CA Rennes, 2e ch., 23 octobre 1996, n° 9504645
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gondet Automobiles (Sté)
Défendeur :
Armorique Autos (Sté), Cofa (Sté), Delourmel Automobiles (Sté), Gendry (Sté), J.-L. Guilmault (Sté), Établissements Huchet (SA), Mouton (Sté), Pelve Garage (Sté), Garage Sourget (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roy (faisant fonction)
Conseillers :
M. Froment, Mme Letourneur-Baffert
Avoués :
Mes Chaudet, Brebion, Castre, Colleu
Avocats :
Mes Fourgoux, Doury-Bausset.
Vu le jugement du 10 mars 1995 par lequel, statuant sur les actions en concurrence déloyale introduites contre SA Gondet Automobiles (ci-après également appelée l'opérateur non agréé) par les sociétés Armorique Autos, Gendry, Garage Sourget, J.-L. Guilmault, Mouton, Delourmel Automobiles, Cofa, Pelve Garage, SA Établissements Huchet (ci-après également appelées les concessionnaires), le Tribunal de commerce de Rennes :
- a jugé valide et recevable l'action des concessionnaires ;
- a rejeté la demande de sursis à statuer de l'opérateur non agréé ;
- a retenu que cet opérateur était en faute pour avoir publié, notamment dans Ouest France, diverses publicités de nature à tromper le public ;
- a retenu que les demandeurs, en ce qu'ils étaient concernés par les véhicules des constructeurs dont ils étaient les concessionnaires, étaient victimes de ces agissements fautifs ;
- a retenu que l'opérateur non-agréé était tenu de réparer le préjudice causé à Armorique Autos, Gendry, Garage Sourget, JL Guilmault, Mouton et Cofa, et l'a condamné à payer à ces sociétés la somme de 30 000 F à chacun à titre de dommages-intérêts ;
- a fait défense sous astreinte à cet opérateur de faire quelque publicité que ce soit proposant au public des véhicules, faisant l'objet d'une exclusivité de vente à des concessionnaires ou autres distributeurs exclusifs, sans préciser qu'il ne peut se procurer les véhicules qu'en vertu d'un mandat des acheteurs ;
- a condamné l'opérateur à payer à chacun des concessionnaires poursuivants la somme de 1500 F pour frais non taxables ;
- a débouté du surplus ;
Vu l'appel de ce jugement par SA Gondet Automobiles et les écritures d'appel par lesquelles cette société :
- soutient que l'assignation serait nulle pour avoir demandé au Tribunal un arrêt de règlement ;
- soutient que l'action ne pouvait être déclarée recevable sans examen, concessionnaire de marque par concessionnaire de marque, des conditions d'exemption de la prohibition des ententes résultant du droit communautaire ;
- soutient qu'il y a lieu de surseoir à statuer, en attente des réponses de la Cour de justice des communautés déjà posées par d'autres juridictions quant à l'interprétation du règlement communautaire 123-85, sauf à poser de nouvelles questions, dés lors qu'il y a risque de divergences de jurisprudence à l'intérieur de la communauté et que d'autres juridictions peuvent estimer le renvoi en interprétation indispensable ;
- soutient qu'il n'y a pas preuve de concurrence déloyale, au titre de ses activités ;
- dénie toute publicité de nature à tromper le public ;
- critique les mesures d'instruction auxquelles il a été procédé, comme constituant une immixtion et une violation du secret des affaires ;
- demande, à ce titre, le paiement par chacun des concessionnaires d'une somme de 10 000 F de dommages- intérêts ;
- demande que soit prononcée la nullité de l'assignation introductive d'instance, que le jugement entrepris soit infirmé, que les actions des sociétés Armorique Autos, Gendry, Garage Sourget, JL Guilmault, Mouton, Delourmel Automobiles, Cofa, Pelve Garage, SA Établissements Huchet soient jugées irrecevables et, plus subsidiairement, que soient posées à la Cour de justice des communautés 7 questions concernant le règlement 123-85, et qu'il soit sursis à statuer en attente des réponses à ces questions préjudicielles, outre les réponses aux questions posées à cette même Cour par la Cour d'appel de Douai le 20 juin 1996 ;
Vu les écritures d'appel par lesquelles les concessionnaires:
