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Décisions

CA Amiens, 4e ch. com., 5 juillet 1996, n° 950404

AMIENS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Olisys (SA)

Défendeur :

Wallyn (ès qual.), Établissements Vaillant et Lollieux (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chapuis de Montaunet

Conseillers :

M. Roche, Mme Lecointe

Avoués :

Me Caussain, SCP Le Roy

Avocats :

Mes Simon, Bejin.

T. com. Saint-Quentin, du 23 juin 1995

23 juin 1995

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :

La SARL Établissements Vaillant et Lollieux a été constituée au début de l'année 1985. Elle avait pour activité l'achat et la vente de mobilier de bureau, matériels informatiques et autres et bénéficiait de la concession Olivetti. Elle exploitait un fonds de commerce situé à Saint-Quentin.

M. Etienne Vaillant était le gérant de cette société qui sera déclarée en redressement judiciaire le 22 novembre 1991 puis en liquidation judiciaire le 20 décembre suivant, Me Wallyn étant désigné comme liquidateur.

La SA Olisys a été immatriculée au RCS de Soissons le 16 mai 1988. Elle a pour activité la vente, la location et la réparation de tout matériel informatique et bureautique et autres. Son principal établissement est situé à Soissons et elle a ouvert un établissement secondaire à Saint-Quentin en janvier 1992. Elle bénéficie de la concession Olivetti.

Dans le cadre de son établissement de Saint-Quentin, la société Olisys a embauché d'anciens salariés de la société Vaillant et Lollieux et notamment son gérant M. Etienne Vaillant.

En invoquant divers détournements d'actifs réalisés au profit de la société Olisys, avec la complicité de M. Vaillant, détournements ayant causé un préjudice aux créanciers de la société Vaillant et Lollieux, Me Wallyn, ès qualités de liquidateur de cette société, a fait assigner la société Olisys devant le Tribunal de Commerce de Saint-Quentin aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer les sommes de :

- 542.239,37 F au titre du détournement du fichier contrats d'entretien des machines ayant appartenu à la SARL Vaillant et Lollieux,

- 600.000 F au titre du fichier commercial clients par elle détenu et appartenant à la SARL Vaillant et Lollieux,

- 200.000 F au titre du fichier technique Rapid File par elle détenu et appartenant à la SARL Vaillant et Lollieux,

- 200.000 F au titre du fichier ventes machines clients par elle détenu et appartenant à la SARL Vaillant et Lollieux,

avec intérêts au taux légal, compte tenu de l'absence de bonne foi de la société Olisys, à compter du 13 janvier 1992 date de remise de ces divers éléments d'actif.

Par jugement du 23 juin 1995, le Tribunal de Commerce de Saint-Quentin a :

- dit et jugé que la société Olisys s'est rendue coupable de détournement de fichiers et de clientèle au détriment de la liquidation judiciaire de la société Vaillant et Lollieux,

- condamné en conséquence la société Olisys à payer à Me Wallyn ès qualités de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Vaillant et Lollieux les sommes suivantes :

* 240.000 F au titre de détournement de fichiers et clientèle,

* 12.349,92 F pour encaissements de factures dues à Vaillant et Lollieux,

* 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

* 291,23 F représentant les dépens de la présente instance,

- dit que les condamnations ci-dessus porteront intérêt au taux légal à compter du présent jugement,

- condamné Me Wallyn ès qualités à restituer à la société Olisys la somme de 12.582,64 F perçue aux lieu et place de cette société,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

La société Olisys a interjeté appel de cette décision. Elle demande à la Cour de :

Vu l'article 1382 du Code Civil et la jurisprudence établie en la matière.

