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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. B, 26 septembre 1996, n° 94-3257

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rhône Chimie Industrie (SA)

Défendeur :

Research Development Industries (SA), Biescas, Paul, Boulpiquante, Jeannes, Menant, Chlebowsky

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

M. Bestagno, Mme Miquel-Pribile

Avoué :

SCP Pomies-Richaud-Astraud

Avocats :

Mes Pierrin, Rey, Lavigne, SCP Broquere de Clercq Comte-Gerbet.

T. com. Annonay, du 22 juill. 1994

22 juillet 1994

Faits et procédure :

Suivant exploit du 13 janvier 1994, la société Research Development Industries ou RDI a assigné la société Rhône Chimie Industrie ou RCI en dommages et intérêts devant le Tribunal de commerce d'Annonay, pour concurrence déloyale.

Pour justifier son action, la demanderesse imputait à la défenderesse, dont il n'est pas contesté qu'elle soit sa concurrente en France et Outre-Mer :

- des manœuvres concertées avec quatre anciens représentants : Christian Paul, Francis Biescas, Philippe Chlebowsky et Daniel Boulpiquante, qui, après avoir démissionné de leurs fonctions à RDI début 1993, ont été embauchés peu après par RCI avec les mêmes fonctions, pour prospecter la même clientèle sur les mêmes secteurs, et ce malgré l'envoi à RCI de la lettre recommandée avec accusé de réception suivante datée du 17 mars 1993 :

" Il est porté à notre connaissance que vous employez, en qualité de VRP sur les secteurs des :

- Pyrénées Atlantiques : M. Francis Biescas.

- Landes : M. Daniel Boulpiquante.

- Hautes-Pyrénées : M. Paul.

- Gironde : M. Philippe Chlebowsky.

Par ailleurs, ces VRP étaient également en exclusivité sur certains territoires et départements d'Outre-Mer.

Nous vous rappelons, s'ils ne vous l'ont pas indiqué, que ces VRP sont tenus par une clause de non-concurrence qui leur est actuellement rémunérée et que, par conséquent, ils ont l'interdiction de prospecter la clientèle qu'ils prospectaient précédemment.

Les éléments en notre possession démontrent qu'ils ne respectent pas leurs engagements et nous souhaiterions, à cet effet, connaître vos commentaire. "

- l'embauche à la même époque de Françoise Menant, secrétaire commerciale, démissionnaire de RDI, et l'aide apportée par celle-ci au démarchage des anciens clients de cette société,

- le détournement de clientèle de RDI tant par ce démarchage, que par des offres de rabais de 40 à 50 %, que par l'utilisation pour les produits offerts à la vente d'appellation et emballages identiques ou analogues aux siens.

Par jugement contradictoire du 22 juillet 1994 le tribunal a déclaré RCI coupable de concurrence déloyale pour avoir embauché le 22 mars 1993 les quatre représentants susnommés malgré l'envoi de la lettre du 17 mars 1993, a alloué une provision de 275 000 F à RDI et a ordonné une expertise pour rechercher son préjudice.

De Rocquigny, commissaire aux comptes désigné en qualité d'expert, déposera le 31 décembre 1994 un rapport, versé aux débats, renfermant les passages suivants :

1) La SA RCI est un des concurrents de la SA RDI. Elle distribue ses produits par l'intermédiaire d'un réseau de représentants similaire à celui de son concurrent.

2) À ce stade de notre rapport d'expertise, il est fondamental d'indiquer le rôle primordial joué par les représentants dans la constitution et le maintien des fonds de commerce de chacune des sociétés intervenant sur le marché français des détergents.

Les représentants disposent d'un territoire, appelé secteur, d'une taille fréquemment identique à celle d'un département.

Ils sont rémunérés à la commission, aux environs de 20 à 25 % de leurs chiffres d'affaires, et disposent d'un salaire fixe faible, tous les frais de déplacement en métropole sont à leur charge.

Après une période de formation, le représentant prospecte lui-même son territoire et développe son propre fonds de commerce.

Les sociétés, comme la SA RDI et la SA RCI, sont donc dépendantes d'un point de vue commercial, de leurs propres représentants, qui contrôlent chacun dans leurs secteurs respectifs, leurs fonds de commerce. Cette particularité est renforcée dans certaines régions, par l'appartenance à certains milieux socioprofessionnels, culturels ou sportifs, comme le monde du rugby dans le sud-ouest de la France.

