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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 20 mars 1996, n° 2367-94

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Garage Serieys et Fils (SARL)

Défendeur :

Marlaud (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foulon

Conseillers :

MM. Lebreuil, Kriegk

Avoués :

SCP Boyer Lescat, SCP Rives Podesta

Avocats :

SCP Fourgoux, SCP Dupuy.

T. com. Castres, du 28 mars 1994

28 mars 1994

Suivant exploit en date du 8 décembre 1993, la société Etablissements Marlaud, concessionnaire Citroën à Albi, a fait assigner devant le Tribunal de commerce d'Albi le Garage Serieys & Fils aux fins de voir dire et juger que ce dernier aurait commis des infractions à la législation communautaire, et des actes constitutifs de concurrence déloyale compte tenu des procédés publicitaires employés par celui ci,

La cause a été renvoyée devant le Tribunal de commerce de Castres en application de l'article 47 du NCPC, compte tenu de la qualité de juge consulaire de M. Marlaud,

Par jugement en date du 28 mars 1994, le Tribunal de commerce de Castres, au vu de la réglementation 123-85 de la CEE du 12 décembre 1984 et de la communication interprétative de Bruxelles du 18 décembre 1991, a fait interdiction au Garage Serieys de vendre tout véhicule Citroën neuf sans mandat écrit préalable, ainsi que de publier dans la presse des circulaires ou démarches similaires laissant supposer qu'elle vend des véhicules neufs Citroën, et ce, sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée à compter de la signification de la décision,

En outre, le Garage Serieys était condamné à payer aux Etablissements Marlaud une somme de 50 000 F à titre de dommages et intérEtablissements en réparation du préjudice subi, et une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La SARL Garage Serieys & Fils a régulièrement relevé appel de cette décision par déclaration effectuée le 12 avril 1994,

L'appelant demande de débouter les Etablissements Marlaud de leur demande, et de les condamner au paiement de la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

Subsidiairement, il demande de dire que le Tribunal n'était pas compétent pour interpréter le règlement 123-85, de saisir la Cour de Justice des communautés européennes d'un renvoi préjudiciel en application de l'article 177 du traité de Rome, et de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse,

L'appelant souhaitait voir poser les questions suivantes :

1°) Le règlement CEE 123-85, qui définit les conditions d'exemption des accords entre constructeurs et concessionnaires relatifs à l'exclusivité de vente des véhicules neufs, réglemente t-il l'activité de commerçant indépendant en automobiles par une restriction à la liberté du commerce ?

2°) Le droit communautaire n'accorde t-il pas une protection spécifique aux importations parallèles des véhicules automobiles, comme des autres produits, de manière à assurer aux consommateurs la liberté de choix sur toute l'étendue de la Communauté. Par voie de conséquence, un commerçant indépendant est-il cantonné dans la prestation de services et ne peut-il cumulativement procéder aux importations parallèles en tant que négociant?

3°) Le règlement CEE 123-85 peut-il être extensivement appliqué au commerce des voitures d'occasion, notamment des " occasions récentes " (moins de 6000 kms) et, dans la négative, quels sont les critères à prendre en considération, en droit communautaire, pour distinguer les voitures neuves des voitures d'occasion ?

Plus subsidiairement, l'appelant demande de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission des communautés européennes ait statué sur la plainte déposée le 11 juillet 1994 en application de l'article 85 du traité de Rome visant les Etablissements Marlaud,

La SA des Etablissements Marlaud demande de confirmer le jugement dont appel et de condamner le garage Serieys & Fils au paiement d'une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

Postérieurement à l'ordonnance de clôture intervenue en date du 22 janvier 1996, l'appelant a notifié la copie de deux arrEtablissements rendus le 15 février 1996 par la Cour de justice des communautés européennes, ce qui a provoqué la notification de conclusions en réplique de la part de l'intimé, lequel demande la révocation de l'ordonnance de clôture pour en permettre l'admission aux débats,

MOTIFS DE L'ARRET :

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :

La survenance des dernières décisions de la Cour de Justice des communautés européennes postérieurement au prononcé de l'ordonnance de clôture constitue une cause grave justifiant la révocation de celle ci, de manière à permettre l'admission aux débats des conclusions notifiées en réponse par l'intimé,

Sur la portée des dispositions communautaires à l'égard des opérateurs indépendants en matière de distribution de véhicules automobiles :

Le Garage Serieys, qui n'a pas la qualité de concessionnaire agréé Citroën, a importé en qualité de prestataire de services des véhicules neufs en Belgique pour le compte de ses clients,

