Livv
Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 8 octobre 1996, n° 94003803

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Peguilhan

Défendeur :

Oxbow (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frizon de la Motte

Conseillers :

Melle Courbin, M. Ors

Avoués :

Me Le Barazer, SCP Lacampagne-Puybaraud

Avocats :

Mes Fourcaud, Horrenberger.

T. com. Bordeaux, du 18 mars 1994

18 mars 1994

Par acte du 25 mai mis au rôle le 30 juin 1994, M. Peguilhan a relevé appel d'un jugement rendu le 18 mars 1994 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux qui l'a débouté de ses demandes dirigées contre la SA Oxbow. Par des conclusions du 23 septembre 1994 l'appelant expose qu'il exploite à Grenoble depuis 1988 un commerce de vente au détail de vêtements et d'articles de sport. Parmi les vêtements figuraient des produits de diverses marques importantes dont la marque Oxbow qui constituait la marque phare de son magasin. Pour la saison automne-hiver 1992, sa commande à cette société se montait à 756.000 Francs, mais dès le mois d'avril il devait constater un retard important. Malgré ses relances, il n'a pas reçu de réponse de son cocontractant et ce n'est qu'en mai qu'il fut informé que la SA Oxbow entendait cesser toute relation avec lui. Cette décision était motivée par un article paru dans la revue Sport première magasine dans lequel ses propos étaient rapportés. Devant le refus de livrer maintenu malgré ses explications, il était contraint de saisir le tribunal de Commerce de Bordeaux. Celui-ci rendait la décision entreprise "qui résulte d'une méconnaissance flagrante des règles relatives au refus de vente et d'une dénaturation des faits de la cause. Il soutient que le comportement de l'intimée a bien constitué un refus de vente, que ce refus ne se justifie par aucun élément légalement admissible , refus qui ne saurait être légitimé par l'exception d'inexécution. Il ajoute brièvement que les agissements de l'intimée sont aussi condamnables au regard des dispositions des articles 1134 et suivants du code civil. L'appelant fixe son préjudice à la somme de 547.877 Francs au titre du manque à gagner et 672.000 Francs du chef du préjudice commercial. Il désire que la publication du jugement ou de l'arrêt soit ordonné et sollicite 25.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'intimée a répliqué le 7 avril 1995. Elle désire la confirmation de la décision entreprise ainsi que l'allocation d'une somme de 12.000 Francs pour les frais irrépétibles qu'elle a dû exposer.

Elle soutient qu'elle a eu à l'égard de l'appelant une attitude commerciale conciliante acceptant des délais de paiement et des annulations de commande. De son coté l'appelant s'est livré dans le cadre d'un article paraissant dans un magasine spécialisé au moment d'un salon international, à des actes de dénigrements. Elle conteste l'existence d'un refus de vente et soutient que l'acte de dénigrement public auquel s'est livré l'appelant constitue un motif sérieux et légitime de cessation des relations commerciales. A titre subsidiaire, elle conclut à l'absence de justification de l'existence d'un préjudice direct et certain. Elle soutient le caractère peu sérieux des réclamations indemnitaires de l'appelant qui passent de 572.000 Francs à 1.219 000 Francs. L'intimée a de nouveau conclu le 3 janvier 1996, reprenant les moyens exposés dans ses précédentes conclusions. M. Peguilhan a conclu le 12 janvier 1996. Il confirme avoir, durant les relations commerciales, respecté ses engagements financiers. Il soutient qu'il y a bien eu refus de vente et qu'il n'a commis aucun dénigrement. L'intimée a conclu pour une troisième fois le 19 janvier 1996 en reprenant les moyens développés dans ses deux jeux de conclusions précédentes.

Sur quoi la Cour : - Attendu sur le refus de vente, que cette infraction existe dans le cas où un fournisseur de biens ou de services refuse de faire droit à la demande présentée par un particulier ou une société.

Attendu que tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque l'intimée a reçu sans élever la moindre contestation la commande que lui a adressée l'appelant, elle a commencé à l'honorer en effectuant quelques livraisons puis a estimé qu'elle ne devait plus remplir ses obligations contractuelles.

Attendu qu'ainsi à l'évidence il n'y a pas eu en l'espèce refus de vente puisque celle-ci est devenue parfaite du fait de l'acceptation de la commande par l'intimée, mais inexécution des obligations du contrat régulièrement formé.

Attendu qu'il convient de rechercher si cette inexécution est fautive ou si elle est justifiée par le comportement de l'appelant, c'est à dire est-ce que la conversation qu'il ne conteste pas avoir eu avec un journaliste et qui est rapportée dans un journal destiné aux professionnels d'un créneau du marché de l'habillement au moment d'un salon, constitue ou non un acte de dénigrement ?

Attendu que ces paroles sont les suivantes "Coté sportswear, le Top 50 des meilleurs marques Quiksilver, apparait comme une valeur sûre, montante et régulière. Depuis quelques temps Oxbow, malgré une forte image de marque sur le marché tend à se "banaliser". Contrairement aux années précédentes où la marque du fabriquant de Bordeaux ne figurait que dans les magasins spécialisés, il est dorénavant possible de se la procurer dans certaines jeaneries... une clientèle bien différente de celle que côtoie le marché du sport au grand dam de Frédéric Peguilhan".

Attendu que la critique ainsi formulée porte non sur la qualité du produit mais sur son mode de distribution, qui selon l'appelant retentit sur son image de marque.

Attendu pour que le dénigrement soit établi, il conviendrait que soit rapportée la preuve soit de la fausseté totale de cette critique, soit son caractère excessif.

Attendu qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que les produits de l'appelante étaient vendus dans des jeaneries même si cette part de distribution était en régression au moment de l'incident.

Attendu à supposer que le rapprochement effectué avec un concurrent direct (Quiksilver) dans le mode de distribution puisse constituer un dénigrement, qu'il faut relever que pour sanctionner ce comportement ou y mettre fin, l'intimée pouvait exiger de l'appelant qu'il fasse paraître un rectificatif dans le numéro suivant du magazine en cause ou qu'il procède à un affichage dans le salon par lequel il aurait explicité sa position.

Attendu qu'elle a préféré, sans en informer son cocontractant rompre unilatéralement le contrat en cessant toutes livraisons, n'estimant pas nécessaire de répondre aux courriers ou aux mises en demeure de livrer que lui a adressés l'appelant.

Attendu que ce comportement constitue une inexécution fautive des obligations contractuelles que la simple critique de M. Peguilhan ne peut justifier.

Attendu qu'il convient en conséquence de reformer la décision entreprise et d'indemniser l'appelant pour le préjudice qu'il a subi.

Attendu que les marchandises non livrées avaient une valeur de 978.352 Francs, que l'intimée ne conteste pas le coefficient multiplicateur avancé par l'appelant soit 1,56.

Attendu en conséquence que sa perte est égale à la marge brute qu'il n'a pu réaliser soit 978.352 x 1,56 = 1.526.229 - 978.352 = 547.877 Francs.

Attendu en ce qui concerne le préjudice commercial qu'il faut constater que l'appelant produit des attestations de ses clients qui sont déçus de ne plus trouver dans ses magasins des produits Oxbow, la production de ces pièces démontre que l'appelant n'a subi aucune perte de clientèle puisque celle qui fréquentait ses magasins alors qu'il vendait des produits de l'intimée, les fréquente toujours et établit à son profit les attestations versées aux débats, qu'au surplus les comptes présentés ne font apparaître aucune stagnation ou régression du chiffre d'affaires qu'il a réalisé, que ce moyen ne peut être retenu.

Attendu qu'il ne résulte d'aucune pièce des dossiers produits aux débats que l'intimée ait donné la moindre publicité aux difficultés qui l'opposaient à l'appelant que de ce fait il n' y a lieu de faire droit à la demande de publication présentée.

Attendu que les circonstances de l'espèce ne justifient pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Attendu que la SA Oxbow supportera les dépens.

Par ces motifs : LA COUR : Déclare M. Peguilhan fondé en son appel, en conséquence y faisant droit réforme la décision entreprise dans toutes ses dispositions et statuant à nouveau. Condamne la SA Oxbow à payer à M. Peguilhan la somme de 547.877 Francs. Dit qu'il n'y a lieu à publication du jugement. Dit qu'il n'y a lieu à application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de la SA Oxbow dont distraction au profit de Maître Le Barazer, Avoué, application étant faite des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.