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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 13 août 1996, n° 9601428

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Garage Badina (SARL), société d'exploitation du Garage Badina (SARL)

Défendeur :

Sodifa (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gueudet

Conseillers :

Mme Bertrand, M. Keeffer

Avocats :

Mes Bueb, Jemole, D'Ambra, Boucon, Strohl

TGI Strasbourg, 2e ch. com., du 15 févr.…

15 février 1996

La société d'Exploitation du Garage Badina exploite en qualité de locataire-gérant un fonds de Garage automobile sis 1 rue de l'Eglise à Preuschdorf et un autre fonds de Garage automobile, 1 rue de la Pépinière à Wessembourg, ceux-ci étant la propriété de la société Commerciale du Garage Badina ; aux termes des inscriptions au Registre du Commerce et des sociétés, l'activité exercée par la société d'Exploitation du Garage Badina est la suivante : " réparation autos, commerce de voitures neuves et d'occasion, pneus et accessoires station-service. Importations et exportations de véhicules neufs ou d'occasion au sein ou en dehors de la CEE, soit en qualité de mandataire soit sous toute autre forme juridique en conformité avec la législation en vigueur ".

Se prévalant d'un contrat de concession exclusif, conclu avec le constructeur Citroën, pour la distribution d'automobiles de marque Citroën, dans le secteur de l'Alsace du nord, la SA Sodifa, se fondant sur des publicités que la société Badina avait fait paraître, en date du 1er décembre 1994, assigné cette dernière à jour fixe devant la Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg aux fins de voir dire qu'elle avait contrevenu aux règles du droit communautaire lui faire interdiction de vendre des véhicules de marque Citroën neufs ou immatriculés depuis moins de trois mois, sans avoir reçu au préalable un écrit d'un mandant identifiant ses nom et adresse,

Lui faire interdiction de posséder tout stock de véhicules Citroën neufs ou immatriculés depuis moins de trois mois,

Lui faire interdiction de procéder à toutes publicités portant sur des véhicules Citroën neufs ou immatriculés depuis moins de trois mois, sans se conformer strictement à l'ensemble des dispositions communautaires régissant la publicité des mandataires et notamment la mise en garde expresse précisant que l'annonceur n'est pas revendeur, mais intermédiaire en automobiles, que les voitures proposées ne sont pas disponibles en stock mais ne pourront pas être emportées qu'après avoir reçu préalablement mandat écrit,

Le tout sous astreinte de 100 000 F par infraction constatée,

Et,

Condamner cette société à lui verser une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, avec les intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,

Ainsi qu'une indemnité de 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La partie défenderesse faisait valoir que la société Commerciale Garage Badina n'était que propriétaire d'un fonds de commerce de Garage donné en location à la société d'Exploitation du Garage Badina, dont le siège social était à Preuschdorf, soutenait qu'elle n'exerçait aucune activité susceptible de donner lieu aux infractions versées dans l'assignation et concluait à l'irrecevabilité de l'action et à la condamnation de la demanderesse à supporter les dépens ainsi qu'à lui payer une indemnité de 5 930 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La partie demanderesse appelait alors en intervention forcée la société d'Exploitation du Garage Badina et reprenait à son encontre les mêmes conclusions que celles prises à l'encontre de la société Commerciale Garage Badina, exposant en substance que les deux sociétés entretenaient une confusion entre elles.

Elle leur reprochait de ne pas respecter les obligations des intermédiaires en automobiles résultant de l'article 3-11 du règlement CEE numéro 132-85 du 12 décembre 1984, complété par une communication de la Commission en date du 18 décembre 1991.

