CA Paris, 4e ch. B, 4 octobre 1996, n° 93-11220
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cynt'Or (SARL)
Défendeur :
Houplan (ès qual.), Moyrand (ès qual.), Comm'9 (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerrini
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Duboscq-Pellerin, Me Lecharny
Avocats :
Mes Tref, Lang
Appel a été interjeté par la société C Com 9 actuellement dénommée Cynt'or d'un jugement du tribunal de commerce de Bobigny en date du 21 janvier 1993 par lequel elle a été condamnée à payer à la société Comm 9, pour concurrence déloyale, la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ainsi que celle de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Il lui a été fait interdiction de continuer à utiliser la dénomination C Com 9 sous astreinte journalière de 3 000 F à compter de la signification du jugement et pendant une durée de six mois ; cette décision a été assortie de l'exécution provisoire et les parties déboutées de toutes leurs autres demandes.
Cynt'Or conclut à l'infirmation de la décision soulevant l'absence de similitude entre les noms, entre l'activité professionnelle, l'implantation géographique et l'absence de détournement de clientèle ; elle soutient encore qu'il n'existe aucun préjudice ; à titre subsidiaire, elle sollicite la minoration du montant des dommages intérêts ; reconventionnellement, elle demande paiement de la somme de 100 000 F correspondant au montant des frais qu'elle a dû engager pour procéder au changement de sa dénomination sociale, celle de 50 000 F pour procédure abusive, Comm 9 ayant notamment diligenté une procédure de la saisie arrêt sur ses comptes bancaires, et paiement de la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
En réplique, Comm'9 conclut à la confirmation de la décision et formant appel incident, sollicite paiement de 20 000 F pour procédure abusive, celle de 17 790 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et demande la liquidation de l'astreinte à la somme de 120 000 F.
Au cours de la procédure d'appel, Cynt'Or a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire le 29 mars 1995 ; Maître Houplain et Maître Moyrand sont intervenus volontairement à la procédure, le premier en sa qualité d'administrateur judiciaire et le second en qualité de représentant des créanciers.
Ils ont conclu en reprenant les demandes formées par la société appelante.
L'intimée sollicite en dernier lieu de lui donner acte de ce que sa déclaration de créances a été régularisée le 13 juin " 1993 " (en réalité 1995) entre les mains du représentant des créanciers.
Lors de l'audience des plaidoiries, les parties ont été invitées à s'expliquer sur le moyen soulevé d'office de l'irrecevabilité de la demande de liquidation d'astreinte.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que l'appelante soutient que les premiers juges ont à tort retenu l'existence de concurrence déloyale alors que les dénominations en cause ne sont pas similaires tant visuellement qu'intellectuellement, C Com 9 étant l'abréviation d'une phrase, que les sociétés n'ont pas les mêmes activités, elle-même exerçant dans le domaine du nettoyage alors que l'intimée a pour activité la fourniture de produits d'entretien selon l'objet social tel qu'il résulte de l'extrait K Bis versé aux débats, qu'enfin le secteur géographique n'est pas identique et qu'elles ne peuvent donc avoir une clientèle commune, qu'elle soutient encore qu'il n'existe aucun préjudice ;
Considérant cela exposé qu'il est constant, au regard des documents versés aux débats que l'intimée a été immatriculée au registre du commerce de Paris le 4 septembre 1987 sous la dénomination Comm'9 ; que selon l'extrait Kbis versé aux débats en date du 4 septembre 1990 son activité est ainsi définie : " création entretien parcs et jardins, gardiennage surveillance commerce location matériaux, opérations de commercialisation, de tous matériels et produits se rattachant à l'activité principale ainsi qu'à l'activité de prestations de services en matière de laverie et lavage de toute nature ;
Que l'appelante a été immatriculée postérieurement le 17 octobre 1990 au registre de commerce de Bobigny sous la dénomination C Com 9 et a pour activité le nettoyage de locaux ;
