CA Paris, 4e ch. A, 22 mai 1996, n° 96-004623
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
GMG (SARL)
Défendeur :
Établissements Louis Cabaud (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mmes Mandel, Marais
Avoués :
SCP Mira Bettan, SCP Teytaud
Avocats :
Mes Mendras, Mathely.
Faits et procédure
Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :
La Société Louis Cabaud et Fils se prévalant de ses droits d'auteur sur un modèle de monture de lunettes référencé Béatrice et estimant que la société GMG commercialisait un modèle en constituant une copie servile, l'a par exploit en date du 23 janvier 1995 assignée en contrefaçon et en concurrence déloyale devant le Tribunal de Commerce de Paris.
Elle sollicitait outre les mesures habituelles d'interdiction sous astreinte, de confiscation et de publication, le paiement d'une indemnité provisionnelle de 300 000 F à valoir sur son préjudice à déterminer par expertise ainsi que le bénéfice de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La Société GMG soulevait la nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon établi le 30 novembre 1994 et subsidiairement sur le fond concluait au débouté des demandes.
Par ailleurs elle réclamait paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Le Tribunal après avoir retenu que la saisie contrefaçon était valable, que Louis Cabaud et Fils justifiait être cessionnaire des droits d'auteur sur le modèle opposé et que celui-ci était protégeable sur le fondement du livre 1 du Code de la Propriété Intellectuelle a :
- dit que GMG en commercialisant une copie servile du modèle référencé Béatrice s'était livrée à des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale,
- interdit à GMG la poursuite desdits agissements sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée,
- ordonné la confiscation en vue de leur destruction des modèles contrefaisants détenus par GMG,
- condamné GMG à payer à Louis Cabaud et Fils une indemnité provisionnelle de 300 000 F et désigné un expert aux fins d'évaluation de son préjudice,
- ordonné des mesures de publication,
- ordonné l'exécution provisoire de sa décision
- condamné GMG à payer à Louis Cabaud et Fils une somme de 25 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
GMG a interjeté appel le 17 janvier 1996 et a été autorisée par ordonnance en date du 23 janvier à assigner à jour fixe la Société Louis Cabaud et Fils.
A l'appui de son recours elle fait valoir que :
- la demande est irrecevable comme dirigée contre une personne autre que celle qui est l'auteur prétendu des faits de contrefaçon,
- Louis Cabaud et Fils n'établit pas qu'elle est investie des droits d'auteur sur le modèle Béatrice,
- le modèle opposé est dépourvu de nouveauté ayant été divulgué depuis 1988,
- le tribunal a fait une appréciation excessive du préjudice de Louis Cabaud et Fils.
En conséquence elle demande à la Cour d'infirmer le jugement et subsidiairement de dire que le paiement d'une indemnité provisionnelle n'est pas justifié.
Elle sollicite par ailleurs paiement d'une somme de 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile.
Louis Cabaud et Fils réplique que :
- elle est parfaitement recevable à agir sur le fondement des dispositions du livre I du code de la Propriété Intellectuelle,
- aucun des documents produits n'est de nature à détruire la nouveauté du modèle revendiqué,
- GMG qui exploite ses magasins sous l'enseigne Super Optique est l'auteur des actes qui lui sont reprochés,
- le Tribunal a fait une exacte appréciation de son préjudice.
En conséquence elle poursuit la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et réclame au titre de ses frais irrépétibles une somme complémentaire de 25 000 F.
Sur ce, La Cour :
I - Sur la recevabilité de la demande
Considérant qu'il est constant que le 30 novembre 1994 Louis Cabaud et Fils a fait procéder à une saisie contrefaçon dans des locaux sis 209 avenue de Versailles à Paris 16ème.
Considérant qu'il résulte des pièces mises au débat et notamment d'un extrait Kbis produit par l'intimée que la société GMG exploite sous l'enseigne Super Optique un magasin au 209 avenue de Versailles à Paris, également de son siège social.
Que par ailleurs il existe une société distincte GMG Diffusion ayant son siège social 10 rue de Buci à Paris 6ème.
Que la société assignée est donc bien celle ayant fait l'objet de la saisie contrefaçon.
Que la société appelante peut d'autant moins le contester que dans sa déclaration d'appel, elle mentionne que son siège social est au 209 Avenue de Versailles et non au 10 rue de Buci comme elle le prétend.
Que ce moyen n'est donc pas fondé.
II - Sur la titularité des droits d'auteur sur le modèle opposé
Considérant qu'il résulte d'une attestation de M. Jacquet, salarié de Louis Cabaud et Fils qu'il a dessiné le modèle de lunettes " Béatrice ".
Que des plans portant le cartouche SNRL démontrent que par la suite d'autres personnes sont intervenues pour la mise au pont de la branche et le positionnement des strass.
Mais considérant qu'il résulte des factures et catalogues communiqués que Louis Cabaud et Fils commercialisait sous son nom, à la date de la saisie contrefaçon, le modèle de monture de lunettes référencé Béatrice.
Que si le catalogue porte, sur la première page de couverture, la mention " Elce France " inscrite dans un logo, il est indiqué en dernière page : " Ets Louis Cabaud et Fils Lunettes Molinques 39360 Vaux les Saint Claude France ", ce qui démontre que Elce est simplement une marque employée par Louis Cabaud et Fils pour désigner ses produits.
