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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 1 août 1996, n° 9400135

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Centre d'Étude pour le Développement et la Promotion de l'Artisanat du Bâtiment de l'Indre

Défendeur :

Boterf, Arnaud, Bonne, SCAGEC (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Baudron

Conseillers :

MM. Gayat de Wecker, Gouilhers

Avoués :

Mes Tracol, Guillaumin

Avocats :

Mes Patureau-Mirand, Masson.

TGI Châteauroux, du 14 sept. 1993

14 septembre 1993

La Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB), organisme syndical, a créé pour ses adhérents en 1981 un service d'aide à la comptabilité et à la gestion.

Le 30 janvier 1985 ce service a acquis une existence juridique propre sous forme d'association de la loi du 1er juillet 1901 dénommée Centre d'Etude pour le Développement et la Promotion de l'Artisanat du Bâtiment de l'Indre (CEDP).

Son rôle consistait à effectuer le suivi de la comptabilité de ses adhérents et à la soumettre, après vérification, au visa d'un expert comptable, soit en l'occurrence la Société de Conseil et D'assistance en Gestion et Comptabilité (SCAGEC) dont le gérant était Jean-Jacques Boterf.

Enfin le 31 mars 1989, le CEDP est devenu centre de gestion agréé par l'administration fiscale, d'une part en raison du nombre d'adhérents qu'il réunissait, et d'autre part en raison de l'indépendance qu'il avait acquise par rapport à la CAPEB, syndicat fondateur. Cet agrément conférait aux adhérents du CEDP, lorsqu'ils avaient opté pour l'imposition sur le bénéfice réel, la possibilité d'obtenir l'abattement fiscal de 20 % prévu par la loi. Par ailleurs, l'activité du CEDP, ayant un caractère lucratif, était soumise à l'impôt sur les sociétés ;

Michel Bonnet et Josiane Arnaud, membres du personnel administratif du CEDP sur lesquels reposait pour une large part l'organisation de ce service, donnèrent leur démission, le premier à effet au 29 octobre 1989 et la seconde à effet au 18 décembre 1989. Dans les trois mois qui suivirent, la CEDP constata qu'une soixantaine de ses adhérents demandèrent à se retirer, sollicitant un certificat de radiation.

Soupçonnant que ces défections étaient l'œuvre de l'expert-comptable Boterf aidé par ses deux anciens salariés Bonnet et Arnaud, le CEDP a été autorisé par ordonnance sur requête à faire procéder à toutes constatations utiles dans les locaux de la SCAGEC. C'est ainsi que le 2 février 1990, l'huissier de justice requis constatait la présence dans les bureaux de ladite société de Josiane Arnaud et de Michel Bonnet, et découvrait des répertoires d'adresses, des programmes de travail et des agendas comportant les noms de nombreux adhérents ou anciens adhérents du CEDP.

Par acte du 8 septembre 1990, le CEDP a fait assigner :

- Jean-Jacques Boterf pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant de la SCAGEC,

- Josiane Arnaud;

- Michel Bonnet, demandant au Tribunal de :

- constater que les agissements de Jean-Jacques Boterf ès-qualités de gérant de la SCAGEC et à titre personnel, de Josiane Arnaud et de Michel Bonnet, sont constitutifs de concurrence déloyale,

- constater que son préjudice financier s'élève à la somme de 2 891 000 F, et son préjudice moral et commercial à la somme de 100 000 F,

- condamner solidairement les susnommés à lui payer lesdites sommes,

- ordonner les défendeurs à lui payer une indemnité de 10 000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens comprenant le coût du constat.

Les défendeurs se sont opposés à ces prétentions :

- en soulevant la nullité du constat d'huissier, dressé selon eux dans des conditions irrégulières,

- en soulevant l'irrecevabilité de l'action du CEDP, association sans but lucratif qui ne peut avoir de clientèle,

- en soutenant que le détournement de clientèle invoqué n'est pas établi, non plus que la captation du personnel.

C'est à la suite des circonstances que par jugement du 14 septembre 1993 le Tribunal de Grande Instance de Châteauroux a :

- déclaré recevable l'action du CEDP en concurrence déloyale en raison de l'activité commerciale qu'il exerce et de la clientèle dont il bénéficie,

- dit toutefois que la preuve d'agissements fautifs constitutifs de manœuvres déloyales n'est pas suffisamment rapportée,

- débouté en conséquence le CEDP de toutes ses prétentions,

- débouté les défendeurs de leurs demandes reconventionnelles en dommages et intérêts,

- dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à leur profit,

- condamné le CEDP aux dépens.