Les sociétés demanderesses concluaient à voir :

- déclarer la demanderesse irrecevable en son action contre la défenderesse ad1 pour défaut de légitimation active, en tout cas la débouter de toutes ses conclusions et la condamner aux entiers frais et dépens de l'instance et,

- sur demande reconventionnelle :

- condamner la société Sodifa à payer à la société d'Exploitation du Garage Badina la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts avec les intérêts de droit à compter du jugement,

- ainsi qu'une somme de 71 160 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Elle faisait valoir :

- que le règlement CEE n° 123-85 du 12 décembre 1984, que a une portée générale et obligatoire a seul vocation à s'appliquer,

- que la Communication de la Commission du 18 décembre 1991 n'a pas de pouvoir normatif et qu'un Juge National ne peut en tirer aucune règle applicable à un opérateur exerçant dans un Etat membre,

- que le règlement CEE 123-85 du 12 décembre 1984 concerne l'application de l'article 85 paragraphe 3 du traité et s'applique à des catégories d'accords de distributions et de services de vente et d'après-vente de véhicules automobiles,

- que les règles édictées par le règlement CEE 123-85 ne s'appliquent qu'aux distributeurs et constructeurs entre lesquels interviennent de tels accords,

- que le règlement CEE 123-85 n'édicte pas de règles applicables à des opérateurs qui ne sont ni les constructeurs ni les distributeurs liés par des accords de distribution sélective.

- enfin que la société Sodifa ne prouve pas que son contrat de concession est conforme aux dispositions de la législation communautaire,

- et qu'aucune règle communautaire ne lui impose de procéder à des importations de véhicules automobiles sans avoir au préalable obtenu un mandat d'un utilisateur final.

Elle soutenait qu'elle exerçait son activité sur le fondement du principe communautaire de libre circulation des marchandises.

Par jugement prononcé le 15 février 1996, la deuxième Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg a :

" Dit que la société Commerciale du Garage Badina et la société d'Exploitation du Garage Badina ont contrevenu aux règles du droit communautaire et se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale et illicite,

En conséquence,

Fait interdiction à la société Commerciale du Garage Badina et la société d'Exploitation du Garage Badina de vendre des véhicules de marque Citroën neufs ou immatriculés depuis moins de trois mois sans avoir reçu au préalable mandat écrit d'un mandant identifiant ses nom et adresse,

Fait interdiction à la société Commerciale du Garage Badina et à la société d'Exploitation du Garage Badina de posséder tout stock de véhicules Citroën neufs ou immatriculés depuis moins de trois mois,

Fait interdiction à la société Commerciale du Garage Badina et à la société d'Exploitation du Garage Badina de procéder à toute publicité portant sur des véhicules Citroën neufs ou immatriculés depuis moins de trois mois, sans se conformer strictement à l'ensemble des dispositions communautaires régissant la publicité des mandataires et notamment la mise en garde expresse précisant que l'annonceur n'est pas revendeur, mais intermédiaire en automobile, que les voitures proposées ne sont pas disponibles en stock, mais ne pourront être emportées qu'après avoir reçu préalablement mandat écrit,

Le tout sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée,

Ordonné l'exécution provisoire du jugement dans cette limite,

Condamné la société Commerciale du Garage Badina et la société d'Exploitation du Garage Badina à payer à la société Sodifa une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts au taux légal à compter de ce jour,

Débouté la société Commerciale du Garage Badina et la société d'Exploitation du Garage Badina de leur demande reconventionnelle,

Condamné celle-ci aux dépens, y compris les frais de la procédure sur requête, ainsi qu'à verser à la société Sodifa une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC. "

Selon déclaration du 11 mars 1996, la SARL société Garage Badina et la SARL société d'Exploitation du Garage Badina ont interjeté appel.

En application de l'article 917 et suivants du NCPC, elles ont présenté une requête aux fins d'être autorisées à assigner à jour fixe, requête à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 25 mars 1996, les autorisant à faire assigner la société Sodifa à comparaître devant cette chambre le 4 juin dernier.

