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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 12 novembre 1996, n° 9602077

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Rehitim (SARL)

Défendeur :

Ligne Roset (SA), Dechaumont, Dechaumont (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gueudet

Conseillers :

Mmes Bertrand, Schneider

Avocats :

Mes Kempf, Ughetto, Storck.

TGI Strasbourg, du 7 mars 1996

7 mars 1996

Par acte sous seing privé du 1er octobre 1992, la SA Roset, faisant suite à deux précédents contrats couvrant la période du 1er mars 1986 au 30 septembre 1992, a consenti à la SARL Rehitim un contrat de concession exclusive de la marque "Ligne Roset" pour une durée de trois ans.

Par courrier du 26 septembre 1995, la société Roset a informé la société Rehitim qu'elle n'entendait pas renouveler le contrat arrivant à échéance le 30 septembre 1995.

Une période conventionnelle de trois mois s'est ouverte à compter du 26 septembre 1995 destinée à permettre au concessionnaire d'écouler son stock, période que la SA Roset a prorogée jusqu'au 15 février 1996, et ce par courrier du 9 octobre 1995.

La marque "Ligne Roset" a été concédée à la SARL Dechaumont qui s'est implantée à proximité immédiate de la société Rehitim.

Considérant que la SA Roset a implicitement mais nécessairement reconduit le contrat qui lui avait été consenti, subsidiairement qu'elle a commis un abus de droit en ne le renouvelant pas, la société Rehitim a, par acte du 11 janvier 1996, fait assigner la société Roset en présence de Monsieur Patrick Dechaumont, devant le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg pour :

- l'entendre condamner à lui payer la somme de 9.503.000 F, marge brute qu'elle pouvait escompter de la poursuite des relations contractuelles jusqu'au 30 septembre 1998,

- subsidiairement, voir ordonner une expertise comptable pour faire évaluer son préjudice,

- faire interdiction à la société Roset de consentir tout contrat de concession exclusive au profit d'une personne physique ou morale située dans un périmètre de 500 mètres, et ce sous astreinte de 100.000 F par jour,

- l'entendre condamner à lui payer la somme de 100.000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Par jugement du 7 mars 1996, le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg a débouté la société Rehitim de sa demande, l'a condamnée à payer à la société Roset la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts, et lui a fait interdiction de faire référence à la marque "Ligne Roset" ou à commercialiser quelque produit que ce soit de la marque, sous astreinte de 10.000 F par infraction contractée. Le tribunal a en outre condamné la société Rehitim à payer à la société Roset la somme de 20.000 F en application de l'article 700 du NCPC, et déclaré sans objet l'intervention de la SARL Dechaumont.

Par déclaration du 11 avril 1996, la société Rehitim a interjeté appel de ce jugement qui lui a été signifié le 27 mars 1996.

Concluant à l'infirmation du jugement entrepris, la société Rehitim demande en conséquence à la Cour de :

- constater l'existence d'un contrat de distribution exclusive entre la société Rehitim et la société Roset, pour une durée de trois ans venant à échéance le 30 septembre 1998,

- subsidiairement, constater que la société Ligne Roset a commis un abus de droit en dénonçant le contrat de concession exclusive,

- en conséquence, condamner la société Roset à payer à la société Rehitim à titre de dommages et intérêts la somme de 9.503.000 F avec les intérêts légaux à compter du jugement à intervenir,

- en tant que de besoin, nommer tel expert comptable qu'il plaira à la Cour de désigner avec pour mission de chiffrer la perte de marge commerciale subie par la société Rehitim pendant une durée de trois années,

- faire interdiction à la société Roset de consentir un contrat de concession exclusive à toute personne physique ou morale située dans un périmètre de 500 mètres autour de la société Rehitim sous peine d'une astreinte de 100.000 F par jour d'ouverture constaté,

- infirmer le jugement en tant qu'il a fait interdiction à la société Rehitim de commercialiser quelque produit que ce soit de la marque "Ligne Roset",

