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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 17 octobre 1996, n° 1725-94

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Pet Foods (SARL)

Défendeur :

Iams France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

MM. Frank, Boilevin

Avoués :

Mes Jupin, Bommart

Avocats :

Mes Cot, Souchon.

T. com. Chartres, du 7 déc. 1993

7 décembre 1993

Rappel des faits et de la procédure

Il est constant que la SARL Compagnie des Pet Foods était titulaire, depuis le 1er avril 1989, d'un contrat exclusif auprès de la SARL Iams France (société de droit américain) pour l'achat et le revente en France et dans les Dom Tom d'aliments pour animaux domestiques, ce pour une durée de 3 ans. Le terme de ce contrat, après amendement fût fixé au 31 décembre 1992.

Après que le contrat ait pris fin, la SARL Iams France installait sa propre société de distribution sous l'enseigne Iams France SARL.

La société Pet Foods devait reprocher à celle-ci d'avoir commis à son détriment des actes de concurrence déloyale : en effet un document émanant de Iams France, daté du 11.03.1993, qui était censé être à usage externe, avait en fait été remis par les commerciaux de cette société aux clients de la SARL Pet Foods et ce, à travers toute la France. Ce document était constitutif d'un dénigrement dès lors qu'il conduisait à faire la démonstration que les nouveaux produits désormais distribués sous l'appellation " Technical " par la SARL des Pet Foods sont de mauvaise qualité pour un prix plus élevé que les produits de la SARL Iams France et ce, au besoin, en tronquant les données ou en procédant à de pures inventions.

Sur l'assignation, sur ce fondement, de la SARL Iams France par la Société Pet Foods, le Tribunal de Commerce de Chartres, par le jugement entrepris, a débouté la demanderesse.

Pour statuer comme ils l'ont fait, les juges consulaires ont essentiellement retenu qu'il n'est pas démontré que le document litigieux, à usage interne, ait atteint des tiers, en particuliers des clients actuels ou éventuels.

Exposé des thèses en présence et des demandes des parties

La Société des Pet Foods, appelante, fait valoir au contraire que la diffusion du document litigieux, hors réseau, est bien établie, notamment par le fait que Madame Rivière, sa cliente habituelle, en a été en possession.

Elle demande à la Cour :

- de déclarer recevable et fondé l'appel interjeté à l'encontre du jugement prononcé le 07.12.1993 par le Tribunal de Commerce de Chartres,

- d'infirmer en toutes ses dispositions ce jugement et statuant à nouveau,

- de dire et juger que la Société Iams France SARL s'est rendue coupable par ses agissements de concurrence déloyale par dénigrement,

- de condamner la Société Iams France à payer à la Compagnie des Pet Foods une somme de 1 million de francs à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du jour de l'arrêt à intervenir,

- de dire et juger que la Société Iams France sera tenue à une amende civile de 50 000 F par document circulant découvert sur le marché,

- d'ordonner la publication de l'arrêt dans trois journaux professionnels fixant le coût de l'insertion à la somme de 20 000 F,

- de condamner la Société Iams France à payer une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC,

- de condamner la Société Iams France aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec autorisation pour ces derniers, donnée à Maître Jupin, Avoué près de la Cour d'appel de Versailles, de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

La Société Iams France s'attache à réfuter cette argumentation ; elle indique que la preuve qu'un représentant de Iams France ait remis l'étude comparative à un client actuel ou éventuel de Pet Foods n'est toujours pas rapportée.

Subsidiairement, elle fait valoir que l'étude litigieuse, contrairement aux allégations de Pet Foods, ne peut être appréciée au regard des dispositions de l'article 10 de la loi du 18 janvier 1992 sur la publicité comparative dès lors qu'elle n'a pas un caractère public et ne constitue pas une " comparaison personnalisée ".

L'intimée demande à la Cour :

- de confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Chartres en date du 07.12.1993 en ce qu'il avait débouté la Cie des Pet Foods de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- de condamner la Cie des Pet Foods à verser à la Société Iams France SARL la somme de 30 000 F pour procédure abusive,

- de condamner la Cie des Pet Foods à verser à la Société Iams France SARL la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel conformément à l'article 699 du NCPC, qui seront recouvrés par Maître Bommart, avoué ;

Sur ce, LA COUR

Considérant qu'il est constant que le 11.03.1993, la Société Iams France, sous la signature de Didier Kerfant, adressait à ses collaborateurs une note ayant pour objet Techni-Cal, ainsi rédigée :

" Vous trouverez ci-joints des tableaux comparatifs entre nos produits chien et leurs correspondances sous marque Techni-Cal. Ces tableaux sont basés sur le meilleur tarif éleveurs Techni-Pal (ci-joint) et notre tarif E2.

Un certain nombre de faits précis sont notables, à savoir :

- les valeurs caloriques Techni-Cal sont toutes inférieures à Eukanuba (Régular excepté),

- les prix de revient à la portion sont plus ou moins équivalents à nos produits dû aux quantités supérieures à donner,

- une grande majorité des protéines sont d'origine végétale (avec les conséquences que l'on sait) telles que maïs et blé,

- des rajouts d'ingrédients afin d'équilibrer les formules ; ce qui laisse penser que la qualité des matières premières est loin d'atteindre la nôtre,

- compte-tenu des prix d'achat au Canada et des coûts d'approche, les marges de CPF sont très importantes ; ce qui fait que le produit ne se trouve pas dans la catégorie de prix de son segment mais nettement au-dessus. Ceci entraîne un rapport qualité/prix peu performant.

