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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 10 avril 1996, n° 2704-96

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Poste

Défendeur :

Association Française des Banques, Banque Nationale de Paris (SA), Crédit commercial de France, Crédit industriel et commercial, Crédit Lyonnais (SA), Société Générale (SA), Caisse nationale de Crédit agricole (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gillet

Conseillers :

Mme Obram-Campion, Mlle Laurent

Avoués :

SCP Gas, SCP Lambert-Debray-Chemin

Avocats :

Mes Lehamn, Bertin, Baudelot

TGI Nanterre, prés., du 27 mars 1996

27 mars 1996

LA COUR :

I

I-1 Considérant que depuis le 17 mars 1996, La Poste mène une campagne publicitaire sur supports radiophoniques et télévisuel ; que des séquences composant cette campagne, il ressort en substance, sur un mode humoristique ou vivace, d'une part que La Poste " fait des crédits immobiliers à des taux très intéressants, sans frais de dossier, avec des assurances parmi les moins chères du marché ", et d'autre part, qu' " en cas de petit coup dur ou de gros coup de coeur, à La Poste, on peut accorder un découvert à un des taux les plus bas du marché " ;

I-2 Considérant que l'Association française des Banques (AFB), le Crédit-Lyonnais, la BNP, la Société Générale, le CIC, le CCF et la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA), tenant cette campagne pour déloyale et trompeuse, ont fait assigner La Poste en référé notamment pour que sa cessation soit ordonnée sous astreinte ; que la CNCA a sollicité la communication du " plan-média " de cette campagne ; que par ordonnance du 27 mars 1996, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Nanterre, tenant la publicité litigieuse pour trouble manifestement illicite, a fait droit à ces demandes et a alloué à l'AFB une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

II

II-1 Considérant que La Poste, appelante, sollicite le rejet des prétentions des banques et de leur association, aucun trouble manifestement illicite et générateur de référé n'existant selon elle en l'espèce ; qu'à titre subsidiaire, elle tient pour suffisante à la cessation du trouble invoqué l'insertion d'une mention appropriée dans les messages publicitaires incriminés ; qu'elle sollicite une somme de 10 000 F pour frais hors dépens ;

II-2 Considérant que la CNCA conclut à la confirmation de l'ordonnance sauf à assortir d'une astreinte l'injonction relative à la communication du " plan-média " ;

II-3 Considérant que l'AFB et les autres banques concernées concluent également à la confirmation de l'ordonnance, sauf à étendre auxdites banques le bénéfice de l'injonction de communication du " plan-média " ; que les mêmes banques sollicitent chacune une indemnité de 10 000 F pour frais irrépétibles ;

III

Sur les séquences relatives à des découverts :

III-1 Considérant que pour tenir ces séquences pour troubles manifestement illicites, le premier juge a relevé que la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service de La Poste et le décret du 29 décembre 1990 valant cahier des charges pour cet organisme ne lui permettait que d'offrir des facilités de trésorerie des découverts temporaires et subordonnés à des conditions strictement fixées au contrat de plan, conditions relatives notamment au nombre de jours de découvert et à la limitation quantitative des facilités offertes par référence au cumul des mouvements créditeurs des comptes ; que les intimés ajoutent que l'évocation, dans les messages publicitaires, de tels " découverts " garde le silence sur ces " conditions extrêmement restrictives ", et ces " limites extrêmement précises ", lesquelles s'opposent selon eux à la liberté qu'ont les banques de consentir d'authentiques découverts en fonction des seules opportunités ou capacités de remboursement de leurs clients ; qu'ils tiennent en conséquence la publicité en cause pour trompeuse en ce qu'elle induirait en erreur le client potentiel sur les propriétés et qualités du service offert ;

III-2 Mais considérant que l'énumération, certes précise, des conditions légalement imposées à La Poste pour l'octroi de découverts fait apparaître, pour qui en fait une lecture raisonnée, des critères extrêmement voisins de ceux qu'une gestion de bon sens dicte en fait aux banques pour le même octroi, s'agissant des particuliers qui constituent pour l'essentiel la clientèle de l'organisme appelant ; qu'il n'est pas possible, sans examen au fond, de tenir pour trompeuse ou pour créatrice d'erreur ou de confusion, dans l'esprit de cette clientèle potentielle, la mention du découvert que La Poste est ainsi susceptible de consentir selon des paramètres certes réglementaires mais fortement inspirés de ceux adoptés en fait par les banques ; qu'en tout cas, le trouble déploré sur ce point par les intimés n'apparaît pas affecté d'une illicéité manifeste au sens de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ; que l'ordonnance doit donc être infirmée en ce qu'elle a enjoint à La Poste de ne plus diffuser ces messages ;

IV

Sur les séquences relatives à des crédits immobiliers ;

