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Décisions

CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 26 septembre 1996, n° 5457-94

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kirkbi A/S (Sté), Légo A/S (Sté), Légo (SA), Biggis (Sté), Unica (SA)

Défendeur :

Ritvik Toys Europe (SARL), Ritvik Toys INC (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mazars

Conseillers :

Mme Gabet-Sabatier, M. Martin

Avoués :

SCP Lambert-Debray-Chemin, Mes Robert, Bommart

Avocats :

Mes Combeau, Delile.

TGI Nanterre, 2e ch., du 10 mai 1994

10 mai 1994

La société Légo SA commercialise en France depuis 1959, date de sa création, des jeux de construction constitués essentiellement de briques conçues et fabriquées par les entreprises du groupe Légo, notamment les sociétés danoises Kirkbi A/S et Légo A/S.

La société française Ritvik Toys SARL commercialise des produits créés et fabriqués par les société du groupe Ritvik et principalement la société canadienne Ritvik Toys Inc, qui conçoit, fabrique des jeux et des jouets pour enfants, essentiellement des jeux d'assemblage en matière plastique.

La société de droit suédois Byggis et la société anonyme de droit belge Unica importent et commercialisent des jeux de construction.

La société Kirkbi A/S a déposé le 18 janvier 1989 à l'INPI à titre de marque, la brique Légo, marque enregistrée sous le n° 1 526 777 pour désigner les produits et services des classes 1 à 42 de la nomenclature internationale des marques.

Statuant sur les actions en contrefaçon et en concurrence déloyale dirigées par la société Kirkbi A/S et Légo d'une part contre les sociétés du groupe Ritvik et d'autre part contre les sociétés Byggis et Unica, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre a rendu le 10 mai 194 deux jugement par lesquels :

- faisant droit à la demande reconventionnelle, il a prononcé la nullité de la marque 1 526 777 déposée le 18 janvier 1989 par la société Kirkbi A/S et dit que le jugement sera inscrit en marge de l'acte de dépôt,

- il a débouté les société Kirkbi A/S, Légo A/S et Légo SA de leurs demandes fondées sur des actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale.

En outre, dans la procédure opposant les sociétés Kirkbi et Légo aux sociétés Ritvik, statuant sur l'action en contrefaçon du modèle déposé par la société Légo A/S sous le n° 125 741, le tribunal, constatant que le contrefaçon était caractérisée, a condamné les sociétés Ritvik TOYS et Ritvik Toys Europe à payer à la société Légo A/S la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de cette contrefaçon.

Dans cette procédure, le tribunal a mis les dépens à concurrence des 2/3 à la charge des sociétés demanderesses et pour 1/3 à la charge des sociétés défenderesses.

Dans la seconde procédure opposant les sociétés du groupe Légo aux sociétés Byggis et Unica, le tribunal a laissé les dépens à la charge des sociétés demanderesses.

La société Kirkbi A/S, la société Légo A/S et la société Légo SA ont interjeté appel du jugement rendu dans la procédure les opposant aux sociétés Ritvik Toys et Ritvik Toys INC.

Elles demandent à la Cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a retenu la contrefaçon du modèle du personnage " Micronaute " et, statuant à nouveau de :

- dire que les éléments de constructions parallélépipédiques rectangles importés par la société Ritvik Toys Inc en France et commercialisés par la société Ritvik Toys Europe, ainsi que la reproduction desdits éléments, constituent la contrefaçon de la marque n° 1 526 777 appartenant à la société Kirkbi A/S au sens des articles L. 716-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

- dire qu'en commercialisant des brique parallélépipédiques rectangulaires ou carrées reproduisant toutes les caractéristiques dimensionnelles des briques Légo commercialisées par la société Légo SA, la société Ritvik Toys Europe s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par copie servile,

- dire qu'en commercialisant des briques compatibles avec les briques Légo commercialisées par la société Légo SA, et en faisant apposer sur les emballages desdites briques la mention " compatible ", la société Ritvik Toys Europe s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par parasitisme aux dépens de la société Légo,

