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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 20 septembre 1996, n° 93-14648

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Editions de l'Expertise Automobile et Matériel Industriel (Sté), Chambre Syndicale Nationale des Experts en Automobiles et Matériels Industriels

Défendeur :

MACIF, CSNEAF, CNEA, ETAI (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerrini

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Verdun-Gastou, SCP Varin-Petit, Me Ribaut, SCP Goirand, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Appietto, Ribaut, Pytkiewicz, Lafarge, Destremau.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 8 avr. 1…

8 avril 1993

Appel a été interjeté par le Conseil National de l'Expertise Automobile (CNEA), la Chambre Syndicale nationale des experts en automobiles et matériels industriels (CSNEAMI), la Chambre Syndicale Nationale des Experts en Automobiles de France (CSNEAF), la société Editions de l'expertise automobile et du matériel industriel (SEEAMI) et la Mutuelle Assurance des Commerçants et Industries de France (MACIF) d'un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 8 avril 1993 par lequel ils ont été condamnés in solidum à payer la somme de 300 000 F à titre de dommages intérêts pour concurrence déloyale à la société Editions Techniques Pour l'Automobile et l'industrie (ETAI) et celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et déboutés de toutes leurs demandes reconventionnelles ; des mesures d'interdiction ont été ordonnées ainsi que la publication de la décision.

Les circonstances de fait ont été exactement exposées par les premiers juges ; il convient donc de se référer à cette décision et de rappeler seulement que ETAI et Seeami éditent des revues concurrentes la première, Revue Technique et Auto Expertise, la seconde, l'Expert Automobile destinées aux professionnels de l'automobile (experts, garagistes, réparateurs) et que le litige porte sur des publications de barème temps de réparation dit barème fourchette dans ces revues pour lesquels d'une part les appelants prétendent avoir des droits d'auteur et soutiennent qu'en les publiant, ETAI a commis des actes de contrefaçon, d'autre part, ETAI expose qu'avec la connivence de la Macif et des chambres syndicales des revues vers la sienne par la diffusion de lettres circulaires en mai et juin 1991 mentionnant que seuls les barèmes fourchette publiés par " L'Expert Automobile " étaient reconnue par la Macif.

En cause d'appel, il a été enjoint aux parties de prendre des conclusions récapitulatives en application de l'article 954 du Nouveau code de procédure civile ; c'est donc au regard de ces écritures que les moyens des parties seront exposés.

Il convient également de relever qu'au cours de la procédure d'appel, par écritures du 1er février 1994, la CNSEAF s'est désistée de son appel et que par écritures du 1er février 1994, le CNEA s'en rapporte purement à justice, "n'étant plus en état de fonctionner correctement ".

Par écritures du 22 mai 1996, ETAI a déclaré se désister de son appel incident à l'encontre de la CSNEAMI dès que cette dernière se sera désistée de son appel, ce que cette dernière a fait par écritures du 6 juin 1996 par lesquelles elle demande de constater l'extinction de l'instance dans ses rapports avec ETAI, chacune des parties conservant à sa charge ses frais de procédure de première instance et d'appel.

La Macif soutient qu'elle n'a aucune responsabilité dans les actes reprochés, sollicite donc l'infirmation de la décision, demande de la décharger de toute condamnation prononcée à son encontre, de débouter ETAI de toutes ses demandes et de condamner ETAI au paiement de la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La SEEAMI conclut à l'infirmation de la décision en toutes ses dispositions, demande de constater qu'ETAI a contrefait les " mémentos de réparation automobile " édités par la revue Expert Automobile et en tout état de cause qu'elle a eu un comportement déloyal à son encontre, de constater les agissements parasitaires d'ETAI et de la condamner en conséquence au paiement de la somme de 5 000 000 F à titre de dommages intérêts ; elle sollicite encore la publication de la décision et paiement par ETAI de la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

ETAI conclut à la confirmation de la décision en son principe mais forme appel incident sur le montant des dommages intérêts et demande à ce titre paiement de la somme de 10 000 000 F en réparation de son préjudice financier et 3 000 000 F en réparation de son préjudice de réputation, à titre subsidiaire, l'allocation d'une somme provisionnelle de 5 000 000 F et la désignation d'un expert ; elle demande encore de prendre acte du dénigrement d'instance et d'action du CSNEAF, de son désistement à l'encontre de la CSNEAMI, et de condamner les appelantes qui ne se sont pas désistées au paiement de la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR

Considérant qu'il convient de donner acte à la CSNEAF et à la CSNEAMI de leur désistement d'appel et de l'acceptation par ETAI qui se désiste à leur encontre de son appel incident ; qu'il convient de les déclarer parfait et de constater en conséquence le dessaisissement de la Cour entre ces parties ;