3) Quatre représentants de la SA RDI : MM. Paul, Biescas, Chlebowsky et Boulpiquante, ont donné leur démission entre les 22 et 25 février 1993 et ont rejoint la SA RCI, où ils démarchent depuis dans les secteurs identiques à ceux dont ils assuraient la responsabilité chez la SA RDI.

La SA RCI n'était pas présente dans ces secteurs composés de 4 départements limitrophes du sud-ouest (Gironde, Landes, Hautes-Pyrénées et Pyrénées Atlantiques).

Ces quatre représentants ont été rejoints en mars 1993 par une secrétaire commerciale de la SA RDI, Madame Menant.

4) Depuis ces événements, un autre représentant de la SA RDI, M. Georges Jeannes, responsable d'un secteur dans le département du Finistère, a également donné sa démission avant de rejoindre en décembre 1993 la SA RCI, où il est responsable d'un secteur limitrophe à celui dont il avait la charge chez la SA RDI.

5) Dires recueillis auprès des responsables de la SA RDI :

Les dires de M. Leuba :

" La reprise de la SA RDI par l'actionnaire américain a entraîné quelques flottements dans la direction de la société avant l'arrivée du directeur général actuel, M. Jacquet. "

Les dires de Mmes Brunot et Serra :

" M. Etienne Baillet, ancien inspecteur responsable du sud-ouest, aurait eu une attitude très tolérante vis-à-vis des quatre représentants qui ont rejoint la SA RCI au début de 1993. Certains au sein de la société le soupçonneraient d'avoir eu des contacts avec la direction de la SA RCI à l'époque des faits.

Cette attitude expliquerait pourquoi les départs de quatre représentants n'ont pas suscité une réaction rapide de la direction commerciale, qui a tardé à trouver des remplaçants aux représentants démissionnaires ! ".

6) Dires recueillis auprès des responsables de la SA RCI :

Dires de MM. Ravel et Layrisse :

" M. Etienne Baillet justifiait sa démarche par son refus de travailler pour un actionnaire américain. Une réunion avec M. Etienne Baillet s'est tenue à Bordeaux à laquelle assistaient MM. Fraisse et Layrisse. Au cours de cette réunion M. Etienne Baillet a proposé ses services et ceux d'une quinzaine de représentants, dont MM. Biescas, Chlebowsky, Paul et Boulpiquante ".

7) L'expert a ainsi obtenu confirmations des craintes que certains responsables de la SA RDI avaient, concernant l'attitude tolérante de M. Etienne Baillet vis-à-vis des représentants démissionnaires. L'entrevue de Bordeaux a été confirmée par M. Fraisse, durant la dernière réunion d'expertise.

L'expert se livrant ensuite à une analyse des pièces annexées à son rapport écrit :

Annexe 1 :

Cette annexe présente par représentant démissionnaire, les chiffres d'affaires réalisés par eux-mêmes ou leurs successeurs, dans les départements et territoires d'Outre-mer durant la période écoulée du 1er janvier 1991 au 31 octobre 1994.

Les données chiffrées ont été obtenues à partir des états informatiques, donnant le chiffre d'affaires net d'avoirs et d'impayés et ayant servi au calcul des salaires. L'expert a constaté que la SA RDI réalisait un chiffre d'affaires moyen mensuel de 208 187 F avant le départ des trois représentant concernés et 289 924 F après leurs démissions.

Nous constatons qu'aucun préjudice n'a été subi sur le marché des DOM/TOM.

Annexe 2 :

Cette annexe, identique à la précédente concerne les quatre secteurs du Sud-Ouest de la France où prospectaient les représentants démissions. L'expert a constaté que le chiffre d'affaires moyen mensuel est passé de 450 196 F à 49 665 F. Cette constatation amène à estimer la perte mensuelle moyenne en chiffre d'affaires à 400 500 F.

Annexe 6 :

Cette annexe indique les chiffres d'affaires de la SA RCI réalisés par les quatre représentants après avoir intégré cette société.

Les données chiffrées ont été établies sur la base des statistiques commerciales communiquées par le directeur commercial de la SA RCI.