La stratégie à adopter est de faire prendre conscience à vos éleveurs que :

- aller dans l'inconnu pour quelques francs représente un facteur risques important,

- aucun test en grandeur réelle n'a jamais été fait en Europe sur ces produits. Quels sont les résultats à attendre ? Il est à noter que ces produits n'ont pas eu de succès en Allemagne, Benelux et Suisse,

- avec notre politique de fidélisation éleveurs, les avantages prix sont corrects pour un résultat connu et garanti,

- dans cette opération, celui qui vend gagne beaucoup plus que celui qui achète.

Nous vous informerons des éléments " détaillant " dès que nous aurons pu analyser toutes les données.

Keep the pressure. Cordialement ".

Considérant que le droit de critique exercé sur un produit est licite à condition qu'il soit objectif et mesuré et qu'un concurrent déterminé ne puisse être identifié ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, les termes employés par la note précitée -" rapport qualité prix peu performant "... " une grande majorité des protéines sont d'origine végétale (avec les conséquences que l'on sait) "... " le produit ne se trouve pas dans la catégorie de prix de son segment, mais nettement au-dessus "... " aller dans l'inconnu représente un facteur de risques important "... " ces produits n'ont pas eu de succès en Allemagne, Benelux et Suisse... " constituant un dénigrementdes produits de la Compagnie des Pet Foods sur lesquels Iams France a jeté le discrédit.

Considérant que l'absence de tout caractère objectif des " informations " ainsi données résulte des précisions mêmes que Iams France avait apportées, le 1er octobre 1993, en réponse à la note critique établie par Pet Foods en considération de celle du 11.03.1993, objet du présent litige ;

Qu'en effet, les " précisions " que Iams France donne, ne font qu'établir la légèreté avec laquelle la note litigieuse a été établie ; qu'il y est d'ailleurs reconnu sous le " Point 5 " que " Les prix d'achat de CPF nous sont en effet inconnus, et il est exact que les coûts d'approche sont similaires ", ce qui revient à admettre que la comparaison des prix reposait sur des bases fausses ;

Que surtout Monsieur Didier Kerfant indique in fine, en conclusions " ces quelques réflexions m'étant livrées, mon analyse finale est que les éléments diffusés ont été rédigés à une époque où tous les documents n'étaient pas disponibles. Néanmoins, il y a des erreurs légères... " ; qu'enfin, l'examen de la note du 1er octobre 1993 révèle que son auteur procède le plus souvent par affirmation (Points 4. Point 6. 7. 8. 10. 11. 12) sans fournir de véritables éléments de preuve ;

Considérant que c'est vainement que cette dernière soutient que ce document ne pourrait être constitutif de dénigrement dès lors qu'il s'agit d'un document à caractère interne et qu'il n'est pas établi qu'il ait atteint des tiers ;

Considérant en effet que si le document litigieux est adressé aux collaborateurs, il n'en invite pas moins ceux-ci, à répercuter les informations qu'il contient auprès des clients dans la mesure où il constitue essentiellement un argumentaire ; que le document litigieux précise d'ailleurs " la stratégie à adopter est de faire prendre conscience à vos éleveurs que... " ; que loin de se borner à documenter objectivement les collaborateurs de l'entreprise sur les produits concurrents et leurs prix, la note litigieuse invite implicitement mais nécessairement les représentants, à diffuser les informations qu'elle leur transmet à l'extérieur, dans le cadre d'une stratégie commerciale agressive exprimée notamment par " Keep the pressure " , qui signifie en français " gardez la pression " ;

Considérant que la note qui dénigre les produits de la Société Pet Foods ne peut dès lors, être considérée comme une note à usage interne , ce qui suffit à justifier le bien fondé de la demande de cette dernière ;

Considérant de surcroît que la Société des Pet Foods établit suffisamment par les pièces qu'elle produit aux débats que ce document, qualifié à tort d'interne, a bien atteint des tiers, notamment des clients ; qu'une telle diffusion extérieure résulte notamment : de l'attestation de Madame Billaud qui prouve que Madame Rivière, une cliente de Pet Foods a été mise en possession du document incriminé par Monsieur Vambre, distributeur indépendant, lequel n'a pourtant aucun lien de subordination avec Iams France de la lettre de Monsieur Perennec, représentant qui a été mis en possession de la note du 11.03.1993 par une clientèle éleveuse, et de la correspondance de Madame Segonds, qui affirme avoir reçu le même document le 30.06.1993.

Considérant que l'acte de concurrence déloyale ainsi commis par Iams France envers Pet Foods justifie en son principe la demande de cette dernière en réparation de son préjudice ;

Considérant en effet que les actes déloyaux dont Pet Foods a été victime ont porté nécessairement une atteinte, fut-elle seulement morale, à ses intérêts que ce préjudice sera réparé par une somme de 1 million de francs ; qu'il sera également partiellement fait droit aux demandes de Pet Foods tendant à voir interdire à Iams de continuer à diffuser sur le marché le document litigieux et à la publication du présent arrêt ;

Qu'en revanche, aucune considération d'équité ne justifie l'action à l'appelante de sommes au titre de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Dit la Société des Pet Foods recevable et fondée en son appel , Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Dit que la Société Iams France SARL s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par dénigrement, ; Condamne Iams France à payer à la Compagnie des Pet Foods la somme de 1 million de Francs avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ; Interdit à Iams France de continuer à diffuser le document du 11.03.1993, sous peine d'une amende de 50 000 F par document circulant sur le marché ; Ordonne la publication du présent arrêt dans 3 journaux professionnels, le coût de l'insertion ne pouvant dépasser 20 000 F ; Dit n'y avoir lieu à condamner sur le fondement de l'article 700 du NCPC, Condamne la Société Iams France aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par Maître Jupin, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.