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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 21 mai 1996, n° 95-12567

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Association Avenir de la Culture

Défendeur :

Editions du Collectionneur (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bargue

Conseillers :

MM. Albertini, Charruault

Avoués :

SCP Bollet, Baskal, SCP Regnier-Bequet

Avocats :

Mes Ducrey, Cohen-Elkaim.

TGI Fontainebleau, du 3 mai 1995

3 mai 1995

L'association Avenir de la Culture (ci-après, l'Association), est appelante du jugement rendu le 3 mai 1995 par le tribunal de grande instance de Fontainebleau, qui a déclaré irrecevable sa demande formée contre La Librairie du Collectionneur, actuellement dénommée Editions du Collectionneur, a déclaré non fondée et rejeté la demande de dommages-intérêts et de publication formée par cette dernière et a condamné l'Association Avenir de la Culture, outre aux dépens, à payer à La Librairie du Collectionneur la somme de 3.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Référence étant faite à cette décision et aux écritures échangées par les parties pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens retenus par les premiers juges, il suffit de rappeler que l'Association Avenir de la Culture reproche aux Editions du Collectionneur d'avoir publié le livre "Sex", illustré de photographies comportant des mises en scène obscènes et sacrilèges.

Estimant que ce livre, librement accessible à la jeunesse, constituait une provocation à la liberté sexuelle et un danger incontestable en raison de la propagation de maladies nouvelles (SIDA), l'Association a assigné les Editions du Collectionneur devant le tribunal de grande instance de Fontainebleau qui a rendu la décision dont appel.

L'Association fait valoir, à l'appui de la recevabilité de son action, que :

- elle est régulièrement déclarée et son président est habilité à agir en justice en son nom,

- son objet, défini dans ses statuts, justifie la présente action dont la question de la recevabilité a déjà été tranchée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Fontainebleau le 4 décembre 1992,

- ses statuts ont fait l'objet, non d'une modification, ainsi que l'ont retenu à tort les premiers juges, mais d'un simple complément précisant l'objet de l'association qui existe depuis 1986,

- elle a déjà exercé de nombreuses actions, soit dans la presse, soit auprès de ministères ou d'organismes de protection de la jeunesse.

Sur le fond, l'Association soutient que les photographies et les textes du livre "Sex" sont de nature à inciter les mineurs à la débauche, à la licence, à la perversité, à outrager les bonnes moeurs et à porter atteinte au respect dû à la religion et que l'Association ne peut, dès lors, voir objecter à son action une quelconque atteinte illicite à la liberté d'expression.

Elle conclut, en conséquence, à l'infirmation du jugement et sollicite la condamnation des Editions du Collectionneur à lui payer, outre la somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, un franc à titre de dommages-intérêts et la publication de l'arrêt à intervenir.

Les Editions du Collectionneur demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la demande de l'Association irrecevable et, formant appel incident, sollicitent sa condamnation à lui payer la somme de 25.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du dénigrement dont elles ont été l'objet. Elles demandent également la publication de la décision à intervenir et la condamnation de l'Association à lui payer la somme de 20.000 F en remboursement de ses frais non compris dans les dépens.

A l'audience, le ministère public a oralement conclu à la confirmation du jugement déféré.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que l'Association Avenir de la Culture, régie par la loi du 1er juillet 1901, a été déclarée le 28 mars 1986 ;

Considérant que la qualité de son président pour exercer en son nom des actions en justice n'est pas contestée ;

Considérant qu'à la date du 28 mars 1986, l'Association avait pour objet de :

"promouvoir, mettre en valeur, protéger et défendre le patrimoine culturel européen et occidental ; encourager la diffusion d'une culture de qualité ; sensibiliser l'opinion publique aux questions culturelles ; aborder les problèmes culturels contemporains avec leurs implications éducatives, scientifiques, philosophiques et sociales" (Journal Officiel de la République Française du 23 avril 1986) ;

Que selon modification de ses statuts en date du 30 décembre 1992, l'Association s'est en outre fixé pour objet:

"l'assistance à l'enfance martyrisée et sa défense ; la lutte par tous moyens légaux, y compris par des actions judiciaires, contre toute atteinte :

- aux valeurs chrétiennes (blasphèmes, sacrilèges, etc...),

- aux bonnes moeurs,

- à la pudeur,

- à la moralité publique ou à la morale naturelle,

- aux droits de l'enfance et de la jeunesse et ce, quels que soient le moyen de l'atteinte, son support et la publicité donnée (visuel, audiovisuel, télématique, radiophonique, phonographique, écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images, affiches, discours, cris, menaces, gestes, etc...)" ;