Qu'il est constant quel'intimée bénéficie de l'antériorité sur la dénomination sociale qui, n'étant ni nécessaire ni générique ni usuelle pour l'activité désignée, n'est pas discutée dans sa validité, que les premiers juges ont par des motifs pertinents estimé similaires tant phonétiquement que visuellement ces deux signes, la suppression d'un M ne modifiant aucunement le signe et l'ajout du C ne permettant pas de les distinguer ; qu'il est indifférent en l'espèce d'invoquer la bonne foi en raison des recherches effectuées auprès de l'INPI en matière de marques, puisque la dénomination sociale et la marque n'ont pas le même régime juridique et que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle des articles 1382 et 1383, la personne à qui sont imputés des actes délictueux est responsable de ses fautes de négligence ou d'imprudence ; qu'ainsi, en ne faisant pas toutes recherches sur l'existence antérieure d'une dénomination sociale, l'appelante a dans son principe commis une faute d'imprudence;
Considérant qu'elle ne saurait, en l'espèce, s'exonérer de cette faute en prétendant d'une part que les sociétés n'ont pas les mêmes activités et d'autre part qu'elles n'ont pas les mêmes implantations géographiques ;
Considérant, en effet, que la protection de la dénomination sociale d'une société qui définit la société dans sa personne est plus étendue que celle du nom commercial qui désigne seulement l'entreprise dans ses relations avec des tiers ; qu'il est néanmoins nécessaire qu'il existe un risque de confusion entre les deux sociétés ;
Considérant en l'espèce que l'activité des deux sociétés est si ce n'est identique, complémentaire selon l'extrait K Bis de 1990 susvisé ; qu'en effet le tiers peut penser en présence de ces opérations de commercialisation susvisées qu'elles comprennent également des activités de prestation de service ou à tout le moins de distribution des produits nécessaires à ces services exécutés par une même société en raison des dénominations quasi identiques ; que ces deux sociétés sont en outre implantées sur des zones géographiques très proches, qu'en effet, l'une a son siège social à Paris et l'autre en Seine Saint Denis ; que la clientèle est commune ; que d'ailleurs la société intimée justifie de l'existence d'une clientèle en Seine Saint Denis pour des services de nettoyage ; qu'ainsi, le risque de confusion naissant de signes très proches pour des activités à tout le moins complémentaires sur des zones géographiques limitrophes est établi, quelque puisse être la notoriété de la dénomination sociale, qui n'a en l'espèce aucune incidence ; que la décision sera donc confirmée ;
Considérant que le préjudice résulte du trouble causé par l'utilisation fautive de la dénomination sociale et le risque de confusion ;
Considérant toutefois que l'intimée ne rapporte pas la preuve d'une perte de clientèle imputable aux actes illicites de l'appelante ; qu'il convient en conséquence de fixer le montant des dommages intérêts à la somme de 40 000 F, dans les termes du dispositif ci-dessous énoncé, compte tenu du prononcé du redressement judiciaire et de la déclaration de créances ; qu'il convient de confirmer la mesure d'interdiction sous astreinte ;
Considérant qu'en application de l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991 seul le juge de l'exécution est compétent si les premiers juges ne s'en sont pas expressément réservé le pouvoir, pour liquider l'astreinte ; que cette incompétence est aux termes de l'article 52 du décret du 31 juillet 1992 relevée d'office par le juge ; que les parties ont été invitées lors des débats d'audience à s'expliquer sur ce moyen ; qu'il s'ensuit que la demande en liquidation d'astreinte est irrecevable ;
Considérant qu'il convient de donner acte à la société appelante de ce qu'elle a procédé au changement de sa dénomination sociale dès avril 1993 ;
Considérant qu'il ne saurait être fait droit à sa demande reconventionnelle en remboursement des frais engagés par cette modification dès lors que l'intimée est bien fondée dans sa demande ;
Considérant que les demandes de dommages intérêts formées par les deux parties pour procédure abusive ne sont pas fondées ; que d'une part, il ne saurait être fait reproche à l'intimée d'avoir procédé à une saisie-arrêt alors qu'elle disposait d'un titre exécutoire et d'autre part, il ne saurait être reproché à l'appelante d'avoir diligenté la procédure de manière dilatoire ; qu'elle pouvait en effet se méprendre, de bonne foi, sur la portée de ses droits ;
Considérant que l'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, Donne acte à Maître Houplain et Maître Moyrand de leur intervention volontaire en leur qualité de mandataires du redressement judiciaire de la société Cynt'Or, Dit irrecevable la demande en liquidation d'astreinte, Confirme la décision en toutes ses dispositions excepté sur le montant des dommages intérêts, Statuant de nouveau de ce chef, Fixe à la somme de 40 000 F la créance de la société Comm'9 à l'encontre de la société Cynt'Or en redressement judiciaire, Rejette toutes autres demandes, Condamne Maître Houplain, es qualité aux entiers dépens qui seront recouvrés, le cas échéant par la SCP Duboscq, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.