- soutiennent que leur adversaire commet des actes de concurrence déloyale en s'approvisionnant, en connaissance de cause et au mépris des accords licites de distribution exclusive liant les concessionnaires aux constructeurs de véhicules, ce qui s'évincerait, d'une part, du fait qu'il ait refusé de remettre à l'huissier commis à cet effet les pièces et documents justifiant de la provenance de véhicules neufs ayant été en stock dans ses établissements, et, d'autre part, de ce qu'un concessionnaire Citroën belge, avec qui SA Gondet entretient des relations d'affaires privilégiées, a fait l'objet d'une résiliation de son contrat pour non-respect des obligations contractuelles d'approvisionnement et de ce que SA Gondet importe à grande échelle des véhicules neufs acquis de loueurs et d'autres revendeurs comme Transit Motors Belgique ;
- observent que, dans le cadre d'une distribution par un réseau exclusif, ce n'est pas au demandeur de rapporter la preuve de l'approvisionnement illicite mais au défendeur non agréé de se justifier quant à la régularité de son approvisionnement ;
- soutiennent que leur adversaire pratique, dans ses relations avec la clientèle, la confusion entre des activités de mandataire et une activité revendeur ;
- soutiennent que leur adversaire pratique de la publicité comparative illicite, comme il ressortirait des pièces 19 et 20 qu'ils produisent ;
- demandent, par appel incident, qu'il soit retenu que l'opérateur non agréé s'approvisionne illicitement en véhicules neufs, et qu'il lui soit fait défense, sous astreinte, de procéder de la sorte ;
- demandent également qu'il soit retenu que cet opérateur a créé une confusion dans l'esprit du public entre ses activités de mandataire et de revendeur non agréé et a pratiqué une publicité comparative illégale et trompeuse ;
- demandent que soient ajoutées diverses défenses sous astreinte ;
- demandent, pour le surplus, la confirmation du jugement déféré et une somme de 5000 F pour frais non taxables ;
Sur quoi,
Considérant qu'à supposer que l'assignation ait pu demander aux juges de procéder par voie de règlement, ce fait ne serait pas de nature à conduire à une annulation de l'acte introductif d'instance, mais, le cas échéant à une annulation, pour excès de pouvoir, des chefs du jugement déféré qui y aurait fait droit ;
Considérant que les pièces produites révèlent des faits d'offre au public d'opérations en vue de l'acquisition de véhicules automobiles, notamment dans Ouest France, à l'occasion d'une opération portes ouvertes ;
Considérant que l'opérateur non-agréé importe en France les véhicules sur lesquels il opère, de sorte qu'il peut, comme il n'est d'ailleurs pas discuté, se prévaloir des règles de concurrence du Traité de Rome pour l'activité qu'il exerce, en ce que ces règles régissent les opérations susceptibles d'affecter le commerce entre États membres ;
Considérant que ne sont pas applicables à la cause les dispositions de droit européen ou de droit interne postérieures au 6 janvier 1995, aucun fait n'ayant été dénoncé au cours du procès après cette date;
Considérant que la licéité des contrats de concession produits, tant au regard des règles internes de concurrence qu'au regard des règles communautaires, n'est pas discutée par des moyens précis; que ces contrats n'obligent les tiers, sur un fondement délictuel, que s'ils participent sciemment, avec un des cocontractants ou ayants-droit, à leur violation ;
Considérant que les constructeurs et importateurs ayant souscrit ces contrats de concession ne se sont obligés que sur les secteurs concédés à leurs cocontractants et n'ont souscrit aucune obligation, envers eux, en ce qui concerne les ventes par eux faites hors le secteur concédé, notamment dans des pays tiers; qu'il est, en outre, constant que le règlement communautaire 123-85 a permis, dans les conditions qu'il fixe, de déroger, en application de l'article 85 paragraphe 3 du traité de la Communauté Économique Européenne, à l'article 85 paragraphe 1 dudit traité posant l'interdiction de principe des accords anticoncurrentiels à l'intérieur du marché commun, en ce qui concerne certaines catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, accords, ne concernant que deux entreprises, par lesquels le fournisseur, sur une partie définie du territoire du marché