- ordonner sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée l'interdiction d'importer en France, de détenir, d'offrir en vente, de vendre les briques et les personnages contrefaisants et compatibles avec les briques Légo et ce, à compter du jour de l'arrêt à intervenir,

- ordonner la destruction de tous les emballages portant la mention " compatible " sous peine d'astreinte définitive de 10 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- dire que la Cour sera compétente pour liquider les astreintes qu'elle aura ordonnées,

- condamner les sociétés Ritvik Toys Europe et Ritvik Toys Inc à réparer le préjudice subi en raison tant des faits de contrefaçon que de concurrence déloyale et parasitaire,

- les condamner en conséquence, in solidum, au paiement de dommages et intérêts fixés à titre provisionnel à la somme de 500 000 F et ordonner une expertise sur les éléments du préjudice,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux français ou étranger au choix des appelantes et aux frais des sociétés intimées,

- condamner in solidum les sociétés intimées au paiement d'une indemnité de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens, y compris les frais de procédure de saisie-contrefaçon et d'expertise,

Appelantes du deuxième jugement, les sociétés Kirkbi A/S et Légo SA demandent à la Cour d'infirmer cette décision en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

- dire que les éléments de jeux de constructions parallélépipédiques rectangles importés par la société Byggis et par la société Unica et commercialisés par la société Unica France, ainsi que la reproduction desdits éléments, constituent la contrefaçon de la marque n° 1 526 777 appartenant à la société Kirkbi A/S au sens des articles L. 716-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

- dire qu'en commercialisant des briques parallélépipédiques rectangles ou carrées, reproduisant toutes les caractéristiques dimensionnelles des briques Légo commercialisées par la société Légo SA, la société Unica s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale, par copie servile, à son préjudice,

- dire qu'en commercialisant des briques compatibles avec les briques Légo commercialisées par la société Légo SA, la société Unica s'est également rendue coupable de concurrence déloyale par parasitisme à ses dépens,

- ordonner, sous astreinte définitive de 1 000 F par infraction constatée, l'interdiction d'importer en France, de détenir et d'offrir en vente et/ou de vendre les briques contrefaisantes et/ou compatibles avec les briques Légo,

- condamner les sociétés Byggis et Unica à réparer le préjudice subi, tant en raison des faits de contrefaçon que de concurrence déloyale et parasitaire et les condamner en conséquence à leur payer une provision de 500 000 F,

- désigner un expert pour recueillir des renseignements et éléments de nature à permettre la fixation du montant des dommages et intérêts qui leur seront dus,

- ordonner la publication du présent arrêt dans cinq journaux ou revues français ou étrangers, à leurs choix, aux frais in solidum des sociétés Byggis et Unica,

- condamner in solidum les sociétés Byggis et Unica à leur payer la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts.

Les deux instances d'appel ont été jointes par ordonnance du Conseiller de la mise en état du 12 octobre 1994.

La société Ritvik Toys Europe et la société Ritvik Toys Inc, intimées, demandent à la Cour de :

- à titre principal, confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la condamnation prononcée au titre du modèle " Micronaute ", et sur ce point, l'infirmer et statuant à nouveau, dire que le personnage " Micronaute " utilisé par elles n'est pas une contrefaçon du modèle déposé par la société Légo A/S,

- à titre subsidiaire, fixer le montant des dommages et intérêts éventuellement dus à la société Légo A/S à la juste mesure du préjudice effectivement subi par elle,

- en tout état de cause, condamner in solidum les sociétés Kirkbi A/S, Légo A/S et Légo SA au paiement d'une indemnité de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Les sociétés Byggis et Unica concluent à la confirmation du jugement entrepris en déclarant reprendre les conclusions qu'elles avaient déposées en première instance et adopter les motifs non contraires des premiers juges.