- constater que la clientèle informatique Olivetti exploitée par la société Vaillant et Lollieux appartenait à la société Olivetti tel que le justifie l'ensemble des éléments versés aux débats tant par la partie adverse que par la défenderesse,

- constater que Me Wallyn ès qualités ne rapporte en aucun cas le preuve de la propriété de ladite clientèle à la société Vaillant et Lollieux,

- constater que Me Wallyn ès qualités ne rapporte en aucun cas le preuve d'un quelconque acte de concurrence déloyale,

- constater l'absence de justificatifs des détournements évoqués,

- constater que Me Wallyn ès qualités ne rapporte la preuve d'aucun préjudice ni d'aucun lien de causalité avec la société Olisys,

- constater que l'indemnisation fixée par le tribunal est totalement arbitraire,

- infirmer la décision contestée,

- débouter Me Wallyn de l'ensemble de ses demandes,

Vu les dispositions de l'article 32 du Nouveau Code de Procédure Civile.

- constater que Me Wallyn n'avait aucun droit à agir en demande d'une indemnisation d'un prétendu fichier représentant la clientèle d'une société qui n'en est pas propriétaire,

- constater que cette procédure est purement abusive et injustifiée,

- condamner Me Wallyn à régler une amende de 10.000 F,

- condamner Me Wallyn à verser à la société Olisys une somme de 100.000 F en réparation du préjudice occasionné par cette action purement injustifiée,

- condamner Me Wallyn ès qualités à régler à la société Olisys une somme de 20.000 F en application de l'article 700,

- le condamner aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

Me Wallyn ès qualités a conclu au débouté de la société Olisys de son appel principal et a formé un appel incident aux termes duquel il reprend l'intégralité de sa demande initiale à l'encontre de la société Olisys et y ajoutant, demande à la Cour de condamner la société Olisys à lui payer les sommes de :

- 12.349,92 F au titre des prestations effectuées par la SARL Vaillant et Lollieux et facturées par la société Olisys,

- 38.587,75 F au titre des prestations effectuées par la SARL Vaillant et Lollieux pour le compte de la Banque Scalbert Dupont facturées par la SA Olisys,

- 112.374,86 F au titre du profit dont a bénéficié la SA Olisys par suite de la reprise du matériel appartenant à a liquidation judiciaire et non visée sur les avoirs de reprise dressés par la SA Olivetti,

- dire que ces diverses condamnations à dommages-intérêts porteront intérêts au taux légal à compter du 18 février 1993 date de l'assignation aux fins de comparution devant le Tribunal de Commerce de Saint-Quentin et ce à titre de dommages-intérêts compensatoires,

- condamner la société Olisys au paiement d'une indemnité complémentaire de 15.000 F au titre des frais hors dépens,

- la condamner aux entiers dépens.

Sur ce,

Sur la propriété de la clientèle

Attendu que si l'existence d'une clientèle personnelle peut être incertaine lorsque l'exploitation d'une entreprise s'effectue en vertu d'un contrat de concession, la conclusion d'un tel contrat n'exclut pas nécessairement l'attachement d'une clientèle au concessionnaire;

Attendu en l'espèce que la société Vaillant et Lollieux possédait une clientèle qui lui était propre pour l'avoir achetée le 21 mars 1985 avec le fond de commerce de machines de bureau et mobilier, connue sous le nom Comptoir Mécanographique, précédemment exploitée par les époux Mechet; qu'il n'est nullement établi que les clients de la société Vaillant et Lollieux ne s'adressaient à celle-ci qu'à raison de sa qualité de concessionnaire Olivetti;

Attendu que le contrat de distribution conclu avec Olivetti qualifie le concessionnaire agréé de "commerçant indépendant présentant les qualités professionnelles requises pour distribuer les produits visés en annexe I"; qu'aucune exclusivité territoriale n'est accordée au concessionnaire, la société Olivetti se réservant le droit d'accorder une licence de distribution à tout autre partenaire; qu'il n'est à aucun moment indiqué que la clientèle est et demeure la propriété d'Olivetti qui ne l'a d'ailleurs nullement revendiquée; que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges, dont la décision sur ce point sera confirmée, ont estimé que la SARL Vaillant et Lollieux était bien propriétaire de sa clientèle.