Sur la contrefaçon alléguée par SEEAMI

Considérant que selon la SEEAMI société qui édite la revue " l'Expert Automobile " c'est du fruit de la collaboration entre la CSNEAMI et des techniciens automobiles de la revue que sont issus les mémentos de réparations automobiles comprenant les barèmes reproduits par ETAI en fraude de ses droits ; que, selon elle, les premiers juges ont, à tort, estimé que les barèmes n'étaient pas des œuvres de l'esprit ; que les informations brutes ont été collectées par le CNEA et travaillées pour être mises en forme dans des mémentos permettant de définir le coût d'une intervention en fonction de paramètres temps classés par zone de chocs et degrés d'enfoncement des véhicules ; que ce travail constitue une création intellectuelle et qu'une simple comparaison entre les deux revues démontre qu'ETAI a plagié la logique de présentation des barèmes établis par le CNEA ;

Considérant qu'il résulte des explications ci-dessus rappelées de la SEEAMI que les informations des barèmes dits à fourchette sont collectées par le CNEA, chambre nationale des experts automobiles et mises en forme par la CSNEAMI qui a déposé des mémentos au titre de dessins et modèles, comme le prouve les documents mis aux débats (dépôt du 28 avril 1982) ; que la SEEAMI ne saurait en conséquence se prévaloir de droits d'auteur sur des barèmes qu'elle même reconnaît avoir été collectés par d'autres ;

Considérant de plus, que par des motifs pertinents, que la Cour adopte, les premiers juges ont estimé que des données techniques peuvent être utilisées une fois publiées à titre d'information et que seul, le tableau de présentation pourrait être protégé au titre de droit d'auteur ; que les tableaux de présentation des barèmes ne sont pas identiques dans les revues concurrentes, d'une part dans leur forme (quatre colonnes pour chaque " opération " pour SEEAMI et deux colonnes pour ETAI) et dans le mode de classement, y compris dans la rubrique mécanique, les opérations n'étant pas présentées dans le même ordre ni sous la même terminologie et la classification ETAI ne faisant systématiquement (à l'exception de la rubrique mécanique) par zone de choc (avant, frontal, arrière et tonneau, intérieur) ; que la seule logique identique et non protégeable consiste dans la méthode d'appréciation du coût en fonction du temps des réparations suivant le degré d'usure des véhicules ou le type de désordre causé aux véhicules ; qu'il s'ensuit que la décision sera sur ce point confirmée ;

Sur la concurrence déloyale alléguée par SEEAMI

Considérant que la SEEAMI prétend qu'ETAI a eu un comportement déloyal qui a abouti à affaiblir le pouvoir attractif de sa revue car malgré certaines différences dans la présentation des tableaux de barèmes, les points communs sont de nature à engendrer une confusion d'ensemble entre les revues, ce qui est accentué par le fait qu'ETAI précisait l'origine de ses informations ;

Considérant cependant d'une part qu'il convient de relever que les revues concurrentes en dehors de ces informations techniques comportent des rubriques très diverses; que d'autre part, ETAI se devait d'indiquer l'origine de ses sources ; que de plus comme il l'a été dit ci-dessus si les revues concurrentes reprennent les barèmes fourchette du CNEA, les tableaux ne sont pas présentés de manière identique; qu'il s'ensuit qu'il n'existe aucune confusion possible entre ces deux tableaux de barèmes fourchette; que cette demande n'est pas fondée ;

Sur le comportement parasitaire allégué par SEEAMI

Considérant que la SEEAMI prétend sur ce point sans le démontrer avoir participé au travail d'élaboration de mise au point des barèmes et qu'ainsi, ETAI a indûment profité de son travail ; qu'elle sera déboutée de cette demande pour défaut de preuve tant de la réalité de sa participation dans l'élaboration du barème et des tableaux que des investissements financiers qu'elle aurait dû engager pour ce travail ; que cette demande sera également rejetée ;

Sur la concurrence déloyale alléguée par ETAI

Considérant que les appelants reprochent aux premiers juges de les avoir condamnés en leur imputant des faits dont ils ne sont pas responsables, d'avoir estimé qu'il y aurait eu une action concertée afin d'inciter les réparateurs et garagistes agréés Macif à s'abonner à la revue " l'Expert Automobile ", d'avoir pris en compte des attestations qui émanaient d'agents commerciaux d'ETAI, donc à son service et d'avoir fondé sa décision de condamnation à l'encontre de Macif en retenant des comportements d'experts certes agréés Macif mais indépendants et qui n'avaient pas reçu d'ordre de la Macif de recommander une revue plutôt qu'une autre, les seules recommandations portant sur la nécessité de se référer " aux barèmes fourchette " ;

Considérant qu'ETAI reprenant les griefs déjà développés en première instance et retenus par les premiers juges c'est à dire la diffusion de fausses informations, l'emploi de menaces et le détournement de clientèle qui, de plus, a continué postérieurement à la décision critiquée, l'organisation d'une entente illicite tendant à l'élimination de ETAI, réfute toute l'argumentation adverse tendant à dire qu'il n'y a pas eu d'action concertée et que les attestations versées aux débats ne sont pas pertinentes ;

