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Décisions

CA Grenoble, ch. des urgences, 4 septembre 1996, n° 2950-94

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Jourdan (SA)

Défendeur :

Valdis (SA), Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec (SA), JMC Créations (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

(faisant fonction) : Mme Palisse

Conseillers :

M. Baumet, Mme Comte

Avoués :

SCP Grimaud, Mes Calas, Balayn, Perret, Pougnand

Avocats :

Mes Guerlain, Balsan, Simon, Ruano Guibout.

T. com. Romans, du 27 avr. 1994

27 avril 1994

Par arrêt en date du 30 novembre 1994, la Cour d'Appel de Grenoble a

- dit que les sociétés SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec, SA Valdis et SA Jmc Création avaient commis des actes de contrefaçon du modèle n° 9560 de la SA MD Jourdan Joaillier,

- dit que les sociétés SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec, SA Valdis et SA JMC Création avaient commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la SA MD Jourdan Joaillier,

- interdit à ces sociétés de poursuivre leurs agissements sous astreinte provisoire de 2.000 F par infraction constatée dès la signification de l'arrêt,

- ordonné la suppression de la représentation des modèles de bague arguées de contrefaçon et de la ligne des bijoux représentés par les articles 1, 2, 3, 4, 8, 13 et 18 des pages 2 et 3 du catalogue " Le manège à bijoux E. Leclerc " de celui-ci, sous astreinte provisoire de 20.000 F par jour de retard, dès signification de l'arrêt,

- condamné in solidum les sociétés SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec, SA Valdis et SA JMC Création à payer à la SA MD Jourdan Joaillier la somme de 200.000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels en réparation des actes de contrefaçon, la somme de 200.000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels en réparation des actes de concurrence déloyale, et celle de 30.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

- ordonné une expertise, confiée à Madame Lepagnez, pour déterminer le volume des ventes de bagues contrefaisantes réalisées depuis le 1er novembre 1992 par la société SA Valdis, indiquer les prix de vente moyens de ces bagues pratiqués par cette dernière, évaluer l'étendue du préjudice subi par SA MD Jourdan Joaillier et fournir à la Cour tous éléments permettant de déterminer le montant des dommages et intérêts à elle dus, en réparation des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale.

L'expert a déposé son rapport le 31 octobre 1995.

C'est dans ces conditions que la SA MD Jourdan Joaillier, qui approuve totalement la méthode suivie par l'expert, estime, comme ce dernier, avoir subi un préjudice direct chiffré à 8.022.221 F sur la base de 2.950 bijoux commercialisés par la société SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec et demande la condamnation in solidum des 3 sociétés intimées au paiement de cette somme, réactualisée au jour de l'arrêt à intervenir.

Elle relève à cet égard que l'expert a expressément réfuté l'argumentation soutenue par la société SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec en indiquant que le coût de façon sur le prix de revient est très variable d'un bijou à un autre et que plus les matières premières sont onéreuses, telles les pierres, moins la façon pèse proportionnellement sur le prix de revient ; qu'en outre, le coût du sertissage a bien été pris en compte dans le calcul effectué par l'expert du bénéfice net qu'elle aurait pu réaliser sur les bagues référencées 1, 2 et 3 du catalogue " Le manège à bijoux " ; que, par ailleurs, le taux de bénéfice de 2,18 est indépendant de la part de main d'œuvre dans le prix de revient ; qu'enfin, les calculs de l'expert ont été effectués après de minutieuses investigations et une analyse détaillée et contradictoire de chacun des éléments comptables des parties et ne peuvent donc être sujets à caution ; qu'ainsi, c'est à bon droit qu'il a été retenu qu'elle avait un taux de rentabilité de 2,18 ; que la société SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec a d'ailleurs un taux de rentabilité de 1,97, extrêmement proche du sien.

Elle rappelle que les sociétés intimées ont été sanctionnées en raison du fait que les références 1, 2 et 3 du catalogue " Le manège à bijoux " constituaient une contrefaçon de son modèle de bague n° 9560 et qu'elle avaient offert à la vente une ligne de bijoux représentant les mêmes motifs floraux que les siens, créant dans l'esprit de la clientèle une confusion de nature à lui porter préjudice ; que l'expert n'a raisonné qu'en calculant la perte de marge sur ces bijoux à motifs floraux et que la méthode de calcul utilisée est conforme aux principes d'indemnisation du préjudice résultant de la contrefaçon.

