Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 5 juin 1996, n° 94-014865

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires Recodiet (SARL)

Défendeur :

René Guinot (SA), Mary Cohr (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Verallo, Boespflug.

T. com. Paris, 6e ch., du 25 avr. 1994

25 avril 1994

Spécialisée dans la recherche et le développement de méthodes et produits de beauté, la société Laboratoires Recodiet a diffusé dans le courant de l'année 1993, auprès des instituts de beauté, une publicité sous forme de lettre circulaire dont la première page est ainsi rédigée :

Que ferez-vous en septembre ?

Après avoir fait des épilations et des soins du corps pour l'été, l'idéal pour redémarrer à la rentrée c'est l'anti-vieillissement :

Anti-vieillissement du visage, bien sûr, mais aussi du cou, des bras, des seins et du décolleté, des mains :

Comment arrivez-vous à drainer vers votre institut les clients dont le soleil a abîmé la peau?

En leur proposant, comme tant d'autres, les soins Marie machin, René truc, Jean chose, esthébidule, etc... ?

Ou des séances avec votre magnifique Smilblift qui vous a coûté si cher et auquel plus personne ne croît ?

Alors la solution c'est

Le lifting bioenergétique

Professeur Bellanger

L'innovation la plus marquante de l'esthétique

Depuis trente ans.

Les sociétés René Guinot et Mary Cohr, fabriquants et distributeurs de produits de beauté auprès des instituts, s'estimant dénigrées par une telle publicité qu'elles jugent de surcroît mensongère, ont saisi le Tribunal de commerce de Paris qui par, jugement du 25 avril 1994 a :

- dit que la société Laboratoires Recodiet s'était effectivement rendue coupable d'actes de concurrence déloyale en dénigrant les requérantes, et de publicité mensongère en utilisant sans droit le titre de " Professeur " réservé aux membres des universités ;

- interdit à celle-ci, sous astreinte, l'usage de la marque " Professeur Bellanger " ;

- condamné la société Recodiet à payer à chacune des demanderesses la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts, outre celle de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- ordonné la publication du jugement à ses frais, dans trois revues aux choix de ses adversaires, sans que le coût de chacune des insertions puisse toutefois excéder la somme de 30 000 F ;

La société Laboratoires Recodiet a interjeté appel de cette décision.

Elle prétend essentiellement :

1) Sur le dénigrement

- Que des informations, pour être constitutives de dénigrement, et par voie de conséquence répréhensibles, doivent viser un concurrent déterminé ;

- Que contrairement à ce qu'a énoncé le tribunal de commerce, les sociétés René Guinot et Mary Cohr n'étaient pas identifiables d'une part parce qu'elle ne jouiraient pas d'une notoriété particulière et d'autre part parce que les noms " René " et " Marie " sont d'un usage courant dans le domaine des cosmétiques et des produits de beauté ;

- que les critiques générales par elle formulées relèvent de la simple liberté d'opinion ;

- que les sociétés Guinot et Cohr ne justifient de surcroît d'aucun préjudice ;

2) Sur la publicité mensongère

- que le vocable " Professeur Bellanger " régulièrement déposé à l'INPI à titre de marque, le 16 avril 1992, dans les classes 3 et 42 ne peut lui être dénié aussi longtemps qu'une décision du directeur de cette institution ne sera venue lui en interdire l'usage ;

Elle conclut en conséquence à l'infirmation de la décision entreprise et, prétendant avoir subi un préjudice dès lors qu'elle a déféré à l'interdiction qui lui a été faite d'utiliser la marque " Professeur Bellanger ", sollicite paiement de la somme de 50 000 F de dommages et intérêts outre celle de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Réfutant l'augmentation de la société Recodiet et dénonçant le caractère abusif de l'appel par elle interjeté, les sociétés René Guinot et Mary Cohr sollicitent la confirmation de la décision de première instance en toutes ses dispositions et réclament, chacune, paiement de la somme de 30 000 F de dommages-intérêts outre celle de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce

Sur le dénigrement :

Considérant que la société Laboratoires Recodiet reproche essentiellement aux premiers juges d'avoir retenu que la publicité dont les termes ont été ci-dessus rappelés constituait pour les sociétés René Guinot et Mary Cohr une publicité dénigrante alors d'une part que la notoriété de ces dernières n'était nullement avérée par le production du magazine Cabines Internationales dont les informations sont, selon elle, sujettes à caution, et que d'autre part, les prénoms de Marie et de René utilisé de façon " humoristique ", d'usage fréquent dans le domaine des cosmétiques, ne permettaient nullement d'identifier les sociétés plaignantes ;

Mais considérant, sur le premier point, que quels que soient les liens existant entre les sociétés intimées et la revue professionnelle Cabines Internationales (au demeurant non avérés), le palmarès établi par celle-ci en 1991 sur la base des chiffres d'affaires réalisés par les différentes sociétés de cosmétiques, et plaçant en tête la société Guinot et en 10e place la société Cohr, est sans influence sur le présent litige ;