Considérant cela exposé que les moyens présentés en cause d'appel identiques à ceux développés en première instance ont été par des motifs pertinents que la Cour adopte rejetés par les premiers juges ; qu'il ne peut leur être fait grief de s'être référé à des attestations émanant d'agents commerciaux au service d'ETAI alors que celles-ci comportent des faits précis qui avaient d'ailleurs pour la plus grande partie déjà été l'objet de lettres en mai 1991, moment des actes déloyaux reprochés, envoyées par eux à leur employeur afin de l'aviser des démarches de leur concurrent pour inciter les revendeurs à se détourner de leur revue, et ce à la suite de la lettre circulaire émanant du CNEA, organisme national des experts automobiles en date du 6 mai 1991 qui indiquait confier l'édition, la publication et la divulgation des barèmes de temps exclusivement à la revue " L'Expert Automobile ", ce qui a été encore accentué par la circulaire de la Macif, Région Val de Seine Picardie du 5 juin 1991 qui indique que l'Expert Automobile est " seul organisme habilité à publier ces documents " (les barèmes de temps servant à la détermination contradictoire des temps réels de réparation tels que visés à la convention d'agrément) ;

Considérant que, de plus, comme l'ont relevé les premiers juges, ces attestations sont corroborées par des attestations de réparateurs qui relatent avoir subi des pressions de la part d'experts agréés Macif pour s'abonner à la revue Expert Automobile qui était la seule habilitée à diffuser les barèmes reconnus par la Macif ; que les témoignages en sens contraire de quelques réparateurs ne détruisent pas le caractère probant des autres témoignages ;

Considérant que la Macif ne saurait s'exonérer de sa responsabilité dans les pressions effectuées par les experts ayant reçu son agrément, qui certes sont indépendants puisqu'ils ne sont pas ses salariés mais qui ont été incités à avoir ce comportement en raison de la circulaire ci-dessus mentionnée du 5 juin 1991 dont l'exemplaire versé aux débats ne concerne qu'une région mais qui a pu être portée à la connaissance d'experts agréés travaillant sur d'autres régions;

Considérant qu'ETAI fait état de nouveaux actes de concurrence déloyale ; que cependant ces faits postérieurs à la décision critiquée n'ont pas d'incidence dans le présent litige, ETAI ayant introduit une procédure pour ces faits devant le Tribunal de grande instance de Paris qui a sursis à statuer dans l'attente du présent arrêt.

Considérant en conséquence que comme l'ont relevé les premiers juges, la Macif a, en faisant croire que les seuls barèmes fourchette sérieux étaient publiés dans l'Expert Automobile et que l'agrément pouvait être retiré si on ne se référait pas à ces barèmes, commis une faute en contribuant par cette fausse information à détourner au bénéfice d'une publication de la SEEAMI la clientèle d'une revue concurrente; que la décision sera donc confirmée tant à l'encontre du CNEA qui en cause d'appel s'en rapporte à justice qu'à l'encontre de SEEAMI bénéficiaire de cette campagne et de la Macif qui a participé aux actes délictueux ;

Considérant que les mesures réparatrices telles qu'ordonnées par les premiers juges seront confirmées malgré les chiffres comptables fournis en appel par ETAI qui ne sont que des estimations sur les pertes imputables au concurrent de 1990 à 1995 mais ne procèdent pas de perte réelle significative en l'absence de tableaux sur l'évolution des ventes antérieures à 1991, ce comme l'avait déjà indiqué les premiers juges depuis 1987, éléments qui auraient permis d'apprécier s'il y avait eu une augmentation significative des ventes arrêtées ou une diminution du fait des actes délictueux de 1991 ; qu'il s'ensuit que sans qu'il soit nécessaire de procéder à la mesure d'instruction sollicitée, la décision sera confirmée sur le montant des dommages intérêts qui a été exactement apprécié par les premiers juges, sur les mesures d'interdiction et de publication sauf à préciser que cette publication portera sur le présent arrêt.

Considérant que l'équité commande d'allouer à ETAI la somme de 10 000 F au titre des frais d'appel non compris dans les dépens ;

Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, Donne acte à la CSNEAMI et à la CSNEAF de ce qu'elles se désistent de leur appel et le déclare parfait du fait de l'acceptation de la société ETAI qui se désiste de son appel incident à leur encontre, Dit que la charge des dépens relatifs à ces désistements seront réglés conformément aux dispositions de l'article 399 du Nouveau code de procédure civile, Constate le dessaisissement de la présente Cour entre ces parties, Donne acte au Conseil National de l'Expertise Automobile de ce qu'il s'en rapporte en justice, Confirme la décision en toutes ses dispositions sauf à préciser, compte tenu des désistements intervenus que la condamnation sera in solidum entre les sociétés Macif, Editions de l'Expertise Automobile et Matériel Industriel (SEEAMI) et le CNEA, Dit que la mesure de publication tiendra compte du présent arrêt, Rejette toutes autres demandes, Condamne in solidum les appelantes au paiement de la somme de 10 000 F à la société Editions Techniques pour l'Automobile et Industrie (ETAI) au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Les condamne in solidum aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Verdun-Gastou, avoués, selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.