Elle souligne qu'elle avait parfaitement la capacité industrielle de produire 2000 bagues référencées 9560 durant les exercices 1992, 1993 et 1994; que c'est du fait de la contrefaçon que la quantité produite a chuté à partir de 1992; que, sans ces agissements, elle aurait pu poursuivre et développer ses ventes d'articles de la ligne " fleur " jusqu'à améliorer sa performance d'au moins 2950 bijoux, et ce, sur trois exercices ; qu'il n'y a pas lieu de distinguer ses ventes réalisées en France et celles faites à l'exportation ; que son chiffre d'affaires aurait pu atteindre en 1993 12 millions de francs, ce qui n'aurait nullement généré pour elle des charges supplémentaires.

Elle note qu'il n'existait pas de produits concurrents à l'époque ; que, sur l'ensemble du territoire, ses bijoux sont proposés et vendus auprès des horlogers-bijoutiers-joailliers répartis sur le territoire français, étant relevé que 272 d'entre eux ont fait un effort particulier de commercialisation de sa production ; qu'elle dispose donc d'une force de vente bien supérieure à celle des manèges à bijoux, présents dans 177 centres Leclerc répartis en France; que le catalogue des manèges à bijoux a été diffusé durant l'hiver 1992-1993 à plus de 8 millions d'exemplaires, de telle sorte qu'en faisant abstraction de la ville de Paris, où ces structures de vente n'existent pas, c'est 42 % de la population active qui en a été destinataire ; que c'est donc toute la clientèle des horlogers-bijoutiers- joailliers que les sociétés intimées ont souhaité détourner ; qu'en outre, la bague et la ligne de bijoux contrefaisantes ont fait l'objet de campagnes de publicité importantes ; qu'enfin, l'expert a relevé que les sociétés intimées ne rapportaient pas la preuve de cette prétendue différence de clientèle, le sondage effectué en 1996 par la Sofres n'étant par ailleurs nullement déterminant à cet égard.

Elle estime que son préjudice direct doit être calculé sur l'intégralité des bijoux incriminés, les 970 articles retournés par la société SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec par les centres Leclerc inclus ; qu'en effet, les ventes ont continué dans les manèges à bijoux après signification de l'arrêt ; que SA JMC Création et Thévenot ont facturé en 1995 quelques pièces et qu'il est loin d'être établi que la société SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec n'a commercialisé ces produits que dans manèges à bijoux ; qu'enfin, ceux-ci n'ont pas été retournés à SA JMC Création, ni à Thévenot, qui, en leur qualité de fabricants, ont tiré bénéfice de leur vente.

Elle indique que l'expert n'a pas chiffré le préjudice indirect qu'elle a indéniablement subi, sa clientèle l'ayant violemment interpellée à la suite des agissements des sociétés incriminées, et son image de marque, comme l'a à juste titre relevé la Cour, ayant été atteinte au moment où son effort de création et de publicité connaissait un succès de mode ; que c'est à la veille des fêtes de Noël de l'année 1992 que les bijoux contrefaisants ont été mis en vente dans le catalogue " E. Leclerc " ; qu'en outre, des bijoux incriminés ont encore été vendus postérieurement au prononcé de l'arrêt, soit pendant la période des fêtes de Noël 1994 ; qu'enfin, le catalogue des manèges à bijoux comporte des indications erronées quand au poids des articles qu'il reproduit, le poids des références n° 1, 2 et 3 étant supérieur à la réalité ; que le préjudice subi de ce fait doit être évalué à 700.000 F, somme que les sociétés intimées seront condamnées à lui payer in solidum ; qu'enfin, la somme de 40.000 F doit lui être allouée en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle sollicite enfin la publication de l'arrêt aux frais des sociétés intimées, dans cinq journaux ou revues de son choix, à concurrence de 20.000 F HT par insertion, et ce, si besoin est, à titre de complément de dommages et intérêts.

La société SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec réplique qu'elle est constituée sous forme de société anonyme coopérative de sélection et de distribution de produits de bijouterie dans la grande distribution, et regroupe exclusivement les adhérents des centres distributeurs E. Leclerc ; que cette adhésion est facultative ; qu'elle fournit ainsi 177 points de vente en France ; que la société SA Valdis exploite un hypermarché à l'enseigne E. Leclerc à Valence et est une de ses adhérentes ; que les sociétés SA René Thevenot et SA JMC Création, ses partenaires, lui ont présenté divers modèles de bijoux à l'occasion de la préparation de la collection de l'hiver 1992-1993 ; que c'est dans ce cadre qu'elle a commandé ces articles, figurant dans son catalogue sous les numéros 1, 2, 3, 4, 8, 13 et 18 ; qu'elle a formé contre l'arrêt rendu par la Cour, un pourvoi en cassation, et a signé avec la société SA Valdis, son adhérente, un protocole de transaction le 5 avril 1995, par lequel elle s'engageait à la relever et garantir de toute condamnation prononcée contre elle ; qu'elle a par ailleurs assigné les sociétés SA René Thevenot et SA JMC Création devant le Tribunal de Commerce de Lyon en réparation contractuelle.