Elles sollicitent en outre la condamnation des appelantes au paiement d'une indemnité de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

SUR CE

Sur la validité de la marque déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le n° 1 526 777,

Considérant que les sociétés Kirkbi et Légo reprochent aux premiers juges :

- d'avoir jugé que la marque consistait en la simple forme du produit et qu'elle ne pouvait avoir de caractère distinctif qu si elle remplissait une fonction pratique alors que selon elles, la loi n'a nullement exclu de la protection des signes, ceux remplissant une fonction pratique ;

- de s'être contredits en retenant que "la forme de la brique déposée à titre de marque n'est pas arbitraire et ne peut se détacher de sa fonction", puis "que si d'autres formes seraient susceptibles de remplir la même fonction, il n'en demeure pas moins que la brique Légo n'a pas un caractère arbitraire distinct d'une réalisation de forme fonctionnelle" ;

d'avoir fait référence au brevet Christiansen n° 1 206 687, alors que cette référence est inopérante, ce brevet postérieur à la création de la brique étant destiné à la protection d'un système d'assemblage des petites briques entre elles et des grandes briques entre elles, de même que le brevet déposé ensuite le 29 novembre 1968 avait pour effet de permettre la combinaison de petits et de grands éléments pour permettre l'assemblage des briques Légo et Duplo ;

- d'avoir fait référence aux brevets Page ainsi qu'aux autres brevets déposés postérieurement, cette référence étant elle aussi inopérante, le parallélépipède et les protubérances circulaires n'y étant décrits que comme l'une des possibilités de l'invention, étant précisé que les éléments de construction peuvent revêtir d'autres formes et que ces brevets en revendiquent pas la forme particulière de la brique ni les protubérances qu'elle comporte ; que tant le contenu de la chronologie des brevets Page, Christiansen et autres, démontrent d'une part qu'ils sont totalement étrangers à la forme de la brique et, d'autre part, que cette forme n'est nullement nécessaire pour parvenir au résultat industriel couvert par les brevets qui peuvent être mis en œuvre en adoptant une forme extérieure tout à fait différente ;

Que les sociétés appelantes font valoir qu'elles établissent, notamment par l'attestation de Monsieur Randers, vice-président du département ingénierie Légo, à laquelle sont annexés les croquis, les photographies et les briques qu'il a fait fabriquer à l'appui de sa démonstration, qu'il existe de multiples possibilités de réaliser les protubérances apposées sur l'élément de construction ; qu'elles estiment qu'elles prouvent, en produisant les fabrications de leurs concurrents, que d'autres formes qu'en parallélépipède rectangle peuvent être envisagées pour l'élément de construction (briques Better Blocks) et que les protubérances peuvent être aussi de formes différentes (notamment briques Folleys, Brix, Higth Grade Toy) ; qu'elles ajoutent qu'elles ont elles-mêmes fabriqué des éléments de construction de conception différente de la célèbre brique Légo (Minitalia et Modulex) ;

Que les sociétés appelantes soutiennent qu'elles démontrent que les formes et proportions de la brique ne sont nullement nécessaires non plus que les protubérances qu'elle comporte ; que d'autres formes peuvent être adoptées pour des briques à encastrement et que la forme caractéristique de la brique Légo n'est nullement nécessaire à l'obtention du résultat industriel faisant l'objet des brevets Page et Christiansen ;

Qu'elles invoquent les résultats du sondage qu'elles ont réalisé selon lesquels, notamment, 82 % des personnes interrogées évoquent spontanément le nom de Légo à la vue de la brique déposée à titre de marque par la société Kirkbi A/S, ce qui, selon elles, établit que la forme de la brique est devenue le symbole des sociétés Légo et le signe qui permet au premier coup d'oeil d'identifier leur produit, raison pour laquelle la brique a été déposée comme marque ;

Considérant que les sociétés Ritvik Toys Europe et Ritvik ainsi que les sociétés Byggis et Unica affirment qu'en déposant la forme de la brique comme marque, la société Kirkbi A/S a tenté de prolonger indûment le monopole qu'elle avait acquis au moyen du dépôt des brevets dont la validité est expirée ; qu'elles soulignent que le dépôt de marque a été effectué le 18 janvier 1989 alors que la protection du dernier brevet Légo System n° 1 599 102 du 29 novembre 1968 avait expiré le 29 novembre 1988 ;