Nous constatons que le chiffres d'affaires mensuel moyen s'est élevé à 265 880 F.

Nous concluons que la SA RCI a récupéré environ 66 % du chiffre d'affaires perdu par la SA RDI, comme estimé dans l'annexe 2.

Annexe 7 :

Cette annexe indique l'identité des principaux clients de la SA RDI, auprès desquels les quatre représentants ont réalisés plus de 70 % au moins de leurs chiffres d'affaires en 1992. Elle montre également les chiffres d'affaires de la SA RCI réalisés en 1993 et 1994 auprès de ces mêmes clients par le même représentant.

Nous constatons que les quatre représentants ont réalisé en 1993 et 1994, de 49 % à 85 % de leurs chiffres d'affaires chez la SA RCI auprès de clients avec lesquels ils avaient réalisé 70 à 95 % de leurs chiffres d'affaires chez la SA RDI en 1992.

Nous concluons que les quatre représentants ont réellement démarché les clients de la SA RDI.

Annexe 8 :

Cette annexe est identique à l'annexe 2. Elle concerne M. Georges Jeannes qui a démissionné de la SA RDI en décembre 1993, avant de rejoindre la SA RCI.

Elle montre que le départ de M. Georges Jeannes a entraîné une perte de chiffre d'affaires mensuel supplémentaire de 58 750 F, car le chiffre d'affaires moyens mensuel dans son secteur est passé de 117 300 F à 58 550 F.

L'expert conclut son rapport en observant que RDI a 50 % de responsabilité dans la perte de son chiffre d'affaires eu égard à l'" attitude tolérante " d'Etienne Baillet vis-à-vis des représentants démissionnaires et estime à 1 035 000 F le préjudice de RDI.

Appel du jugement a été relevé le 2 août, par RCI, sur quoi RDI a assigné en intervention forcée :

- Françoise Menant, son ancienne secrétaire commerciale, qui a donné sa démission le 10 mars 1993 pour passer au service de Rhône Chimie Industrie et qui est accusée d'avoir faciliter de détournement de clientèle ;

- Paul, Biescas, Chlebowsky et Boulpiquante, déjà visés dans l'assignation ;

- Georges Jeannes, également démissionnaire de RDI et passé lui-même au service de Rhône Chimie Industrie.

Par conclusions signifiées le 14 novembre 1994, l'appelante demande à la Cour de :

- débouter purement et simplement la société Research Development Industries de l'ensemble de ses fins et demandes,

- Constater que la clause de non-concurrence intégrée dans le contrat de travail des salariés dont s'agit est dépourvue de la moindre valeur juridique suivant décision rendue par le Conseil des Prud'hommes de Tarbes, statuant en départition le 13 janvier 1994,

- dire et juger qu'il ne peut, en conséquence, être reproché à la société Rhône Chimie Industrie d'avoir embauché des salariés tenus envers leur ancien employeur à une clause de non-concurrence valable,

- à titre subsidiaire, surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive sur appel inscrit par la société RDI à l'encontre de la décision rendue par le Conseil des Prud'hommes de Tarbes,

- dire et juger par ailleurs que la société RDI ne rapporte pas la preuve d'actes caractérisés de concurrence déloyale tant en ce qui concerne l'embauche d'une secrétaire que par la dénomination de ses produits, griefs d'ailleurs non retenus par le Tribunal de commerce d'Annonay,

- dire et juger, au contraire, que la société RDI a des pratiques commerciales critiquables qui mettent en jeu non seulement la législation fiscale mais encore les règles de libre concurrence,

- dire et juger, de surcroît, que la société RDI ne démontre pas l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute qu'aurait pu commettre la société RCI et un prétendu préjudice,

- débouter la société RDI de sa demande tendant à l'institution, d'une mesure d'expertise par application des dispositions des articles 146 et suivant du NCPC,

- débouter la société RDI de sa demande tendant à l'allocation d'une provision et ordonner l'institution de la provision de 275 000 F outre intérêts de droit à compter de la date de versement,

- débouter la société RDI de l'ensemble de ses fins et demandes,

- la condamner à verser à la société RCI une somme de 20 000 F par application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Dans ses conclusions, l'appelante admet, d'une part, une situation de concurrence entre l'intimée et elle-même, d'autre part, la reprise à son service d'anciens représentants de l'intimée, mais fait valoir :

1) que les dispositions de la clause de non-concurrence sont contraires au droit du travail, ainsi que jugé par le Conseil de Prud'hommes de Tarbes pour Biescas et Paul,

2) que la démission de plusieurs représentants de RDI procède non pas d'un débauchage, mais de l'évolution catastrophique " de la situation financière de cette entreprise,

3) qu'il n'y a pas eu de sa part recherche d'une confusion de produits dans l'esprit de la clientèle, ni pratique anormale de prix.

