 1996/97 ; que d'une part les tests et les synthèses proposées en plus des heures de cours, faisaient déjà partie de l'enseignement d'Optimal depuis 1992/93 ; que, d'autre part, elles ne peuvent revendiquer une appropriation privative de l'appellation " Major ", qui est d'une utilisation courante dans le type de concours que visent les préparations en question ;
Sur le débauchage
Considérant qu'Optimal Prépa sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu qu'elle avait été victime du débauchage d'un salarié, M. Paget-Domet, qui a démissionné le 7 septembre 1994 sans effectuer son préavis d'un mois pour rejoindre Intégrale Math ;
Considérant que les appelantes allèguent sans le prouver que M. Paget aurait prévenu la direction d'Optimal dès le mois d'avril 1994 ; qu'en réalité la lettre de démission du 7 septembre 1994, fait suite selon l'intéressé lui-même à une discussion téléphonique du début du mois ;
Considérant qu'il est d'autant plus manifeste que M. Paget Domet n'a pas effectué son préavis chez Optimal qu'il est apparu comme professeur chez Intégrale Math dans la plaquette distribuée par celle-ci dès le début du mois de septembre 1994, ce dont atteste un constat d'huissier corroboré par de nombreux témoignages suivant lesquels M. Paget travaillait dès cette époque au service de son nouvel employeur ;
Considérant qu'Intégrale devait s'assurer, par la production du certificat de travail qu'il lui appartenait de réclamer à l'intéressé, que ce dernier était libre de tout engagement; que ne l'ayant pas fait, elle a commis une faute qui s'ajoute aux autres agissements constitutifs de concurrence déloyale retenus à son encontre;
Sur le dénigrement
Considérant qu'Optimal Prépa reproche tout d'abord aux appelantes un " mailing " envoyé à la rentrée 93/94 à tous les étudiants des prépas HEC " déclarant entre autres que les étudiants de grandes écoles sont des pédagogues en herbe" ce qui selon elle signifie leur incompétence ;
Considérant cependant qu'à supposer que ces termes soient retenus comme dénigrants, il convient de relever comme Optimal Prépa l'admet elle-même dans ses écritures, que le document précité ne la vise pas explicitement;
Considérant par ailleurs que les multiples attestations versées aux débats tant par l'intimée que par les appelantes ne sont pas probantes, en raison soit de leur imprécision soit de leur caractère indirect ou partial, chaque élève attestant ayant à coeur de défendre l'enseignement qu'il a reçu; que les parties seront donc déboutées de leurs demandes respectives à ce titre ;
Sur la publicité mensongère
Considérant que ne seront pas retenus les éléments de publicité transmis oralement et relatés par de simples attestations ;
Considérant qu'en revanche Optimal Prépa verse aux débats la plaquette publicitaire de Intégrale Math de 94/95, dans laquelle cette dernière mêle habilement les références propres à Intégrale avec d'autres qui correspondent au nouveau concept proposé aux étudiants de cours de perfectionnement en mathématiques ; qu'il en résulte une confusion dans l'esprit des étudiants pouvant les amener à assimiler la réussite d'Intégrale à celle d'Intégrale Math alors qu'Intégrale Math venant de se créer et n'avait encore aucune expérience ni références ; que ces faits constituent une publicité mensongère qui en renforçant artificiellement le crédit de Intégrale Math était de nature à détourner une partie de la clientèle potentielle d'Optimal Prépa vers Intégrale Math ;
Sur le préjudice
Considérant que les demandes formées par Optimal qui, après avoir évoqué un chiffre de 7 millions de francs, puis un montant de 5 millions de francs (calculé par son expert comptable) a fixé son préjudice à 3 880 000 F et enfin dans ses dernières écritures à 4 millions de francs sont très exagérées ; qu'elles reposent sur le postulat manifestement inexact selon lequel l'activité de la nouvelle entreprise qui a su attirer 175 étudiants dès son premier exercice, et 373 au cours de l'année suivante aurait continué à croître sur le même rythme puisqu'elle estime qu'elle aurait dû enregistrer, sans les agissements de ses adversaires, 740 inscriptions en 1994/1995 ; qu'il va de soi qu'Optimal ne pouvait sérieusement imaginer écarter toute concurrence sur le marché fructueux par elle prospecté, ni empêcher les autres opérateurs de recourir aux méthodes commerciales " agressives " de démarchage dont elle avait eu l'initiative ; que compte devant être tenu par ailleurs de la relative stagnation des candidatures aux concours des grandes écoles commerciales, il convient, sans qu'il soit besoin de recourir à une expertise, de confirmer le jugement déféré qui a procédé à une exacte analyse du préjudice d'Optimal et a justement condamné Intégrale et Intégrale Prépa, dont la responsabilité se trouve engagée in solidum, au paiement de la somme de 400 000 F à titre de dommages-intérêts ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux mesures d'interdiction sous astreinte sollicitées par l'intimée qui ne définit pas de manière suffisamment précise les agissements qu'elle entend voir prohiber ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à Optimal Prépa une indemnité complémentaire de 15 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré ; Y ajoutant ; Condamne in solidum les sociétés Intégrale et Intégrale math à payer à la société Optimal Prépa une indemnité de 15 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel ; Rejette le surplus des demandes. Condamne in solidum les sociétés Intégrale et Intégrale Math aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux disposition de l'article 699 du NCPC, par la SCP Valdelievre et Garnier.