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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 31 octobre 1996, n° 10122-95

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Thion et Cie (SARL), Maison Balland Brugneaux (SARL), Nouvelle Vinot-Postry (SA)

Défendeur :

Charbonnages de France (EPIC), CDF Energie (GIE)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

MM. Frank, Boilevin

Avoué :

SCP Fievet Rochette Lafon

Avocats :

Mes Doumenjou, Lazarus.

T. com. Nanterre, 7e ch., du 10 nov. 199…

10 novembre 1995

Les Sociétés Thion & Cie, Maison Brugneaux Balland (MBB) et la Société Nouvelle Vinot Postry (SNVP), ont interjeté appel d'un jugement rendu le 10 Novembre 1995 par le Tribunal de Commerce de Nanterre qui s'est déclaré incompétent sur leurs demandes dirigées contre Charbonnages de France CDF et la Cie CDF Energie au profit de la juridiction administrative.

Il suffit de rappeler pour la bonne compréhension du litige, que les sociétés précitées sont spécialisées dans la négoce de combustible, et tout spécialement dans l'importation et la vente de charbon.

Un GIE dénommé CDF Energie fût créé en Janvier 1982 par les Charbonnages de FRANCE, comprenant essentiellement pour associés HBL (Houillières de Bassin Lorrain), HBCM (Houillières de Bassin du Centre et du Midi), et Filianor. Ce GIE a notamment pour objet, depuis le milieu des années 1980, l'activité d'importateur de charbons, non seulement pour sa consommation propre, mais encore pour satisfaire les besoins directs de la clientèle consommatrice ou négociante de charbons.

Les Sociétés Thion et Cie, Maison Balland, Brugneaux et Vinot Postry SNVP, ont estimé que cette activité créait, à leur détriment, une distorsion concurrentielle.

C'est dans ces conditions qu'elles ont assigné CDF et le GIE aux fins de voir juger:

- l'illégalité de toute importation par ces personnes morales, soit directement, soit par l'intermédiaire de participation dans toutes autres personnes morales, de combustibles minéraux solides autres que les importations d'appoint ;

- que de telles importations sont constitutives à leur égard d'une concurrence illicite.

Elles demandaient au Tribunal de condamner CDF et le GIE, conjointement, à leur payer 80 Millions de francs à titre de dommages-intérêts.

Les défenderesses ont alors soulevé l'incompétence de la juridiction consulaire pour connaître du litige qui leur était soumis.

Pour accueillir l'exception d'incompétence et se déclarer incompétent au profit du Tribunal Administratif de Paris, le Tribunal de Commerce de Nanterre a essentiellement retenu qu'il importait de "distinguer le cas où les importations litigieuses procèderaient d'une simple pratique commerciale et celui où elles traduisaient la mise en œuvre de décision ayant trait à l'organisation et aux conditions d'exploitation des entités concernées": Or, en l'espèce, les importations litigieuses traduisent la mise en œuvre de décisions touchant l'organisation et les conditions d'exploitation de CDF et du GIE, CDF Energie, ce qui emporte compétence de la juridiction administrative. En effet, le préjudice dont il est demandé réparation est indissociable de l'organisation nouvelle dont procèdent les importations en cause.

En effet, "la contestation portant sur l'importation de charbon revient à contester la légalité de l'approbation donnée à CDF des décisions conduisant à l'activité importatrice".

Expose des thèses en présence et des demandes des parties

Les sociétés appelantes, pour contester la décision du Tribunal, insistent sur la nécessité d'identifier :

- d'une part, l'organisation et les conditions d'exploitation d'un EPIC, qui relèvent de la compétence administrative,

- d'autre part, l'activité commerciale et les agissements qui en découlent, qui sont de la compétence de la juridiction consulaire,

Or, c'est à travers des agissements concurrentiels résultant d'un choix de nature intrinsèquement commerciale et non de l'organisation et des conditions d'exploitation de CDF, que les demandeurs entendent rechercher et établir le comportement fautif des défenderesses.

Cette demande est donc bien de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

CDF et le GIE, CDF Energie, s'attachent à réfuter cette argumentation, soulignant que les appelantes contestent non pas les pratiques commerciales de CDF et de CDF Energie, mais le fait même que ces deux entités puissent juridiquement intervenir sur le marché de l'importation, revente de charbon.

CDF et le GIE CDF Energie demandent à la Cour :

- de confirmer purement et simplement le jugement rendu le 10.11.1995 par le Tribunal de Commerce de Nanterre (7ème Chambre),

En conséquence, de débouter les Sociétés Thion & Cie, Maison Balland-Brugneaux et Société Nouvelle Vinot-Postry de leurs demandes,

- subsidiairement, de renvoyer au Conseil d'Etat, à titre préjudiciel, l'appréciation de la légalité des instructions et orientations contenues dans les lettres adressées :

- le 10.07.1975 par Monsieur D'Ornano, Ministre de l'industrie, au Président de Charbonnages de France,

- le 02.04.1980, par Monsieur Giraud, Ministre de l'industrie, au secrétaire général de Charbonnages de France,

ainsi que dans la réponse du Premier Ministre à une question du Sénateur Soucaret (JO Débats, Sénat, 17.02.1983, n°7),

et surseoir à statuer en l'attente de l'arrêt du Conseil d'Etat.