Qu'à cet argument, la société Kirkbi A/S réplique que ce dernier brevet n'avait pour objet que de protéger le système d'assemblage des petites et des grandes briques Légo et que le brevet Christiansen de 1958 (qui concernait le système de tubes placés à l'intérieur de la brique était expiré depuis onze ans) ;

Considérant qu'ensuite les sociétés Ritvik Toys Europe et Ritvik font surtout valoir que :

- la question n'est pas de savoir si la forme du produit remplit une fonction pratique (ce qui est nécessairement le cas d'un produit) mais si les caractéristiques particulières de cette forme concourent directement à la réalisation de cette fonction ;

- la forme de la brique Légo n'est pas arbitraire mas au contraire spécialement étudiée pour remplir au mieux la fonction d'assemblage des blocs et comme telle, entièrement assujettie à la réalisation de cette fonction ;

- il importe peu que l'on puisse fabriquer des briques ayant d'autres caractéristiques de forme et qu'il suffit de vérifier si, par rapport à la brique représentée sur la pièce du dépôt, la marque est suffisamment distinctive pour remplir sa fonction d'identification des briques Légo par rapport à des briques identiques mises sur le marché par d'autres fabricants ;

Considérant que les sociétés appelantes ont rétorqué que les intimées confondent l'exigence de distinctivité au sens de l'article 1 de la loi du 31 décembre 1964 qui permettait la protection de la forme caractéristique du produit et l'exclusion de cette protection des signes nécessaires au sens de l'article 3 de cette loi ;

Qu'elles affirment qu'elles établissent que la forme de leur brique est bien caractéristique des produits Légo ; que répondant aux intimées qui soutiennent que la forme de la brique Kiddicarft était semblable de même que celle des briques Montini et Puwi, elles exposent que ces briques ne sont plus commercialisées depuis de nombreuses années, (la fabrication des blocs Kiddicraft ayant été abandonnée en 1954 pour les petits et en 1970 pour les plus grands) et que le caractère distinctif de la marque litigieuse doit s'apprécier à la date du dépôt de la marque ;

Qu'elles soulignent que s'il n'est pas contesté que la brique Légo, comme tout autre élément de construction, remplit une fonction pratique, sa forme n'est pas nécessaire ; qu'elles invoquent, outre l'attestation Randers, l'expertise réalisée par l'Office fédéral de la propriété intellectuelle, aux fins de dépôt de la marque en Suisse ;

Considérant que dans leurs écritures de première instance, les sociétés Byggis et Unica ont surtout fait valoir que la marque était nulle comme étant la reproduction à l'identique du dessin du brevet anglais n° 587 206, l'un des brevets déposés en Angleterre par Monsieur Harry Fisher Page inventeur de la brique Kiddicraft dans les années 1930 ; que s'il est exact que la société lego System A/S a amélioré l'invention par les brevets Christiansen n° 682 410 et 691 141, l'ensemble des brevets sont expirés et donc tombés dans le domaine public ; qu'il est de principe que le monopole que confère un brevet constitue une dérogation au principe de la liberté du commerce qui est par nature limitée dans le temps ; qu'enfin la forme de la brique ne fait que remplir la fonction technique et pratique enseignée par le brevet ce qui la prive du caractère distinctif indispensable pour constituer une marque valable ;

Considérant enfin que les sociétés appelantes ont aussi soutenu que la distinctivité de la forme peut s'acquérir par l'usage ;

Qu'au contraire les sociétés Ritvik plaident que dès lors que la forme ne pouvait du fait de son caractère purement fonctionnel être un signe distinctif, la distinctivité qui lui faisait défaut à l'origine ne peut être acquise par l'usage ;

Considérant qu'en outre les appelantes comme les intimées produisent de multiples décisions rendues par des juridictions de nombreux pays différents qui viennent à l'appui de leur argumentation ;

Considérant qu'il résulte de l'article 1 de la loi du 31 décembre 1964, applicable à la date du dépôt de la marque, que "peuvent être considérées comme marques de fabrique les formes caractéristiques du produit et de son conditionnement (...)" ;

Que l'article L. 711.1 c du code de la propriété industrielle, qui remplace ce texte abrogé par la loi du 4 juillet 1991, dispose que "les formes, notamment celles du produit ou de son conditionnement, peuvent être déposées à titre de marque" ;

