Cass. com., 21 mai 1996, n° 94-17.410
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
FR3 (Sté)
Défendeur :
Syndicat national de la vidéo communication
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocats :
Me Hennuyer, SCP Rouvière, Boutet.
LA COUR : - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Versailles, 17 mai 1994), rendu sur renvoi après cassation que, courant 1987, les stations " Méditerranée " et " Rhône-Alpes " de la société France Régions 3 ont entrepris une campagne de publicité en vue d'offrir leurs services pour la réalisation de documents audiovisuels destinés à des tiers ; que cette campagne a fait ressortir les moyens humains et techniques dont disposait la société et a été faite par diffusion auprès de la clientèle d'un document imprimé et d'un film réalisé sur cassette vidéo ; que les syndicats professionnels, représentant les producteurs de films vidéo ou de programmes audiovisuels, ont estimé que la société nationale de télévision FR3, anciennement dénommée France Régions 3 (société FR3) avait violé les dispositions des textes législatifs la réglementant et qu'elle s'était, en outre, rendu coupable d'abus de position dominante et de dénigrement à l'égard des professionnels intéressés ; que ces syndicats ont alors saisi le juge judiciaire pour que la société soit condamnée à leur verser des dommages-intérêts;
Sur le premier moyen pris en ses quatre branches : - Attendu que la société FR3 fait grief à l'arrêt d'avoir relevé qu'elle occupe une position dominante sur le marché des productions audiovisuelles destinées à des usages non télévisuels, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'un taux de 7,3 % réalisé sur le marché en cause est en soi exclusif de toute position dominante ; alors, d'autre part, que fondée sur un tel taux, une telle position ne saurait être appréciée au regard du chiffre d'affaires réalisé par les entreprises concurrentes adhérentes d'un seul syndicat, fussent-elles en " grand nombre ", mais comme le soulignait l'intimée dans ses conclusions demeurées sans réponse, au regard de toutes les entreprises concurrentes, syndiquées ou non, y compris des sociétés de télévision ; alors, en outre, que le marché à prendre en considération pour l'appréciation d'une activité dominante invoquée par des syndicats d'entreprises de productions audiovisuelles destinées à des usages non télévisuels est celui de la concurrence correspondant à cette activité, et non celui global de l'audiovisuel ; alors, enfin, que, comme le soulignaient les conclusions d'appel de la société France 3 également demeurées sans réponse sur ce point, la redevance a pour contrepartie ses obligations de service public de programmation et de diffusion, et n'a donc pas pour objet de subventionner les prestations litigieuses ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé les articles 1382 du Code civil, 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le moyen invite la Cour de Cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt, alors que la juridiction de renvoi s'y est conformée ; qu'il doit donc être déclaré irrecevable ;
Sur le deuxième moyen pris en ses quatre branches : - Attendu que la société FR3 fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle s'est rendu coupable d'abus de position dominante par la pratique de prix anticoncurrentiels, alors, selon le pourvoi, d'une part, que ce n'est pas " notamment " mais exclusivement pour ces derniers services que l'expert avait retenu des prix anormalement bas dans un rapport ainsi dénaturé par la cour d'appel ; alors, d'autre part, que la société FR3 avait, dans ses conclusions d'appel demeurées sans réponse, soutenu que l'expert s'était borné à comparer les prix proposés dans les tarifs sans examiner les prix réellement pratiqués par les producteurs privés, alors, de surcroît, qu'en se bornant à nier une telle justification par une simple pétition de principe, l'arrêt attaqué a délaissé les conclusions d'appel dans laquelle ladite société avait souligné que les contraintes qu'elle imposait à ses clients en les obligeant à travailler en post-production, horaires décalés dans les cellules de montage de post-production, et alors, enfin, que le silence observé dans les documents publicitaires quant à ces contraintes n'était exclusif ni de leur existence ni de la justification des bas prix qui en résultaient, qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé les articles 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que le moyen pris en ses deux dernières branches invite la Cour de Cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt, alors que la juridiction de renvoi s'y est conformée, et doit donc être déclaré irrecevable ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel, ayant analysé les différents éléments de preuve ressortant du rapport d'expertise, " confortés " par les déclarations du président de FR3, a pu décider, hors toute dénaturation et répondant aux conclusions prétendument omises, qu'il existait une relation de cause à effet entre la position dominante de FR3 et les prix anormalement bas pratiqués par cette société sur le marché des productions audiovisuelles destinées à des usages non télévisuels constitutive d'abus au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que le moyen irrecevable en ses deux dernières branches, n'est pas fondé en ses deux premières branches ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que la société FR3 fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée pour dénigrement de ses concurrents, alors, selon le pourvoi, que dans ses conclusions d'appel demeurées sans réponse, ladite société avait, comme les premiers juges, démontré que cette publicité était caricaturale et ne permettait aucun rapprochement avec l'une quelconque des entreprises adhérentes des syndicats demandeurs ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé les articles 1382 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que FR3 a adressé à un millier de " clients potentiels la cassette d'un film qui présente une image symbolique des concurrents qu'elle veut éliminer ; que l'entreprise concurrente est représentée dans le cadre d'un film en noir et blanc comme totalement vétuste, avec un personnel incompétent, ridicule, ringard et hystérique, alors qu'ensuite apparaissent des images en couleurs de FR3 dynamique et performante " ; que la cour d'appel, répondant ainsi aux conclusions prétendument éludées, a pu en déduire qu'il existait en l'espèce " un dénigrement collectif et une critique globale abusive visant à jeter le discrédit sur les producteurs et prestataires de services " concurrents ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen : - Attendu que la société FR3 fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement de dommages et intérêts pour le préjudice moral et commercial subi par les syndicats, alors, selon pourvoi, que le préjudice commercial n'ayant pu être subi que par leurs adhérents, lesdits syndicats étaient irrecevables à agir en réparation à ce titre ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé les articles 1382 du Code civil, L. 411-11 du Code du travail et 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que les syndicats ayant fait valoir dans leurs conclusions que les pratiques illicites de la société FR3 avaient causé à la profession qu'ils représentaient, prise dans son ensemble, un préjudice collectif, improprement qualifié de préjudice commercial, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a apprécié tant l'existence que l'importance du préjudice qui en résultait pour ces syndicats par l'évaluation qu'elle en a faite sans méconnaître les principes invoqués; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.