Celui-ci a régulièrement relevé appel de cette décision par déclaration reçue au Greffe de la Cour le 29 novembre 1993.

Il soutient essentiellement à l'appui de sa contestation :

- que c'est à juste titre que le premier juge lui a reconnu le droit d'agir en concurrence déloyale dès lors qu'il exerce une activité de caractère commercial impliquant une exigence de rentabilité économique et donc le droit à la protection de sa clientèle commerciale, alors surtout que la réduction du nombre de ses adhérents crée un risque de retrait de l'agrément donné par l'administration fiscale et donc fragilise son existence même,

- que de même, c'est à bon droit que le Tribunal a déclaré valable constat d'huissier du 2 février 1990, Jean-Jacques Boterf en pouvant se prévaloir d'une violation du secret professionnel alors qu'à aucun moment il n'a réclamé la présence du Président du Conseil de l'Ordre des Experts-Comptables à l'huissier ni n'a saisi le Juge des Référés, et que ce moyen a donc été soulevé tardivement,

- qu'il y a eu débauchage de personnel puisque deux de ses salariés ont présenté leur démission dans le même temps, puis ont été immédiatement engagés par la SCAGEC, la simple concomitance de la démission, et de l'embauche de Michel Bonnet et de Josiane Arnaud étant démonstratives de promesses faites et de manœuvres déloyales,

- que ce débauchage avait pour but d'attirer la clientèle que les salariés concernés étaient chargés de visiter et qu'il caractérise donc la concurrence déloyale,

- qu'il est faux de prétendre que ces deux salariés auraient quitté le CEDP en raison des mauvaises conditions de travail qui étaient les leurs et que le caractère concerté de leur passage au service de la SCAGEC ressort du fait qu'ils n'ont pas cherché de travail auprès d'un autre employeur,

- qu'il y eu d'autre part captation de clientèle par l'exploitation systématique de son fichier et par des démarchages opérés par Michel Bonnet et Josiane Arnaud dans des locaux distincts du siège de la SCAGZ afin d'éviter les indiscrétions,

- que cette captation de clientèle s'est traduite par le départ massif d'adhérents qui ont fait parvenir au CEDP des lettes de démission presque toutes recopiées sur le même modèle sans que ces défections puissent s'expliquer par la confiance placée en Jean-Jacques Boterf que la plupart des adhérents ne connaissaient que fort peu, alors qu'en revanche elles ont exactement correspondu au départ de Michel Bonnet d'abord et à celui de Josiane Arnaud ensuite, salariés avec lesquels les adhérents étaient habitués à traiter leurs affaires,

- que les programmes de travail trouvés par l'huissier démontrent que la mission confiée par la SCAGEC à Michel Bonnet et Josiane Arnaud consistait à reprendre la clientèle du CEDP et non celle du Cabinet Laluc qu'elle avait rachetée,

- que Jean-Jacques Boterf a méconnu la déontologie des experts-comptables en démarchant une clientèle,

- qu'ainsi c'est à tort que le Tribunal n'a pas tiré la conséquence des faits établis à l'encontre des intimés et constaté que ceux-ci avaient commis des actes de concurrence déloyale,

- qu'il n'y a pas lieu de mettre Jean-Jacques Boterf personnellement hors de cause car les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés ont été commis au bénéfice de la SCAGEC dont il est le gérant de sorte qu'il en a indirectement tiré un profit personnel,

- que le CEDP a, en fait perdu cinquante neuf adhérents, soit une perte de chiffre d'affaires de 7 000 F par adhérent, tandis que dans le même temps le chiffre d'affaires de la SCAGEC augmentait de 100 % et qu'il lui a fallu cinq ans pour retrouver le même nombre d'adhérents , de sorte que son préjudice s'élève à :

59 X 7 000 X 7 = 2 891 000 F

L'association appelante demande en conséquence à la Cour de :

- confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a déclaré le CEDP recevable à agir en concurrence déloyale, déclaré valable le constat du 2 février 1990, et reconnu Jean-Jacques Boterf solidaire des autres intimés, et réformant pour le surplus,

- constater que la SCAGEC , Jean-Jacques Boterf personnellement, Michel Bonnet et Josiane Arnaud ont commis à son détriment des actes constitutifs de concurrence déloyale,

- les condamner solidairement à lui payer :

( la somme de 2 891 000 F en réparation de son préjudice financier,

( la somme de 100 000 F en réparation de son préjudice moral,

( une indemnité de 10 000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans deux journaux à diffusion locale aux frais de la SCAGEC et sur les locaux de la SCAGEC pendant six mois au moins.

