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Décisions

CA Riom, ch. civ. et com., 11 septembre 1996, n° 1465-95

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fafournoux

Défendeur :

Clermont-Ferrand Distribution Clerdis (SA), Sodicler (SA), Sudre (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bardel

Conseillers :

MM. Despierres, Legras

Avoués :

Mes Mottet, Tixier, Lecocq

Avocats :

Mes Garola, Lechat, SCP Dousset Limagne.

T. com. Clermont-Ferrand, du 6 avr. 1995

6 avril 1995

Exposé du litige

Se plaignant d'agissements imputés aux sociétés Clerdis et Sodicler qui présenteraient comme étant leur fabrication, à des fins publicitaires, un buffet élaboré par ses soins, M. Fafournoux, charcutier-traiteur, saisissait le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand. Il reprochait en outre à l'agence Graphico Transversal d'avoir utilisé sans son accord des photographies de ses plats traiteurs.

Par jugement du 6 avril 1995, auquel la cour se réfère pour plus ample exposé, le tribunal déclarait irrecevable la demande dirigée contre Me Sudre ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Graphico et non fondées les demandes dirigées contre les sociétés Sodicler et Clerdis auxquelles il allouait 25 000 F à titre de dommages-intérêts. Me Sudre obtenait lui-même la somme de 5 000 F. La somme de 5 000 F était accordée à chacun des défendeurs sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

M. Fafournoux a relevé appel de ce jugement. Il sollicite son infirmation et demande à la cour de :

- condamner chacune des sociétés Clerdis et Sodicler et Me Sudre à lui payer 500 000 F de dommages-intérêts (sauf à fixer la créance à l'égard de ce dernier) ;

- d'ordonner, à titre de supplément de dommages-intérêts, la publication de l'arrêt dans le journal " La Montagne " et dans la revue " Point de Vente " dans la limite de 30 000 F par publication aux frais de la société Clerdis et Sodicler qui devront régler le montant des publications in solidum ;

- de renvoyer Me Sudre à se pourvoir au contentieux interne de la procédure collective s'agissant de la recevabilité de la déclaration de créance ;

- de rejeter les demandes reconventionnelles ;

- de condamner chacun des intimés à lui payer 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Les moyens de l'appelant sont les suivants :

- en décembre 1991 il a constaté que des affiches publicitaires éditées au profit des sociétés Clerdis et Sodicler comportaient la photographie de ses propres produits. Cet affichage s'est poursuivi à Pâques 1992, à Noël 1992 et en 1993,

- il en résulte d'une attestation de Mme Romero, photographe, que les photographies ont été réalisés durant l'année 1991 à l'aide de produits fabriqués par M. Fafournoux pour le compte de l'agence Graphico-Transversales,

- Les sociétés susnommées ont fait une publication mensongère en affirmant qu'elles étaient traiteurs en saucisson, qu'elles préparaient des foies gras et qu'elles se livraient à la fabrication des produits.

- l'utilisation de produits Fafournoux constitue une faute au sens de l'article 1382 du Code civil,

- La créance à l'égard de la société Graphico relève des dispositions de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985. En toute hypothèse l'assignation vaut déclaration de créance. Ladite société étant la propriétaire intellectuelle et la conceptrice des photographies devait autoriser chaque nouvelle publication. Les publications postérieures au dépôt de bilan doivent être indemnisées au titre de la disposition susvisée.

- Les sociétés Clerdis et Sodicler savaient parfaitement que les produits photographiés n'étaient pas fabriqués par elles, étant précisé qu'elles n'acquittent pas la taxe parafiscale exigible pour de telles opérations.

- L'action a un double fondement : l'article L. 121-1 du Code de la consommation et l'utilisation sans autorisation du travail d'autrui, ces manquements constituant un acte de concurrence déloyale. Ils ont jeté le discrédit sur ses produits et méthodes de fabrication.

- Il invoque un nouveau document publicitaire caractérisant selon lui, les manœuvres commerciales déloyales.