Que toutefois, l'article L. 711-2, aux termes duquel "le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou des services désignés", prévoit que "sont dépourvus du caractère distinctif (...) c) les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle" ;

Que si l'article 6 quinquiés C 1 de la Convention de l'Union de Paris a prévu que "pour apprécier si la marque est susceptible de protection, on devra tenir compte de toutes les circonstances de fait, notamment de la durée d'usage de la marque", il faut relever qu'au termes de l'article L. 711-2 du code de la propriété industrielle, in fine, "le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c) être acquis par l'usage" ;

Considérant que la société danoise Kirkbi A/S a déposé le 18 janvier 1989 à l'INPI, dans la classe de produits 1 à 42, la marque tridimentionnelle enregistrée sous le n° 1 516 777 ainsi reproduite :

EMPLACEMENT TABLEAU

Avec la mention écrite suivante :

"la marque est constituée par un parallélépipède rectangle portant des protubérances cylindriques" ;

Considérant que cette forme est la représentation de la brique Légo, soit la petite brique Duplo, soit la grosse brique Duplo (destinée aux enfants plus jeunes), éléments de jeux de construction, en plastique, les briques étant compatibles et assemblables entre elles grâce à un dispositif de tenons, dont la notoriété est incontestable ;

Considérant que, comme les premiers juges l'ont exactement constaté, la forme de la brique Légo est liée à sa fonction pratique ;

Que tant le parallélépipède, les protubérances, la forme de celles-ci, et leur nombre ont été choisis pour assurer la fonction pratique de l'élément du jeu de construction ;

Que le parallélépipède permet les assemblages ainsi que les constructions telles que décrites dans les brevets et par exemple celles-ci :

EMPLACEMENT TABLEAU

Que les tenons cylindriques, leur taille et leur position, sont étudiés pour permettre aux enfants, compte tenu de leur force et de leur habileté, d'emboîter et de déboîter facilement deux éléments, ce que les techniciens désignent comme le "pouvoir d'agrippement" ; qu'ils ont exclusivement une fonction pratique ;

Que par ailleurs la taille et la forme cylindrique des protubérances sont totalement adaptées au résultat industriel, et ont été à l'évidence l'aboutissement de la recherche de la solidité et de la qualité du produit ;

Considérant certes que les sociétés appelantes ont pu démontrer qu'un résultat industriel équivalent pouvait être atteint en fabriquant des briques identiques avec des tenons différents dans leurs formes, comme en atteste le résultat des fabrications de Monsieur Randers ;

Mais considérant que les briques ainsi réalisées ne sont que des variantes de la brique Légo ; qu'elles ne diffèrent que dans les détails, l'essentiel de la forme restant le parallélépipède et les protubérances ;

Considérant que la Cour constate en examinant les objets versés aux débats que les quelques exemples d'éléments de jeux de construction, ayant selon les sociétés Légo des formes différentes de la sienne, ont, contrairement à ses affirmations, des formes très voisines, et que pour l'essentiel, la forme du parallélépipède au-dessus duquel se trouvent des protubérances, est la forme la plus usuelle de l'élément de jeu de construction pour enfant ;

Que la forme déposée comme marque, dans tous ses aspects, est dictée uniquement par des considérations pratiques et techniques ; que la forme du parallélépipède surmonté de protubérances cylindriques a donc un lien de nécessité avec les produits désignés ;

Considérant qu'en s'appropriant la forme, les sociétés Kirkbi et Légo privent leurs concurrents de l'utilisation de cette forme qui leur est indispensable dans la fabrication de leur propre produit ;

Considérant au surplus que l'ensemble des brevets qui ont été déposés depuis l'invention par Monsieur Harry Fisher Page du bloc Kiddicraft sont versés aux débats ; que c'est à juste titre que les sociétés Byggis et Unica ont souligné que le brevet anglais n° 587 206 de 1947 contient un dessin représentant une brique identique à la brique Légo ;