Formant appel incident, la SARL SCAGEC, Jean-Jacques Boterf, Josiane Arnaud et Michel Bonnet concluent à ce qu'il plaise à la Cour de réformer la décision attaquée et :

- déclarer le CEDP irrecevable en son action en concurrence déloyale,

- mettre Jean-Jacques Boterf pris personnellement hors de cause,

- condamner le CEDP à leur payer à chacun la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'une indemnité de 15 000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Ils font principalement valoir à cet effet :

- que c'est à tort que le premier juge a estimé valable le constat d'huissier du 2 février 1990 alors que, tenu au secret professionnel, Jean-Jacques Boterf n'a pu bénéficier de l'assistance du Président du Conseil de l'Ordre ou de son délégué malgré la demande qu'il a présentée à cet effet à l'huissier,

- que ledit constat est en outre dénué de toute valeur probante dans la mesure où l'huissier a comparé les noms des clients de la SCAGEC figurant sur les agendas, programmes de travail et répertoires d'adresses du personnel de cette société avec les listes d'adhérents de la CAPEB, syndicat professionnel d'artisans du bâtiment, personne morale entièrement distincte du CEDP et dont les adhérents ne sont pas forcément ceux de ce centre de gestion agréé,

- que c'est encore à tort que le Tribunal a déclaré recevable l'action en concurrence déloyale engagée par le CEDP alors qu'il s'agit d'une association qui, comme telle, ne peut avoir qu'un but désintéressé, qui n'est pas maître de son devenir puisque soumise à l'agrément de l'administration fiscale et qui ne peut prétendre à la protection d'une clientèle commerciale dès lors que son capital ne s'élève qu'à la somme dérisoire de 9 558 F, qu'elle ne possède aucun bien ou garantie et que ses adhérents et administrateurs ne peuvent être déclarés personnellement responsables de leurs engagements en vertu de l'article 10 de ses statuts, de sorte que la notion économique n'est pas prépondérante dans son activité,

- que Jean-Jacques Boterf ne saurait être poursuivi à titre personnel car si des faits de concurrence déloyale pouvaient lui être reprochés, il ne serait pas possible de les détacher de sa fonction de gérant de la SCAGEC, le CEDP paraissant d'ailleurs s'en remettre à justice sur ce point,

- qu'il n'y a pas de débauchage de personnel, Michel Bonnet et Josiane Arnaud ayant quitté le CEDP en raison de mauvaises conditions de travail qui leur étaient faites au sein de cet organisme et n'ayant été engagés à la SCAGEC qu'après avoir effectué de nombreuses demandes d'embauche, ce alors que ladite société a engagé six salariés pour assurer la charge de travail supplémentaire provoquée par le rachat de la clientèle du Cabinet Laluc,

- qu'il n'y a pas davantage eu de captation de clientèle, le constat d'huissier du 2 février 1990 n'étant nullement probant à cet égard ainsi qu'il a été dit ci-dessus et alors qu'en outre certains adhérents du CEDP se sont retirés de cet organisme à compter du 1er décembre 1989 en raison des tensions internes qui y régnaient puis, pour partie d'entre eux seulement, se sont adressés à la SCAGEC qui, jusqu'alors, avait toujours supervisé leur comptabilité dont le CEDP assurait seulement le suivi,

- qu'en aucun cas il n'y a eu de la part de Jean-Jacques Boterf racolage de clientèle ni dénigrement du CEDP et qu'au contraire il établit qu'il a exhorté les adhérents du CEDP à réfléchir avant de se retirer de cet organisme,

- que la location d'un local annexe par la SCAGEC était une nécessité induite par le rachat de la clientèle du Cabinet Laluc et non une manœuvre destinée à lui permettre d'exercer de façon occulte une activité coupable,

