CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 12 septembre 1996, n° 4978-94
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Albanel (SARL), Monroig (consorts), Ouizille (ès qual.)
Défendeur :
Apura Ile de France (SA), Guignard
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Assié
Conseillers :
Mmes Laporte, Rousset
Avoués :
SCP Lefèvre, Tardy, SCP Jullien & Lecharny & Rol, SCP Fievet & Rochette & Lafon
Avocats :
Mes Yvernault, de la Myre Mory, Thibierge.
Faits et procédure :
La Société Anonyme Apura Ile de France, anciennement dénommée Etablissements Lebas-Monroig, a pour activité la distribution de produits destinés à l'hygiène.
Suivant acte sous seing privé, en date du 14 février 1989, Monsieur Camille Monroig, alors Président Directeur Général de la Société Lebas-Monroig, " agissant tant en son nom personnel que pour le compte et en qualité de mandataire... " des actionnaires de la Société Lebas-Monroig, au nombre desquels figuraient Messieurs Francis et Pascal Monroig, a promis de céder à la Société PWA Waldhof France et à la Société de droit Allemand PWA Waldhof, 3995 actions sur les 4.000 représentant le capital de la Société Lebas-Monroig.
A la suite de l'accomplissement des conditions suspensives, l'option d'achat a été levée et le prix de 12 millions de francs convenu, intégralement payé.
Ce changement d'actionnaire n'a entraîné aucun bouleversement, si ce n'est le changement de dénomination de la Société Lebas-Monroig devenue Apura Ile de France, celle-ci ayant conservé les mêmes locaux et les mêmes méthodes d'exploitation.
En 1984, la Société alors dénommée Lebas-Monroig avait mis en place un système informatique particulier incluant un logiciel spécifiquement étudié pour répondre à ses besoins.
Prétendant avoir constaté dès le début de l'année 1990, une importante baisse de son chiffre d'affaire et s'être rendu compte, après diverses investigations, qu'elle était victime d'un plan concerté de la part de la famille Monroig et de divers collaborateurs de celle-ci dont notamment Monsieur Guignard transporteur, lesquels venaient de créer aussitôt après la cession des actions, une société concurrente, la Société Albanel, utilisant le logiciel inclus dans la cession ainsi que le fichier clientèle, la Société Apura Ile de France s'est faite autoriser en référé, en application des articles 45 et suivants de la loi du 03 juillet 1985, à pratiquer le 11 mai 1990 une saisie contrefaçon et, par exploit du 23 mai 1990, elle a fait assigner la Société Albanel et les associés de celle-ci notamment Messieurs Francis et Pascal Monroig ainsi que Monsieur Guignard devant le Tribunal de Commerce de Pontoise en contrefaçon de logiciel et concurrence déloyale.
Parallèlement la Société Apura Ile de France a sollicité la désignation en référé d'un expert.
Par ordonnance du 22 novembre 1990, le Président du Tribunal de Commerce de Pontoise a fait droit à la mesure d'expertise sollicitée et a désigné Monsieur Bruno Gastine en qualité d'expert.
Les opérations d'expertise ont donné lieu à de nombreuses difficultés et la Société Albanel ainsi que ses associés ont tenté, en référé, d'obtenir la désignation d'un nouvel expert.
Par ordonnance du 16 janvier 1992, confirmé par arrêt du 18 juin 1993 de la Cour d'Appel de ce siège, cette demande a été rejetée.
L'affaire est venue alors pour plaidoirie au fond et, par jugement du 28 avril 1994, le Tribunal de Commerce de Pontoise a :
- Condamné in solidum la Société Albanel, Monsieur Serge Guignard, Messieurs Pascal et Francis Monroig à payer, tous préjudices confondus, à la Société Apura la somme de 6.000.000 francs avec intérêts de droit à compter du 23 mai 1990, date de l'acte d'assignation.
- Condamné in solidum la Société Albanel, Monsieur Serge Guignard, Messieurs Pascal et Francis Monroig à payer à la Société Apura la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- Déclaré la Société Albanel mal fondée en sa demande reconventionnelle.
- Ordonné à la Société Albanel de cesser toute utilisation du logiciel et des fichiers Apura, et ce, sous astreinte de 50.000 francs par jour de retard à compter de la signification du jugement.