- dire et juger qu'en cas d'opposition de la part de la société Ligne Roset, à la poursuite de la vente du stock légitimement acquis par la société Rehitim, la société Ligne Roset devra reprendre ledit stock à sa valeur soit 314.664 F, au besoin l'y condamner,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à Monsieur Patrick Dechaumont pris tant en son nom personne qu'au nom de toute société à laquelle il pourrait participer directement ou indirectement ayant pour objet l'exploitation d'un magasin de meubles Quai Kellermann,

- condamner la société Roset au paiement d'une somme de 100.000 F en application de l'article 700 du NCPC,

- condamner la société Roset aux frais et dépens d'instance et d'appel.

La société Rehitim soutient qu'un nouveau contrat a été implicitement conclu entre les parties, et qu'une telle volonté concordante se déduit nécessairement du comportement de l'intimée durant la période précédant l'échéance du 30 septembre 1995.

L'appelante rappelle qu'elle a toujours rempli les objectifs fixés par la société Roset, que son chiffre d'affaires était en progression constante, que l'exercice 1994 a été couronné par la remise du diplôme du " Club 100 % Ligne Roset ", et qu'au cours de l'exercice 1995, une progression de 29,5 % a encore été enregistrée.

Elle considère que, dans ce contexte, l'accord de la société Roset pour la poursuite des relations contractuelles se déduit fort logiquement de son courrier du 7 juin 1995 ; qu'au demeurant les premiers Juges ont fait une interprétation inexacte de ce courrier, alors que la société Roset qui confirmait qu'elle avait établi des liens avec les établissements Reinhardt à Ingwuler, "l'assurait néanmoins d'une exclusivité géographique sur la ville de Strasbourg et ses environs immédiats".

Elle indique que le 23 août 1995, elle a eu la visite d'un inspecteur " Ligne Roset ", visite qui ne peut s'expliquer que dans le contexte de la poursuite des relations contractuelles ; que le 6 septembre 1995 elle a financé à hauteur de 51.665 F un mailing pour des opérations commerciales couvrant la période automne/hiver 1995/1996 ; qu'elle figure comme dépositaire de la marque sur le catalogue " Ligne Roset " 1996, catalogue qu'elle a d'ailleurs payé le 23 août 1995 à hauteur de 26.701 F ; qu'elle a enfin pré-commercialisé la gamme Ligne Roset lors de la foire européenne de Strasbourg en septembre 1995.

Subsidiairement, elle considère comme abusif le non-renouvellement du contrat de concession.

Elle affirme que la société Roset était tenue d'observer un préavis, alors que les relations contractuelles s'étaient poursuivies sur neuf années ; que par une légèreté blâmable, la société Roset lui a laissé croire, jusqu'à trois jours du terme, que le contrat serait renouvelé, ainsi qu'il a été démontré.

Elle souligne que son propre courrier du 25 septembre 1995 par lequel elle faisait grief à la société Roset d'avoir autorisé les établissements Reinhardt à commercialiser les produits de la marque, n'a été reçu par l'intimée que le 27 septembre, et que la notification de fin des relations contractuelles le 26 septembre 1995 ne peut donc y faire réponse, comme l'ont à tort retenu les premiers Juges.

Elle soutient que son courrier du 25 septembre 1995 ne peut être interprété en un refus de sa part de rester concessionnaire ; qu'il s'analyse au contraire comme une ultime tentative de convaincre son co-contractant de revenir sur une décision qui lui est défavorable.

Elle considère que l'attitude de la société Roset est empreinte de l'intention de lui nuire.

Elle rappelle que le nouveau concessionnaire, la SARL Dechaumont s'est implantée dans des locaux directement contigus aux siens, marquant ainsi la volonté de créer une confusion et de détourner à son profit, la clientèle qu'elle a développée par son activité.

Elle invoque la démission, en février 1996, de son chef de ventes Monsieur Desroziers, qui devait être embauché par la société Dechaumont mais ne l'a finalement pas été, de crainte qu'il n'en soit tiré argument dans la présente procédure.

