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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 26 juin 1996, n° 94-21680

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Direct Service (Sté), Pavec Courtoux (SCP)

Défendeur :

Esthéticuir (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

SCP Verdun-Gastou, SCP Varin-Petit, SCP Roblin-Chaix de Lavarène

Avocats :

Mes Klein, Romet

T. com. Paris, du 29 juin 1994

29 juin 1994

LA COUR : - Créée en 1991, la Société Esthéticuir a pour activité principale la fabrication, l'achat, la vente, l'export-import, la distribution sous toutes formes de tous produits destinés à l'entretien ou au traitement du cuir et de ses dérivés.

Recourant pour la diffusion et la vente de ses produits aux pratiques du " marketing direct " et du " téléachat ", la Société Esthéticuir a été amenée à faire réaliser une publicité spécifique.

Se plaignant de ce qu'une société de vente par correspondance, la Société France Directe Service (FDS), proposait à la vente sur catalogue un produit concurrent dénommé " Aston " dans des termes identiques constituant selon elle " un plagiat pur et simple de ses textes, de leur mise en page, des expressions, des visuels et de l'argumentaire de sa publicité ", la Société Esthéticuir a saisi le Tribunal de Commerce de Paris d'une action en contrefaçon et en concurrence déloyale tant à l'encontre de la Société FDS qu'à l'encontre de la Société Aston Fabrication, fabricant des produits en cause, et de la Société Kart Aston Shoes Shine (KASS), diffuseur.

Par jugement du 29 juin 1994 le tribunal de commerce estimant que les défenderesses s'étaient rendues coupables de " contrefaçon du message publicitaire " et " concurrence déloyale et parasitaire ", les a condamnées solidairement à payer à la Société Esthéticuir, une somme provisionnelle de 100.000 F, a désigné M. de Maximy, expert, aux fins de fournir tous éléments permettant l'évaluation du préjudice réellement subi, et a alloué à la demanderesse une somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société FDS a interjeté appel de cette décision.

Prétendant être en droit de vendre les produits que la Société Aston fabrique régulièrement et que la Société Kass diffuse, la Société F.D.S. conteste les actes de contrefaçon qui lui sont reprochés au motif que les rédactionnels de son encart n'ont rien en commun avec ceux d'Esthéticuir, si ce n'est qu'ils évoquent, en termes extrêmement banals, des crèmes d'entretien pour les cuirs.

Elle soutient par ailleurs qu'on ne saurait lui reprocher la reproduction d'une même photographie de fauteuil, dès lors que celle-ci procède d'une initiative malheureuse de l'imprimeur à laquelle elle s'est empressée de mettre fin dès qu'elle a été informée du problème.

Elle dénonce enfin le caractère exorbitant des demandes formées par la Société Esthéticuir quant à la réparation d'un préjudice qui selon elle est inexistant.

Concluant en conséquence à l'infirmation du jugement entrepris, elle sollicite le rejet des prétentions de l'adversaire et réclame paiement d'une somme de 50.000 F pour procédure abusive et d'une somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les Sociétés Aston Fabrication et Kass prétendant n'être en rien responsable de l'encart que la Société FDS a fait paraître dans son catalogue de vente par correspondance et dont elle avait le libre choix, sollicitent leur mise hors de cause.

Elles soutiennent par ailleurs que la Société Esthéticuir ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué ni du détournement de clients invoqué.

Sollicitant en conséquence l'infirmation de la décision dont appel, elles dénoncent le caractère abusif de la procédure intentée à leur encontre et demandent outre le paiement d'une somme de 150.000 F de dommages-intérêts à ce titre, la somme de 18.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

A titre subsidiaire, elles sollicitent la garantie de la Société FDS de toutes condamnations qui seraient prononcées à leur encontre.

La Société Esthéticuir prétend que la publicité de la Société FDS constitue un plagiat pur et simple de sa propre publicité et que le Tribunal a considéré à bon droit, les prix pratiqués par Aston étant de moitié inférieurs aux siens, qu'il y avait " utilisation avec dévalorisation, en conséquence contrefaçon du message publicitaire et concurrence déloyale par parasitisme ".

Elle soutient que les correspondances produites révèlent suffisamment que les Sociétés Aston et Kass étaient les commanditaires des publicités en cause et qu'à juste raison le Tribunal a retenu qu'en leur qualité de professionnelles, elles avaient engagé leur responsabilité dans les publicités portant leur nom.

Elle conclut en conséquence à la confirmation de la décision dont appel en ce compris la mesure d'expertise ordonnée et sollicite paiement d'une somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les Sociétés Aston Fabrication et Kass ayant fait l'objet d'une procédure en liquidation judiciaire, la SCP Pavec-Courtoux, mandataire liquidateur des deux sociétés a été appelée en la cause.