Considérant qu'en l'absence de toute revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant réalisé ce modèle de monture de lunettes, ces actes de possession sont de nature à faire présumer à l'égard de tiers poursuivis pour contrefaçon que la société Louis Cabaud et Fils est titulaire sur cette œuvre, quelle que soit sa qualification, du droit de propriété incorporelle de l'auteur.
Que l'action exercée par l'intimée en application du Livre I du Code de la Propriété Intellectuelle est donc recevable.
III - Sur le caractère protégeable du modèle
Considérant qu'il résulte des documents mis au débat que le modèle Béatrice était entièrement conçu et crée début 1991 ce que ne conteste pas l'appelante.
Considérant que pour établir le défaut de nouveauté de ce modèle, et prouver qu'un modèle identique ,existait en 1988, GMG ne peut se prévaloir des catalogues et de l'attestation Fu Hoo.
Que l'attestation émanant de la société Fu Hoo International Limited n'est ni datée ni signée.
Considérant que certes la planche d'un catalogue portant le nom de cette société montre sous la référence FM 3130 F A un modèle de monture de lunettes identique au modèle revendiqué.
Mais considérant que celle-ci n'est pas datée de manière certaine et incontestable.
Qu'en effet aucune valeur probante ne peut être attachée à la mention du chiffre 88 sur l'original communiqué en appel, dès lors d'une part que celui-ci n'apparaissait pas sur la photocopie communiquée en première instance et d'autre part que sur l'original il est apposé de manière curieuse (précédé sans raison d'une apostrophe et imprimé en partie sur le dessin d'une feuille sans être dans l'alignement du mot Limited).
Que cette pièce ne peut donc être retenue en tant qu'antériorité de toute pièce.
Considérant qu'en combinant une forme particulière d'encadrement des verres à des branches se divisant en deux parties jusqu'au niveau de leur point de pliage et en ornant celui-ci d'un élément décoratif, le créateur de ce modèle de monture lui a conféré un caractère original et spécifique le distinguant des autres modèles de monture de lunettes et portant l'empreinte de sa personnalité.
Que ce modèle est donc protégeable sur le fondement des dispositions du Livre 1 du Code de la Propriété Intellectuelle.
IV - Sur la contrefaçon
Considérant que la matérialité de la contrefaçon n'est pas contestée.
Qu'au demeurant il résulte tant du procès verbal de saisie contrefaçon que de l'examen comparatif des modèles en cause, produits en nature devant la Cour, que la monture incriminée et référencée 3130 reproduit l'ensemble des caractéristiques du modèle Béatrice.
Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné GMG de ce chef.
V - Sur la concurrence déloyale
Considérant que la copie servile d'un modèle si elle peut constituer une circonstance aggravante de la contrefaçon n'est pas en soi un acte distinct de concurrence déloyale.
Mais considérant en revanche que le fait de commercialiser un tel modèle de monture à un prix public inférieur de 50 % à celui de Louis Cabaud et Fils est de nature à détourner la clientèle et à faire penser que le titulaire du modèle vend ses produits dans différents circuits à des prix discriminatoires.
Que de tels agissements contraires aux usages loyaux du commerce et qui révèlent une intention délibérée de tirer profit des investissements publicitaires réalisés par Louis Cabaud et Fils constituent des actes de concurrence déloyale engageant la responsabilité de GMG sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil.
IV - Sur la réparation du préjudice
Considérant qu'en raison de ses agissements la société GMG a causé un préjudice important à la société Louis Cabaud et Fils.
Que celui-ci résulte d'une part de la perte des ventes subi par Louis Cabaud et Fils, observation étant faite sur ce point que le modèle critiqué a été offert à la vente non seulement en 1993 mais également en 1994, un catalogue de GMG daté Collection 94 le reproduisant.
Que d'autre part Louis Cabaud et Fils qui justifie commercialiser son modèle depuis 1992 et avoir réalisé autour de celui-ci une importante campagne publicitaire, s'est vue priver d'une partie de ses investissements et des efforts par elle développés.
Considérant enfin que les actes de GMG ont porté atteinte au caractère attractif du modèle Béatrice.
Que compte tenu de ces éléments il convient de fixer le préjudice subi par Louis Cabaud et Fils à la somme de 250 0000 F sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'expertise.
Qu'il convient par ailleurs de confirmer les mesures d'interdiction, de destruction et de publication ordonnées par les premiers juges, étant précisé que ces dernières devront faire mention du présent arrêt .
Considérant enfin qu'il serait inéquitable que Louis Cabaud et Fils conserve la charge intégrale des frais irrépétibles par elle engagés en appel et qu'il y a lieu de lui allouer de ce chef une somme supplémentaire de 15 000 F.
Que GMG qui succombe sera déboutée de sa demande sur ce point.
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a ordonné une expertise aux fins d'évaluation du préjudice de Louis Cabaud et Fils, Le réformant de ce chef et statuant à nouveau, Condamne la société GMG à payer à la société Louis Cabaud et Fils une somme de : deux cent cinquante mille francs (250 000 F) à titre de dommages et intérêts en réparation de son entier préjudice, Dit que les mesures de publication devront faire mention du présent arrêt, Condamne la société GMG à payer à la société Louis Cabaud et Fils une somme supplémentaire de quinze mille francs(15 000 F) en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Rejette toute autre demande des parties, Condamne la société GMG aux dépens d'appel, Admet la SCP Teytaud, , titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.