- qu' hormis une attestation, d'ailleurs irrégulière et sur les termes de laquelle son auteur est revenu, aucun des anciens adhérents du CEDP n'a déclaré avoir été démarché par la SCAGEC,

- qu'il est à noter que la SCAGEC n'a nullement consenti aux anciens adhérents du CEDP des conditions plus favorables que celles dont ils bénéficiaient au sein de cet organisme,

- qu'enfin, sur le moyen tiré de la captation de clientèle, il convient d'observer que Josiane Arnaud et Michel Bonnet n'étaient pas liés au CEDP par une clause de non-concurrence de sorte qu'il ne peut être imputé à faute à la SCAGEC de les avoir employés,

- que, s'agissant du préjudice allégué, le CEDP ne sait pas s'il a perdu cinquante neuf ou soixante de ses adhérents, que ses calculs sont entachés d'erreurs grossières et reposent sur des bases fantaisistes ce qui démontre la totale imperméabilité de ses dirigeants aux notions comptables les plus élémentaires, étant observé que l'accroissement du chiffre d'affaires et des charges de la SCAGEC est la conséquence du rachat de la clientèle du cabinet Laluc et de l'embauche de personnel supplémentaire qui en a été la suite.

Sur quoi, la Cour

Attendu sur la recevabilité de l'action en concurrence déloyale engagée par le CEDP à l'encontre des intimés qu'il convient de rappeler qu'un acte de concurrence s'effectue dans le cadre de la recherche de la clientèle, ce qui suppose que cette clientèle existe mais aussi qu'il s'agisse d'une clientèle commune ;

Qu'il en résulte que l'action en concurrence déloyale est ouverte à tourtes les personnes exerçant une activité qui développe une clientèle;

Qu'il en est ainsi au premier chef des commerçants, mais aussi des professions libérales ou des exploitants agricoles ;

Attendu en revanche que l'action en concurrence déloyale est étrangère aux organismes qui, telles les associations, se situent en dehors de la vie économique ou bien qui, tout en participant au circuit des échanges économiques, ne sont pas titulaires d'une clientèle, ce qui est le cas des organismes mutualistes ou des coopératives;

Attendu certes, qu'une association, groupement de personnes à but désintéressé qui n'a pas la possibilité de distribuer des bénéfices, peut exercer une activité économique ;

Qu'elle est en ce cas soumise à l'impôt sur les sociétés non pas, comme l'écrit à tort le premier juge, parce qu'elle se livre à des activités à caractère commercial, mais beaucoup plus simplement parce qu'elle accomplit "une exploitation ou des opérations de caractère lucratif" selon la définition de l'article 206-1 du Code Général des Impôts ;

Qu'il importe, en effet, de distinguer activités lucratives et activités commerciales, puisque si toutes les activités commerciales sont nécessairement lucratives, l'inverse n'est pas vrai, les commerçants exerçant seuls des activités commerciales, tel étant l'objet même de leur profession dont le but est de dégager des bénéfices ce qui ne saurait être celui d'une association ;

Attendu qu'assurément une association peut être propriétaire d'un fonds de commerce ainsi que l'a relevé le premier juge ;

Que dans un tel cas, elle n'en a pas pour autant la qualité de commerçante, l'exploitation de ce fonds de commerce n'étant pas l'objet même de l'association considérée mais seulement l'un des moyens d'atteindre les buts associatifs qui ont été définis dans ses statuts ;

Qu'en outre, si une clientèle est effectivement attachée à ce fonds de commerce et peut donc permettre l'action en concurrence déloyale soit par l'association, soit contre elle, ce ne peut être qu'à raison de l'exploitation de ce fonds de commerce, par définition ouvert au public parmi lequel elle se sera constitué une clientèle, et en aucune manière à raison de ses activités associatives ouvertes à ses seuls adhérents ;

Attendu en effet qu'il existe entre une association, même exerçant des activités lucratives, et ses adhérents des liens qui excluent toute notion de clientèle, d'où il suit qu'aucun acte de concurrence déloyale impliquant l'intention de s'approprier la clientèle d'autrui ne peut lui être reproché et que de même, elle ne saurait faire grief à quiconque d'avoir tenté de capté une clientèle qu'elle ne possède pas ;

