Cass. soc., 4 juin 1996, n° 93-41475
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Lemoussu
Défendeur :
Framatome (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Ridé
Rapporteur :
M. Merlin
Avocat général :
M. Martin
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, Me Choucroy
LA COUR : - Attendu que M. Lemoussu, engagé, à compter du 1er septembre 1977, en qualité d'ingénieur, par la société Framatome, a donné sa démission le 8 décembre 1990, alors qu'il exerçait les fonctions de délégué régional des sites nucléaires; que son contrat de travail comportait une clause de non-concurrence d'une durée d'un an, renouvelable une fois, avec une contrepartie financière, lui interdisant d'entrer au service d'une entreprise concurrente ou de s'intéresser, directement ou indirectement, à toute fabrication et à tout commerce pouvant concerner les produits fabriqués par la société Framatome; qu'après exécution de son préavis jusqu'au 31 mars 1991, M. Lemoussu a été nommé président du conseil d'administration de la société Arco Atlantique et s'est vu reprocher par la société Framatome de violer son obligation de non-concurrence;
Sur le premier moyen : - Attendu que le salarié conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué (Orléans, 11 février 1993) car il résulte des propres écritures de l'employeur que cet arrêt se rattache par un lien de dépendance nécessaire avec l'arrêt, également frappé de pourvoi, rendu le 22 juin 1992 par la cour d'appel de Lyon; qu'en effet, la condamnation prononcée du chef de la prétendue inexécution d'une clause de non-concurrence demandée par l'employeur, était, selon ses propres dires, fondée sur des documents obtenus par une mesure d'instruction in futurum décidée par l'arrêt du 22 juillet 1992, dont la légalité est soumise à l'examen de la Cour de Cassation; que, par voie de conséquence et en application des dispositions de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt attaqué sera annulé ensuite de la cassation à intervenir sur ce premier pourvoi;
Mais attendu qu'il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt attaqué qu'il ait fondé sa décision sur des documents ou des renseignements obtenus à la suite d'une mesure d'instruction prescrite par ordonnance sur requête et dont l'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 22 juin 1992 n'a pas admis la rétractation; que la cassation de cette décision, par arrêt de la Cour de Cassation du 23 novembre 1994, ne saurait entraîner par voie de conséquence la cassation de l'arrêt attaqué qui n'est ni la suite, ni l'application ou l'exécution de la décision cassée et ne s'y rattache par aucun lien de dépendance nécessaire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que le salarié fait encore grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré licite la clause de non-concurrence, alors, selon le moyen, qu'est nécessairement nulle la clause de non-concurrence qui, limitée dans le temps mais non dans l'espace, n'énonce pas les activités interdites au salarié dès lors que l'employeur revendique un domaine d'activité très étendu; que l'employeur, selon l'arrêt attaqué, exerce ses activités dans le domaine du nucléaire, de la mécanique et de l'informatique; qu'il ne peut donc imposer à ses salariés des clauses n'indiquant pas quelles activités ou quels secteurs lui sont interdits; qu'en refusant de prononcer la nullité de cette clause, la cour d'appel a donc violé l'article 1134 du Code civil ainsi que le principe de la liberté du travail posé par la loi des 2-17 mars 1791 ; alors, en outre, qu'est nulle la clause qui, interdisant au salarié d'effectuer tout travail dans le domaine très spécifique qui a été le sien durant les 15 dernières années, l'oblige à perdre le bénéfice de cette expérience professionnelle et à chercher un emploi dans un secteur qu'il ne maîtrise plus de manière satisfaisante, faute d'y avoir travaillé ou étudié récemment ; qu'en faisant cependant application d'une telle clause, qui interdisait, en fait, au salarié d'exercer l'activité qui lui était propre, ce qui est confirmé par son impossibilité de retrouver un emploi depuis qu'il a quitté ses fonctions au sein de la société Arco, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil et le principe de la liberté du travail posé par la loi des 2-17 mars 1791; alors, enfin, que pour être licite, la clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'employeur; que l'employeur ne pouvait proscrire toute activité que le salarié aurait pu exercer, fût-ce pour le compte d'une société concurrente, dès