Leurs conclusions tendent à voir :

" - déclarer la société Commerciale du garage Badina et la société d'Exploitation du Garage Badina recevables et fondées en leur appel,

- enfermer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- déclarer la société Sodifa irrecevable en tous les cas mal fondée en toutes ses fins et conclusions,

- donner acte à la société Commerciale du Garage Badina de ce qu'elle peut exercer en qualité d'opérateur économique indépendant l'activité de négoce de véhicules automobiles de marque Citroën,

- condamner la société Sodifa à payer à la société d'Exploitation du Garage Badina la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société Sodifa à payer à la société d'Exploitation du Garage Badina et à la société Commerciale du Garage Badina les entiers frais et dépens de la procédure de première instance et d'appel et,

- la condamner en outre à leur payer la somme de 168 640 F au titre de l'article 700 du NCPC,

Au soutien de leur appel, elles font valoir :

1) Sur l'action dirigée contre la société Commerciale Garage Badina :

Qu'il résulte des inscriptions du Registre du Commerce et des sociétés qu'elle est propriétaire d'un fonds de commerce de Garage Automobiles à Preuschdorf et à Wessembourg, fonds qu'elle a donné en location-gérance à la société d'Exploitation du Garage Badina et qu'elle n'exerce donc pas l'activité d'exploitation d'un Garage automobile,

- qu'en conséquence les conclusions dirigées à son encontre sont irrecevables.

2) Sur l'action dirigée contre la société d'Exploitation Garage Badina :

- que l'article 30 du traité instituant la CEE dispose que " les restrictions quantitatives dans l'importation ainsi que toutes mesures d'effets équivalents sont interdites entre états membres, que l'article 85 du même traité interdit tous accords entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché Commun ", de sorte que son activité d'importation de véhicules automobiles peut être exercée librement au regard du droit communautaire,

- que le règlement CEE n° 123-85 est pris dans le cadre des dispositions du traité et prévoit des exemptions aux règles de l'article 85 du traité dans le secteur du marché de l'automobile, mais il énumère les conditions auxquelles doivent répondre les accords conclus entre constructeurs et distributeurs pour bénéficier de l'exemption (article 1er) et qu'aucune disposition du règlement CEE n° 123-85 n'impose de conditions à l'exercice du négoce automobile exploité par un opérateur indépendant comme elle,

- que l'article 3-11 du règlement CEE n° 123-85 a été utilisé par la société Sodifa pour faire naître une ambiguïté consistant à faire croire que cet article imposait les conditions d'exercice à l'activité de négoce de véhicules automobiles exercée par un opérateur indépendant mais que tel n'est pas l'objet de cet article 3-11 du règlement CEE n° 123-85,

- qu'il demande que soient appliqués strictement les dispositions du règlement CEE n° 123-85, précisant que par application de l'article 189 du traité, le règlement seul est directement applicable dans les Etats membres et qu'en présence d'un acte clair, le Juge National n'a pas à interpréter l'acte et le règlement CEE n° 123-85 étant un acte clair, il n'a pas à tenir compte d'une communication de la Commission invoquée par la société Sodifa ;

Elles critiquent le jugement entrepris, soutenant :

- que les Premiers Juges n'ont pas répondu à leur argumentation, inventant des dispositions qui ne se trouvent pas dans le règlement CEE n° 123-85,

- que les Premiers Juges se réfèrent au texte de la communication de la Commission du 18 décembre 1991, alors qu'il résulte de l'article 189 du traité CEE que les actes de la Commission ne lient pas le Juge National et que la communication de la Commission n'a aucun effet normatif,

- et que les Premiers Juges ont interprété le règlement CEE n° 123-85 alors que le Juge National n'a pas compétence pour ce faire, ceux-ci relevant de la Cour de Justice de la Communauté.

Elles ajoutent :

- que les Premiers Juges ont fondé leur jugement sur des dispositions du règlement CEE n° 123-85, qui n'étaient applicables que jusqu'au 30 juin 1995, alors que le jugement a été prononcé le 15 février 1996,

- que le règlement CEE n° 1475-95 est applicable à partir du 1er octobre 1995, celui-ci reprenant une grande partie des dispositions du règlement CEE n° 123-85 mais comportant de nouvelles dispositions, dont l'article 6-1.7, lequel dispose que l'exemption accordée à certaines conditions par le règlement à des accords de distribution de véhicules ne s'applique pas dès lors qu'une des entreprises du réseau restreint directement ou indirectement à la liberté des intermédiaires mandatés de s'approvisionner auprès d'une entreprise du réseau de leur choix à l'intérieur du Marché Commun ;

Qu'il en résulte d'une part que le législateur communautaire a préservé, voire élargi la liberté des opérateurs économiques indépendants des réseaux de distribution de tout autre opérateur, et d'autre part qu'il n'a créé aucune obligation contraire nouvelle à la charge des opérateurs économiques indépendants.