Attendu qu'en l'espèce, il est constant que le CEDP est une association en tous points soumise aux principes édictés par la loi du 1er juillet 1901, particulièrement à l'article 1er de ce texte selon lequel elle ne peut avoir pour but de partager des bénéfices;

Qu'il est également constant qu'elle n'exploite pas un fonds de commerce ouvert au public mais exerce seulement des activités lucratives consistant en des services d'assistance à la gestion et à la tenue de comptabilité, lesquels services sont, en vertu de l'article 2 de ses statuts, réservés à ses seuls adhérents qui, pour pouvoir en bénéficier, sont tenus d'acquitter la cotisation annuelle prévue à l'article 7 desdits statuts ;

Attendu dans ces conditions qu'il est établi que le CEDP dont les activités lucratives s'exercent au profit de ses seuls adhérents ne possède pas de clientèlecontrairement à la SARL SCAGEC, société commerciale d'expertise comptable dont le but est de dégager des bénéfices en proposant ses services au public ;

Qu'ainsi ces deux personnes morales ne pouvaient se trouver en situation de concurrence ;

Que dès lors c'est à tort que le premier juge a déclaré le CEDP recevable à exercer l'action en concurrence déloyale à l'encontre de la SCAGEC, de Jean-Jacques Boterf, de Michel Bonnet et de Josiane Arnaud ;

Qu'il échet en conséquence de réformer sur ce point le jugement entrepris et de déclarer le CEDP irrecevable en son action en concurrence déloyale à l'encontre des susnommés ;

Attendu cependant que le CEDP fait justement observer que dans la mesure où l'agrément qui lui est donné par l'administration fiscale dépend du nombre de ses adhérents, tout comportement fautif tendant à convaincre lesdits adhérents de se retirer de l'association compromet son existence même et lui cause donc un préjudice ;

Qu'un tel comportement fautif engage la responsabilité de son auteur en application de l'article 1382 du Code Civil et qu'il appartient au CEDP qui s'en plaint d'en rapporter la preuve ;

Attendu que les seules pièces sur lesquelles le CEDP fonde sa demande en dommages et intérêts sont un constat d'huissier du 2 février 1990 et une attestation datée du 22 janvier 1990 et signée de Jean-Louis Bidault ;

Que la Cour écartera d'emblée cette attestation qui ne répond à aucune des exigences de l'article 202 du Nouveau Code de Procédure Civile, n'étant même pas manuscrite, ne comportant pas les mentions prévues aux alinéas 2 et 3 du texte précité et n'étant accompagnée d'aucune pièce d'identité en original ou en photocopie, alors surtout qu'elle est entièrement contredite par une attestation du même Bidault, datée du 10 février 1990 et régulière en la forme;

Attendu sur le procès-verbal de constat d'huissier du 2 février 1990, que la SCAGEC exerce une activité d'expertise-comptable et qu'elle est tenue comme telle au secret professionnel ;

Que les experts-comptables, organisés en ordre professionnel, ont droit, en cas d'investigations dans leurs locaux professionnels autorisées par justice, à être assistés du Président du Conseil de l'Ordre ou de son délégué ;

Que la méconnaissance de ce droit n'est toutefois qu'une simple irrégularité qui n'est susceptible d'entraîner la nullité de l'acte qu'au cas où il est établi qu'elle a eu pour conséquence une violation des droits de la défense ;

Attendu à cet égard qu'ainsi que le premier juge l'a fort pertinemment relevé, Jean-Jacques Boterf, gérant de la SCAGEC, n'a formulé aucune observation auprès de l'huissier charger d'instrumenter, qu'il n'a pas réclamé l'assistance du Président du Conseil de son Ordre, ni fait obstacle à toute mesure d'investigation en saisissant le Juge des Référés pour trancher toute difficulté qui aurait pu être élevée sur ce point par l'huissier ;

Qu'il apparaît donc que ce moyen est tardif et de pure circonstance, Jean-Jacques Boterf ne pouvant alléguer son souci de voir l'huissier quitter ses locaux professionnels au plus vite et sans incident pour justifier son absence de réaction à ce qu'il prétend être une violation du secret professionnel dont il est gardien ;

Que c'est par conséquent à juste raison que le Tribunal a refusé d'écarter des débats ledit procès-verbal de constat ;

