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Décisions

CA Paris, 14e ch. C, 14 juin 1996, n° 95-3783

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Culina (SA)

Défendeur :

Ulti (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tric

Conseillers :

Mmes Grzybek, Charoy, Avoués : SCP Duboscq, SCP Fisselier

Avocats :

Mes Bochner, Romnicianu.

T. com. Paris, prés., du 15 déc. 1994

15 décembre 1994

LA COUR statue sur l'appel formé par la SA Culina à l'encontre d'une ordonnance de référé contradictoirement rendue le 15 décembre 1994 par le Président du Tribunal de Commerce de Paris qui lui a fait interdiction, sous astreinte provisoire de 50 000 F par infraction constatée, d'adresser à qui que ce soit et sous quelque forme que ce soit un message dénigrant les jus de fruits fabriqués ou vendus par la Sté Ulti, notamment sous la dénomination :

- Ultifruit

- Ulticocktail

- Ultinectar

dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus, quant aux actes de dénigrement l'a condamnée au paiement des dépens ainsi qu'à verser à Ulti une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Au soutien de son recours, la Sté Culina relève une contradiction entre l'interdiction de diffusion de délivrer un message dénigrant et le renvoi devant le juge du fond pour statuer sur les actes de dénigrement reprochés et conteste formellement la qualification de dénigrement des correspondances litigieuses, reprochant à la Sté Ulti de lui chercher une " mauvaise querelle " et relevant que le caractère cancérigène ou non des jus de fruits en cause ne pourra être déterminé que par expertises diligentées dans le cadre d'une éventuelle procédure au fond et donc établi le caractère " dénigrant " ou non des agissements allégués.

Estimant qu'il existe en la cause une contestation sérieuse qu'il n'est pas du pouvoir du juge des référés de trancher, la société appelante sollicite de la Cour d'infirmer la décision querellée, dire n'y avoir lieu à référé, condamner la Sté Ulti aux dépens et à lui payer 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Intimée, la Sté Ulti poursuit la confirmation de l'ordonnance déférée et, y ajoutant, prie la Cour de :

- dire que Culina a commis des actes de dénigrements caractérisés en écrivant à Servair, à la SNCF et à Potel et Chabot que les jus de fruits vendus par Ulti sont cancérigènes

- lui donner acte qu'elle se réserve de demander à Culina la réparation du reste de son préjudice

- condamner Culina à lui payer au titre des frais irrépétibles d'appel la somme de 17 790 F TTC par application de l'article 700 et en tous les dépens.

Elle expose que les lettres adressées par Culina à Servair (8 février 1994) et à la SNCF (7 octobre 1994) ainsi que notice relative au caractère cancérigène de ses produits, jointe en annexe audit courrier, suivie d'une réponse Culina (14 novembre 1994) à la SNCF, ainsi que correspondance à Potel & Chabot et Lafayette Gourmet, constituent, par leur dénonciation permanente du caractère cancérigène des jus de fruits dits " frais " d'Ulti auprès de ses clients, un dénigrement totalement injustifié auquel il convient de mettre fin d'urgence, portant " sur une question gravissime " alors que les derniers contrôles et analyses de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes n'ont relevé l'existence d'aucun des éléments mentionnés, la qualification de jus de fruits " frais " étant officiellement reconnue et qu'au contraire des allégations de la Sté Culina, ils contiennent des éléments anti-cancérigènes et que le dénigrement en cause ne peut qu'inquiéter " considérablement " les clients importants d'Ulti, entreprise récemment créée et " encore d'une taille modeste ".

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'il appert des courriers versés aux débats, émanant de la SA Culina - se disant importatrice et distributrice de jus de fruits surgelés - qui vante la qualité de ses produits " élaborés " à partir d'oranges cueillies mures et non traitées aux fongicides " alors " que les oranges utilisées par les sociétés qui en France font du jus de fruits fraîchement pressé sont toutes traitées avec des chlores, des phénols ou des benzènes " dont on retrouve des traces dans le jus (lettre à Servair du 8 février 1994) allégation reprise dans un courrier envoyé le 14 novembre 1994 à la SNCF, visant expressément le " jus Ultifruit " et faisant suite à une note à la SNCF du 7 octobre 1994 mentionnant - sans le désigner nommément - que " le jus d'orange que vous offrez est un produit parfaitement cancérigène ", ce que développe et détaille une notice technique sur les jus d'orange jointe à la note susvisée ;

Considérant que cette notice, se voulant de vulgarisation technique à données scientifiques, concerne en particulier les jus d'orange dits " frais " et cite " Ultifruit " dont cependant la SNCF, le 8 novembre 1994, précise que le produit a été analysé et s'est révélé " bon sur le plan organoleptique et sain sur le plan bactériologique " ;

Considérant que la même notice a été transmise le 20 février 1995 à Lafayette Gourmet l'un des clients importants de la société intimée ainsi que l'établit un extrait de comptes du 20 janvier 1994 au 31 janvier 1995 inclus ;

Considérant que les agissements de la Sté Culina, qui a vainement saisi la Direction Générale de la Répression des Fraudes le 28 septembre 1994, sont de nature à entraîner pour la Sté Ulti un dommage commercial imminent qu'il convient de prévenir en interdisant, comme le fit à juste titre le premier juge, à la société appelante d'adresser tout message dénigrant, les produits de la Sté Ulti ; le caractère dénigrant des écrits visés semblant établi dans la mesure où les courriers émanant de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) énoncent qu'après analyses, les produits (jus d'orange frais, citron frais, pamplemousse frais) " ont été reconnus conformes à la réglementation en vigueur " ;

Considérant, toutefois, que si le juge des référés - dont les décisions n'ont pas au principal, autorité de la chose jugée - a le pouvoir d'ordonner même en présence d'une contestation sérieuse toutes mesures destinées à prévenir un dommage imminent, ce qu'est le cas en l'espèce, il ne lui appartient pas le dire, comme sollicité par l'intimée, que Culina a commis des actes dénigrants caractérisés; que l'ordonnance querellée sera donc également confirmée en ce qui concerne ce point ; qu'il n'y a pas lieu au donner acte sollicité, celui-ci n'ayant aucune portée juridique ;

Considérant que l'astreinte assortissant la condamnation prononcée par le premier juge est une mesure de coercition destinée à faire respecter la décision rendue et que son montant en est suffisamment dissuasif de tout manquement ; qu'il y a lieu de la maintenir ;

Considérant qu'il serait inéquitable, au sens de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, de laisser à la charge de la société intimée les frais irrépétibles par elle exposés tant en première instance (10 000 F) qu'en appel (10 000 F) pour la défense de ses intérêts ;

Considérant que la Sté Culina, qui succombe en son recours et supporte les dépens, ne peut bénéficier des dispositions dudit texte ;

Par ces motifs, Confirme en toute ses dispositions l'ordonnance entreprise, Dit n'y avoir lieu au donner acte sollicité, Ajoutant à l'ordonnance déférée, Condamne la société appelante à payer à la Sté Ulti une somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, La condamne aux dépens et admet la SCP Duboscq-Pellerin, Avoués associés, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.