Dans le même dessein de lui nuire, elle invoque également les contacts pris par la société Dechaumont auprès de l'un de ses fournisseurs, pour s'assurer la diffusion de la marque Paul Michel.

Au titre de la rupture abusive du contrat, l'appelante réclame paiement de la somme de 9.503.000 F à titre de dommages et intérêts, correspondant à la perte de marge brute de la période d'octobre 1995 à octobre 1998, calculée en fonction des résultats prévisionnels, ce chiffre pouvant être confirmé, au besoin, par une expertise.

Pour parfaire son indemnisation, elle demande qu'il soit fait interdiction à la société Roset de conclure tout contrat de concession exclusive avec un concurrent situé dans un périmètre de 500 mètres.

S'agissant des stocks encore en sa possession, elle rappelle que le contrat l'obligeant à présenter toute la collection "Ligne Roset" de manière exhaustive, lui impose un niveau de stock élevé; que ce contrat fait référence à une période de liquidation de trois mois mais est muet sur le sort du stock restant à l'issue de cette période ; que la valeur du stock qui se chiffrait à 673.635 F au 30 septembre 1995, a pu être réduite à 314.664 F.

Elle estime être en droit de revendre le mobilier qu'elle a légitimement acquis conformément au principe dit de "l'épuisement des droits", dégagé par l'article 7 de la directive des communautés européennes n° 89-104 et ce d'autant plus qu'aucune clause ne l'interdit, et que la société Roset n'offre pas de le reprendre. Subsidiairement, elle demande que la société Roset soit condamnée à reprendre le stock à sa valeur soit 314.664 F.

Sur les dommages et intérêts qui lui sont réclamés, elle rappelle qu'elle a changé son enseigne et qu'aucune mention " Ligne Roset " n'apparaît plus dans ses locaux, que si confusion il y a, celle-ci résulte du fait de la SARL Dechaumont.

Elle fait valoir que les plaintes de consommateurs émanent toutes de personnes ayant passé commande avant le 30 septembre 1995, et par lesquels la société Roset a refusé de livrer, la mettant dans l'impossibilité d'honorer ses engagements ; que de telles pratiques sont contraires aux usages que même la société Roset avait toujours respectés.

La SA Roset conclut au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement entrepris et forme une demande additionnelle tendant :

- à la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq quotidiens au choix de la société Roset et aux frais de la société Rehitim dans la limite de 50.000 F HT par insertion,

- à la condamnation de la société LB Rehitim au paiement de la somme de 200.000 F complémentaire à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et au paiement d'une somme de 50.000 F en application de l'article 700 du NCPC.

La société Roset rappelle que le contrat de concession avait été conclu pour une durée déterminée de trois ans, sans possibilité de renouvellement, même tacite, et que la correspondance échangée entre les parties démontre qu'aucun accord n'est intervenu en vue du renouvellement.

Elle invoque notamment le courrier de la société Rehitim du 25 septembre 1995, par lequel celle-ci refusait catégoriquement le projet de restriction de sa zone d'exclusivité.

Elle invoque également son propre courrier du 26 septembre 1996 indiquant clairement que le contrat ne serait pas renouvelé au delà du terme du 30 septembre 1995 ainsi que deux autres courriers dans le même sens, datés des 9 et 20 octobre 1995.

Elle fait observer que son courrier du 7 juin 1995 faisait état de la condition, déterminante pour elle, de la modification de la zone d'exclusivité concédée, et que cette condition n'a pas été acceptée l'autorisant dès lors à ne pas maintenir son offre, ce d'autant plus que de nombreux clients, mécontents des services du concessionnaire, s'étaient manifestés auprès d'elle.

Elle indique pour le surplus que la visite du délégué commercial s'inscrit dans l'exécution normale du contrat qui devait se poursuivre jusqu'à son terme, tout comme la participation du concessionnaire aux frais de publicité promotionnelle ou à la diffusion du catalogue de la gamme.

