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Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 18 septembre 1996, n° 437-95

DIJON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Angel's Motos (SARL)

Défendeur :

Barret (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ruyssen

Conseillers :

M. Kerraudren, Mlle Clerc

Avoués :

SCP André-Gillis, SCP Bourgeon-Kawala

Avocats :

Mes Jeanniard, Berland.

T. com. Dijon, du 24 nov. 1994

24 novembre 1994

Exposé de l'affaire :

La SARL Angel's Motos, concessionnaire exclusif " Yamaha " pour le département de la Côte d'Or à compter du 1er janvier 1987, se plaignant de l'utilisation de cette marque par la SARL Barret, précédent concessionnaire, a saisi en référé le président du Tribunal de commerce de Dijon qui, par ordonnance du 2 juin 1993, s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire devant la juridiction consulaire du fond. Celle-ci, par un jugement du 24 novembre 1994, a débouté la société Angel's Motos de toutes ses demandes mais lui a alloué la somme de 1 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Angel's Motos a relevé appel de cette décision.

Elle fait valoir :

- qu'elle a été concessionnaire exclusif Yamaha jusqu'au 18 janvier 1996,

- que la société Barret a continué à faire usage de la marque Yamaha, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, au moins jusqu'à la fin de l'année 1994,

- que ladite société achète et revend des motos neuves de cette marque,

- qu'elle n'a pas eu la qualité d'agent agréé Yamaha depuis 1987,

- qu'elle-même a été concessionnaire Yamaha en 1986 et concessionnaire Fantic depuis le mois d'avril 1995,

- que son adversaire a entretenu une confusion dans l'esprit du public et lui a fait perdre de la clientèle sur une période de plus de cinq années.

Elle demande en conséquence à la Cour :

- d'interdire à la société Barret d'effectuer toute publicité faisant référence à la vente de motos de marque Yamaha sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée,

- d'ordonner la publication de cette décision dans deux journaux,

- de condamner la société Barret au paiement de la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale,

- de condamner la même société à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

L'intimée répond :

- qu'elle ne se réfère plus à la marque Yamaha,

- qu'elle a été agent agréé de cette marque depuis 1987 et jusqu'en 1993,

- qu'en toute hypothèse, elle pouvait directement et légalement concurrencer la société Angel's Motos,

- que cette dernière s'est déclarée concessionnaire Yamaha en 1985 et concessionnaire Fantic, au mépris de ses propres droits,

- que la même société n'a plus qualité pour agir dès lors qu'elle n'est plus concessionnaire Yamaha,

- qu'enfin, cette société a vendu une motocyclette Aprilia le 28 juillet 1995 alors qu'elle-même dispose d'un contrat de concession exclusive pour cette marque.

Elle conclut donc au débouté de toutes les réclamations adverses et, par voie d'appel incident, elle sollicite l'allocation des sommes de 500 000 F à titre de dommages-intérêts et de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle demande également l'interdiction pour la société Angel's Motos d'utiliser la marque Fantic Motor dans ses publicités, sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée.

Discussion :

Attendu que la société Angel's Motos verse aux débats ses contrats passés avec la société Sonauto du 5 décembre 1985 au 30 janvier 1993, étant observé que le dernier était à durée indéterminée ; qu'il résulte de l'examen de ces pièces ainsi que d'une lettre envoyée par la société Yamaha à l'appelante, le 2 février 1996, que celle-ci était effectivement " concessionnaire exclusif Yamaha " du 1er janvier 1986 au 18 janvier 1996, pour le département de la Côte d'Or ; qu'elle a donc bien qualité pour agir au titre de la période en cause ;

Attendu qu'au soutien de ses prétentions, la société Angel's Motos justifie de l'utilisation, par la société Barret, de la marque Yamaha dans les annuaires téléphoniques professionnels de 1991, 1992 et 1994 (" spécialiste Yamaha depuis plus de 20 ans " ou seulement " spécialiste Yamaha ") et dans un guide d'achats Ecomust de 1990 (" le seul spécialiste Yamaha à Dijon ") ; qu'elle produit également un procès verbal de constat de Maître Pertuisot, huissier de justice, an date du 31 mai 1990, qui révèle que la vitrine du commerce exploité par la société Barret, à Dijon, comporte une publicité en gros caractères de la marque Yamaha ainsi que le logo de celle-ci ;

Attendu que, dès le 29 mars 1988, la société Sonauto avait demandé à la société Barret de procéder au retrait de l'enseigne Yamaha apposée sur sa vitrine, cette réclamation ayant été renouvelée le 31 mai 1990 ; qu'enfin il y a été satisfait en avril 1993 ; qu'en outre, la rectification concernant l'annuaire téléphonique a été requise en décembre 1994 ;

Attendu que la société Barret prétend avoir eu la qualité d'agent agréé de 1987 à 1993, à la suite de l'expiration de son contrat de concession le 31 décembre 1986 ; qu'elle se borne cependant à produire des lettres circulaires adressées par la société Sonauto aux agents Yamaha d'une manière générale, sur certaines desquelles ont été grossièrement ajoutées des étiquettes portant le nom et l'adresse des établissements Barret ; qu'il apparaît ainsi que ces seuls documents ne sont pas de nature à établir que la société Barret ait effectivement eu la qualité d'agent agréé du concessionnaire ;

Attendu dès lors, que l'utilisation sans autorisation de la marque Yamaha par la société Barret, au surplus avec la qualité alléguée de spécialiste, a constitué un acte de concurrence déloyale, notamment en entretenant la confusion dans l'esprit du public;

Attendu que le préjudice moral et le préjudice matériel pour la perte de clientèle causés au concessionnaire exclusif, durant plusieurs années, justifient que lui soit allouée la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ; qu'il convient également, en tant que de besoin, de faire droit à la demande d'interdiction de publicité sous astreinte ; qu'il n'y pas lieu, en revanche, d'ordonner la publication de cette décision ;

Attendu par ailleurs que la société Barret se prévaut à son tour du comportement fautif de la société Angel's Motos par l'utilisation de la marque Yamaha en 1985 ; que cette prétention n'est cependant pas fondée dans la mesure où la publicité parue dans l'annuaire téléphonique de décembre 1985 se rapportait à l'année 1986, période durant laquelle, comme indiqué précédemment, la société appelante bénéficiait d'une concession exclusive ;

Attendu s'agissant de l'utilisation des marques Fantic et Aprilia par la société Angel's Motos, que l'intimée ne verse aux débats que l'annuaire paru en décembre 1985 ; que la publicité litigieuse se rapporte uniquement à la marque Fantic pour laquelle la société Angel's Motos a une concession exclusive depuis le mois d'avril 1985 ; que, pour le surplus, l'intimée ne produit, dans son dossier remis à la Cour, aucune pièce au soutien de sa demande ; que celle-ci sera donc écartée ;

Attendu enfin qu'il est équitable d'indemniser la société Angel's Motos pour ses frais irrépétibles de procédure en lui allouant la somme totale de 8 000 F ; qu'au contraire, la réclamation présentée à cet égard par l'intimée sera rejetée ;

Par ces motifs : LA COUR, Réforme la décision entreprise, Condamne la société Barret à payer à la société Angel's Motos la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, En tant que de besoin, interdit à la société Barret d'effectuer toute publicité faisant référence à la vente de motocyclettes de marques Yamaha sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt, Condamne la société Barret à payer à la société Angel's Motos la somme de 8 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Déboute les parties de toutes demandes contraires ou plus amples, Condamne la société Barret aux dépens de première instance et d'appel.