Considérant qu'il résulte de la comparaison de ces deux textes successifs, qu'à la date de publication du livre incriminé, au mois de novembre 1992, l'objet de l'Association lui donnait pour mission, non de lutter contre les atteintes spécifiques à la morale, aux bonnes moeurs, à la pudeur et aux valeurs chrétiennes qui constituent le fondement de l'action dont la Cour est saisie, mais de promouvoir et défendre de la façon la plus générale le patrimoine culturel européen ; que non conforme à l'objet initial de l'Association, l'action engagée ne peut qu'être déclarée irrecevable au regard de celui-ci ;

Considérant, certes, que l'Association, fait valoir que le 30 décembre 1992, elle a apporté à son objet la précision, ci-dessus rappelée, qui justifie, en tout état de cause la recevabilité de son action ;

Mais considérant, d'une part, que les compléments apportés aux statuts le 30 décembre 1992, que l'appelante considère comme de simples "précisions", constituent en réalité de réelles modifications de l'objet initialement défini, modifications d'ailleurs déclarées comme telles par l'Association, ainsi qu'il résulte du récépissé de déclaration du 10 février 1993 ; qu'elles ne sauraient, dès lors, valider rétroactivement la recevabilité de l'action ;

Considérant, d'autre part, que si une association régulièrement déclarée peut réclamer la réparation des atteintes portées aux intérêts collectifs de ses membres, elle ne peut être admise, en l'absence d'une disposition légale l'habilitant expressément, à agir en justice pour la défense d'intérêts généraux tels, notamment, que la défense des mineurs et des bonnes moeurs ;

Que ne pouvant, en effet, se prétendre directement et personnellement victime des agissements contraires aux valeurs qu'elle défend, ces agissements, s'ils sont établis, affectant pareillement la collectivité toute entière, elle ne satisfait pas à la condition posée par l'article 31 du Nouveau Code de procédure civile aux termes duquel l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès d'une prétention ;

Considérant que, libre d'utiliser les moyens qui lui paraissent les plus appropriés à la réalisation des objectifs qu'elle s'est fixée, l'Association ne saurait davantage justifier de son intérêt à agir en justice au regard de l'article 31 précité, par l'énumération des actions, quels que puissent en être les mérites qu'il n'appartient pas à la Cour d'apprécier, qu'elle a pu entreprendre par voie de médias et auprès d'organismes officiels ou spécialisés dans la protection de la jeunesse ;

Considérant que l'Association, si elle a été déclarée recevable en son action par une ordonnance de référé du 4 décembre 1992, ne saurait toutefois se prévaloir de cette décision qui, aux termes de l'article 488 du Nouveau Code de procédure civile n'a pas, au principal, autorité de la chose jugée ;

Considérant, en conséquence, que l'Association Avenir de la Culture, ne justifiant pas de son intérêt à agir à la date de son assignation, au regard de l'objet fixé par ses statuts, tant dans leur rédaction initiale que dans leur rédaction du 30 décembre 1992, son action ne peut qu'être déclarée irrecevable ;

Considérant que les Editions du Collectionneur ne justifient pas du préjudice qu'elles subiraient du fait du dénigrement dont elles se plaignent de la part de l'Association ;

Que ce dénigrement ne saurait résulter, en toute hypothèse, de l'action en justice exercée par l'Association, même si celle-ci est jugée irrecevable, exercice qui constitue un droit et ne peut dégénérer en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol; qu'une telle faute n'est pas établie en l'espèce ;

Que la preuve du dénigrement invoqué ne saurait davantage résulter d'un débat qui serait ouvert, selon l'intimée, dans la hiérarchie catholique au sujet de l'association appelante et sur lequel la Cour n'a pas à prendre parti ;

Qu'il y a lieu en conséquence de débouter les Editions du Collectionneur des fins de leur appel incident ;

Considérant qu'il convient de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile au profit des Editions du Collectionneur ;

Par ces motifs : confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties le 3 mai 1995 par le tribunal de grande instance de Fontainebleau ; y ajoutant condamne l'Association Avenir de la Culture à payer aux Editions du Collectionneur la somme de 10.000 F en remboursement des frais non compris dans les dépens par elles exposés en cause d'appel ; la condamne aux dépens ; admet la SCP Regnier-Bequet, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.