Sur les détournements de fichiers.

Attendu que si l'indication par M. Vaillant aux termes d'une lettre en date du 3 août 1992, de ce que lors de son arrivée à Olisys le 13 janvier 1992 il avait enlevé du micro Vaillant et Lollieux le disque dur qui contenait la comptabilité Vaillant et Lollieux, le fichier fourniture Vaillant et Lollieux, le ficher commercial clients créé par ses soins il y a 15 ans, le fichier Technique clients créé par Vaillant et Lollieux en janvier 1985, le fichier contrats entretien des époques Comptoir Mécanographique et Vaillant et Lollieux, et de ce que ce disque dur se trouvait dans un micro Olisys, peut être sujette à caution en raison du différend qui oppose M. Vaillant à la société Olisys à la suite de son départ en juillet 1992, il n'en reste pas moins qu'entendue le 19 mai 1992 dans le cadre d'une information judiciaire, Mme Dieudonné, ancienne secrétaire de la société Vaillant et Lollieux engagée en qualité de secrétaire par la société Olisys en février 1992, a déclaré "La société Olisys a pris les clients de la SARL Vaillant et Lollieux et l'agence de Saint-Quentin continue à travailler avec ces clients, le fichier clients que j'utilise actuellement est celui que j'utilisais rue Voltaire pour la SARL Vaillant et Lollieux, le fichier clients existe également sur informatique et nous sommes également en possession de ce fichier ; qu'une telle déclaration confirme les indications données par M. Vaillant ;

Attendu par ailleurs que les pièces produites au dossier apportent la preuve que la société Olisys est bien en possession des fichiers de la société Vaillant et Lollieux qu'il en est ainsi d'un certain nombre de documents, cités par Me Wallyn dans ses écritures, qui n'ont pu être adressés à leurs destinataires, clients de la société Vaillant et Lollieux, ou même du Comptoir Mécanographique, que parce que la société Olisys avait trouvé leur trace dans les fichiers de la société Vaillant et Lollieux (pour exemple : Mairie de Tergnier, facture Olisys du 31 janvier 1992 pour un contrat d'assistance signé avec le Comptoir Mécanographique en avril 1984, facture Olisys à la Pharmacie Gilliot pour un contrat d'assistance couvrant la période d'octobre 1991 à octobre 1992, courriers Seca, Jesson, Moreau, etc ...

Attendu qu'il résulte de cet ensemble d'éléments que l'appropriation par la société Olisys des fichiers de la société Vaillant et Lollieux ne peut être mise en doute ;que la société Olisys qui indique avoir constitué son propre fichier avec l'aide de la société Olivetti n'en justifie pas.

Sur le préjudice.

Attendu qu'en s'appropriant sans aucune contrepartie les fichiers commerciaux de la société Vaillant et Lollieux qui constituaient incontestablement un élément d'actif et avaient une certaine valeur marchande, la société Olisys a porté préjudice à la liquidation judiciaire de la société Vaillant et Lollieux ; qu'il ne peut être contesté que ces fichiers avait une réelle valeur marchande, d'autant plus importante qu'ils étaient mis à a disposition d'un concessionnaire Olivetti ;

Attendu cependant que l'appréciation du préjudice subi par la liquidation judiciaire de la société Vaillant et Lollieux ne saurait être calculée séparément pour chacun des fichiers en cause en ce qu'ils forment un tout dont les informations se recoupent en partie, en dépit de leur spécificité propre ; que ce préjudice ne saurait davantage être calculé, comme croit pouvoir le faire M. Vaillant dont la méthode de calcul est reprise par Me Wallyn dans ses écritures, à partir du chiffre d'affaires généré (fichier entretien et fichier clients) ou d'une valeur purement théorique en fonction de leur intérêt pratique (fichier Rapid File et fichier Vente machines) ; que le rachat de tels fichiers est fonction non pas de l'intérêt qu'ils présentaient pour leur propriétaire mais de celui qu'ils présentent pour un éventuel acquéreur ;

Attendu qu'au vu des éléments de la cause, la Cour estime pouvoir fixer à la somme de 150.000 F le montant de l'indemnité due par la société Olisys à la liquidation judiciaire de la société Vaillant et Lollieux ;

Sur les prestations effectuées par la société Vaillant et Lollieux et facturées par la société Olisys.