Sur l'abus de droit allégué, elle affirme qu'elle n'était nullement tenue d'observer un préavis, qui ne se conçoit pas pour les contrats à durée déterminée dont l'échéance est contractuellement prévue.

Elle fait valoir que la société Rehitim a de fait, bénéficié d'un préavis précédant la rupture définitive des relations contractuelles, intitulé "période de fin de contrat".

Elle s'estime dès lors parfaitement en droit de contracter avec la SARL Dechaumont et souligne qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être reproché, même si le nouveau concessionnaire s'implante à proximité de l'ancien; que n'ayant pas de lien direct avec le public, elle ne peut détourner à son profit la clientèle de la société Rehitim.

Elle considère que c'est au contraire la société Rehitim qui en maintenant abusivement la référence à la marque, plus de six mois après la fin des relations, exerce une concurrence déloyale à l'égard du nouveau concessionnaire.

Elle rappelle à cet égard qu'il a été constaté le 15 juin 1996 que la société Rehitim figurait toujours dans l'annuaire électronique comme distributeur exclusif de " Ligne Roset " ; que le 12 juillet 1996, sa vitrine contenait toujours de larges bandes mentionnant "Ligne Roset" ; que le 24 juillet 1996 elle continuait à offrir à la vente des produits de la marque "Ligne Roset".

Au titre de ces actes de concurrence déloyale, elle met en compte un montant complémentaire de 200.000 F à titre de dommages et intérêts.

Monsieur Patrick Dechaumont et la SARL Dechaumont concluent au rejet de l'appel en tant qu'il tend à faire interdiction à la société Roset de concéder la marque à toute personne physique ou morale située dans un périmètre de 500 mètres autour de la société Rehitim.

Ils sollicitent en outre l'allocation d'une somme de 60.300 F en application de l'article 700 du NCPC.

La société Dechaumont explique que c'est en toute bonne foi qu'elle est entrée en relation avec la société Roset, lors de l'expiration du contrat de concession consenti à la société Rehitim ; que la condition requise étant la disposition d'une surface de vente d'au moins 450 m², elle a pris à bail les seuls locaux de cette surface alors disponibles à Strasbourg, situés Quai Kellermann, et a, après réalisation d'importants travaux d'aménagement, pu exploiter à compter du 16 mars 1996, la marque qui lui a été régulièrement concédée ; que dans ces conditions, aucun acte de concurrence déloyale ne saurait lui être reproché.

Sur le détournement de clientèle allégué, elle rappelle que la clientèle attachée à la marque reste la propriété de la société Roset qui la concède par contrat, et que la clientèle attachée à la société Rehitim continuera d'acquérir auprès d'elle le mobilier qu'elle commercialisait auparavant, à l'exception des produits "Ligne Roset".

Elle conteste avoir, en aucune façon, désorganisé la société Rehitim, et nie toutes relations contractuelles avec Monsieur Desroziers ainsi qu'avec le fabricant de meubles Paul Michel.

Elle rappelle que la liberté du commerce lui confère le droit de s'installer dans le local de son choix et souligne que la société Rehitim semble invoquer à cet égard une obligation post-contractuelle de non-concurrence qui n'est pas stipulée au contrat et est même contraire à son esprit.

Lors de l'audience du 30 septembre 1996, la SA Roset argue de ce que les pièces de l'appelante ne lui ont été adressées, par télécopie, que le vendredi 27 septembre à 17 heures, et demande à la Cour d'écarter ses pièces des débats.

L'appelante réplique que les pièces n° 1 à 32 lui ont été communiquées en première instance et à nouveau en janvier 1996 ; que les nouvelles pièces ont été communiquées à hauteur d'appel le 27 septembre.