l'instant où ce nouvel emploi serait étranger à celui précédemment occupé et ne supposerait pas la mise en œuvre d' éventuelles techniques confidentielles devant être protégées; qu'en refusant de constater l'illicéité de la clause litigieuse, la cour d'appel a donc violé le principe susvisé et l'article 1134 du Code civil;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté que la clause litigieuse était limitée dans le temps, qu'elle n'interdisait pas au salarié, compte tenu de ses études et de son expérience professionnelle, de retrouver un emploi et qu'elle se justifiait dans une entreprise opérant dans un secteur sensible comme celui de l'industrie nucléaire pour un cadre de niveau élevé, responsable des relations commerciales; qu'en l'état de ces constatations, elle a pu décider que la clause de non-concurrence était licite et, en refusant de l'annuler, a légalement justifié sa décision;
Sur le troisième moyen : - Attendu que le salarié fait aussi grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'il avait violé la clause de non-concurrence en travaillant pour le compte de la société Arco Atlantique du 2 avril au 18 novembre 1991, alors, selon le moyen, qu'en se fondant, pour déduire le fait que la société Arco Atlantique était une société concurrente de la société Framatome et que le salarié qui en était le dirigeant avait donc méconnu ses engagements contractuels, sur les seuls documents de présentation de la société Framatome, sans rechercher, comme l'y invitaient les écritures d'appel du salarié, si, en fait, les activités des deux sociétés n'étaient pas distinctes, de sorte que la société Arco Atlantique ne pouvait être considérée comme une entreprise concurrente au sens de la clause de non-concurrence, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil; alors, encore, qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les activités réellement exercées par le salarié pour le compte de son nouvel employeur étaient ou non identiques à celles auparavant exercées au sein de la société Framatome, et donc s'il était réellement en situation de concurrence, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil; alors, enfin, que la seule constatation selon laquelle la société Arco serait entrée en contact avec EDF est insusceptible de caractériser une situation de concurrence, aucune indication n'étant fournie sur la nature des relations contractuelles ainsi engagées et leur caractère éventuellement concurrentiel et attentatoire aux intérêts commerciaux de la société Framatome; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a, de nouveau, méconnu les dispositions de l'article 1134 du Code civil;
Mais attendu que la cour d'appel, après avoir relevé que la clause litigieuse interdisait au salarié d'entrer au service d'une entreprise concurrente ou de s'intéresser directement ou indirectement à toute fabrication et à tout commerce pouvant concerner les produits fabriqués par la société Framatome, a constaté que certaines activités de la société Arco Atlantique, dirigée par le salarié, étaient concurrentes et que le salarié, qui présentait la société Arco comme spécialisée en matière de maintenance industrielle nucléaire et n'hésitait pas à faire état de son expérience professionnelle acquise chez son ancien employeur, était entré en relation avec le principal client de ce dernier; que, sans encourir les griefs du moyen, la cour d'appel, en retenant que le salarié avait violé la clause de non-concurrence, a légalement justifié sa décision que le moyen n'est pas fondé;
Sur le quatrième moyen : - Attendu que le salarié fait enfin grief à l'arrêt d'avoir jugé qu'il a méconnu la clause de non-concurrence en travaillant pour le compte de la société Arco Atlantique du 2 avril au 18 novembre 1991, alors, selon le moyen, que, dans ses écritures d'appel, le salarié faisait valoir que l'employeur n'ayant pas rempli ses obligations en ne réglant pas l'intégralité des sommes dues au titre de l'indemnité de non-concurrence durant les mois d'avril à juin 1991, elle s'était ainsi privée de la possibilité d'en réclamer l'exécution par son salarié; que la cour d'appel, qui s'est abstenue d'apporter une réponse à ce moyen déterminant, a ainsi violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu que le salarié ayant contrevenu à la clause de non-concurrence immédiatement après la fin de son contrat, cette circonstance entraînait l'extinction de l'obligation de l'employeur de lui verser la contrepartie financière; que le moyen est inopérant;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.