Elle considère que la réclamation de la SA MD Jourdan Joaillier présente un caractère fictif à quatre titres.

Tout d'abord, celle-ci calcule son préjudice par référence à la commercialisation d'une production imaginaire, n'ayant ni fabriqué, ni commercialisé les quatre bijoux référencés sur le catalogue E. Leclerc sous les numéros 4, 8, 13 et 18. Or, seule la commercialisation d'une production effective peut supporter un dommage sous forme de ventes manquées.

Ensuite, l'appelante calcule son prétendu manque à gagner par référence à un ratio de rentabilité fictif, condamné par la lecture de ses bilans et comptes d'exploitation.

La SA MD Jourdan Joaillier prétend également avoir subi un manque à gagner résultant de la commercialisation par elle de 970 articles qu'elle a récupérés auprès des espaces de vente de ses adhérents.

Mais il est constant que la SA MD Jourdan Joaillier n'a pas manqué l'intégralité des ventes réalisées par ses revendeurs. En effet, en 1990, 1991 et 1992, cette dernière n'avait vendu que 225 bagues référencées 9560, dont seulement 60 % en France, de telle sorte qu'elle ne peut prétendre qu'elle aurait pu en céder 2000 en 1993 et 1994. De plus, les produits à motifs floraux qu'elle proposait étaient directement en concurrence avec ceux qu'elle-même commercialisait de façon parfaitement licite ; qu'il n'est en conséquence nullement établi que tous les acheteurs des modèles contrefaisants se seraient nécessairement reportés sur les modèles protégés ; qu'enfin, le mode de commercialisation, les lieux de vente et les prix pratiqués, interdisent de considérer qu'en l'absence de l'offre de vente à elle reprochée, la SA MD Jourdan Joaillier aurait connu le manque à gagner dont elle se plaint.

Elle considère que le calcul du manque à gagner subi par la SA MD Jourdan Joaillier passe par l'abandon des projections théoriques, et la prise en considération de la réalité commerciale et comptable ; qu'à cet égard, l'étude réalisée par la Sofres démontre que le pourcentage de transfert possible d'un achat effectué dans une structure du type " manège à bijoux " au profit d'un joaillier d'une bijouterie de quartier ou d'une galerie marchande est d'environ 5,6 %, pour une valeur d'achat supérieure à 5.000 F ; que les deux facteurs essentiels de l'achat dans les structures spécialisées des hypermarchés sont le caractère attractif du prix et le fait de faire ses courses dans le magasin.

Sur la base des 874 bagues contrefaisantes qu'elle a vendues, elle estime donc que la SA MD Jourdan Joaillier a subi un préjudice de 136.647,60 F, celui résultant de la concurrence déloyale atteignant la somme de 310.506,60 F. Elle demande que ces offres d'indemnisation soient déclarées satisfactoires.

Elle estime que la preuve d'une atteinte importante à son image de marque par la SA MD Jourdan Joaillier reste à faire, ce qui doit conduire à une indemnisation de principe de ce chef de préjudice.

La SA JMC Création conteste le chiffrage par l'expert de son bénéfice avant impôt, qui doit être ramené à 606.650 F. Elle estime également qu'il n'a pas été tenu compte de la nature de la clientèle détournée et de la possibilité pour celle-ci de s'adresser à la société appelante ; qu'il faut donc, soit envisager une contre-expertise, soit étendre la mission de l'expert, pour qu'il recherche précisément tous ces éléments.

Elle se rallie en outre à l'argumentation développée par la SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec.

La SA Valdis indique avoir effectivement signé le 5 avril 1995 un accord avec la SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec aux termes duquel celle-ci s'engageait à la relever et garantir de toute condamnation prononcée contre elle.

Elle soulève cependant l'irrecevabilité de la demande de l'appelante, qui a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, le 17 janvier 1996.

Par ailleurs, elle fait sienne l'argumentation présentée par la SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec.

Motifs de la décision

1.) Sur la recevabilité de la demande

L'extrait du Registre du Commerce versé aux débats par l'appelante et daté du 15 mars 1996 établit que celle-ci est toujours in bonis.

Sa demande est ainsi parfaitement recevable.