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les écrits des parties auxquels il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et arguments;

Sur l'incident de communication de pièces:

Attendu que les pièces de la société Rehitim numérotées de 1 à 32 ont fait l'objet d'une communication en temps utile tant en première instance qu'à hauteur d'appel;

Qu'en revanche doivent être écartées des débats les six pièces nouvelles, numérotées de 33 à 38, qui n'ont été adressées à la société Roset que le 27 septembre à 17 heures en vue de l'audience de plaidoirie du lundi 30 septembre, ce trop bref délai ne respectant pas le principe du contradictoire;

Sur le renouvellement du contrat:

Attendu que le contrat de distribution de la marque Ligne Roset du 1er octobre 1992, succédant à deux précédents contrats conclus dans les mêmes formes, portait sur une période déterminée de trois ans;

Que ce contrat ne pouvait être ni prorogé, ni reconduit tacitement ;

Que seule la signature d'un nouveau contrat de concession exclusive permettait la poursuite des relations contractuelles entre les parties au delà du terme du 30 septembre 1995;

Qu'il ne peut de ce fait être tiré argument ni de la correspondance échangée entre les parties qui ne fait nulle allusion à la question du renouvellement du contrat ; ni de faits juridiques tels que la participation à des opérations commerciales ou l'achat du catalogue de la gamme 1996;

Attendu que par courrier du 26 septembre 1995, la SA Roset a rappelé que le contrat arrivait à échéance au 30 septembre et indiqué qu'elle ne souhaitait pas le renouvellement au delà de cette date;

Que par voie de conséquence, les relations contractuelles entre les parties ont pris fin à l'échéance du terme du 30 septembre 1995;

Sur l'abus de droit :

Attendu que le non-renouvellement du contrat à l'échéance constitue un droit qui ne dégénère en abus que si celui qui l'exerce a agi avec légèreté blâmable, ou dans l'intention de nuire;

Attendu qu'il ressort de la correspondance échangée entre les parties ainsi que des faits juridiques de la période précédant le 26 septembre 1995 que le refus de renouvellement notifié le 26 septembre 1995 revêtait pour la société Rehitim un caractère brusque et imprévisible;

Que si une discussion est apparue, dans le courrier du 7 juin 1995 au sujet de la distribution de la marque concédée aux Établissements Reinhardt à Ingwiller, ce courrier de la SA Roset indique clairement qu'elle entend maintenir à la société Rehitim la concession exclusive sur Strasbourg et sa proche banlieue;

Que de même, l'inspection par un délégué commeitial le 23 août 1995 n'a de signification que dans la perspective de la poursuite des relations contractuelles au delà du 30 septembre 1995;

Que la participation à une opération commerciale coûteuse (26.701 F) devant s'étendre sur l'automne-hiver 1995/1996 ne se conçoit également que dans ce contexte, de même que l'acquisition début septembre 1995 des catalogues de la gamme "Ligne Roset" 1996 (51.665 F) ou la participation à la foire européenne de Strasbourg, en vue de pré-commercialiser la gamme 1996;

Que c'est ainsi que par courrier du 25 septembre 1995, croisant celui de la SA Roset du 26 septembre 1995, la société Rehitim a pu indiquer qu'elle était "dans l'attente de la proposition de contrat pour les années à venir", renouvellement dont elle ne doutait pas;

Attendu qu'il est constant que le contrat de concession n'a prévu aucun préavis et que le terme contractuel était connu;

Que cependant, dans le silence du contrat, les usages commerciaux imposent au concédant de respecter un préavis permettant au distributeur d'organiser sa propre reconversion;

Que ce préavis doit nécessairement précéder le terme contractuel et ne peut se confondre avec la "période defin de relations" prévue par l'article 17, qui, postérieure à l'échéance, n'a pour seul but que d'organiser l'écoulement du stock ou de traiter les affaires en cours;

Qu'il doit être conclu que la notification du refus de renouvellement le 26 septembre 1995 pour le 30 septembre 1995 constitue une brusque rupture des relations contractuelles, dans le contexte ci-dessus rappelé;

Que le caractère tardif de cette notification, n'observant aucun préavis, correspond manifestement aux pourparlers engagés tardivement avec la société Dechaumont et la perspective du bail commercial sur les locaux de l'immeuble Quai Kellermann;