Par conclusions complémentaires signifiées le 12 avril 1995 et 1er avril 1996, l'appelante sollicite le bénéfice de ses précédentes écritures en faisant état de deux éléments nouveaux :

- la confirmation par la Cour d'appel de Pau le 9 février 1995 de l'annulation des clauses de non-concurrence pour ce qui concerne Paul et Biescas,

- l'avis exprimé par l'expert de Rocquigny, commis par le Tribunal de commerce d'Annonay, selon lequel RDI serait responsable à 50 % du départ de ses salariés pour avoir procédé à des investissements malheureux, à l'origine de ses mauvais résultats, et avoir " avalisé " leur transfert.

L'intimée forme appel incident et conclut en ces termes :

-débouter la société RCI de son appel, l'y déclarer mal fondée,

- recevant la société RDI en son appel incident, et évoquant,

- dire et juger que la société RCI s'est rendue coupable de faits de concurrence déloyale par le débauchage concerté des employés de la société RDI, les manœuvres visant à entretenir la confusion dans l'esprit de la clientèle entre ses produits et ceux de la société RDI, le démarchage systématique et le détournement avéré de la clientèle de celle-ci à son profit,

- dire et juger que MM. Paul, Biescas, Chlebowsky et Boulpiquante, d'une part, Mme Menant et M. Jeannes, d'autre part, ont activement participé aux faits de concurrence déloyale et contribué à la désorganisation de tout un secteur de la clientèle de la RDI, détournée au profit de leur nouvel employeur ;

- en conséquence,

- condamner conjointement et solidairement, la société RCI, MM. Paul, Biescas, Chlebowsky et Boulpiquante, Mme Menant et M. Jeannes, à réparer sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil, le préjudice résultant, pour la société RDI, des faits de concurrence déloyale, et à lui payer la somme de 4 140 000 F en deniers ou quittance,

- donner acte à la société RDI de ce qu'elle se réserve de poursuivre MM. Paul, Biescas, Chlebowsky, Boulpiquante, sur le fondement des dispositions de leur contrat de représentant, et de la violation de la clause de non-concurrence,

- condamner la société RCI, MM. Paul, Biescas, Chlebowsky et Boulpiquante, Mme Menant et M. Jeannes, en tous les dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise de M. Hubert de Rocquigny, et ceux du constat de Maître Duperray, huissier de justice du 10 novembre 1993,

- condamner en outre, les défendeurs aux entiers dépens de première instance et d'appel, et au paiement de la somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Biescas, Paul, Boulpiquante et Jeannes soulèvent l'irrecevabilité par application de l'article 555 du nouveau code de procédure civile de l'assignation en intervention forcée dont ils sont l'objet, et réclament, les deux premiers, 8 000 F chacun (article 700 du nouveau code de procédure civile), les deux derniers 2 500 F.

Chlebowsky et Françoise Menant, assignés à personne, ne comparaissent pas.

Motifs :

I- Sur le moyen tiré de l'article 555 du nouveau code de procédure civile :

Attendu que vis-à-vis des personnes assignées en intervention forcée les faits se présentent devant la Cour comme ils se présentaient devant le Tribunal ;

Attendu que celles d'entres elles qui comparaissent sont donc en droit d'opposer l'absence d'évolution du litige à RDI, et de conclure à l'irrecevabilité de la demande dont elles font l'objet pour la première fois en appel, au mépris du double degré de juridiction ;

Attendu que les dispositions de l'article 555 du nouveau code de procédure civile, protectrices d'intérêts privés, ne sont pas d'ordre public et ne peuvent être appliquées à l'égard des parties qui ne les invoquent pas, d'où il suit que seuls Biescas, Paul, Boulpiquante et Jeannes, peuvent en bénéficier ;