commun, s'engage à ne livrer qu'au distributeur ou à un nombre déterminé d'entreprises du réseau de distribution; que les contrats de concession produits par chacun des concessionnaires recevables en leur action portent notamment obligation pour le fournisseur, sur un secteur déterminé, qui n'excède pour aucun des contrats le département de l'Ille et Vilaine, de ne livrer qu'au distributeur concessionnaire sur ce secteur déterminé, ce qui entre dans l'exemption du règlement susvisé, et obligation pour chaque concessionnaire de ne livrer à un revendeur que si ce revendeur est une entreprise faisant partie du réseau de distribution, ce qui entre également dans l'exemption du règlement susvisé (article 3, point 10 a); que les règles communautaires susvisées n'ont ni pour objet, ni pour effet d'interdire, indépendamment des accords qu'elles permettent à titre d'exemption, des opérations commerciales de vente ou d'entremise relatives à des véhicules, ce qu'au demeurant la Cour Européenne de justice des communautés a rappelé, dans un arrêt Nissan du 15 février 1996, en énonçant que le règlement susvisé doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée, ni intermédiaire mandaté, au sens de l'article 3, point 11, de ce règlement, se livre à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque, ou à ce qu'un opérateur indépendant cumule les activités d'intermédiaire mandaté et celles de revendeur non agréé de véhicules provenant d'importations parallèles ;
Considérant que, ceci étant, il appartient aux concessionnaires de faire la preuve que l'approvisionnement de l'opérateur non agréé s'est fait, en connaissance de cause, au mépris des droits qu'ils tiennent de leurs contrats de concession, ce qui ne saurait s'évincer du seul fait des engagements pris, dans lesdits contrats, par leurs cocontractants, dès lors que ces contrats ne concernent que le secteur concédé ; que, si cette preuve peut s'évincer d'un refus de produire en justice, ou à un mandataire de justice dûment autorisé, des pièces commerciales relatives à une opération ou une série d'opérations déterminées, il y a lieu de relever qu'en l'espèce l'huissier, commis sur requête, a pu procéder à des recherches et à des copies de pièces comptables relatives aux achats de SA Gondet, qu'il a annexées à son constat, qu'il ne lui a été opposé un refus pour poursuivre ses opérations que le lendemain de ses premières constatations et que ces diligences ne se justifiaient pas, au regard des véhicules en stock que l'expert a décrits dans son rapport, ce dont il ressort que ce refus ne fait pas preuve, en ce qui concerne une faute de cet opérateur non agréé dans son approvisionnement, étant observé qu'en revanche aucun préjudice, au titre de cette mesure d'instruction ordonnée sur requête, n'a été causé sur ce chef de mission et que la mesure se justifiait, pour le surplus, au regard des publicités parues dans la presse sur l'activité de cet opérateur, de sorte que les dommages-intérêts demandés sur ce point par celui-ci ne sont pas justifiés; que, pour le reste, le fait que cet opérateur se soit approvisionné auprès du garagiste Maertens et de divers loueurs et autres en Belgique n'étaye pas les allégations selon lesquelles ces approvisionnements se sont fait au mépris des conventions liant ceux-ci à leurs propres fournisseurs, aucune pièce n'étant fournie sur ce point, d'où il suit qu'à bon droit les premiers juges n'ont pas retenu une faute dans l' approvisionnement de SA Gondet, étant observé, en outre, que le fait que la facture d'achat du véhicule d'un client (Gouepel), qui avait mandaté SA Gondet pour cet achat auprès d'un concessionnaire étranger, ait été, par erreur, émise par ce concessionnaire sur le mandataire au lieu de l'être sur le mandant n'établit pas une faute dans la concurrence au détriment des concessionnaires qui poursuivent l'opérateur; qu'il ne ressort d'aucune des productions la preuve d'un approvisionnement fautif de SA Gondet ;