Tout en précisant que la Sociétés Esthéticuir n'a pas régulièrement déclaré sa créance, elle fait valoir que les demandes de condamnations formulées à l'encontre des sociétés qu'elle représente sont irrecevables et réclame paiement de la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce,

Sur la contrefaçon et la concurrence déloyale :

Considérant que la Société Esthéticuir prétend essentiellement qu'en copiant servilement son message publicitaire, tant au niveau des expressions, de la mise en page, des photographies et de l'argumentaire, et en offrant à la vente les produits concernés à moitié prix, la Société FDS se serait rendue coupable tant de contrefaçon que de concurrence déloyale et parasitaire ;

Mais considérant que pour prétendre au bénéfice de la protection instaurée par les livres I et III du Code de la Propriété Intellectuelle relatifs au droit d'auteur, il appartient à celui qui en revendique l'application d'établir que " l'œuvre " prétendument contrefaite présente les caractéristiques exigées par la loi pour être protégée ;

Que la Société Esthéticuir ne justifie ni de ses droits privatifs sur les photographies utilisées, ni du caractère original des expressions employées telles que " Redonnez l'éclat du neuf à tous vos cuirs ", " jugez plutôt du résultat " et " vu à la Télé " qui par leur banalité même ne peuvent, en tant que telles, bénéficier de la protection instaurée pour les " œuvres de l'esprit ",

Que l'argumentaire publicitaire développé ne dépasse pas celui-ci d'un simple concept, non protégeable au titre du droit d'auteur,

Que la reprise de tels éléments, en soi non protégeables, ne constitue pas des actes de contrefaçon au sens de la loi sur le droit d'auteur ;

Mais considérant que les similitudes relevées traduisent de toute évidence l'intention délibérée de la Société FDS de s'inscrire dans le sillage de la Société Esthéticuir en instaurant dans l'esprit d'un public moyennement attentif, et qui ne dispose pas en même temps sous les yeux des deux publicités en cause, un risque de confusion ;

Que la référence " vu à la Télé ", alors qu'il n'est pas contesté que les produits proposés par la Société FDS n'ont fait l'objet d'aucun spot publicitaire sur les ondes hertziennes est particulièrement révélatrice de ce comportement parasitaire.

Que la Société FDS a, de toute évidence, cherché délibérément à tirer profit à moindre frais des efforts publicitaires particulièrement importants développés par la société concurrente et à détourner ainsi partie de sa clientèle,

Que cette attitude constitue un acte de concurrence déloyale d'autant plus répréhensible et préjudiciable que les produits parfaitement similaires sont offerts à moitié prix.

Qu'il s'ensuit que le jugement doit être confirmé sur ce point,

Sur la responsabilité des Sociétés Aston et Kass :

Considérant que par jugement du 8 janvier 1996, le Tribunal de Commerce de Paris a ouvert à l'encontre des Sociétés Aston et Kass une procédure de liquidation judiciaire ;

Que l'action en paiement de dommages-intérêts se trouvant suspendue et ne pouvant être reprise, en vertu des dispositions des articles 47 et 48 de la loi du 25 janvier 1985, qu'après déclaration régulière de la créance par le créancier poursuivant, il convient d'impartir un délai à la Société Esthéticuir pour justifier d'une déclaration régulière de sa créance entre les mains du mandataire liquidateur ainsi qu'il sera dit au dispositif ci-après,

Sur la mesure d'expertise :

Considérant que M. de Maximy, expert judiciaire, a diligenté les opérations d'expertise ordonnées par le Tribunal et déposé son rapport le 15 avril 1995 ;

Que conformément aux dispositions de l'article 568 du NCPC il apparaît d'une bonne administration de la justice de donner à l'affaire une solution définitive et d'évoquer celle-ci sur l'évaluation du préjudice,

Qu'il convient en conséquence d'inviter les parties à conclure sur ce point et se surseoir à statuer sur le surplus des demandes.

Par ces motifs, Confirme le jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 29 juin 1994 en ce qui concerne la Société France Directe Service sauf en ce qu'il a retenu à l'encontre de cette dernière des actes de contrefaçon ; Constate la suspension de l'action en dommages-intérêts à l'encontre des Sociétés Aston Fabrication et Kart Aston Shoes Shine (KASS)

Sursoit à statuer sur les demandes les concernant et enjoint à la Société Esthéticuir de justifier d'une déclaration régulière de créance entre les mains de la SCP Pavec-Courtoux leur mandataire liquidateur avant le 15 septembre 1996 ; Vu le rapport d'expertise de M. de Maximy en date du 15 avril 1995 et l'article 568 du NCPC ; Evoque l'affaire sur l'évaluation du préjudice et, ordonnant la réouverture des débats, renvoie les parties à conclure sur ce point à l'audience de la Mise en Etat du 23 septembre 1996 à 13 heures

Sursoit à statuer sur les autres demandes et réserve les dépens.