- Ordonné la destruction, sous contrôle d'Huissier de Justice, assisté d'un homme de l'art, des bandes magnétiques et ou de tous supports du logiciel et des fichiers copiés, et ce, sous astreinte de 50.000 francs par jour de retard à compter de la signification du jugement.
- Ordonné la publication du jugement dans dix journaux ou revues, français ou étrangers, au choix de la Société Apura et aux frais in solidum des défendeurs à raison de 30.000 francs par insertion.
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement à l'exception des condamnations portant sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et sur les dépens.
- Condamné in solidum la Société Albanel, Monsieur Serge Guignard, Messieurs Pascal et Francis Monroig aux dépens de l'instance.
Appel de ce jugement a été relevé par la Société Albanel et Messieurs Pascal et Francis Monroig.
La Société Albanel ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Nanterre du 08 septembre 1994, Maître Ouizille, désigné en qualité de liquidateur est intervenu aux débats pour reprendre l'instance.
A l'appui de leur recours les appelants, reprenant et développant l'argumentation par eux déjà développée en première instance, font tout d'abord valoir que la mesure d'expertise ordonnée en référé, l'a été en violation de l'article 146 du Nouveau Code de Procédure Civile, dès lors que la Société Apura ne justifiait pas du moindre élément de preuve pour justifier une telle mesure. Ils font grief également au Juge des référés d'avoir confié à l'expert une mission tendancieuse comportant des éléments de faits erronés et demandant notamment à celui-ci de dire le droit. Ils entendent, par ailleurs, critiquer la méthode utilisée par l'expert faite, selon eux, d'approximation et basée sur des contre-vérités et lui reprochent de s'être fait remettre des éléments nécessaires à l'expertise sans respecter les dispositions de l'article 268 du Nouveau Code de Procédure Civile. Pour l'ensemble de ces motifs, ils estiment que les conclusions retenues par l'expert ne peuvent être qu'écartées : sur le fond, ils contestent la réalité des griefs qui leur sont faits tout comme l'étendue du préjudice allégué par la Société Apura et soutiennent notamment que le fichier informatique a pu être utilisé par une Société Camon, juridiquement indépendante de la Société Albanel. Ils soulignent enfin que n'est pas rapportée la moindre preuve du rôle qu'auraient joué à titre personnel Messieurs Pascal et Francis Monroig dans les prétendus actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale.
Ils demandent en conséquence à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures " dites récapitulatives " de
- Dire et juger Maître Patrick Ouizille, es qualités de mandataire liquidateur de la SARL Albanel, recevable et fondé en son intervention, y faire droit.
- Débouter la Société Apura de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Subsidiairement :
- Nommer un nouvel expert avec pour mission : -- d'examiner les différents logiciels étudiés par Monsieur Gastine au cours de ses opérations d'expertise,
- dire à l'examen desdits logiciels si des faits de contrefaçon et de concurrence déloyale peuvent être mis en évidence et imputés soit à la SARL Albanel, soit à Messieurs Francis et Pascal Monroig,
- de préciser dans quelles conditions le logiciel utilisé par la SARL Albanel était également utilisé par la Société Camon, et apporter toutes les précisions à cet égard concernant la comptabilité ainsi que les fichiers clients distincts des deux sociétés, de fournir une description précise et détaillée des logiciels ainsi comparés, ainsi que tous éléments techniques et de fait qui permettront à la Cour de déterminer les responsabilités éventuellement encourues et d'évaluer le préjudice éventuellement subi par la Société Apura.
- Dire et juger que l'expert pourra, si besoin est, recueillir l'avis d'un autre technicien de son choix, par application de l'article 278 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- Dire et juger qu'en cas d'empêchement ou de carence, il sera pourvu au remplacement de l'expert, sur simple requête.
- Mettre la consignation des frais d'expertise à la charge de la Société Apura.
- Condamner la Société Apura à payer à Maître Ouizille, es qualités, et à Messieurs Francis et Pascal Monroig, la somme de 50.000 francs chacun en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Monsieur Guignard, intimé par les appelants, fait tout d'abord valoir que le jugement dont appel réputé contradictoire en raison du fait qu'il n'avait pas comparu en première instance, doit être tenu pour non avenu faute de lui avoir été signifié dans un délai de 6 mois et ce par application de l'article 478 du Nouveau Code de Procédure Civile. Subsidiairement, il fait grief à la Société Apura de ne pas lui avoir communiqué les pièces sur lesquelles elle entend appuyer ses prétentions. Plus subsidiairement, il soutient qu'il n'a travaillé que quelques mois au sein de la Société Albanel et qu'il ignorait tout de la prétendue copie du logiciel, n'ayant jamais eu en charge les problèmes d'informatiques de ladite société.