2.) Sur le préjudice résultant de la contrefaçon

Le préjudice subi par la victime de la contrefaçon est constitué des gains manqués par le titulaire des modèles contrefaits.

Il convient donc de déterminer tout d'abord la masse contrefaisante.

Or, il résulte du rapport d'expertise que la SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec a acquis auprès de la société SA JMC Création 1365 bagues contrefaisant le modèle n° 9560 créé par la SA MD Jourdan Joaillier ; que si 490 d'entre elles ont été retournées par des centres de distribution et se trouvent ainsi dans les stocks de cette société coopérative, il n'en demeure pas moins que ces bagues ont été vendues par leur fabricant, la SA JMC Création, à la SA Valdis ; qu'ainsi, la SA MD Jourdan Joaillier a bien subi un manque à gagner à ce titre, puisqu'elle aurait pu les fabriquer elle- même qu'il importe donc peu qu'en définitive, aucun consommateur n'ait acquis ces bijoux, la situation étant la même lorsque la SA MD Jourdan Joaillier revend à des horlogers bijoutiers joailliers des produits qui ne trouvent pas preneur.

Pour évaluer les affaires manquées, il sera tenu compte des capacités industrielles et commerciales de la SA MD Jourdan Joaillier, de la distinctivité du modèle et de l'état du marché.

Le catalogue de la SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec a été diffusé pour l'hiver 1992-1993, et donc à compter, au plus tard, de la mi-novembre 1992. C'est donc en tenant compte de l'année 1992 qu'il convient de vérifier si la SA MD Jourdan Joaillier avait la capacité industrielle de fabriquer ces bagues. Or, il est constant, si l'on regarde le nombre de bijoux fabriqués par la SA MD Jourdan Joaillier en 1991, soit 3399, en 1992, soit 2278, en 1993, soit 1424 et en 1994, soit 1459, selon Mr Mariton, expert-comptable de la SA MD Jourdan Joaillier, que cette dernière avait tout à fait la capacité industrielle de fabriquer les quantités acquises par la SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec.

Il ne peut en revanche, être considéré qu'elle avait la même capacité commerciale que la SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec. En effet, même si son réseau de distribution est constitué de 2037 clients répartis sur l'ensemble du territoire et présents dans la quasi-totalité des départements, et que 272 de ses clients, appartenant au Groupe Espace Diamant ou à la Guilde des Orfèvres, ont fait un effort particulier de promotion de la bague contrefaite, il est certain, comme le montre partiellement l'étude réalisée par la Sofres, que les acheteurs qui fréquentent les " Manèges à bijoux " ne sont pas pour la plupart, ceux qui achètent chez des horlogers-bijoutiers-joailliers, étant attirés par la relative modicité des prix et par le fait qu'ils effectuent leurs courses dans l'hypermarché. De plus, ces clients achètent des bijoux à des prix inférieurs, pour la plupart, à 3.000 F, alors que le modèle contrefait le moins onéreux mis en vente par la SA MD Jourdan Joaillier était supérieur à cette somme. Enfin, il est très loin d'être certain que ces acheteurs sont sensibles à l'aspect esthétique du produit et se seraient adressés à un autre type de fournisseur si la SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec n'avait pas vendu ces articles contrefaits.

En outre, même si la réalité de la contrefaçon a été établie, il n'en demeure pas moins que dès mai 1992, d'autres fabricants proposaient des lignes de bijoux à motifs floraux et que le marché était déjà relativement concurrentiel (cf. catalogues de la France Horlogère ou de la Revue Française des Bijoutiers Horlogers).

La marge bénéficiaire réalisée par la SA MD Jourdan Joaillier a été justement fixée par l'expert à 3.292,02 F, 2.117,62 F et 1.617,78 F pour les 3 versions du modèle n° 9560.

Dès lors, et pour tenir compte du fait que la SA MD Jourdan Joaillier ne pouvait manquer que 40 % environ des ventes réalisables par la SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec, lesquelles étaient limitées au territoire français, il convient d'évaluer le préjudice résultant de la contrefaçon à 850.000 F, et ce après déduction de l'impôt sur les sociétés que la SA MD Jourdan Joaillier aurait dû acquitter. La provision de 200.000 F allouée précédemment sera déduite, de telle sorte que la condamnation sera prononcée à hauteur de 650.000 F.

3.) Sur le préjudice direct résultant de la concurrence déloyale

La Cour a jugé que la SA MD Jourdan Joaillier avait été victime de concurrence déloyale, du fait de la fabrication et de la commercialisation, non seulement des bagues contrefaisant le modèle n° 9560 créé par elle, mais également des articles portant les numéros du catalogue " Le Manège à bijoux " E. Leclerc 4, 8, 13 et 18, illustrant la même ligne florale.