Me Sudre conclut à la confirmation du jugement et subsidiairement au rejet de la demande. Il réclame 10 000 F à titre de dommages-intérêts et 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Il répond :

- que la prestation fournie par la société Graphico résulte d'un contrat du 14 février 1991 ; que cette société a été déclarée en redressement judiciaire le 12 juin 1992 ; qu'aucune déclaration de créance n'a été effectuée par M. Fafournoux ; que la créance n'est pas née postérieurement au redressement judiciaire ;

- que la société Graphico n'est pas responsable de l'utilisation d'éventuels plats préparés par M. Fafournoux, lequel ne prouve pas l'originalité de sa création ;

- que Mme Romero exerçait l'activité de photographe indépendant et procédait sous sa seule responsabilité à la mise en place des produits qu'elle photographiait et achetait en vertu d'un contrat de commande supposant l'indépendance du créateur ;

- que toutes les affiches ont été imprimées en 1991 ; qu'aucun rapport contractuel ne s'est créé au cours de la période d'observation ou après la liquidation judiciaire.

Les sociétés Clerdis et Sodicler concluent à la confirmation du jugement et à la condamnation de M. Fafournoux à leur payer 100 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire et 10 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Elles développent en réponse l'argumentation suivante :

- en aucun cas les photographies utilisées ne sont celles du catalogue de M. Fafournoux ;

- La preuve n'est pas rapportée que les plats aient été fabriqués par le susnommé qui cherche à altérer l'image de marque des intimés, notamment par des articles de presse ;

- Le message publicitaire diffusé par les affiches n'a rien de trompeur ;

- Les conditions de mise en place des plats tels qu'ils figurent sur les photographies sont ignorées d'elles ;

- Les produits vendus par les sociétés sont d'excellente qualité. Il n'existe aucune publicité mensongère ;

- Les errements éventuels de la société Graphico ne sauraient leur être imputés ;

- M. Fafournoux ne justifie d'aucun préjudice.

Dans leurs dernières écritures les intimés contestent avoir commis une faute. Elles affirment que l'attestation de Mme Romero ne remet pas en cause la contestation sur l'auteur des produits photographiés. Elles mettent en doute cette attestation de la susnommée qui serait seule responsable de la faute alléguée à supposer qu'elle existe. Les sociétés Clerdis et Sodicler contestent avoir eu connaissance de ces agissements fautifs extérieurs à l'exécution du contrat.

Motifs et décision :

Attendu que la société Graphico a été déclarée en redressement judiciaire le 12 juin 1992 puis en liquidation judiciaire le 3 juillet 1992 ; que M. Fafournoux n'était pas recevable à l'assigner le 2 août 1993 en paiement de dommages-intérêts ou en fixation d'une créance ayant son origine antérieurement à l'ouverture de la procédure collective ; qu'il lui appartenait de se conformer à la procédure de vérification des créances ;

Attendu que la constatation et la fixation de la créance ne se conçoivent que dans le cadre de l'interruption et de la reprise d'une instance ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, la demande ayant été dirigée ab initio contre Me Sudre en qualité de liquidateur ;

Attendu par ailleurs que le fait générateur de la créance dont M. Fafournoux se prévaut à l'égard de la société Graphico est la faute que celle-ci aurait commise en photographiant ses produits sans autorisation afin de réaliser une affiche ;

Attendu qu'il est justifié que l'ordre d'engagement de dépense pour la réalisation des affiches a été donné le 14 février 1991 (ordre régulièrement produit et non contesté) ; qu'il résulte d'une attestation régulière en la forme, soumise à la discussion contradictoire des parties, établie par Mme Romero, que durant l'année 1991 elle a réalisé la plupart des photographies figurant sur les affiches 4 x 3 Leclerc et notamment celle concernant les produits traiteur ; que les plats en question avaient été commandés à M. Fafournoux charcutier-traiteur ;