Elles précisent que la jurisprudence de la Cour de Justice conforte leur argumentation, se référant expressément à deux arrêts de cette juridiction du 15 février 1996.

Par mémoire du 3 juin 1996, la SA Sodifa conclut à voir rejeter l'appel, le déclarer irrecevable en tout cas infondé, confirmer le jugement entrepris, condamner solidairement la société Commerciale du Garage Badina et la société d'Exploitation du Garage Badina à lui verser une indemnité de 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et les condamner solidairement à supporter les entiers frais et dépens, y compris ceux de la procédure sur requête.

Elle expose que les sociétés défenderesses lui faisaient concurrence en vendant des véhicules neufs de marque Citroën sur son territoire d'exclusivité, en prétendant exercer l'activité d'intermédiaires en automobile et que les publicités parues s'avéraient contraires aux dispositions de l'article 3-11 du règlement CEE n° 123-85 du 12 décembre 1984, complété par une communication de la Commission en date du 18 décembre 1991, notamment en ce qu'elles entraînaient une confusion manifeste entre la qualification de mandataire par rapport à celle de revendeur ;

Elle relève que les sociétés appelantes ne contestent aucune des infractions qui leur sont reprochées, lesquelles sont parfaitement établies ;

Il résulte de l'article 3-11 du règlement CEE n° 123-85 du 12 décembre 1984, complété par une communication de la Commission du 18 décembre 1991, que l'activité d'intermédiaire en automobile implique la réunion d'un certain nombre de conditions :

- que celui-ci ne peut acheter un véhicule que s'il a auparavant été mandaté par écrit par un mandant identifié,

- qu'il ne peut exposer que des voitures que ses clients ont achetées ou encore des modèles types mais à condition qu'il fasse expressément et lisiblement ressortir qu'il agit comme intermédiaire et non comme revendeur et que de tels modèles type ne sont pas à vendre,

- qu'il ne peut disposer d'aucun stock de véhicules,

- qu'il doit expressément ajouter en matière de publicité une mise en garde appropriée pour indiquer sans équivoque qu'il n'est pas revendeur mais intermédiaire, et,

- qu'il ne doit pas entretenir de confusion dans l'esprit du public quant à la qualification de mandataire n'appartenant pas à un réseau de distribution du constructeur concerné, la mention garantie du constructeur ne pouvant être indiquée ;

Qu'en l'espèce, il ressort des publicités qu'ont fait paraître les sociétés appelantes ainsi que du constat d'huissier établi par Me Zenck, que les annonces parues entraînent une confusion quant à la qualification de mandataire par rapport à celui de revendeur, qu'aucune " mise en garde " conforme aux exigences des textes précités n'est respectée, que les sociétés appelantes exposaient un stock de cinq véhicules neufs de marque Citroën dont la plupart ont été emportés d'Allemagne, lesquels étaient destinés à la vente et que toutes ces infractions sont incontestablement constitutives de concurrence déloyale à son encontre.