II- Sur l'action en concurrence déloyale (article 1382 du code civil) dirigée contre Rhône Chimie Industrie :

Attendu que cette demande repose sur les accusation suivantes :

1) méconnaissance de la lettre recommandée avec accusé de réception du 17 mai 1993,

2) débauchage concerté des employés de RDI et affectation de ses anciens représentants aux secteurs géographiques qui étaient précédemment les leurs,

3) commercialisation par Rhône Chimie Industrie de produits concurrents sous des appellations très proches de celles de RDI, et création d'une confusion dans l'esprit de la clientèle,

4) détournement de la clientèle de RDI ;

§ 1) Le premier grief :

Attendu que RDI écrit en page 7 de ses conclusions du 28 mars 1995 qu'elle " reprend l'argumentation qui avait été la sienne devant les premiers juges " et ce, malgré l'arrêt de la Cour d'appel de Pau qu'elle a frappé d'un pourvoi ;

Attendu que le pourvoi n'est pas suspensif en la matière ;

Attendu que l'arrêt de la Cour d'appel de Pau, opposable à RDI qui était partir à l'instance, impose - pour ce qui concerne Biescas et Paul - d'accueillir l'exception de Rhône Chimie Industrie, à savoir la nullité de la clause de non-concurrence et son absence d'effets ;

Attendu que s'agissant des autres représentants, non concernés par cet arrêt, RDI ne peut accuser RCI de complicité d'une violation des clauses de non-concurrence sans faire juger par le Conseil des Prud'hommes compétent que ces clauses sont valables, ce qu'il se " réserve de faire " (page 7 des conclusions du 28 mars 1995) ;

Attendu que ce moyen est donc en voie de rejet ;

§ 2) Les trois autres griefs :

Attendu qu'il est établi par les pièces du dossier :

- qu'appelante et intimée sont en situation de concurrence dans le même secteur géographique, toutes deux étant spécialisée en France et Outre-mer dans la fabrication et la vente de produits chimiques destinés à l'industrie et à l'agroalimentaire (cf. le rapport d'expertise et l'absence de contestation sur ce point),

- que les 22, 23, 24, 25 février 1995 Boulpiquante (représentant de RDI pour les Landes et la Nouvelle-Calédonie), Chlebowsky (représentant de RDI pour la Gironde), Paul (représentant de RDI pour les Hautes-Pyrénées, la Guadeloupe et la Guyane) et Biescas (représentant de RDI pour les Hautes-Pyrénées, la Guadeloupe et la Guyane) (sic) ont adressé à l'intimée une lettre de démission,

- qu'on également démissionné de leurs fonctions à RDI, le 10 mars 1993, Françoise Menant, secrétaire commerciale, et le 27 septembre 1993, Georges Jeannes, représentant,

- que le 22 mars 1993, Paul, Biescas, Chlebowsky et Boulpiquante ont été embauchés par RCI avec les mêmes fonctions géographiques (ces circonstances de fait étant reconnues dans les conclusions de l'appelante et confirmées par l'expertise),

- que le 23 mars 1993, puis en décembre 1993, Françoise Menant et Jeannes ont été embauchés dans le même contexte,

- que le 16 avril 1996 Françoise Menant, agissant comme responsable du service importation de RCI, a adressé à des clients de Guyane et de Martinique une lettre leur annonçant le passage de M. Paul, lettre débutant par la phase suivante : " Nous avons de plaisir de compter désormais parmi nos vendeurs M. Christian Paul avec lequel vous entreteniez d'excellentes relations par le passé ",

- que selon l'expertise, les cinq représentants démissionnaires ont démarché avec succès d'anciens clients de RDI sur le territoire national, et les ont détournés au profit de RCI ;

Attendu que si preuve n'est pas rapportée d'une recherche de confusion dans la présentation et dans le désignation des produits (ils sont certes similaires et répondent à des appellations identiques ou voisines, mais aucun élément du dossier ne permet de dire qui de RDI ou de RCI avait le bénéfice de l'antériorité), ni d'une politique de " cassage des prix " de la part de RCI, l'embauche à une même période de cinq VRP et d'une secrétaire commerciale, tous démissionnaires, l'attribution à ce personnel de fonctions identiques dans les mêmes secteurs, l'annonce à certains anciens clients de RDI de la prise de fonctions de Christian Paul au sein de RCI, et le transfert à RCI d'une part importante de la clientèle de RDI dans les mois qui ont suivi l'embauche du personnel démissionnaire, révèlent à l'évidence une action concertée pour déstabiliser un concurrent et s'approprier sa clientèle en dehors des lois du marché ;

Attendu que l'expertise et l'allocation d'une provision à RDI sont donc justifiés ;

Attendu que le préjudice de RDI et la relation de cause à effet entre le comportement de RCI et ce préjudice étant établis, la première est fondée à poursuivre la seconde sur le terrain de l'article 1382 du code civil ;

Attendu que pour avoir concouru par l'attitude tolérante et pour le moins ambiguë de son directeur commercial Baillet au passage de ses représentants à la concurrence, et à la situation qu'elle dénonce aujourd'hui, RDI supportera 50 % de son préjudice ;

Attendu que cette décision ne peut être affectée par la dénonciation d'autres pratiques illicites attribuées à RDI (page 7 et dispositif des conclusions du 14 novembre 1994 de l'appelante) dès lors que RCI " se réserve " seulement de solliciter réparation de son propre préjudice ;

Attendu que s'agissant de la liquidation du dommage de RDI, force est de constater :

1) que cette société conteste l'évaluation de l'expert,

2) que RCI n'a pas conclu,

3) que l'importance de la demande (4 140 000 F) justifie la garantie du double degré de juridiction ;

Attendu que les parties doivent donc être renvoyées de ce chef devant le Tribunal de commerce d'Annonay ;

III- Sur l'action en dommages et intérêts dirigée contre Françoise Menant et Chlebowsky, non comparants :

Attendu que Françoise Menant a tenté par sa correspondance avec des clients d'Outre-Mer de les détourner de RDI au profit de RCI ;

Mais attendu que selon l'expert, RDI n'a subi aucun préjudice dans cette région, ce qui exclut une réparation ;

Attendu que la demande concernant cette partie est donc en voie de rejet ;

Attendu que Chlebowsky n'a pas été partie à l'expertise ;

Attendu que défaillant, il n'en conteste certes pas les conclusions, mais aurait dû être en mesure de les discuter, ce qu'il n'a pas pu faire à défaut de notification du rapport avec l'assignation en intervention forcée, ou après ;

Attendu que la Cour, garante du contradictoire, ne peut donc puiser dans le rapport des éléments permettant le calcul d'une indemnité à sa charge ;

Attendu qu'elle n'en trouve pas d'ailleurs, et peut d'autant moins statuer sur la demande dont il est l'objet que RDI conclut à sa condamnation solidaire avec RCI et les autres parties, ce qui implique une approche globale du préjudice ;

Attendu que cette situation - faut-il remarquer - est imputable à RDI qui s'est abstenue de mettre en cause son ancien personnel devant les premiers juges, et de faire procéder contradictoirement avec lui à l'expertise qu'elle sollicitait ;

IV- Les dépens, l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Attendu que l'ambiguïté dont a fait preuve RDI vis-à-vis de son personnel, laisse subsister une faute grave de RCI au regard des lois du marché qui exigent de la loyauté dans le démarchage de la clientèle ;

Attendu que RCI supportera donc les dépens à l'exception de ceux afférents aux interventions forcées qui resteront à la charge de RDI ;

Attendu que l'ambiguïté dont il vient d'être question, et le comportement des représentants passés à la concurrence excluent en équité l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de RDI et de ces derniers ;

Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en matière commerciale et en dernier ressort ; En la forme, déclare recevable les appels principal et incident ; Déclare irrecevable l'action en intervention forcée dirigée contre Paul, Biescas, Boulpiquante et Jeannes, et mal fondée cette qui a été dirigée contre Françoise Menant et Chlebowsky ; Confirme par des motifs propres le jugement dont appel, sauf à dire que la SA Research Development Industries supportera pour moitié le préjudice dont elle a été victime du fait de la SA Rhône Chimie Industrie ; Condamne la SA Rhône Chimie Industrie aux dépens d'appel, à l'exception de ceux résultant des interventions forcées qui resteront à la charge de la SA Research Development Industries ; Dit que ces dépens pourront être recouvrés directement par les avoués de la cause, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ni à évocation pour la liquidation du préjudice de la SA Research Development Industries.