Attendu que Mme Romero atteste qu'elle s'est rendue elle-même au magasin de M. Fafournoux pour prendre livraison des produits et que ces derniers, présentés sur l'affiche, ont bien été préparés par le susnommé ;

Attendu qu'il est manifeste que le fait générateur de la créance est antérieur au 12 juin 1992 ; qu'aucun élément ne démontre que la société Graphico serait coupable d'agissements répréhensibles commis après cette date ; qu'il n'est pas davantage démontré qu'elle aurait réédité et livré des affiches ou qu'elle aurait été chargée d'une campagne d'affichage postérieurement au 12 juin 1992 ;

Attendu qu'il n'est pas justifié qu'un nouveau rapport contractuel entre la société Graphico et les sociétés Clerdis et Sodicler se serait créé après l'ouverture de la procédure collective ;

Attendu que le fait générateur du préjudice imputé à la société Graphico est antérieur à cette couverture ; que l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 est sans application en la cause ;

Attendu qu'il convient d'examiner le fondement des demandes présentées contre les société Clerdis et Sodicler ;

Attendu que le contrat passé avec la société Graphico prévoyait la réalisation de prises de vue en ses studios à Clermont-Ferrand pour visuels de charcuterie traiteur et la réalisation d'affiches sur ce thème ;

Attendu que ce contrat, supposant l'indépendance du créateur, ne mettait aucune obligation de fourniture de marchandises à la charge des sociétés Sodicler et Clerdis ; qu'il n'est nullement établi que ces sociétés auraient donné des instructions à la société Graphico en vue de photographier les produits réalisés par M. Fafournoux ;

Attendu que l'affiche litigieuse fait apparaître différents plats à savoir : tranches de saumon, demi-langoustes, tranches de jambon, terrine de saumon et terrine de légumes avec les mentions " premiers prix en qualité " " E. Leclerc La Pardieu Patinoire Le Brezet Aéroport " ;qu'elle ne comporte aucune énonciation quant à la nature, à la composition, à l'origine ou au mode de fabrication des produits présentés et disposés par le photographe;qu'elle ne fait état d'aucune qualité spécifique et ne contient aucune allégation mensongère quant à la provenance des produits figurant sur la photographies;que notamment la cour ne constate ni sur l'affiche, ni sur le catalogue " menus de fête " l'existence de messages trompeurs quant aux modes de fabrication ou aux fournisseurs ;que les produits ne sont nullement présentés comme plats confectionnés par les intimées ;

Attendu que les sociétés Clerdis et Sodicler produisent régulièrement des constats d'huissier des 17 novembre, 29 novembre, 27 novembre, 3 décembre, 7 décembre, 9 décembre, 21 décembre et 27 décembre 1993 établissant qu'à ces dates étaient offerts dans les rayons de leurs établissements divers produits, notamment terrines de saumon, terrines de légumes, tranches de jambon ou de saumon ; qu'elles produisent en outre un constat d'huissier du 28 mai 1994 établissant qu'elles exploitent un laboratoire dans lequel sont fabriqués divers plats, notamment des terrines de légumes ou de saumon ;

Attendu qu'il n'est pas établi que ces plats seraient de médiocre qualité ;

Attendu que les produits photographiés ne présentent aucun caractère d'originalité; qu'ils ne révèlent pas l'empreinte de leur auteur ; qu'il s'agit de produits courants dont la reproduction n'est pas susceptible de créer une confusion dans l'esprit du consommateur, les motifs et dessins des terrines étant quelconques;

Attendu qu'aucune confusion n'est possible entre une grande surface et un commerçant indépendant exerçant son activité à plusieurs kilomètres de distance ; qu'à la vue de l'affiche ou du catalogue le consommateur étant dans l'impossibilité d'attribuer à M. Fafournoux la confection des produits présentés par le photographe ;

Attendu qu'aucun élément ne prouve que l'utilisation par la société Graphico des produits vendus par M. Fafournoux, aurait permis aux sociétés Clerdis et Sodicler, qui pouvaient légitimement ignorer les conditions dans lesquelles les clichés ont été pris, de réaliser une économie dans l'exécution de leur campagne publicitaire ;