Plus largement, il estime que la preuve d'une faute de nature à établir à son encontre des actes de concurrence déloyale n'est pas rapportée et qu'en tout état de cause la Société Apura ne justifie pas de son préjudice.
La Société Apura fait valoir en réplique, tout d'abord en ce qui concerne Monsieur Guignard, qu'en raison de la pluralité de défendeurs en la cause et l'appel principal ayant été interjeté avant un délai de 6 mois, les dispositions de l'article 478 du Nouveau Code de Procédure Civile ne sauraient trouver à s'appliquer en l'espèce. Elle ajoute qu'elle justifie avoir communiqué à Monsieur Guignard l'ensemble des pièces de première instance. Elle rappelle sur le fond que Monsieur Guignard a brusquement cessé d'assurer les fonctions de transporteur qu'il exerçait pour son compte pour les transférer au profit de la Société Albanel nouvellement créée, dont il est devenu le gérant. Elle déduit de là que Monsieur Guignard ne saurait soutenir utilement qu'il n'a pas participé à la désorganisation de son entreprise, laquelle relève d'une action concertée, et ce, quelle que soit la part de responsabilité de ce dernier.
En ce qui concerne l'argumentation développée par Maître Ouizille, es qualité et les consorts Monroig, elle fait tout d'abord valoir que la mission d'expertise et le déroulement des opérations d'expertise sont parfaitement réguliers et que ce n'est que parce que les conclusions de l'expert sont accablantes que les appelants tentent, par tous les moyens, de les rejeter. Elle ajoute que, dans ce but, la Société Albanel n'a pas craint de faire opérer dans ces locaux, une saisie contrefaçon, arguant de droits qu'elle ne possédait pas sur le logiciel, ladite saisie étant de surcroît radicalement nulle puisqu'elle n'a pas été suivie d'une assignation au fond dans un délai de quinze jours.
Sur le fond, elle estime que la preuve de la réalité des griefs qu'elle invoque à l'encontre de l'ensemble des intimés est suffisamment rapportée et notamment l'action concertée menée par ces derniers pour vider, après la cession des actions, son entreprise de toute substance.
Elle fait grief cependant au Premier Juge d'avoir sous-estimé l'étendue de son préjudice qu'elle estime équivalent au prix payé pour acquérir les actions. Elle demande en conséquence à la Cour de confirmer en son principe le jugement déféré mais de faire droit à son appel incident et en conséquence de
- Dire que la Société Albanel, représentée par Maître Ouizille, es qualités, ainsi que Messieurs Serge Guignard, Pascal et Francis Monroig ont, chacun pour ce qui le concerne, commis à son égard des actes de contrefaçon de logiciel, au sens des articles 40 de la loi du 11 mars 1957, 45 et suivants de la loi du 3 juillet 1985.
- Dire qu'en copiant et en utilisant ou en faisant utiliser ses fichiers secrets, les défendeurs ont commis, à son égard, des actes de concurrence déloyale, engageant leur responsabilité civile sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code Civil.
- Constater la nullité de plein droit de la saisie contrefaçon pratiquée le 15 juin 1990 dans ses locaux à la requête de la Société Albanel, à défaut d'assignation subséquente dans la quinzaine des opérations.
- Condamner in solidum la Société Albanel, représentée par Maître Ouizille, es qualités et l'ensemble des autres défendeurs à lui payer les sommes suivantes:
- 50.000 francs HT en réparation du préjudice causé par la saisie contrefaçon nulle de plein droit, et l'action abusive qu'elle constitue.
- 150.000 francs H T en réparation des actes de contrefaçon du logiciel.
- 12 millions de francs HT en réparation des actes de concurrence déloyale constitué par la copie des fichiers secrets d'Apura et leur utilisation.
- Confirmer, en tant que de besoin les mesures d'interdiction et de destruction ordonnée par le Tribunal.
