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Décisions

Cass. com., 6 mai 1996, n° 94-16.080

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Thermo Instrument Systems (SA), Lebrat

Défendeur :

Instruments (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Huglo

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde.

TGI Bobigny, 1re ch., du 26 sept. 1991

26 septembre 1991

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 avril 1994), que MM. Fitoussi et Lebrat, employés de la société Instruments SA (société ISA), ont démissionné les 19 février et 1er mars 1990, pour être embauchés par une société concurrente, la société Thermo instruments systems (société TISA); que, s'estimant victime de divers actes de concurrence déloyale, la société ISA a assigné devant le tribunal de grande instance la société TISA et MM. Lebrat et Fitoussi;

Sur le premier moyen : - Attendu que, la société TISA et M. Lebrat font grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de la société ISA, alors, selon le pourvoi, que le fait d'embaucher les salariés démissionnaires d'une entreprise concurrente, non liés à leur ancien employeur par une clause de non-concurrence, ne suffit pas à caractériser l'existence de manœuvres frauduleuses constitutives de concurrence déloyale; que la cour d'appel, en l'espèce, a seulement relevé que la société TISA avait approché deux salariés de la société ISA, lesquels étaient cependant restés au service de cette dernière; qu'elle a considéré qu'aucune autre tentative de débauchage n'était établie et n'a pas constaté que les salaires proposés par TISA étaient anormalement élevés; qu'en déduisant néanmoins du seul fait de la démission de deux salariés et de la rémunération plus attractive qui leur était proposée, l'existence de manœuvres imputables à la société TISA, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil;

Mais attendu, qu'ayant constaté que le département spectrométrie d'émission de la société ISA disposait d'un service commercial pour la France de cinq personnes; que M. Fitoussi, le directeur de ce service, et M. Lebrat ont simultanément démissionné les 19 février et 1er mars 1990 de la société ISA pour être immédiatement embauchés par la société TISA avec des rémunérations supérieures d'environ 30 %, que deux autres membres du même service ont été " approchés " par la société TISA, l'un ayant même signé un contrat d'embauche auquel il a finalement renoncé et l'autre ayant attesté qu'un haut responsable de la société TISA lui avait proposé un poste de responsabilité et un salaire attractif, et que M. Leroy, qui assurait seul au sein de la société ISA la formation du personnel chargé du service après-vente a également démissionné en mars 1990 de cette société pour entrer au service de la société TISA, la cour d'appel a pu en déduire l'existence de manœuvres déloyales de la part de la société TISA visant à désorganiser le service commercial de la société ISA, pour le département de la spectrométrie d'émission; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que, la société TISA et M. Lebrat font encore grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, que la constatation d'une faute à la charge d'une partie ne peut entraîner sa condamnation au paiement de dommages-intérêts que s'il est par ailleurs constaté qu'elle a causé un préjudice; que la cour d'appel en l'espèce a considéré que l'utilisation par M. Lebrat de la ligne téléphonique litigieuse était fautive parce qu'il "pouvait" avoir trompé la clientèle et que TISA en avait nécessairement profité; qu'elle a cependant également constaté qu'aucun détournement de clientèle ne pouvait être imputé à M. Lebrat et à TISA; qu'en les condamnant néanmoins au paiement de dommages-intérêts de ce chef, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil;

Mais attendu que l'arrêt constate que la société ISA justifie par des attestations de son commissaire aux comptes que, dans le domaine de la spectrométrie d'émission, son chiffre d'affaires est passé de 22 305 000 F en 1989 à 18 350 000 F en 1990 et à 6 993 000 F en 1991 tandis que, au cours de la même période, le chiffre d'affaires du département spectrométrie optique de la société ISA, qui n'était pas concerné par les actes de concurrence déloyale constatés, a progressé de 40 % en 1990 et de 42 % en 1991 par rapport à l'année 1989; que l'arrêt relève encore que les chiffres d'affaires des filiales en Europe de la société ISA pour la spectrométrie d'émission ont, quant à eux, sensiblement augmenté durant la même période; que si d'autres sociétés se sont également implantées sur le marché, il est indéniable que la baisse spectaculaire du chiffre d'affaires de la société ISA en France trouve en partie sa cause dans les actes de concurrence déloyale constatés à l'encontre de la société TISA et de M. Lebrat ; que l'usage par M. Lebrat pour le compte de la société TISA d'une ancienne ligne téléphonique de la société ISA a engendré une confusion dans l'esprit de la clientèle et causé un trouble commercial constitutif d'un préjudice ; qu'à partir de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu caractériser l'existence du préjudice; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que, la société TISA et M. Lebrat font enfin grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, que la cour d'appel n'a retenu à la charge de la société TISA et de M. Lebrat que l'embauche de 3 salariés démissionnaires et l'utilisation d'une ligne téléphonique et a écarté le grief de détournement de clientèle; qu'elle s'est par ailleurs bornée à constater l'existence d'une baisse du chiffre d'affaires de la société ISA ; qu'en mettant à la charge de la société TISA et de M. Lebrat la somme de 5 millions de francs à ce titre, sans s'expliquer sur le lien de causalité entre les agissements imputés aux appelants et la baisse du chiffre d'affaires d'ISA, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil;

Mais attendu, qu'ayant constaté qu'en privant brusquement l'équipe de vente du département spectrométrie d'émission de la société ISA de deux de ses cinq membres, dont son directeur, en tentant de débaucher deux autres membres de cette équipe et en débauchant l'unique salarié de la société ISA chargé de la formation du personnel affecté au service après-vente, la société TISA a gravement désorganisé le service commercial de la société ISA et a cherché délibérément à diminuer sa capacité de concurrence en France en utilisant les connaissances acquises par les salariés débauchés, lesquels étaient au service de la société ISA depuis de nombreuses années et étaient connus de la clientèle, la cour d'appel a pu en déduire que la baisse importante du chiffre d'affaires de la société ISA trouvait en partie sa cause dans les actes de concurrence déloyale constatés ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : - Attendu que la société Instruments sollicite, sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 20 000 F ;

Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.