Attendu que pour autant la brusque rupture des relations contractuelles ne revêt pas un caractère abusif, dès lors que la décision prise par la SA Roset de ne pas renouveler le contrat à son échéance n'est pas empreinte de légèreté blâmable, mais trouve sa source dans différents griefs visés par les pièces de la procédure;

Que s'il est établi que la société Rehitim réalisait un chiffre d'affaires répondant pleinement aux objectifs fixés par la société Roset, il est néanmoins établi que l'attitude adoptée par l'appelante, dans ses relations avec la clientèle en service après-vente, ne correspondait en rien au sérieux, à l'efficacité et à la courtoisie attendus du concessionnaire d'une marque prestigieuse;

Que ces griefs ressortent tant à la fois des plaintes très circonstanciées de clients mécontents (Monsieur Spielberger, Madame Hartmann, Madame Voirin, Madame Bonduau, Monsieur Brevaird, Monsieur Heckel) témoignant de délais de livraison non tenus, de rendez-vous non honorés voire d'un comportement agressif ou désagréable, que des réponses apportées par la société Rehitim elle-même (notamment courrier du 24 août 1995 de la société Rehitim à l'un de ses clients Monsieur Heckel, lui interdisant l'accès du magasin);

Attendu que par ailleurs, la société Rehitim ne justifie pas d'une intention de lui nuire, alors que le lieu d'implantation du nouveau distributeur ne résulte pas d'un choix de la SA Roset;

Qu'il n'est pas davantage établi que la société Roset agissant par son nouveau concessionnaire, ait réellement tenté de débaucher son directeur des ventes ou de s'assurer la distribution des produits de l'un de ses fournisseurs, Paul Michel;

Attendu que dans ces conditions, bien que notifié tardivement et sans respect du préavis d'usage, le refus de renouvellement du contrat ne peut être qualifié d'abusif;

Sur l'indemnisation de la société Rehitim:

Attendu que le caractère tardif de la notification de non-renouvellement est à l'évidence source de préjudice;

Que le concessionnaire évincé n'a pas bénéficié du temps nécessaire pour opérer sa reconversion et rechercher de nouveaux fournisseurs;

Qu'il a également exposé des frais en pure perte, tels que les participations, aux mailings, opérations ponctuelles distinctes de celles visées par l'article 17 du contrat, tels que l'achat de catalogues coûteux, voire s'est investi dans des opérations de pré-commercialisation de la nouvelle gamme " Ligne Roset " dont il n'a pu tirer aucun avantage;

Que le préjudice ainsi subi peut être chiffré à 100.000 F;

Attendu pour le surplus, que le non renouvellement ne constitue pas un abus de droit et qu'aucune autre indemnisation ne saurait être allouée à la société Rehitim;

Qu'il n'est pas davantage envisageable de faire interdiction à la société Roset de concéder la marque à un distributeur situé à proximité des locaux de la société Rehitim, alors qu'une telle interdiction ne repose sur aucune disposition légale ou réglementaire, pas plus que sur une clause de non-concurrence stipulée entre les parties;

Sur le stock:

Attendu que l'article 17 du contrat de distribution prévoit qu'à l'échéance du terme s'ouvre une période de "fin de relations" de trois mois destinée à écouler le stock;

Que cependant, ces stipulations sont muettes sur le sort du stock susceptible d'être encore en possession du concessionnaire à l'issue de cette période de liquidation;

Attendu qu'en l'espèce, s'il est constant que la société Rehitim a bénéficié d'une période de liquidation de quatre mois et demi, cette période s'est avérée insuffisante pour liquider le stock, dès lors que d'une part le contrat de concession impose un niveau de stock élevé puisque le distributeur doit "en permanence présenter de manière exhaustive tous les modèles de la collection" (article 4), que d'autre part, en l'absence de préavis, la société Rehitim s'est approvisionnée jusqu'au terme du contrat, qu'enfin l'écoulement du stock a nécessairement été freiné par la présence, à proximité immédiate, du nouveau concessionnaire Ligne Roset;