Attendu qu'il ne résulte d'aucune des constatations minutieuses effectuées par l'huissier que la SCAGEC, son gérant ou ses préposés se soient livrés, de quelque façon que ce soit, au dénigrement du CEDP afin d'inciter les adhérents de cette association à la quitter ;

Attendu de façon plus générale que les intimés font observer à juste titre que ce constat est dépourvu de valeur probante ;

Qu'en effet l'huissier avait reçu mission de comparer les noms des clients de la SCAGEC avec une liste que le CEDP, son mandant, lui avait remise ;

Or, attendu que cette liste, annexée au procès-verbal de constat, est une liste des adhérents de la CAPEB, syndicat professionnel des artisans du bâtiment, dont la personnalité juridique, les buts et les services qu'elle offre à ses membres sont entièrement distincts de ceux du CEDP et sans aucun rapport ;

Qu'au reste tous les adhérents de la CAPEB ne sont pas membres du CEDP, tant s'en faut, bien que cette association ait été créée par le syndicat pour ses adhérents ;

Qu'ainsi le constat du 2 février 1990 établit seulement qu'un certain nombre de clients de la SCAGEC sont des adhérents de la CAPEB, syndicat professionnel, mais nullement qu'ils sont adhérents du CEDP, centre de gestion agréé ;

Attendu d'ailleurs et surabondamment qu'à supposer qu'il soit établi que certains des clients de la SCAGEC dont l'huissier a trouvé les noms sur les programmes de travail, agendas et autres répertoires de Michel Bonnet et Josiane Arnaud, dont d'anciens adhérents du CEDP, cette association ne rapporte nullement la preuve de ce que les personnes concernées auraient été malicieusement incitées à s'en retirer dans le but d'aboutir au retrait d'agrément de l'administration fiscale et par l'emploi de moyens fautifs tels le dénigrement dudit CEDP ;

Qu'en tout cas, dans le cadre d'une simple action en responsabilité civile, le seul fait que d'anciens adhérents du CEDP aient quitté cette association pour confier leurs intérêts à la SCAGEC ne saurait en lui-même être considéré comme fautif non plus que le fait par ladite société d'avoir embauché d'anciens salariés du CEDP alors surtout que les contrats de travail liant cette association à Michel Bonnet et à Josiane Arnaud ne comportait aucune clause leur interdisant de s'engager au service d'un expert-comptable en cas de rupture dudit contrat de travail ;

Attendu dans ces conditions que la décision querellée ne pourra qu'être confirmée en ce qu'elle a débouté le CEDP de ses demandes de dommages et intérêts ;

Attendu que la SCAGEC, Jean-Jacques Boterf, Michel Bonnet et Josiane Arnaud ne démontrent pas que le CEDP ait agi à leur encontre dans le seul dessein de leur nuire ni qu'il en soit résulté pour eux un préjudice quelconque ;

Qu'ils seront en conséquence déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Attendu en revanche que les mêmes, pour assurer la défense de leurs intérêts devant la Cour, ont été contraints d'exposer des frais non inclus dans les dépens qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser, au moins pour partie, à la charge du CEDP ;

Que cette association sera condamnée à payer à chacun d'eux une indemnité de 5 000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, En la forme, déclare recevables tant l'appel principal que l'appel incident. Au fond dit le second seul justifié. Réformant déclare le Centre d'Etude pour le Développement et la Promotion de l'Artisanat du Bâtiment de l'Indre (CEDP) irrecevable en son action en concurrence déloyale exercée contre la Société de Conseil et d'Assistance en Gestion et Comptabilité (SCAGEC), Jean-Jacques Boterf, Michel Bonnet et Josiane Arnaud. Confirme par substitution de motifs le jugement déféré en ce qu'il a débouté les parties de toutes leurs prétentions respectives et condamné le CEDP aux dépens de première instance. Y ajoutant, déboute la SCAGEC, Jean-Jacques Boterf, Michel Bonnet et Josiane Arnaud de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive. Condamne le CEDP à payer à chacune de ces parties une indemnité de cinq mille francs (5 000 F) par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Le condamne aux dépens d'appel. Accorde à Me Guillaumin, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus. En foi de quoi la minute du présent arrêt a été signée par M. Baudron, Président, et Mme Georget, Greffier.