Attendu qu'il résulte des factures versées aux débats que la société Olisys a facturé pour son propre compte des prestations effectuées par la SARL Vaillant et Lollieux pour un montant total de 12.349,32 F ;

Que la décision des premiers juges en ce qu'ils ont condamné la société Olisys à restituer cette somme sera confirmée ;

Attendu par contre que la demande de Me Wallyn en paiement d'une somme de 38.587,75 F qu'aurait dû verser la Banque Scalbert Dupont au titre des contrats d'entretien la liant à la société Vaillant et Lollieux et que la société Olisys aurait facturés n'est assortie d'aucune autre justification que l'affirmation de M. Vaillant dont la Cour, tout comme les premiers juges ne saurait se suffire ; que la preuve de l'encaissement de cette somme par la société Olisys n'est nullement rapportée ;

Attendu qu'il n'est pas davantage justifié de ce que le matériel correspondant à la différence entre la valeur du matériel retourné en novembre 1991 à Olivetti par la société Vaillant et Lollieux pour un montant de 133.205,37 F et le montant des avoirs établis par Olivetti au profit de la société Vaillant et Lollieux pour une somme de 77.017,94 F ait été récupéré gratuitement comme l'affirme M. Vaillant qu'il n'est pas sans intérêt de relever que dans un Fax en date du 31 octobre 1991, Olivetti précisait à M. Vaillant que les produits retournés seraient contrôlés, dès réception à Garonor, en fonction de la vieillesse des produits, des dates de péremption et de leur propreté à la revente, ce qui laisse à penser qu'Olivetti a pu procéder en fonction de leur état à des rejets de produits ou à une décote sur leur valeur.

Sur les intérêts.

Attendu que s'agissant d'une créance indemnitaire, les intérêts sur la somme de 150.000 F allouée à Me Wallyn ès qualités ne sont dus qu'à compter de la décision qui en fixe le montant ;

Que par contre, les intérêts sur la somme de 12.349,92 F en ce qu'elle constitue le remboursement d'une somme indûment perçue, sont dus à compter du jour de la demande, soit en l'espèce à compter du 18 février 1993, date de l'assignation.

Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive, les dépens et l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Attendu que la procédure engagée par Me Wallyn ès qualités en ce qu'elle procède de l'intérêt légitime qu'a tout plaideur de faire trancher par le juge une situation conflictuelle présente d'autant moins un caractère abusif qu'il a été fait droit pour partie à ses demandes ; que la société Olisys sera déboutée de sa demande en application de l'article 32-l du Nouveau Code de Procédure Civile et paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions devant la Cour, conservera la charge de ses dépens d'appel ; qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en cause d'appel.

Par ces motifs : Et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Reçoit la société Olisys en son appel principal et Me Wallyn ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Vaillant et Lollieux en son appel incident ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que la société Olisys s'est rendue coupable de détournement de fichiers et de clientèle au détriment de la liquidation judiciaire de la société Vaillant et Lollieux, condamné en conséquence la société Olisys à payer à Me Wallyn ès qualités les sommes suivantes : 12.349,92 F pour encaissement de factures dues à Vaillant et Lollieux, 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, 291,23 F représentant les dépens de l'instance ; L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau : Condamne la société Olisys à payer à Me Wallyn ès qualités la somme de 150.000 F au titre du détournement de fichiers et de clientèle ; Dit que les intérêts au taux légal seront dus sur la somme de 150.000 F à compter du 23 juin 1995, date du jugement et sur la somme de 12.349,92 F à compter du 18 février 1993 date de l'assignation ; Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes.