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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 24 septembre 1996, n° 96-16332

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Philip Morris Europe (Sté)

Défendeur :

Syndicat National de la Biscuiterie Française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bargue

Avocat général :

Mme Benas

Conseillers :

MM. Mc Kee, Garban

Avoués :

SCP Parmentier-Hardouin-Le Bousse, SCP Garrabos

Avocats :

Mes Escande, Debouzy.

TGI Paris, prés., du 25 juin 1996

25 juin 1996

La société Philip Morris Europe a été autorisée à interjeter appel à jour fixe de l'ordonnance de référé prononcée le 25 juin 1996 par le délégataire du président du tribunal de grande instance de Paris qui a :

- mis hors de cause les sociétés Philip Morris Corporate Affairs Europe et Philip Morris France,

- fait défense à la société Philip Morris Europe de poursuivre, de quelque manière que ce soit, la diffusion des annonces incriminées, sous astreinte de un million de francs par infraction constatée à compter de la signification de la décision,

- s'est réservé, s'il y a lieu, la liquidation des astreintes,

- a condamné la société Philip Morris Europe à payer, à titre de provision, au Syndicat National de la Biscuiterie Française la somme de un franc et condamné la dite société aux dépens.

Référence étant faite à cette décision et aux écritures échangées par les parties pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens retenus par le premier juge, il suffit de rappeler les éléments suivants nécessaires à la compréhension du litige :

Le groupe Philip Morris a diffusé divers messages dont le suivant intitulé :

" La fumée de tabac dans l'air ambiant en perspective - La vie est pleine de risques. Mais ils ne sont pas tous identifiables ".

Cette annonce comporte un texte relativisant les statistiques de risques en matière de santé, la photographie de trois biscuits et un tableau chiffré indiquant en ordre croissant des risques pour la santé induits par certaines habitudes telles l'exposition à la fumée de tabac dans l'air ambiant ou la consommation d'un biscuit par jour.

Le Syndicat National de la Biscuiterie Française estime que cette publicité détourne au profit de Philip Morris, l'image positive des biscuits tout en les dévalorisant et qu'elle constitue ainsi une captation d'image et un dénigrement manifestement illicites. Il a donc assigné en référé diverses société du groupe Philip Morris. Le président du tribunal de grande instance de Paris a prononcé l'ordonnance ci-dessus rappelée dont la société Philip Morris Europe sollicite l'infirmation.

Elle soutient que le premier juge a porté sur les faits une appréciation erronée puisque, loin de vouloir accréditer l'idée que l'inhalation passive de tabac est moins nocive que la consommation quotidienne d'un biscuit, son encart, qui ne constitue pas une publicité, a pour seuls objets d'illustrer la fragilité des statistiques sur la nocivité alléguée de divers produits et d'ouvrir un débat public sur la fumée de tabac dans l'air ambiant.

Elle considère qu'il n'existe aucun trouble manifeste de nature à justifier la mesure d'interdiction prise.

Elle ajoute que le premier juge a méconnu le principe de contradiction en mentionnant d'office les dispositions de l'article L. 355 du Code de la santé publique.

La société Philip Morris Europe soutient, en tout état de cause, que le montant de l'astreinte est excessif et ne saurait dépasser 100 000 F.

Faisant valoir que la décision critiquée porte atteinte à son droit à la liberté d'expression et qu'elle a donné lieu à une campagne médiatique lancée par le Syndicat National de la Biscuiterie Française, la société Philip Morris Europe, qui allègue d'un préjudice irréversible, réclame, à titre reconventionnel, la condamnation du Syndicat à lui verser une somme de 1 M. F. à titre de dommages-intérêts, sa condamnation à une astreinte de 100 000 F en cas de publicité relative à la décision entreprise ainsi que des mesures de publication.

Le Syndicat National de la Biscuiterie Française conclut à la confirmation de la décision déférée en exposant que la société Philip Morris Europe s'est livrée à une campagne publicitaire qui constitue un dénigrement du biscuit au moyen d'une présentation trompeuse de données pseudo scientifiques. Il précise que l'ordonnance déférée répond à sa demande et se fonde sur des éléments débattus contradictoirement.

Le Syndicat conclut à l'irrecevabilité des prétentions reconventionnelles de la société Philip Morris Europe qui constituent, selon lui, une demande nouvelle au surplus dénuée de toute justification.

Il demande enfin une somme de 50 000 F en remboursement de ses frais non répétibles.

Le représentant du ministère public conclut oralement à la confirmation de l'ordonnance.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que l'appelante soutient que la décision entreprise a méconnu le principe de la contradiction en relevant d'office les dispositions de l'article L. 355 du Code de la santé publique ;

Mais considérant qu'il résulte des termes même de son assignation en référé que le Syndicat National de la Biscuiterie Française a fait valoir que " les publications de la société Philip Morris sont en infraction avec les dispositions de le loi Evin " ;

Que dès lors, les affirmations de la société Philip Morris Europe, quant à une méconnaissance des dispositions de l'article 16 du Nouveau Code de Procédure Civile sont dénuées de toute pertinence ;

Considérant que le message diffusé par voie de presse à compter de juin 1996 Philip Morris Europe S.A., fabricant de cigarettes commercialisées, sous son nom intitulé :

" La fumée de tabac dans l'air ambiant en perspective - La vie est pleine de risques. Mais ils ne sont pas tous identiques ",

et accompagné en bas de page du slogan :

" La fumée de tabac dans l'air ambiant : gardons le sens de la mesure ",

comprend un texte, dont l'objet essentiel est de relativiser les statistiques de risques en affirmant que " la fumée dans l'air ambiant " ne représente pas " un risque significatif pour la santé de ceux qui ont choisi de ne pas fumer " ;

Que cette annonce, illustrée par la photographie centrale de trois biscuits, comporte, en outre, un tableau de dix lignes, indiquant en ordre croissant des risques pour la santé induits par certaines habitudes qui fait apparaître " l'exposition à la fumée de tabac dans l'air ambiant " en 8ème place parmi les risques (avec un " risque relatif rapporté " de cancer de 1.19) alors que " la consommation d'un biscuit par jour " est classée au 5ème (avec un risque relatif de maladie cardio-vasculaire de 1.49) ;

Considérant que c'est donc de façon pertinente que le premier juge, loin de dénaturer le contenu de ce message financé par le groupe Philip Morris, a constaté qu'il nuit gravement aux intérêts du Syndicat National de la Biscuiterie Française en accréditant expressément l'idée que la consommation d'un biscuit par jour est plus nocive pour la santé que l'inhalation passive de tabac;

Considérant qu'en condamnant la société Philip Morris Europe à réparer le dommage manifestement illicite qu'elle a ainsi porté aux droits et intérêts du Syndicat National de la Biscuiterie Française, l'ordonnance déférée n'a en rien violé la liberté d'expression alléguée par cette société ; que cette décision sera donc confirmée sur ce point, ainsi que sur le montant de l'astreinte dont la liquidation est réservée par la décision déférée ;

Considérant qu'en application des articles 70 et 567 du Nouveau Code de Procédure Civile il y a lieu, eu égard au lien suffisant existant avec la demande principale du Syndicat National de la Biscuiterie Française, de déclarer recevable en cause d'appel la demande reconventionnelle formée par la société Philip Morris Europe ;

Que cependant les allégations de cette société, quant à une campagne médiatique dirigée par le Syndicat National de la Biscuiterie Française, qui serait constitutive d'un " mépris manifeste et d'un détournement de la justice ", ne reposent sur aucun élément de preuve; que si la décision déférée a fait l'objet de dépêches d'agences et d'articles de presse, ceux-ci ne présentent pas, l'état de pièces versées aux débats, de caractère outrancier ou partial de nature à établir les assertions de Philip Morris quant à " des dérives de journalistes ";

Qu'il convient d'ailleurs d'observer que la dépêche de l'agence Bloomberg, produite par l'appelante, reprend longuement le point de vue de l'annonceur Philip Morris dont un porte-parole, M. Greenberg, indique même que " le débat sur la campagne s'est intensifié et nous pensons que c'est une bonne chose " ;

Considérant enfin qu'il y a lieu d'allouer au Syndicat National de la Biscuiterie Française une somme de 20 000 F à la charge de la société Philip Morris Europe en remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens en cause d'appel ;

Par ces motifs : Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Reçoit la demande reconventionnelle de la société Philip Morris Europe ; la déclare non fondée ; Condamne la société Philip Morris Europe à payer au Syndicat National de la Biscuiterie Française la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la société Philip Morris Europe aux dépens d'appel ; Admet la SCP Parmentier, Hardouin et Le Bousse, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.