Attendu que si, à l'issue de la période de "fin de relations", la société Rehitim ne saurait être autorisée à commercialiser les produits de la marque " Ligne Roset " encore en sa possession, disposition qui serait en complète contradiction avec le contrat de concession consenti à la société Dechaumont, les sujétions particulières imposées par le concédant, telles qu'elles ont été ci-dessus rappelées, doivent l'obliger à titre de dommages et intérêts complémentaires corrélativement à reprendre le stock existant, après inventaire contradictoire par acte d'huissier, aux frais de l'appelante;

Qu'il y a lieu par voie de conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait interdiction à la société Rehitim de continuer à faire référence à la marque, ainsi qu'à commercialiser quelque produit que ce soit de cette marque, sous astreinte de 10.000 F par infraction constatée, et, y ajoutant, de dire et juger que la société Roset devra reprendre ledit stock à sa valeur d'achat, soit 314.664 F, au besoin l'y condamnant;

Sur la demande d'indemnisation de la société Roset:

Attendu qu'il est manifeste que, loin de plier à la loi contractuelle, la société Rehitim a, bien au delà de la période de "fin de relations", entretenu la confusion en laissant croire qu'elle était toujours distributeur de la marque;

Qu'outre son nom figurant toujours dans l'annuaire électronique sous la référence "Ligne Roset", elle a adopté dans sa vitrine les mêmes bandeaux métalliques que la société Dechaumont, et utilisé les mêmes affiches notamment en période de soldes, créant ainsi une confusion dans l'esprit du public;

Qu'une telle attitude est génératrice d'un préjudice qui peut être évalué à 50.000 F;

Sur la demande de publication:

Attendu que la publication de l'arrêt n'apparaît pas justifiée au vu des circonstances de l'espèce, alors que les dispositions d'ores et déjà ordonnées remplissent intégralement les parties de leurs droits;

Sur les demandes d'indemnités fondées sur l'article 700 du NCPC:

Attendu qu'il paraît inéquitable de laisser à la charge de la SA Roset l'intégralité des frais non compris dans les dépens exposés à hauteur d'appel;

Qu'il y a lieu de lui allouer la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du NCPC;

Attendu que les mêmes motifs tirés de l'équité commandent la condamnation de la société Rehitim à payer à Monsieur Dechaumont et la SARL Dechaumont la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du NCPC;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel recevable, Dit que les pièces de la société Rehitim numérotées de 33 à 38 doivent être écartées des débats, Confirme le jugement entrepris en qu'il a dit et jugé qu'aucun abus ne pouvait être reproché à la société Roset, condamné la société Rehitim à payer à la société Roset la somme de 50.000 F (cinquante mille francs) à titre de dommages et intérêts, fait interdiction à la société Rehitim de continuer à faire référence de quelque manière que ce soit à la marque Ligne Roset, ou à commercialiser quelque produit que ce soit de cette marque, sous astreinte de 10.000 F (dix mille francs) par infraction constatée, Statue sur les dépens et l'indemnité de procédure, Infirme le jugement pour le surplus, Et statuant à nouveau, Condamne la SA Roset à payer à la société Rehitim la somme de 100.000 F (cent mille francs) à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture et non respect du préavis d'usage, Condamine la société Roset à reprendre le stock de mobilier " Ligne Roset " encore en possession de la société Rehitim à sa valeur de 314.664 F (trois cent quatorze mille six cent soixante quatre francs), Dit que cette reprise ne pourra avoir lieu qu'après un inventaire détaillé de ce stock établi par huissier de justice, en présence du représentant de la société Roset, les frais de ce constat étant à la charge de la société Rehitim, Rejette la demande de la SA Roset tendant à la publication du présent arrêt aux frais de la société Rehitim, Condamne la société Rehitim à payer la somme de 10.000 F (dix mille francs) à la SA Roset et la somme de 10.000 F (dix mille francs) à la SARL Dechaumont, en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Rehitim aux frais et dépens d'appel, Déclare le présent arrêt commun à la SARL Dechaumont et Monsieur Patrick Dechaumont.