Que la même forme figure également dans les illustrations du brevet déposé par Monsieur Christiansen (fondateur de la société Kirkbi Légo) le 24 avril 1958 n° 1 206 687 ;

Que certes, ce brevet est destiné à la protection d'un système d'assemblage et non pas d'une forme ; que cependant il ressort des explications techniques que la forme du parallélépipède à tenons cylindriques y est décrite comme la mieux adaptée ;

Considérant enfin que s'agissant d'une forme nécessaire en raison de sa fonction technique, laquelle ne pouvait donc, dès l'origine, constituer un signe distinctif, les sociétés Kirkbi et Légo ne peuvent se prévaloir de la durée de l'usage ayant abouti à sa notoriété établie par l'enquête d'opinion qu'elles versent aux débats ;

Considérant en définitive que les jugements déférés doivent être confirmés en ce qu'ils ont annulé le dépôt de la marque n° 1 526 777 dans la mesure où elle désigne des jeux ou jouets utilisant des briques ;

Sur la concurrence déloyale et les comportements parasitaires,

Considérant que les sociétés Kirkbi et Légo font valoir à titre subsidiaire que les briques fabriquées et commercialisées par leurs concurrents, tant les sociétés du groupe Ritvik que les sociétés Byggis et Unica, reproduisent à l'identique la brique Légo ; qu'elles indiquent qu'il est inexact de dire que ces formes étaient en usage en France depuis de nombreuses années ; qu'elles soulignent que les arguments relatifs aux emballages et aux conditionnements sont inopérants car il est constant que les emballages sont jetés après l'achat ; que les inscriptions figurant sur les briques elles-mêmes sont illisibles au moment de l'achat ;

Qu'elles soutiennent qu'indépendamment du risque de confusion, le comportement parasitaire fautif qu'elles reprochent aux sociétés intimées consiste à profiter indûment des investissements, des efforts techniques et commerciaux d'un concurrent en se plaçant dans son sillage, en reprochant encore aux sociétés intimées d'avoir utilisé la compatibilité de leurs produits avec les produits Légo notamment comme argument de vente ;

Considérant que les sociétés Ritvik, reprenant les motifs retenus par les premiers juges pour débouter les sociétés Kirkbi et Légo de leurs demandes, soutiennent que :

- les dimensions des briques étaient en usage avant que Légo ne les adopte ;

- la recherche de compatibilité n'est pas illicite en elle-même et, de plus, toutes précautions ont été utilement prises en l'espèce afin de supprimer de la vue du consommateur les mentions licites de compatibilité figurant sur chaque type d'emballage utilisé par Ritvik pour ses différents articles dans le monde entier ;

- elles-mêmes vendent des jeux complets présentés dans des emballages qui font partie intégrante du jeu : contenants en forme de fusée ou baril de section carrée, de baril cylindrique surmonté d'un casque de chantier, ou encore de mallette ;

- les articles vendus par la société Ritvik comme ceux des appelantes sont marqués de manière très caractéristique et visible sur les emballages comme sur les publicités ;

- les briques de Ritvik sont fabriquées soit dans des couleurs primaires utilisées par tous les fabricants, soit dans des couleurs exclusives inhabituelles et originales (couleurs opaques ou nuances transparentes colorées pastel ou incolore), entièrement différentes de la gamme de couleurs standard utilisée par lego ;

Mais considérant que la Cour a pu constater, en examinant à l'audience des débats les différents jeux de construction qui lui ont été présentés, que tant les fabrications du groupe Ritvik que celles de la société Byggis sont constituées de briques exactement identiques aux briques Légo et compatibles avec ces dernières ;

Que les différences portant sur les couleurs, les emballages et les conditionnements ne sont pas déterminantes pas plus que les inscriptions qui figurent sur les éléments, qui ne peuvent être lues que difficilement ; que les personnages de bandes dessinées (tortues Ninja, Super Mario Bros ou Jurassic Park) qui sont ajoutés aux jeux vendus par Byggis et Unica ne sont que des accessoires de décoration, les jeux restant des jeux de construction composés de briques identiques aux briques Légo et qui sont vendus sur les rayonnages de magasins à côté des boîtes de Légo comme le révèlent les éléments du dossier ;