Elle soutient :

1) Sur l'action dirigée à l'encontre de la société Commerciale du Garage Badina :

Que selon les publicités produites, les deux sociétés ont entraîné une confusion certaine entre elles, et la société Commerciale du Garage Badina est incontestablement concernée par la présente procédure, de sorte que les deux sociétés devront être tenues solidairement des conséquences de l'arrêt à intervenir ;

2) Sur l'action dirigée à l'encontre de la société Commerciale du Garage Badina et de la société d'Exploitation du Garage Badina :

- que le règlement CEE n° 123-85 du 12 décembre 1984, ayant été adopté sur la base des dispositions de l'article 85-3 du traité de Rome du 25 mars 1957 (permettant l'exemption de certains accords restreignant ou faussant le jeu de la concurrence dès lors que ces accords contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique) doit être interprétée de manière à permettre de protéger les membres d'un réseau de distribution sélectif du secteur automobile, ces mesures étant indispensables, dès lors que les concessionnaires s'engagent à assurer un service de vente et après-vente spécialement adapté au produit ; que les dispositions de l'article 3-11 du règlement ne peuvent être interprétées comme étant uniquement limitées au seul engagement du distributeur à l'égard de l'intermédiaire mais bien comme définissant les modalités d'intervention des intermédiaires ainsi que le confirme la communication de la Commission en date du 18 décembre 1991 ;

- que le règlement n° 1475-95 n'était pas applicable en l'espèce, dans la mesure où au jour où les infractions reprochées ont été constatées, le règlement 123-85 était encore applicable et qu'en tout état de cause les dispositions du nouveau règlement sont quasiment identiques à celles du précédent règlement et ce notamment en ce qui concerne le dernier alinéa du cinquième considérant, ainsi que de l'article 3-11 ;

- et que les décisions de la Cour de Justice des Communautés Européennes, auxquelles les appelantes se réfèrent ne vont nullement dans le sens prétendu par elles puisque la Cour fait parfaitement la distinction entre les revendeurs non agréés et les mandataires qui restent eux soumis aux dispositions de l'article 3-11 du règlement et qu'en l'espèce les sociétés appelantes ne peuvent pas prétendre que leurs activités s'exerçaient en qualité de revendeurs non agréés, cette mention ne figurant d'ailleurs nullement dans les publicités qu'elles ont fait paraître.

Elles maintiennent que la concurrence déloyale dont se sont rendues coupables les sociétés appelantes étant clairement établie, le jugement déféré mérite entière confirmation.

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement produites et les mémoires des parties auxquels il y a lieu de se référer pour plus ample exposé de leurs moyens :

Attendu que selon contrat de concession qu'elle a conclu en date du 6 janvier 1992 avec la SA Automobile Citroën, la société Sodifa est devenue concessionnaire exclusif de cette marque pour l'Alsace du Nord ;

Que se fondant sur ce contrat, elle a assigné la société Commerciale Garage Badina et la société d'Exploitation du Garage Badina, en réparation d'acte de concurrence déloyale, leur reprochant d'avoir en qualité d'intermédiaire en automobile fait paraître des publicités sans " mise en garde " conforme aux exigences des textes communautaires et de nature à entraîner une confusion quant à sa qualité de mandataire par rapport à celle de revendeur, enfin d'avoir exposé un stock de cinq véhicules neufs, dont la plupart ont été importés d'Allemagne sans être en mesure de produire à l'huissier un mandat que leur aurait été donné par un utilisateur final, pas plus qu'un document justifiant de l'origine des véhicules ;

Attendu cependant que l'article 30 du traité du 25 mars 1957 instituant la CEE dispose que " les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toute mesure d'effet équivalent sont interdites entre Etats membres " ; que l'article 85 du même traité interdit tous accords entre entreprises, qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché Commun ; que le règlement CEE n° 123-85, pris dans le cadre des dispositions du traité prévoit des exemptions aux règles de l'article 85 du traité relativement au secteur du marché de l'automobile ; qu'ainsi " les clauses concernant la distribution exclusive et sélective doivent être tenues pour rationnelles et indispensables dans le secteur des véhicules automobiles qui sont des biens meubles de consommation imprévisibles et en des lieux variables, des entretiens et des réparations spécialisés. Les constructeurs automobiles coopèrent avec les distributeurs et ateliers sélectionnés afin d'assurer un service de vente et d'après-vente spécialement adapté aux produits... " ; que ce règlement énumère les conditions auxquelles doivent répondre les accords conclus entre constructeurs et distributeurs pour bénéficier de l'exemption et notamment les conditions auxquelles sont soumis d'une part les constructeurs et d'autre part les distributeurs concluant de tels contrats ; qu'aucune disposition dudit règlement ne prohibe cependant l'exercice du négoce automobile par un opérateur indépendant, ne l'astreint à des conditions particulières ;