- Ordonner, toutefois, sachant qu'aucune de ces mesures n'ont été exécutées, malgré les demandes qui ont été faites à Maître Ouizille, aux défendeurs ou à toute autre personne physique ou morale qu'ils se substitueraient, de cesser d'utiliser le logiciel et les fichiers sous astreinte définitive de 100.000 francs par jour de retard, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, ainsi que la destruction, sous contrôle d'Huissier de Justice, assisté d'un Homme de l'Art, des bandes magnétiques ou de tout support de logiciel contrefaisant et des fichiers copiés, sous les mêmes pénalités et à compter du même délai.
- Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans dix journaux ou revues, français ou étranger, de son choix et aux frais in solidum des défendeurs, à raison de 30.000 francs Hors Taxes par insertion et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts complémentaires.
- Condamner in solidum les défendeurs à lui payer la somme de 200.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Motifs de la décision
A - Sur les prétendues irrégularités de la procédure
1) Sur la péremption du jugement déféré invoqué par Monsieur Guignard :
Considérant que Monsieur Guignard soutient que, n'étant pas représenté en première instance, le jugement dont appel, rendu le 28 avril 1994 par le Tribunal de Commerce de Pontoise doit être tenu pour non avenu à son égard faute de lui avoir été notifié dans un délai de 6 mois ainsi qu'en dispose l'article 478 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Mais considérant que la règle posée par l'article 478, selon laquelle le jugement réputé contradictoire au seul motif qu'il est susceptible d'appel est non avenu s'il n'est pas notifié dans les 6 mois de sa date, est sans application dans le cas où, comme en l'espèce, un appel général a été formé avant expiration dudit délai par d'autres parties en cause, solidairement condamnées avec Monsieur Guignard à réparer le préjudice subi par la Société Apura, puisque par le seul effet dévolutif de l'appel, la chose jugée se trouve déjà globalement remise en question devant la Cour.
- Sur le non respect du principe du contradictoire
Considérant que Monsieur Guignard soutient que la Société Apura ne lui a pas communiqué en temps utile différentes pièces qu'elle visait dans ses écritures ;
Mais considérant qu'il suffit de se référer aux pièces des débats pour constater que, selon bordereau du 1er Mars 1996, la Société Apura a régulièrement communiqué les différentes pièces dont s'agit à Monsieur Guignard, et que celui-ci a disposé d'un délai d'un mois et demi jusqu'à l'ordonnance de clôture prise le 16 Avril 1996 pour les analyser et déposer à la même date de nouvelles conclusions; qu'il suit de là que le moyen invoqué n'est pas fondé ;
- Sur les opérations d'expertise
Considérant que les appelants soutiennent tout d'abord que le Juge des Référés du Tribunal de Commerce de Pontoise, en ordonnant l'expertise sollicitée par la Société Apura, aurait suppléé la carence de celle-ci dans l'administration de la preuve de la preuve et aurait ainsi violé les dispositions de l'article 146 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Mais considérant que, contrairement à ce qui est allégué, le Juge des référés a, avant d'accorder la mesure sollicitée, relevé qu'il existait en la cause des " faits constituant une forte présomption de l'existence de l'acte délictuel invoqué "; " que cette présomption résulte notamment des déclarations faites par Monsieur Guignard, gérant de la Société Albanel à l'Huissier de Justice chargé de procéder à la saisie contrefaçon, aux termes desquelles l'intéressé reconnaissait que le logiciel Lebas-Monroig, qui étant un élément des actifs de la société, a été vidé du système informatique avant le départ des précédents actionnaires "; " qu'en outre, ce système figure sur le listing remis par Monsieur Monroig de la Société Albanel à l'Huissier " ; qu'il suit de là qu'à partir de ces éléments d'appréciation qui lui était soumis par la Société Apura, laquelle n'était pas en mesure de prouver alors la teneur des informations contenues dans le logiciel saisi, le Premier Juge a, à bon droit et comme le lui permettait l'article 146 alinéa 1 du Nouveau Code de Procédure Civile, fait droit à la mesure d'expertise sollicitée ;
Considérant qu'en deuxième lieu, les appelants soutiennent que la mission confiée à l'expert Gastine fait état d'indications inexactes, voire indélicates, de nature à nuire, selon eux, aux conditions d'objectivité et d'impartialité de la mission d'expertise ;
Mais considérant qu'il suffit de se référer au contenu de la mission donnée à l'expert pour constater que celle-ci est parfaitement classique en la matière et qu'elle a pour objet notamment de vérifier si les allégations invoquées par la Société Apura, à partir des éléments d'appréciation et de faits précis et concordants précédemment évoqués, étaient ou n'étaient pas fondés; que cette deuxième objection ne peut être que rejetée ;
Considérant qu'en troisième lieu, les appelants prétendent que l'expertise aurait porté en réalité sur un logiciel appartenant à la Société Camon et non sur celui de la Société Albanel ; qu'à l'appui de leur thèse, ils versent aux débats, pour la première fois devant la Cour, diverses pièces de nature, selon eux, à établir cette allégation ;
Mais considérant que ces documents, s'ils établissent la vente de l'ordinateur IN 5000 à la Société Camon et le lien existant entre celle-ci et la Société Albanel, notamment au niveau de la tenue de la comptabilité, ce que l'expert a lui-même constaté et relevé, lesdits documents ne sont pas pour autant de nature à remettre en cause les conclusions claires et précises auxquelles est parvenu ledit expert aux termes des comparaisons approfondies en prenant en compte les données critiquées ; que cette objection sera encore rejetée ;
Considérant qu'en quatrième lieu, les appelants soutiennent que les opérations d'expertise ne se seraient pas déroulées dans les conditions prévues à l'article 268 du Nouveau Code de Procédure Civile ; qu'à cet égard, ils soutiennent que le conseil de la Société Apura aurait, sans autorisation préalable, retiré lui-même au Greffe du Tribunal, un élément essentiel du litige, à savoir deux cassettes de sauvegarde enregistrées ; que pour étayer cette allégation qui donnerait à penser que les éléments de comparaison dont s'agit ont pu être manipulés, les appelants se réfèrent au rapport de l'expert qui fait état de cette remise directe et à une attestation établie par Monsieur Pascal Monroig ;
Mais considérant que, si le rapport d'expertise est imprécis sur ce point, il n'en reste pas moins qu'il résulte du procès-verbal d'Huissier établi le 11 mai 1990 qui fait foi jusqu'à inscription de faux que la sauvegarde en question n'a jamais été déposée au Greffe mais qu'elle a été confiée à la Société Apura pour ensuite être remise sous enveloppe scellée par son conseil au cours de la réunion d'expertise qui s'est tenue le 10 janvier 1991 ; que, par ailleurs, ainsi qu'a pu le constater l'expert, les cassettes prétendument manipulées se sont révélées strictement identiques à celles saisies le 15 janvier 1990 de sorte que les allégations contenues dans l'attestation que s'est délivré à lui-même Monsieur Pascal Monroig, partie à l'instance, ne peuvent être qu'écartées, étant observé de surcroît que les appelants n'ont jamais cru devoir saisir le Juge des Référés, qui s'était réservé le contrôle de l'expertise de cette difficulté, pas plus qu'il ne s'en sont ouverts à l'expert ;
Considérant qu'il suit de là qu'il n'existe en l'espèce aucun motif d'annuler ou d'écarter le rapport déposé par Monsieur Gastine et d'ordonner une nouvelle expertise ;
Considérant enfin que Monsieur Guignard soutient pour ce qui le concerne, que les opérations d'expertises ne lui seraient pas opposables faute d'y avoir participé ;
Mais considérant que Monsieur Guignard était partie au litige dès lors qu'il figure en qualité de défendeur à l'ordonnance de référé portant désignation de l'expert; qu'il indique lui-même dans ses conclusions que les consorts Monroig lui avaient fait savoir qu'ils se préoccupaient de la défense de ses intérêts ; que s'il est vrai que la preuve qu'il ait été personnellement convoqué aux opérations d'expertise n'est pas rapportée, il n'en reste pas moins que le rapport de l'expert lui a été régulièrement communiqué ; qu'il a eu la possibilité d'en critiquer les conclusions ; que ledit rapport a donc à son égard pour le moins valeur de renseignements ;
- Sur le fond du litige :
a) Sur les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale
Considérant que l'expert a relevé les éléments suivants :
- entre le fichier clients d'Apura et celui d'Albanel, 3195 lignes sur les 3946 que comprend chacun des fichiers sont absolument identiques ; mêmes mots, mêmes graphismes, mêmes anomalies de frappe, mêmes espacements, mêmes erreurs, mêmes fautes d'orthographes, mêmes abréviations, mêmes changement de corbeilles ... ;
qu'il en a conclu que cela montre de façon certaine " qu'Albanel a eu accès aux fichiers de compte Monroig qui appartient actuellement à Apura ".
Qu'en ce qui concerne le fichier vente correspondant aux ventes et facturation d'Albanel comprises entre janvier et avril 1990, l'expert a constaté que sur 85 clients facturés, 52 figuraient dans le fichier clients d'Apura, ce qui correspond à un chiffre d'affaire de 730.000 francs HT et qui montre, selon l'expert, que dès les premiers mois de son existence, la Société Albanel a réalisé une part importante de son chiffre d'affaires avec les clients d'Apura.
Considérant que ces constatations précises, détaillées et objectives, et qui ne souffrent aucune critique utile, démontrent que la Société Albanel nouvellement créée par les consorts Monroig, a commis des actes de contrefaçon en recopiant servilement les fichiers de la Société Lebas-Monroig acquis par la Société Apura par suite de la cession d'actions et qu'elle a, de manière déloyale, exploité ledit fichier pour les besoins de son commerce ;que les mêmes agissements doivent être imputés aux consorts Monroig, qui ont cédé les actions qu'ils détenaient dans la Société Lebas-Monroig, pour 12 millions de francs et qui ont aussitôt crée et exploité une société concurrente à partir des fichiers litigieux, ces derniers participant ainsi personnellement à la désorganisation de la Société Apura qui s'est trouvée, dès sa création, privée de l'essentiel de sa substance ;
Considérant en revanche qu'il n'est pas établi, que Monsieur Guignard qui exerce une activité de transporteur, ait personnellement et volontairement concouru à cette opération de désorganisation, même s'il a été, pendant une courte période, désigné comme gérant de droit de la Société Albanel ;
Considérant en effet qu'il résulte des pièces des débats, et notamment d'une attestation non utilement contredite délivrée le 05 février 1994 par Monsieur Molin Christian, que l'intéressé s'occupait essentiellement des problèmes de manutention, qu'il n'avait aucune connaissance en informatique et qu'il n'a tiré aucun profit personnel du plan concerté de désorganisation dé la Société Apura, mis en place par les consorts Monroig ; que le jugement dont appel sera infirmé de ce chef et Monsieur Guignard mis hors de cause ;
Sur le préjudice
Considérant tout d'abord qu'il ne saurait être fait grief à l'expert d'avoir, comme il le lui a été demandé, donné son avis sur le préjudice ; qu'il ne saurait davantage être soutenu que les demandes complémentaires de réparations formées par la Société Apura devant la Cour seraient irrecevables comme nouvelles, alors que celles-ci se rattachent et découlent des prétentions originaires ;
Considérant qu'il apparaît, au vu des éléments de la cause, que la Société Apura a tout d'abord subi un préjudice du fait de la saisie contrefaçon que la Société Albanel a fait diligenter à son encontre sans aucun fondement et qui n'a pas été suivie d'une assignation au fond ; que cette opération qui a porté atteinte à la réputation de la société intimée et qui n'a été diligentée que dans le but de faire échec aux prétentions de cette dernière, justifie que lui soit allouée de ce chef en réparation la somme de 50.000 francs ;
Considérant en revanche que la Société Apura ne saurait prétendre que les actes de contrefaçons et les agissements déloyaux imputables à la Société Albanel et aux consorts Monroig lui ont occasionné un préjudice de 12.000.000 francs correspondant à la valeur d'achat des actions ;
Considérant en effet tout d'abord que le chiffre d'affaires détourné, tel que déterminé par l'expert, s'établit à 700.000 francs HT pour les premiers six mois d'exercice ; que certes doit s'ajouter à cela les difficultés qu'a connues la société pour valoriser son fonds de commerce ; qu'il n'en reste pas moins que la présente procédure a mis fin aux agissements frauduleux ci-dessus décrits et que la Société Apura a pu reprendre normalement ses activités de négoce, même si elle a perdu une chance de rentabiliser aussi rapidement qu'elle l'avait prévu, son investissement ; que d'ailleurs il sera observé que la Société Apura n'a fourni aucun élément sur sa situation économique actuelle, malgré les demandes formulées par les parties adverses ; que, dans ces conditions, le préjudice subi par la Société Apura sera fixé, toutes causes confondues et en prenant en compte l'ensemble des difficultés rencontrées et la perte de chance de rentabiliser immédiatement l'investissement, à la somme de 3 millions de francs au lieu de celle manifestement excessive de 6 millions de francs retenue en première instance et non justifiée ;