Pour réparer ce préjudice, limité au manque à gagner résultant des actes de concurrence déloyale portant sur les articles 4, 8, 13 et 18 du catalogue, il sera tenu compte des observations faites ci-dessus concernant la capacité de commercialisation de la SA MD Jourdan Joaillier, l'état du marché et l'existence d'une relative concurrence sur ce type d'article . En outre, il est constant que la SA MD Jourdan Joaillier n'a pas fabriqué des articles identiques à ceux portant les numéros précités, mais avait la capacité de développer cette ligne.

De plus, il convient de tenir compte du fait que si c'est SA JMC Création qui a fabriqué, non seulement les bagues contrefaisantes, mais également les pendentifs et les bagues portant respectivement les numéros 4 et 13 du catalogue, c'est la SA René Thevenot, qui n'est pas dans la cause, qui a réalisé les articles portant les numéros 8 et 18.

Dès lors, il ne sera tenu compte que d'une masse totale d'articles visés par les actes de concurrence déloyale de 1278.

Ceci étant, il est difficilement contestable, compte tenu des chiffres cités ci-dessus, que la SA MD Jourdan Joaillier avait la capacité industrielle de les réaliser en 3 ans. De plus, c'est à juste titre que l'expert, se basant sur un coefficient multiplicateur de 2,18, tel qu'il se dégage des fiches de prix de revient des trois bagues fabriquées par la SA MD Jourdan Joaillier, et après avoir estimé le coût de fabrication de ces articles, a chiffré le bénéfice avant impôt sur les sociétés à 3.431.093,60 F. En effet, l'incidence du coût de la façon sur le prix de revient étant très variable d'un bijou à un autre, plus les matières premières étant onéreuses et moins la façon pesant proportionnellement dans le prix de revient, il était normal d'opérer une pondération en se basant sur les trois bijoux fabriqués par la SA MD Jourdan Joaillier.

Dans ces conditions, l'indemnisation directe des actes de concurrence déloyale portant sur les articles de la ligne florale non fabriqués par la SA MD Jourdan Joaillier doit être évaluée à la somme de 800.000 F, impôt sur les sociétés déduit. La provision de 200.000 F allouée précédemment sera déduite, de telle sorte que la condamnation sera prononcée à hauteur de 600.000 F.

4.) Sur le préjudice indirect subi par la SA MD Jourdan Joaillier du fait de l'atteinte à son image de marque

Il a été souligné que les détaillants faisant partie du réseau de distribution de la SA MD Jourdan Joaillier avaient, à juste titre d'ailleurs, fort mal ressenti la diffusion du catalogue " Le Manèges à bijoux " , intervenue juste avant la période des fêtes de fin d'année 1992 ; qu'en outre, les produits vendus par la SA MD Jourdan Joaillier sont de très grande qualité, et constituent des articles de luxe ; qu'enfin, les actes des sociétés intimées se sont produits alors que la SA MD Jourdan Joaillier était en pleine période de création, de publicité, et d'exploitation de ses modèles et de son motif floral ; que le préjudice qu'elle a subi est donc aussi réel qu'important.Il sera réparé par l'allocation de 250.000 F.

5.) Sur les demandes accessoires

Il serait inéquitable que la SA MD Jourdan Joaillier conserve à sa charge les frais non inclus dans les dépens d'appel, relatifs au litige subsistant après expertise.

La somme de 25.000 F lui sera en conséquence allouée à ce titre.

Enfin, il n'y a pas lieu, même à titre de dommages et intérêts complémentaires, d'ordonner la publication du présent arrêt, cette mesure ayant été prévue par celui statuant sur le principe des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, ce qui s'avère suffisant.

Par ces motifs, la Cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, constate que les demandes formées par la SA MD Jourdan Joaillier sont recevables, condamne in solidum les sociétés SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec, SA Valdis et SA JMC Création à payer à la SA MD Jourdan Joaillier les sommes de 650.000 F, de 600.000 F et de 250.000 F en réparation des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale subis par elle, les condamne, également in solidum, à lui payer la somme de 25.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, déboute la SA MD Jourdan Joaillier de sa demande tendant à la publication du présent arrêt, condamne in solidum les sociétés SA Coopérative Développement Innovation Leclerc Devinlec, SA Valdis et SA JMC Création aux entiers dépens, incluant les frais d'expertise, avec distraction au profit de Maître Grimaud.