- subsidiairement de renvoyer au Tribunal Administratif de Paris, à titre préjudiciel, l'appréciation de la légalité:

- du constat constitutif du GIE CDF Energie et plus particulièrement de son article 2 (objet),

- de la décision du 20.11.1981 par laquelle le Conseil d'Administration de Charbonnages de France a "approuvé la décision des Conseils d'Administrations des HBNPC relatives à la création de ce Groupement",

- de la décision du 20.11.1981 par laquelle le Conseil d'Administration de Charbonnages de France a approuvé, au nom de CDF, la création du GIE CDF Energie,

et surseoir à statuer en l'attente du jugement à intervenir;

- subsidiairement, à titre préjudiciel, de renvoyer aux Tribunaux Administratifs de Lille, Strasbourg et Lyon, l'appréciation de la légalité des décisions des Conseils d'Administration :

- des Houillières de Bassin du Nord et du Pas de Calais du 10.11.1981,

- des Houillières de Bassin de Lorraine du 12.11.1981,

- des Houillières de Bassin du Centre Midi du 17.11.1981,

par lesquelles ces établissements publics ont approuvé la constitution du GIE CDF Energie et de surseoir à statuer dans l'attente de leurs jugements,

- de condamner les Sociétés Thion & Cie, Maison Ballan-Brugneaux et Société Nouvelle Vinot-Postry à verser à Charbonnages de France et C.D.F. Energie une somme de 50 000 F HT en application des dispositions de l'article 700 du N.C.P.C.

- de condamner les Sociétés Thion & Cie, Maison Balland-Brugneaux et Société Nouvelle Vinot-Postry aux dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par Maître Bommart, avoué près la Cour d'Appel de Versailles, en application des dispositions de l'article 699 du NCPC ;

Subsidiairement, CDF et le GIE CDF Energie demandent à la Cour de poser à la juridiction administrative les questions préjudicielles relatives au caractère administratif du contrat constitutif du GIE, aux décisions des pouvoirs publics et de CDF, questions qui commandent la solution du litige, et en conséquence de surseoir à statuer dans l'attente à la réponse de ces questions.

Les intimés demandent enfin à la Cour d'écarter des débats les conclusions déposées tardivement par les appelantes le 30 août 1996.

Sur ce, LA COUR

Sur la demande de rejet des débats des conclusions des sociétés appelantes du 3O août 1996

Considérant que les sociétés appelantes ont cru devoir signifier des conclusions en réplique le 30 Août 1996, soit à l'avant-veille de l'ordonnance de clôture prononcée le 03 Septembre 1996 ;

Considérant que les intimés, eu égard à la complexité de l'affaire, étaient mis dans l'impossibilité de répondre en temps utile ; que par suite, les conclusions du 30 Août 1996 devront être écartées, ce d'autant que le calendrier de procédure avait déjà été modifié en raison des premières conclusions tardives des sociétés appelantes signifiées la veille de la clôture précédemment fixée au 11 Juin 1996 ;

Sur la compétence

Considérant que l'action en concurrence déloyale intentée par les Sociétés Thion, Maison Balland Brugneaux et SNVP, contre CDF, Etablissement Public Industriel et Commercial, et le GIE CDF Energie, créé par CDF en 1982, relèvent comme toutes les actions en responsabilité extra-contractuelle tendant à la réparation des préjudices causés aux tiers par le fonctionnement des services publics industriels et commerciaux - sauf lorsqu'un ouvrage public est en cause - des règles de compétence et de fond de droit privé ;

Considérant qu'il convient dès lors d'infirmer le jugement entrepris et de renvoyer les parties à conclure au fond conformément aux dispositions de l'article 954 du NCPC ;

Considérant que ce n'est que lors de l'examen du fond, lorsque les sociétés demanderesses indiqueront en quoi les pratiques commerciales se rapportant au fonctionnement du GIE seraient de nature à fausser le jeu de la concurrence au regard tant du droit interne que du droit communautaire, que pourront, le cas échéant, se poser des questions d'appréciation de la légalité et de l'interprétation d'actes administratifs non réglementaires, de nature à entraîner un sursis à statuer et au renvoi de la question préjudicielle devant le juge administratif ; que les demandes de sursis à statuer des intimés, du fait de l'existence des questions préjudicielles apparaissent en l'état, prématurées ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Dit les Sociétés Thion & Cie, Maison Balland-Brugneaux, et la Société Nouvelle Vinot-Postry, recevables en leur appel, Statuant à nouveau, Dit que l'action introduite par les Sociétés Thion & Cie, Maison Balland-Brugneaux, et la Société Nouvelle Vinot-Postry, par exploit introductif du 10 Novembre 1994 est de la compétence du Tribunal de Commerce valablement saisi ; Invite les parties à conclure pour qu'il soit statué au fond, Condamne conjointement et solidairement les intimés aux dépens, lesquels seront recouvrés par la SCP Fievet Rochette Lafon, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.