Que par leurs formes et leurs dimensions les briques Ritvik et Byggis sont des copies quasi serviles des briques Légo ;

Qu'après ouverture de l'emballage, il apparaît immédiatement que la différence essentielle réside dans les nuances des couleurs et surtout dans la qualité des produits, l'élément Légo, comparé aux blocs des autres fabricants, étant rigide et solide, si bien que les briques Ritvik et Byggis semblent être des imitations ou des "sous-marques" du produit Légo ;

Que les produits imitants sont attractifs puisqu'ils sont nettement moins chers à l'achat pour le consommateur ;

Considérant que contrairement aux affirmations des sociétés intimées, les dimensions des éléments de construction de Légo ne sont nullement en usage sur le marché français depuis de longues années et standardisées ;

Qu'il est établi au contraire par les pièces produites dans la présente instance que les briques Kiddicraft ne sont plus commercialisées depuis 1950 pour les petites, et depuis 1970 pour les grandes, et que la société Puwi a conclu avec la société Légo une convention de 1966 de telle sorte qu'elle ne fabrique plus de jeux similaires depuis cette époque ; que la société Berco fabriquant des briques Montini en a cessé la fabrication et la distribution depuis 1970 en exécution d'une convention avec le groupe Légo ;

Considérant que les sociétés intimées n'établissent pas le caractère impératif des dimensions et des proportions de l'élément de construction qu'elle ont reproduit servilement au millimètre près, tant la petite brique Légo que la grosse brique Duplo ;

Considérant que la commercialisation de copies quasi serviles de briques Légo, tant par les sociétés Ritvik que par les sociétés Byggis et Unica ensemble, établie notamment par les procès-verbaux de saisie diligentées à la requête des sociétés Kirkbi et Légo, constituent des faits de concurrence déloyale distincts de la contrefaçon, faits qui ont été commis en France au préjudice de la société Légo SA;

Considérant enfin que s'il n'est pas contesté que la société Ritvik a, postérieurement aux protestations des sociétés Kirkbi et Légo, fait masquer sur ses emballages la référence à une compatibilité avec les éléments de jeux d'une société bien connue, il reste que les sociétés Ritvik ont utilisé cet argument de vente; qu'il résulte en effet d'un constat d'huissier du 19 mars 1993 que les boîtes de jeux vendus par la société Ritvik composées d'éléments reproduisant le brique Duplo, portaient la mention : "compatible avec la marque dominante, comparer les prix" ;

Que s'il n'est pas interdit de fabriquer et de commercialiser des produits compatibles avec ceux d'un concurrent, l'utilisation abusive de cet argument comme moyen de vente, constitue en la circonstance, à l'évidence, un comportement parasitaire fautif, puisqu'en agissant ainsi les sociétés intimées ont utilisé la notoriété et les efforts techniques et commerciaux de l'entreprise concurrente et ont cherché à accaparer la clientèle de celle-ci;

Considérant que dans ces conditions les jugements déférés doivent être réformés en ce qu'ils ont rejeté les demandes de réparation du préjudice résultant de la concurrence déloyale et parasitaire ;

Que la Cour a, au vu des éléments versés aux débats, des renseignements suffisants pour lui permettre, sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'instruction, d'évaluer les préjudices subis par la société Légo SA, société qui commercialise en France les produits Légo et qui est donc celle qui subit les effets de la concurrence, et de condamner in solidum les société Ritvik à lui payer la somme de 350 000 F à titre de dommages et intérêts et les sociétés Byggis et Unica, in solidum, à lui payer la somme de 350 000 F à titre de dommages et intérêts ;

Qu'il y a lieu d'ordonner la destruction des emballages portant la mention "compatible" ainsi que les mesures d'interdiction sollicitées sous astreinte dans les conditions fixées ci-après, étant précisé que la Cour ne se réserve pas le pouvoir de liquider l'astreinte ;

Qu'enfin il y a lieu d'ordonner, aux frais des sociétés intimées, la publication du présent arrêt dans trois journaux ou revues au choix des sociétés appelantes et dans la limite d'une coût total de 60 000 F, cette mesure étant nécessaire pour réparer le dommage occasionné par les actes de concurrence déloyale ;