Que la société Sodifa invoque cependant l'article 3-11 dudit règlement, soutenant que la société du Garage Badina ne se conformait pas aux exigences de cet article du règlement CEE n° 123-85 du 12 décembre 1984 complété par une communication de la Commission en date du 18 décembre 1991 ; qu'elle fait valoir que l'activité d'intermédiaire en automobile impliquait notamment :

- que celui-ci ne puisse acheter un véhicule que s'il a été auparavant mandaté par écrit par un mandant identifié (nom et adresse),

- que celui-ci ne fasse exposer que des voitures que ses clients ont achetées ou encore des modèles type, mais à condition qu'il fasse expressément et visiblement ressortir qu'il agit comme intermédiaire et non revendeur et que de tels modèles type ne sont pas à vendre ; qu'il ne peut donc disposer d'aucun stock de véhicules,

- qu'il doit expressément ajouter en matière de publicité " une mise en garde appropriée " pour indiquer sans équivoque qu'il n'est pas un revendeur mais qu'il agit comme intermédiaire, et

- qu'il ne doit pas introduire de confusion dans l'esprit du public quant à sa qualification de mandataire n'appartenant donc pas à un réseau de distribution du constructeur concerné ;

Attendu qu'il résulte cependant de la lecture de l'article 3.11 que " l'exemption accordée au titre de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE s'applique également lorsque l'engagement décrit à l'article 1er lié à l'engagement du distributeur... de ne vendre les véhicules automobiles de la gamme visée par l'accord ou des produits correspondant à des utilisateurs finales utilisant les services d'un intermédiaire que si ces utilisateurs ont auparavant mandaté par écrit l'intermédiaire pour acheter et, en cas d'enlèvement par celui-ci pour prendre livraison d'un véhicule automobile déterminé " ; que cette disposition ne concerne à l'évidence que les rapports constructeurs et distributeurs car elle se limite à autoriser ceux-ci, liés par un contrat de distribution, à inclure dans leurs accords une interdiction faite au distributeur (qui a signé le contrat) de vendre à un intermédiaire non muni d'un mandat de l'utilisateur final ; que cette disposition n'interdit cependant pas le commerce de voitures automobiles par un opérateur indépendant de ce réseau de distribution ;

Que si la société Sodifa se réfère à une communication de la Commission des communautés du 18 décembre 1991 pour imputer à la société Garage Badina des infractions dont il est fait état plus haut, cette société reconnaît elle-même que des communications de la Commission ne sont pas des actes ayant une portée normative ; que seul le règlement est d'effet immédiatement applicable par un Juge National ; qu'en l'espèce, les Premiers Juges ont interprété le règlement CEE n° 123-85, alors qu'en application de l'article 177 du traité du traité CEE, la Cour de Justice des Communautés a compétence exclusive pour interpréter les actes des institutions de la communauté ;

Que le règlement CEE n° 123-85 (en vigueur lors des faits litigieux) n'interdisait pas l'activité des opérateurs économiques indépendants et ne mettait à leur charge aucune obligation; que le règlement n° 1475-95 applicable à partir du 1er octobre 1995 n'a d'ailleurs nullement restreint la liberté des opérateurs économiques indépendants des réseaux de distribution, lesquels peuvent s'approvisionner librement auprès d'un réseau de distribution ou de tout autre opérateur à l'intérieur du Marché Commun;

