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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 7 octobre 1996, n° 9401979

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

France Bananes (SA), Canavese (SA), Canavese Finances (SA)

Défendeur :

Murisseries du Centre (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gayat de Wecker

Conseillers :

M. Gouilhers, Mme Penot

Avoués :

Mes Rahon, Guillaumin

Avocats :

Mes Revah, Weller.

T. com. Bourges, du 5 juill. 1994

5 juillet 1994

La SA Canavese, la SA France Bananes et la SA Canavese Finances ont interjeté appel d'un jugement du Tribunal de Commerce de Bourges en date du 5 juillet 1994 qui les a déboutées de leur action en concurrence déloyale et en agissement parasitaire.

Les sociétés requérantes demandaient que la SA Murisseries du Centre soit condamnée " à retirer immédiatement les bacs en plastique et les présentoirs contenant les bananes de toutes les grandes surfaces, supermarchés, hypermarchés qu'elle approvisionne sur le territoire et ce sous astreinte de 1 000,00 F par infraction " et qu'elle soit en outre condamnée à verser la somme de 984 000,00 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Ledit jugement a aussi condamné les sociétés appelantes à verser à la Société Murisseries du Centre la somme de 15 000,00 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La SA Canavese, la SA France Bananes et la Canavese Finances ont interjeté appel de cette décision.

Elles font valoir :

- qu'elles ont mis au point une méthode originale de conditionnement et de distribution de la banane destinée aux professionnels et notamment aux grandes enseignes de la distribution française,

- que cette méthode consiste en une nouvelle présentation des bananes laquelle associe l'utilisation d'un emballage spécifique, c'est à dire un bac plastique, avec sa mise en place sur palettes et sur présentoirs,

- que l'utilisation de ce bac permet de rationaliser la présentation et d'améliorer l'hygiène des produits et en conséquence permet de développer les ventes de bananes chez ces distributeurs,

- que cette nouvelle méthode a fait l'objet de communications très importantes auprès des professionnels de la distribution à partir de juin 1991,

- qu'elles ont constatés que la SA Murisseries du Centre avait repris à son compte et sans frais cette méthode puisqu'elle propose aux grandes enseignes de la distribution à qui est destinée cette nouvelle méthode, un même système de distribution associant l'utilisation d'un bac plastique, de palette et de présentoir,

- que le bac en plastique est l'élément fondamental de la méthode de présentation et commercialisation et que le comportement parasitaire de la SA Murisseries du Centre est établi par le fait que cette dernière a cherché à profiter des efforts d'un concurrent dont le produit connaît un succès dans le sillage duquel elle tente à moindre frais de se placer,

- qu'elles démontrent avoir été les premières à utiliser le bac plastique comme mode de conditionnement,

- que la condamnation du parasitisme s'impose " quand bien même le parasite a évité la confusion sur l'origine d'un produit car il importe d'assurer une protection à l'effort économique de celui qui prend des initiatives coûteuses et risquées ",

- que l'appropriation par la Société intimée de la méthode de commercialisation est constitutif d'un comportement parasitaire fautif condamnable selon l'article 1382 du Code Civil,

- que le montant du préjudice matériel et non seulement moral subi s'élève à 984 000,00 F,

La SA Canavese, la SA France Bananes et la SA Canavese France demandent donc à la Cour d'infirmer la décision entreprise et de condamner la SA Murisseries du Centre à retirer immédiatement les bacs plastiques contenant les bananes de toutes les grandes surfaces, supermarchés et hypermarchés sur le territoire et ce sous astreinte de 1 000,00 F par infraction constatée, de condamner en outre la SA Murisseries du Centre au paiement de la somme de 984 000,00 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi sauf à parfaire à chacune des appelantes ainsi que de la somme de 20 000,00 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La SA Murisseries du Centre réplique :

- que le bac en plastique n'est qu'une composante parmi d'autres de la méthode " Bananga " mis au point par les Sociétés Canavese et France Bananes, qu'il faut aussi tenir compte du présentoir, de son système d'affichage et des messages le composant et que ce n'est pas l'utilisation d'un seul de ces éléments à savoir le bac en plastique qui est eu demeurant de forme, de couleur et de marque différentes, qui risque de créer une confusion dans l'esprit des clients attachés aux Sociétés Canavese et France Banane,

- que la preuve de l'exploitation illégitime de la notoriété d'autrui, ainsi que l'utilisation illégitime des investissements d'autrui n'est pas rapportée dans la mesure où elle est une société plus ancienne que les sociétés appelantes qui se sont introduites sur le marché de la banane courant 1996 et qu'elle a utilisé bien avant les sociétés Canavese le bac plastique,

- que la Société Canavese est parfaitement protégée du risque de confusion par l'originalité du présentoir, par ses slogans et par sa marque " Bananga " dont elle est le propriétaire, alors que ces éléments n'ont fait l'objet d'aucune utilisation et encore moins d'imitation de sa part,

- que les sociétés appelantes exagèrent démesurément le conditionnement de la banane dans des bacs en plastique (la qualité de la banane dépend tout d'abord de son origine géographique, de son mode de stockage et des techniques de mûrissage).