IV-1 Considérant que pour tenir ces séquences pour troubles manifestement illicites, le premier juge a relevé que le domaine du crédit immobilier était interdit à La Poste, les textes définissant son statut et ses activités lui permettant seulement de consentir des prêts liés à l'épargne-logement à titre principal ou complémentaire, à savoir des prêts conditionnés par une épargne préalable d'une durée minimum déterminée, de telles conditions étant étrangères à l'octroi d'un crédit immobilier ; que les intimés ajoutent que les séquences incriminées sont de nature à induire le public en erreur puisqu'elles accréditent une possibilité indifférenciée de crédit et l'hypothèse d'une situation de concurrence relativement aux taux, éléments incompatibles avec le cantonnement d'activité réglementairement imposé à La Poste ;

IV-2 Considérant qu'au soutien de son appel, La Poste fait valoir qu'" il n'existe aucune différence entre la notion de prêt et celle de crédit ", en sorte que lui serait ouverte le domaine du crédit immobilier ; qu'elle ajoute que si son statut restrictif lui interdit une distribution indifférenciée de crédits immobiliers, il est dans le statut de maintes banques de ne pouvoir davantage octroyer n'importe quel crédit, certains messages publicitaires émanant de banques suggérant en outre la possibilité d'accorder des prêts sans préciser l'existence des conditions restrictives les assortissant ; qu'elle souligne que sa publicité a seulement pour objet et pour résultat de faire savoir au consommateur " que les crédits immobiliers de La Poste constituent une des solutions qu'il peut envisager " ;

IV-3 Mais considérant que l'émission, sur le mode mentionné plus haut, de messages tels ceux incriminés a d'évidence pour fonction, faute de quoi elle n'a aucun sens, d'attirer le consommateur et de susciter une clientèle en énonçant que les fonds vont pouvoir, par La Poste, lui être procurés par une opération immobilière ; que sans qu'il soit nécessaire d'analyser la différence qui peut séparer un prêt d'un crédit, force est de constater que l'attraction de clientèle ne peut s'entendre que d'une clientèle non fixée, en sorte que vient forcément à l'esprit du consommateur moyen, lorsqu'il perçoit le message en cause, l'idée que s'il n'a pas songé à La Poste pour financer une opération immobilière, il peut avoir intérêt à le faire en sollicitant d'elle un prêt ou un crédit; qu'un tel message n'a d'évidence ni utilité ni logique s'il s'adresse à des personnes ayant constitué, notamment auprès de La Poste, l'épargne préalable indispensable à l'octroi des seuls prêts que La Poste peut accorder, un tel accord étant au demeurant un droit pour l'épargnant ; qu'il suscite d'autre part l'espérance de taux sciemment ou délibérément compétitifs, alors que pour l'essentiel, ceux des prêts d'épargne-logement obéissent à d'autre normes de fixation;

Qu'enfin le même message laisse clairement et plaisamment entendre, sur un ton évidemment propre à capter un désir d'investissement immédiat plus qu'un désir d'épargne, que des fonds vont être accordés alors qu'à un nouveau client La Poste pourra seulement proposer un contrat d'épargne-logement; qu'en définitive, les séquences dont il s'agit, en préfigurant clairement la délivrance d'une prestation qu'il n'est pas dans le pouvoir de La Poste de fournir, contreviennent à l'interdiction, faite par l'article L. 121-1 du Code de la consommation, de toute publicité de nature à induire en erreur sur les qualités ou aptitudes de l'annonceur; que s'agissant de ces séquences, constitutives d'un trouble manifestement illicite, la décision d'interdiction doit être confirmée, sans égard à la prétention subsidiaire de La Poste à voir déclarer satisfactoire une mention additive manifestement inefficace et incompatible avec le style et le ton de la publicité en cause ;

V

V-1 Considérant qu'il n'est pas dans les écritures, exposé en quoi la communication du " plan média " relatif à la campagne publicitaire en cause serait nécessaire à la cessation du trouble allégué ou à la prévention d'un dommage qui serait imminent ; que ce chef de demande doit être rejeté ;

V-2 Et considérant que l'ordonnance devant être seulement réformée, chaque partie, partiellement perdante, conservera la charge de ses dépens d'appel ; que les données de la cause ne font pas ressortir d'élément justifiant l'application, en première instance ou en appel de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Réformant l'ordonnance entreprise ; Interdit seulement à la Poste, sous les conditions et astreinte stipulées par le premier juge de diffuser, sur quelque support que ce soit, des messages ou séquences publicitaires faisant état d'une possibilité d'octroi, par elle, de " crédits immobiliers " ; Dit n'y avoir lieu à pareille interdiction s'agissant des messages ou séquences relatives à l'octroi de " découverts " ; Dit n'y avoir lieu à communication d'un " plan média " ; Dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens de première instance et d'appel. Dit n'y avoir lieu, en première instance et en appel, à allocation d'une somme quelconque pour frais hors dépens.