Que les communications de la Commission n'ont pour objet que de clarifier certaines notions utilisées par le règlement mais ne peuvent en modifier la portée ; qu'en l'espèce, les sociétés du Garage Badina (entre lesquelles une confusion certaine a été entretenue, les publicités parues mentionnant simplement société Garage Badina et portant indication de l'un ou l'autre des deux sièges sociaux ainsi que les numéros de téléphone de la société Commerciale du Garage Badina) qui n'étaient ni revendeurs agréés de réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée, pouvaient s'approvisionner auprès d'une entreprise du réseau de leur choix à l'intérieur du Marché Commun, ce qu'elles ont fait sans contrevenir au règlement CEE applicable ;

Attendu par ailleurs, qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut leur être reproché, qu'en effet, dans toutes les publicités dont il est fait état et qui sont produites au dossier, il apparaît clairement que le Garage Badina est un Garage " multi-marques ", certaines comportant la mention " commerçant indépendant de l'automobile " d'autres celles de " véhicules emportés CEE - mandataire CEE 123-85 ", d'autres " import véhicules CEE par mandat CEE 123-85, en termes parfaitement apparents; que la qualité de vendeur multi-marques de véhicules neufs et d'occasion du Garage Badina est patente dans toutes ses publicités, lesquelles révèlent à l'évidence qu'il ne s'agit pas d'un concessionnaire Citroën, même si la mention spécialiste Citroën figure sur certaines publicités; qu'en ce que concerne les véhicules, objet des deux procès-verbaux de constat dressés par huissier, il convient d'observer qu'au Garage Badina de Preuschdorf, aucune voiture neuve n'était détenue en stock (ni de la marque Citroën ni d'une autre marque) et qu'en ce qui concerne celles qui se trouvaient au Garage Badina 1 rue de la Pépinière à Wessembourg, à l'exception de deux véhicules en cours de livraison, tous les autres comportaient une affiche à l'avant précisant le prix du modèle exposé et la mention " vendu " et " nous pouvons vous procurer la même ", de sorte que la clientèle n'est pas induite en erreur, mais parfaitement informée de la qualité d'opérateur indépendant et non pas de concessionnaire Citroën du Garage Badina.

Attendu en conséquence qu'il y a lieu d'infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau de débouter la société Sofida des fins de sa demande et de donner acte à la société Commerciale du Garage Badina de ce qu'elle peut librement exercer en qualité d'opérateur économique indépendant l'activité de négoce de véhicules automobiles notamment de la marque Citroën ;

Attendu que la société d'Exploitation du Garage Badina réclame la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts ; qu'elle ne fournit cependant aucun justificatif du préjudice dont elle fait état, se limitant à produire dans une chemise " frais et dommages et intérêts " des extraits du Registre du Commerce et des sociétés et un procès-verbal de constat d'huissier ; que cette seule intervention d'un huissier à l'initiative de la société Sofida ne justifie pas la réalité de l'important préjudice invoqué ; il y a lieu en conséquence de débouter la société d'Exploitation du Garage Badina de sa demande de dommages et intérêts.

Attendu qu'il y a lieu de condamner la société Sodifa, dont la demande n'était pas fondée, à supporter les entiers frais et dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la société Commerciale du Garage Badina et à la société d'Exploitation du même Garage une somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC et de les débouter du surplus de leur demande.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel interjeté par la SARL société Commerciale du Garage Badina et par la SARL société d'Exploitation du Garage Badina contre le jugement prononcé le 15 février 1996 par la Deuxième Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg réguliers et recevables en la forme, Les dit bien fondés, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau : Déboute la SA Sodifa des fins de sa demande, Donne acte à la société Commerciale du Garage Badina de ce qu'elle peut librement exercer en qualité d'opérateur économique indépendant l'activité de négoce de véhicules automobiles, notamment de la marque Citroën, Déboute la société d'Exploitation du Garage Badina de sa demande de dommages et intérêts, Condamne la société Sodifa à supporter les entiers frais et dépens de la procédure de première instance et d'appel, Ainsi qu'à payer aux sociétés appelantes une somme globale de 20 000 F (vingt mille francs) en application des dispositions de l'article 700 du NCPC. Déboute les parties de toutes autres conclusions plus amples et contraires.