Que la publicité par elles régulièrement faite au sein de la revue (dont la parution, en octobre 1995, du numéro 150 atteste d'une certaine vitalité) permet d'affirmer qu'elles se sont suffisamment fait connaître du milieu professionnel concerné pour être aisément identifiables;

Que ce fait est au demeurant reconnu de façon implicite mais non équivoque par le société Recodiet elle même lorsque celle-ci reproche à ses concurrentes de chercher à tirer partie de leur position actuelle pour éliminer " dans l'oeuf l'émergence d'un concurrent potentiellement dangereux " ;

Que l'argumentation développée par l'appelante s'agissant du magazine Cabines Internationales n'est ni pertinente ni opérante quant au dénigrement dénoncé ;

Considérant, sur le deuxième point, que la société Recodiet ne peut sérieusement prétendre que le fait de faire suivre le prénom de Marie (fut-il franchisé) du prénom de René, même si ces prénoms sont souvent utilisés dans le domaine de la cosmétologie, serait purement fortuit, alors qu'il est amplement démontré qu'en raison des liens étroits qui les unissent, ces deux sociétés se trouvent bien souvent associées dans l'esprit de la clientèle professionnelle à laquelle elles s'adressent ;

Que le choix des deux prénoms dans une liste aussi restreinte que celle de la publicité incriminée, tout en rendant l'identification particulièrement facile, procède d'évidence d'une volonté délibérée ;

Qu'en dénonçant, dès lors, en termes désobligeants, l'inefficacité des produits en cause et en tournant en dérision par l'utilisation des vocables " machin " et " truc " la solution apportée par ses concurrents au regard de celle qu'elle propose, la société Recodiet s'est bien rendue coupable d'actes de dénigrement;

Qu'une telle comparaison qui ne répond nullement aux exigences de l'article 10 de la loi du 18 janvier 1992 sur la publicité comparative exclusivement limitée aux caractéristiques essentielles, significatives, pertinentes et vérifiables des produits en cause, est illicite et, excédant amplement la " libre critique " légalement admissible, engage la responsabilité civile de son auteur ;

Sur la publicité mensongère :

Considérant que si M. Bellanger, gérant de la société Recodiet, est effectivement titulaire du diplôme d'Ingénieur de l'INSA de Lyon option Biochimie, ce diplôme ne l'autorise pas pour autant à se prévaloir du titre de " Professeur " ;

Qu'en se référant, pour présenter son produit et vanter ses mérites, au " Professeur Bellanger " la société Laboratoires Recodiet laisse accroire dans l'esprit de la clientèle que celui-ci bénéficierait de la caution d'une haute autorité du monde spécifique et universitaire ;

Qu'une telle référence, non avérée, est mensongère et parfaitement illicite, et constitue un acte de concurrence déloyale dont sont bien fondées à se plaindre les sociétés intimées;

Que l'interdiction de la dénomination, aussi mensongère que trompeuse, s'impose quant bien même celle-ci aurait fait l'objet d'un dépôt de marque au demeurant non encore enregistrée ;

Sur le préjudice

Considérant enfin que pour s'opposer aux demandes formulées à son encontre la société Laboratoires Recodiet conteste l'existence du préjudice invoqué par les sociétés adverses à défaut pour celles-ci de rapporter la preuve d'un détournement de clientèle ou d'une baisse de chiffre d'affaires liés aux actes dénoncés ;

Mais considérant que les intimées font à bon droit valoir que ce préjudice s'infère des seuls actes de concurrence déloyale commis à leur encontre ;

Qu'en fixant à 50 000 F le montant des dommages-intérêts dus à chacune d'elles, les premiers juges ont exactement évalué le préjudice résultant de faits par eux analysés de façon pertinente ;

Que leur décision doit en conséquence être confirmée en toutes ses dispositions en ce compris les mesures de publications qui devront toutefois faire mention de la présente décision ;

Sur les autres demandes

Considérant qu'en raison de ce qui précède, la société Laboratoires Recodiet qui succombe est mal fondée en sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts et ne saurait prétendre au bénéfice de l'article 700 du NCPC ;

Que les sociétés intimées ne démontrant pas que l'appel interjeté procéderait d'une réelle intention de nuire et serait abusif, leur demande de dommages-intérêts formulée à ce titre doit être rejetée ;

Qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à leur charge les frais irrépétibles par elles engagés en cause d'appel, la somme de 10 000 F devant être allouée à ce titre, à chacune d'elles, en complément des sommes octroyées en première instance ;

Par ces motifs : Confirme le jugement du Tribunal de Commerce de Partis en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, dit que les mesures de publication ordonnées devront faire mention de la présente décision ; Condamne la société Laboratoires Recodiet à payer à chacune des sociétés René Guinot et Mary Cohr la somme de 10 000 F chacune au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en cause d'appel, en complément des sommes allouées à ce titre en première instance ; Rejette toutes autre demande des parties ; Condamne la société Recodiet aux dépens dont distraction au profit de la SCP Roblin Chaix de Lavarene, Avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.