La SA Murisseries de France demande la confirmation de la décision entreprise et sollicite reconventionnellement la somme de 100 000,00 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, les sociétés appelantes n'ayant agi que dans leur propre intérêt et dans le but de déroger aux principes de la liberté du commerce et de la libre concurrence.

La SA Murisseries de France sollicite également la somme de 118 600,00 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur quoi, LA COUR

Attendu que les sociétés appelantes fondent leurs demandes à la fois sur l'action en concurrence déloyale et sur l'action en agissement parasitaire ;

Attendu qu'il ressort des pièces versées aux débats que la méthode de commercialisation inventée par les société Canavese consiste à livrer des bananes prêtes pour la mise en rayon, dans des bacs qui eux-mêmes sont rangés sur un présentoir affichant la marque " Bananga " et que sous le nom de la marque est insérée une plaque ou pancarte sur laquelle figure le slogan " découvrez-moi, goûtez-moi, aimez-moi " ainsi que le dessin ou la photographie d'une banane ;

Or attendu qu'il n'y a pas similitude entre les bacs et les présentoirs qui sont de fabrication différente ainsi que de couleurs différentes:

- vert pour les bacs Allibert utilisés par la SA Murisseries du Centre,

- rouge pour les bacs Paxton utilisés par les sociétés Canavese,

Qu'en outre les photographies versées aux débats ne démontrent pas que la SA Murisseries du Centre a élaboré un présentoir et un système d'affichage comme mode de présentation ;

Attendu qu'enfin le bac plastique est un moyen de conditionnement et de présentation qui existe depuis plusieurs années et est utilisé par de nombreuses sociétés, le fabricant de bacs Allibert ayant d'ailleurs commencé à publier ses modèles de l'année 1981 alors que l'élaboration du nouveau concept " Bananga " date de 1991.

Attendu que la concurrence déloyale n'est pas établie puisque l'impression d'ensemble du conditionnement des produits n'est pas de nature à établir une confusion dans l'esprit de la clientèle d'autant plus que les sociétés Canavese utilisent la marque " Bananga " afin de distinguer ses produits.

Attendu que le parasitisme économique se définit comme " l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin d'en tirer profit sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire ".

Attendu qu'en l'espèce ce n'est pas le bac qui est le seul élément permettant de caractériser le concept; qu'il faut aussi tenir compte du présentoir et de son système d'affichage ainsi que des messages le composant(éléments qui ne sont pas utilisés par la SA Murisseries du Centre) ;

Attendu que ce sont ces trois éléments qui ont donné lieu à des frais de recherche et qui caractérisent le savoir-faire des Sociétés Canavese;

Attendu que dans la mesure où les Sociétés Canavese ne démontrent pas l'utilisation par la SA Murisseries du Centre de leur réputation ou des efforts qu'elles ont réalisés sur le plan technique ou commercial, il n'y a pas agissements parasitaires;

Attendu qu'il convient donc de confirmer la décision entreprise ;

Attendu qu'en raison du sort réservé à leurs prétentions les sociétés Canavese, France Banane et Canavese Finances seront déboutées de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts et d'indemnité en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Attendu que l'intimée ne démontre pas en quoi le droit d'agir en justice a dégénéré en abus ; qu'elle sera donc déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;

Attendu que l'équité commande d'allouer à la Société Murisseries du Centre la somme de 40 000,00 F pour frais irrépétibles ;

Par ces motifs, Reçoit l'appel en la forme, Au fond, le dit injustifié, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Déboute la SA Murisseries du Centre de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive, Condamne la SA Canavese, la SA France Bananes, la SA Canavese Finances à verser à la SA Murisseries du Centre la somme de 40 000,00 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Déboute la SA Canavese, la SA France Bananes et la SA Canavese Finances de leur demande en paiement de dommages et intérêts et d'indemnités au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne la SA Canavese, la SA France Bananes et la SA Canavese Finances aux dépens d'appel et alloue à Maître Guillaumin, avoué, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.