Attendu qu'aucune perte de clientèle n'est prouvée ; que la preuve de l'imputabilité aux société Clerdis et Sodicler de l'utilisation par la société Graphico des produits Fafournoux, n'est pas rapportée ;

Attendu que l'absence d'indication de l'activité de traiteur dans le catalogue de mai 1996 est sans intérêt pour la solution du litige ; que force est en effet de constater que les sociétés Clerdis et Sodicler ont amplement démontré qu'elles distribuaient des produits de même nature que ceux non identifiables figurant sur l'affiche, lorsque la publicité a été diffusée ;

Attendu que les sociétés Clerdis et Sodicler n'ont dans leur publicité, à aucun moment affirmé qu'elles fabriquaient des salaisons, saucissons secs ou produits de charcuterie ; que l'affiche litigieuse ne contient aucune mention à cet égard ; que le dépliant " menus de fête " (qui ne semble pas fonder la demande) ne contient pas davantage une telle affirmation ; que le mot " traiteur " signifie commerçant qui prépare des plats cuisinés et non pas de fabricant de jambon ou de charcuterie ; que le moyen tenant à l'absence de paiement de la taxe parafiscale est dépourvu de portée juridique ;

Attendu que les sociétés Clerdis et Sodicler, qui se sont adressées à un professionnel de la publicité pour réaliser une campagne d'affichage, ne sauraient assumer les fautes éventuellement commises par ce professionnel dès lors qu'il n'est pas démontré qu'elles se seraient immiscées dans le travail de conception de l'affiche, qu'elles auraient imposé, voire simplement connu l'utilisation des produits Fafournoux, ou qu'il aurait existé une collusion entre les intimées ;

Attendu dans ces conditionsqu'en l'absence de faute prouvée, M. Fafournoux doit être débouté de sa demande ;

Attendu que pour allouer des dommages-intérêts, les premiers juges ont retenu le caractère abusif de la procédure et l'organisation d'une campagne de presse ;

Or attendu qu'ils n'ont caractérisé ni l'abus ni le préjudice ;

Attendu que l'abus n'est pas démontré ; qu'il résulte de l'attestation de Mme Romero que les produits photographiés avaient bien été acquis auprès du magasin de M. Fafournoux ;

Attendu que les moyens développés bien qu'écartés n'étaient pas entachés d'inanité ;

Attendu par ailleurs que s'il est constant que la presse a publié divers articles, rien ne démontre que M. Fafournoux était l'organisateur d'une campagne de presse ; que la cour ne dispose d'aucun élément démontrant que les journalistes concernés auraient écrit ces articles à la demande du susnommé en vue de nuire aux sociétés Clerdis et Sodicler ; que la relation par la presse du litige opposant les parties et de ses péripéties judiciaires ne saurait constituer une faute imputable à l'appelant ;

Attendu que les demandes de dommages-intérêts et de publication seront rejetées, étant de surcroît observé que les intimées ne justifient d'aucun préjudice ;

Attendu qu'il sera alloué à chacun des intimées la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC au titre de l'instance d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Ecarte du dossier la note en délibéré déposée par M. Fafournoux le 20 juin 1996, note non réclamée par la cour ; Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné M. Fafournoux au paiement de dommages-intérêts et ordonné la publication du jugement ; Réformant de ces chefs, Rejette les demandes de dommages-intérêts et la demande de publication de la décision ; Ajoutant : Condamne M. Fafournoux à payer à chacun des intimés (société Clerdis - société Sodicler - Me Sudre ès-qualités) la somme de cinq mille francs (5 000 F) en vertu de l'article 700 du NCPC au titre de l'instance d'appel ; Rejette toute prétentions plus amples ou contraires ; Condamne M. Fafournoux aux dépens d'appel, autorise Me Mottet et Me Tixier avoués à recouvrer ceux dont ils ont pu faire l'avance sans avoir reçu provision suffisante.