Considérant qu'en conséquence la créance de la Société Apura sur la Société Albanel actuellement en liquidation et régulièrement déclarée, sera fixée à 3 millions de francs outre 50.000 francs au titre du préjudice subi pour la saisie contrefaçon abusive et Messieurs Francis et Pascal Monroig condamnés in solidum pour les mêmes causes à payer à la Société Apura les sommes de 3 millions de francs et de 50.000 francs arrêtées à la date du présent arrêt ;
Considérant en revanche que le jugement dont appel sera confirmé en toutes ses dispositions en ce qui concerne les réparations complémentaires ordonnées relatives à la cessation d'utilisation du logiciel et à la destruction des supports du fichier copié, sans qu'il y ait lieu d'augmenter les astreintes prononcées de ce chef ;
Considérant enfin qu'il y a lieu d'ordonner la publication du présent arrêt dans dix journaux ou revues françaises ou étrangères, au choix de la Société Apura, et aux frais des consorts Monroig dans la limite de 30.000 francs par insertion ;
- Sur les demandes présentées au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et sur les dépens
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la Société Apura les sommes qu'elle a été contrainte d'exposer en cause d'appel; que Maître Ouizille es qualités, et les consorts Monroig seront condamnés à lui payer une indemnité complémentaire de 50.000 francs TTC en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant en revanche que l'équité ne commande pas d'allouer à Monsieur Guignard une quelconque indemnité au titre des dispositions précitées ;
Considérant enfin que les appelants, qui succombent pour l'essentiel dans l'exercice de leur recours, supporteront les entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais de saisie contrefaçon et d'expertise ;
Par ces motifs, la Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, reçoit Maître Patrick Ouizille, es qualités de liquidateur de la Société Albanel et Messieurs Francis et Pascal Monroig en leur appel principal et les autres parties en leurs appels incidents, rejette l'exception de péremption invoquée par Monsieur Serge Guignard et dit n'y avoir lieu à annulation des opérations d'expertise diligentées par Monsieur Bruno Gastine ou à nouvelle expertise, confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que la Société Albanel actuellement représentée par Maître Patrick Ouizille, es qualités, et Messieurs Francis et Pascal Monroig ont commis à l'égard de la Société Apura des actes de contrefaçon de logiciel, et en ce qu'il a également dit que les mêmes se sont livrés, au préjudice de la Société Apura, à des actes de concurrence déloyale, l'infirme en ce qu'il a retenu la participation de Monsieur Serge Guignard à ces agissements et met l'intéressé hors de cause, infirme sur le montant des réparations et statuant à nouveau de ce chef, condamne Messieurs Francis et Pascal Monroig in solidum à payer à la Société Apura, les sommes de 50.000 francs au titre de la saisie contrefaçon abusivement pratiquée, 3 millions de francs toutes causes confondues au titre de la contrefaçon de logiciel et des actes de concurrence déloyale, fixe la créance de la Société Apura sur la Société Albanel pour les mêmes causes aux mêmes sommes de 50.000 francs et de 3 millions de francs, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions y compris celles relatives aux astreintes du chef des mesures de destruction et d'interdiction d'utilisation du matériel contrefait, ordonne la publication par extrait du présent arrêt dans dix revues, françaises ou étrangères, laissées au choix de la Société Apura et ce aux frais avancés des consorts Monroig et dans la limite de 30.000 francs TTC par insertion, condamne in solidum Maître Patrick Ouizille, es qualités, et Messieurs Francis et Pascal Monroig à payer à la Société Apura une indemnité complémentaire de 50.000 francs TTC en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ladite indemnité s'ajoutant à celle allouée au même titre à ladite société par les Premiers Juges, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en ce qui concerne Monsieur Serge Guignard, condamne in solidum Maître Patrick Ouizille, es qualité, et Messieurs Pascal et Francis Monroig aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de saisie contrefaçon et d'expertise et autorise les avoués en cause concernés à les recouvrer directement comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.