Sur la contrefaçon du modèle,

Considérant qu'à juste titre le jugement déféré a constaté que le personnage "Micronaute" utilisé dans les jeux de construction de la société Ritvik, fusée Mega Micro Blocks et Blok Blaster, est une contrefaçon du modèle déposé par la société Légo A/S le 16 février 1978 sous le n° 125 741 ;

Que les sociétés Ritvik, à l'appui de leur appel incident, se bornent à contester les ressemblances de son personnage avec le modèle déposé par la société Légo ;

Mais considérant que le simple examen des documents et objets versés aux débats permet de vérifier que le tribunal a, par des motifs pertinents que la Cour adopte, caractérisé la contrefaçon ;

Considérant qu'en allouant de ce chef une indemnisation de 30 000 F aux sociétés appelantes, le tribunal a fait une juste évaluation du préjudice résultant de cette contrefaçon, le dommage ayant été limité du fait des modifications apportées en 1993 par la société Ritvik à son personnage pour éviter le risque de confusion ;

Considérant que de ce chef, le jugement déféré mérite confirmation ;

Considérant que les sociétés intimées succombant pour l'essentiel sur les demandes des sociétés Légo qui sont victimes de concurrence déloyale, les dépens de première instance et d'appel seront partagés comme il sera dit au dispositif ci-après ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser aux sociétés appelantes la charge entière de leurs frais irrépétibles ;

Qu'il y a lieu de condamner les sociétés intimées à leur verser une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Reçoit les sociétés Kirkbi A/S, Légo A/S et Légo SA en leur appel ; Reçoit les sociétés Ritvik Toys Europe SARL et Ritvik en leur appel incident ; Confirme le jugement du 10 mai 1994 (BO 212/93) en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés Ritvik Toys Europe et Ritvik à payer à la société Légo A/S la somme de trente mille francs (30 000 F) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la contrefaçon du modèle n° 121 741 ; Confirme les jugements déférés (BO 212/93 et B 220/93) rendu le 10 mai 1994 en ce qu'ils ont prononcé la nullité de la marque déposée par la société Kirkbi A/S ; Les émendant toutefois ; Précise que la marque déposée est nulle en ce qu'elle désigne des jeux de construction comprenant des éléments tels que ceux qui figurent sur le dépôt de la marque ; Ordonne la transmission du présent arrêt, comme du jugement confirmé, à l'Institut National de la Propriété Industrielle aux fins d'inscription sur le Registre National des Marques ; Réforme les jugements déférés pour le surplus ; Statuant à nouveau, Dit que les sociétés Ritvik Toys Inc et Ritvik Toys Europe et les sociétés Byggis et Unica ont commis des actes de concurrence déloyale ; Leur fait défense d'importer en France, de mettre en vente les briques telles que celles qui ont été saisies par les procès-verbaux dressés par huissiers de justice le 18 décembre 1992 et le 19 mars 1996 et ce, sous peine de 1 000 F (mille francs) par infraction constatée (pour chaque boîte de jeux vendue), astreinte qui commencera à courir un mois après la signification du présent arrêt ; Ordonne la destruction de tous les emballages portant la mention "compatible" ; Condamne in solidum les sociétés Ritvik à payer à la société Légo SA la somme de trois cent cinquante mille francs (350 000 F) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale ainsi que la somme de cinquante mille francs (50 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Condamne in solidum les sociétés Byggis et Unica à payer à la société Légo SA la somme de trois cent cinquante mille francs (350 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Ordonne la publication du présent arrêt dans trois journaux ou revues, diffusés sur le territoire français, au choix des sociétés appelantes, et dans la limite d'un coût total de soixante mille francs (60 000 F) qui sera supporté par moitié par les sociétés Ritvik in solidum, et par les sociétés Unica et Byggis in solidum ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront supportés par moitié par les sociétés Ritvik Toys Europe, Ritvik Toys Inc d'une part et par les sociétés Byggis et Unica d'autre part, et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.