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Décisions

Cass. com., 9 avril 1996, n° 94-12.043

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Angoulême Distribution (SA)

Défendeur :

Parfums Christian Dior (SA), Parfums Lanvin (SA), Parfums Givenchy (SA), Parfums Nina Ricci (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nicot

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Tiffreau, Thouin-Palat, Mes Bertrand, Capron.

T. com. Angoulême, du 26 mars 1987

26 mars 1987

LA COUR : - Sur le moyen unique, pris en ses six branches ; - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Caen, 15 février 1994), rendu sur renvoi après cassation, que la société des Parfums Christian Dior, la société des Parfums Nina Ricci, la société des Parfums Givenchy et la société des Parfums Lanvin (les fabricants) faisant valoir qu'elles commercialisaient leurs produits par des réseaux de distribution sélective, ont assigné en 1986 devant le tribunal de commerce, pour concurrence déloyale et publicité mensongère, la société Angdis, laquelle sans avoir été agréée dans leurs réseaux, offrait cependant leurs produits à la vente, revêtue d'une mention selon laquelle ils n'étaient vendus que par des distributeurs agréés par le fabricant ;

Attendu que la société Angdis fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement de dommages et intérêts des chefs de concurrence déloyale et publicité mensongère, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en retenant la licéité des réseaux de distribution sélective que les fabricants de parfums avaient à charge de prouver, sans avoir recherché en fait si, à supposer le maintien d'une concurrence praticable entre ces fabricants, ces réseaux n'avaient pas pour objet ou pour effet, d'empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence entre distributeurs agréés et non agréés, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 85 du traité de Rome, 1er et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en retenant la licéité des réseaux de distribution sélective que les fabricants de parfums avaient à charge de prouver, sans avoir recherché en fait si, à supposer " justifiés les prix pratiqués ", les distributeurs agréés étaient libres d'en fixer le montant, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 85 du traité de Rome, 1er et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 1382 du Code civil ; alors, en outre, qu'en retenant la licéité des réseaux de distribution sélective opposés par les fabricants de parfums, sans avoir constaté que ces derniers auraient obtenu le bénéfice d'une exemption catégorielle au principe d'interdiction des accords entre entreprises et pratiques concertées susceptible d'affecter le commerce entre les États membres et ayant pour objet ou effet d'empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 85 du traité de Rome et 1er du règlement CEE n° 1983-83 de la Commission du 22 juin 1983 concernant le paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords de distribution exclusive; alors, au surplus, que le seul fait d'avoir commercialisé des produits relevant des réseaux de distribution sélective des fabricants ne constituait pas en lui-même, en l'absence d'autres éléments, un acte fautif; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que les produits litigieux ont été acquis par la société Angdis auprès de la société d'importation pétrolière E Leclerc qui les lui a revendus après les avoir elle-même acquis selon de prétendus " procédés déloyaux ", dont l'arrêt attaqué n'a pas constaté que la société Angdis y aurait participé activement, ni même qu'elle en aurait eu connaissance avant l'acquisition des produits; que dès lors, en ayant retenu la responsabilité de la société Angdis, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; alors, de surcroît, qu'à supposer établis les prétendus " procédés déloyaux ", en omettant de rechercher si, en vendant les produits litigieux à la " société Becklodge ", dont elle déclarait qu'il s'agissait d'une société créée à Jersey en 1983 par des actionnaires inconnus puis gérée par une autre société dont les actionnaires et les organes de direction sont demeurés inconnus et pour laquelle les recherches entreprises n'avaient pas permis de découvrir, ni son siège social réel ni l'endroit où elle exerçait une activité commerciale, alors qu'elle n'avait réalisé ; en 1983 aucune opération et n'avait pas déposé ses comptes sociaux pour l'année 1984, les fabricants de parfums ne s'étaient pas délibérément placés dans une situation exclusive de protection de leurs réseaux de distribution sélective, qui ne pouvaient dès lors être légalement opposés au sous-revendeur non agréé français, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil; et alors, enfin, que par ailleurs, la société Angdis était étrangère à l'apposition de la mention figurant sur l'emballage du produit ; que dès lors, en retenant la responsabilité de la société Angdis, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que l'analyse des contrats de distributeur agréé et des conditions générales de vente versées aux débats par les fabricants établit que le distributeur est choisi en fonction de critères précis et objectifs tels que sa qualification, la qualité du point de vente, l'environnement, les possibilités de stockage des produits ; qu'en l'état de ces constatations, faisant ressortir la licéité de ces conventions au regard de la jurisprudence communautaire et des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, alors applicable, et rendant inopérante une recherche en vue de vérifier si les fabricants bénéficiaient d'une exemption catégorielle délivrée par la Commission des communautés, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt constate que " les revendeurs ont une entière liberté pour fixer le prix de vente de leurs produits " ; qu'il en découle que le grief selon lequel la cour d'appel n'aurait pas vérifié si les distributeurs étaient libres de fixer le montant du prix des parfums manque en fait ;

Attendu, en troisième lieu, que la cour d'appel, après avoir constaté que pendant huit années la société Angdis s'était refusée à faire connaître ses sources d'approvisionnement puisqu'elle avait seulement communiqué au mois de février 1993 des factures d'achat émises par la société d'importation pétrolière Leclerc ainsi que des factures émises à l'ordre de cette dernière par des sociétés de " façade " domiciliées à l'étranger, a pu en déduire, sans qu'aucune faute ne puisse être reprochée aux fabricants, en ce qui concerne l'étanchéité du réseau de distribution sélective mis en place par eux, que le comportement de la société Angdis était constitutif de faute au sens de l'article 1382 du Code civil;

Attendu, enfin, que c'est à bon droit que la cour d'appel a énoncé qu'était constitutif d'un acte de publicité mensongère, la mention apposée sur les emballages, non démentie par le vendeur, suivant laquelle les produits ne pouvaient être vendus que par un distributeur agréé, cette mention étant de nature à laisser croire que la société Angdis avait la qualité de distributeur agréé;que le moyen, irrecevable, en sa deuxième branche, est non fondé en ses autres branches;

Par ces motifs, rejette le pourvoi.