Considérant qu'en revanche à bon droit les premiers juges ont relevé que les publicités faites par cette société constituaient, pour les concessionnaires, des actes fautifs de concurrence déloyale à leur détriment dès lors qu'elles n'ont pas expressément mentionné que cet opérateur était, pour les véhicules offerts, un revendeur non agréé ou un mandataire non agréé du constructeur ou de l'importateur du réseau de distribution agréé de ce constructeur, ce qui est, au regard du mode de distribution des véhicules de la marque par le constructeur ou l'importateur sur le secteur concerné, de nature à créer une confusion dans l'esprit du public, confusion recherchée par l'opérateur non agréé alors que les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation prohibent toute publicité comportant des présentations de nature à induire en erreur, lorsque ces présentations portent sur les procédés de la vente ou de la prestation de service, la portée des engagements pris par l'annonceur et la qualité de celui-ci ; que, sans qu'il y ait lieu de surseoir, les moyens préjudiciels soulevés sur ce point révélant seulement un dévoiement des règles à des fins purement dilatoires, à bon droit les premiers juges, en relevant cette publicité trompeuse, ont, dans une formule qui doit être cependant modifiée pour être excessive dans sa portée, fait défense à l'opérateur non agréé de procéder à des publicités créant cette confusion; qu'à bon droit également, en ce qui concerne les publicités litigieuses, les premiers juges ont débouté en ce qui concerne le grief de publicités comparatives dès lors qu'en toute hypothèse les dispositions des articles 121-8 et suivants du Code de la consommation ne sont pas applicables aux publicités produites puisqu'à aucun moment l'annonceur n'a comparé ses prix avec ceux des concessionnaires et qu'il n'a fait qu'annoncer des rabais, sur certains véhicules, au regard des tarifs, en France, des constructeurs pour lesdits véhicules, ou véhicules de même marque qui leur sont proches, ce qui contribue à assurer la transparence sur un marché qui est soumis à la concurrence, le règlement communautaire 123-85 n'ayant manifestement eu ni pour objet, ni pour effet que faire cesser ladite concurrence ;
Considérant que le trouble supporté par les concessionnaires au titre des fautes retenues a été justement apprécié par les premiers juges; que l'équité commande que leur soit accordée une indemnité de 8 000 F à chacun pour frais non taxables exposés dans le procès ; que les dépens de 1re instance et d'appel incombent à SA Automobiles Gondet qui succombe sur l'essentiel et qui, par sa faute, est à l'origine du procès ;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a : - reçu les actions des sociétés Armorique Autos, Gendry, Garage Sourget, JL Guilmault, Mouton, Delourmel Automobiles, Cofa, Pelve Garage, SA Établissements Huchet, - débouté ces sociétés de leur prétentions au titre d'un approvisionnement fautif de SA Gondet Automobiles et d'une publicité comparative trompeuse, - débouté SA Gondet Automobiles de sa demande de dommages-intérêts, - dit trompeuses, en ce qui concerne les procédés des ventes ou prestations de service offertes, la portée des engagements pris par l'annonceur et la qualité de celui-ci, les publicités faites par SA Gondet Automobiles, - condamné cette société à payer, à ce titre, aux sociétés Armorique Autos, Gendry, Sourget, JL Guilmault, Mouton et Cofa la somme de 30 000 F de dommages-intérêts à chacune ; Réformant pour le surplus : Fait défense, sous astreinte de 40 000 F par infraction commise après signification du présent arrêt, à SA Gondet Automobiles de procéder, pour son commerce, à des publicités qui ne mentionnent pas, en caractères très apparents, pour chaque véhicule offert, qu'elle est revendeur non agréé ou mandataire non agréé des constructeurs ou importateurs des véhicules ainsi offerts à sa clientèle ; Déboute du surplus des prétentions concernant la concurrence déloyale imputée à SA Gondet Automobiles ; Condamne cette société à payer aux sociétés Armorique Autos, Gendry, Souget, JL Guilmault. Mouton, Delourmel Automobiles, Cofa, Pelve Garage et Établissements Huchet la somme de 8 000 F à chacune pour les frais non taxables exposés dans le procès ; La condamne aux entiers dépens, ceux d'appel avec, pour l'avoué adverse, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.