La distribution automobile bénéficie au travers du règlement communautaire 123-85 du 12 décembre 1984, d'un régime dérogatoire au droit commun européen, en ce qu'il accorde une exemption catégorielle aux accords de concession exclusive dans le domaine de la distribution automobile de véhicules neufs,

Les parties sont en désaccord sur l'interprétation du règlement, qui ne comporte aucune disposition expresse relative à l'activité de commerçant indépendant hors réseau,

La SA Marlaud soutient que le Garage Serieys ne pouvait s'adresser à des intermédiaires extérieurs au réseau officiel qu'à la seule condition prévue par l'article 3-11° du règlement, de recevoir au préalable un mandat écrit du client à cet effet, ce qui emporte également, pour assurer le principe de la libre concurrence :

- d'assurer une information suffisante du consommateur sur les différents services offerts et la rémunération du mandataire afin de permettre à l'utilisateur final de faire la comparaison entre ses prestations et celles offertes par le concessionnaire,

- de facturer le détail des services (transport, crédit et autres),

- de veiller à ce que la publicité ne crée aucune confusion possible avec une activité de revente ou un système de distribution autorisée, en précisant que le prix correspond à une " meilleure estimation possible " et que les véhicules ne sont pas disponibles à la vente,

Le Tribunal, après avoir observé que le Garage Serieys, à l'occasion de l'exécution d'une mission de constat d'huissier effectuée le 21 mai 1992, avait été dans l'impossibilité de fournir les mandats correspondants aux 4 ventes qui étaient intervenues - ces mandats n'ayant été produits que 9 mois plus tard - en a déduit que le garage avait agi en qualité de revendeur et non en qualité de mandataire, ce qui constituait une infraction,

Le Garage Serieys, qui soutient avoir agi régulièrement en tant que mandataire, revendique par ailleurs le droit de procéder à des importations parallèles hors de l'activité de prestataire de service titulaire d'un mandat,

Le Garage Serieys verse aux débats non seulement les mandats reçus des clients entre novembre 1991 et mars 1992, mais aussi les bons de commande correspondant à chaque véhicule litigieux, et les factures d'achat des véhicules établies au nom du garage,

La SA Etablissements Marlaud ne peut contester sérieusement l'authenticité de ces documents, mais fait remarquer à bon droit qu'en l'espèce, l'établissement des factures au nom du Garage et non pas au nom des clients suggère davantage la pratique de l'achat-vente plutôt que celle du mandat,

Néanmoins, comme le précise la Cour de Justice des Communautés Européennes dans ses arrEtablissements en date du 15 février 1996 C-226-94 (Grand garage Albigeois) et C-309-94 (Nissan France), le règlement n° 123-85 de la Commission du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée, ni intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11 de ce règlement, se livre à une activité de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque,

La Cour de Justice des Communautés Européennes a précisé également que le règlement n° 123-85 ne s'opposait pas davantage à ce qu'un opérateur indépendant cumule les activités d'intermédiaire mandaté et celles de revendeur non agréé de véhicules provenant d'importations parallèles,

La Cour, qui ne peut que souscrire à cette analyse, doit considérer que l'activité de la société Serieys ne pouvait être considérée comme illicite

Par voie de conséquence, et sans qu'il y ait lieu à renvoi préjudiciel en l'état de ce qui précède, les Etablissements Marlaud doivent être déboutés de leur demande principale, ce qui conduit à la réformation du jugement attaqué,

Sur l'existence de faits de concurrence déloyale provenant de la publicité entreprise par le Garage Serieys :

Le Tribunal a considéré que la publicité portant la mention " Importation Neuf CEE " créait incontestablement et de façon délibérée une présomption de vente de véhicules non conforme à la réglementation européenne,

Il appartient cependant à l'opérateur indépendant qui n'est pas revendeur agréé de veiller à ce qu'aucune confusion ne soit entretenue entre la qualité qui est la sienne et l'appartenance au réseau de distribution du constructeur concerné,

Il apparaît qu'en l'espèce, le Garage Serieys ne peut se voir reprocher aucune confusion quant à sa non-appartenance au réseau de distribution Citroën, sa publicité ne comportant aucune référence de cet ordre tandis que son libellé : " Importation Neuf CEE ", avec adjonction parfois de l'indication " tous modèles, contactez-nous ", a permis au contraire de dissiper toute ambiguïté pour un consommateur moyen normalement avisé,

Le jugement doit en conséquence recevoir infirmation en toutes ses dispositions.

Les dépens de première instance et d'appel doivent être mis à la charge de la SA Etablissements Marlaud,

L'équité ne commande cependant pas de condamner cette société au paiement d'une somme quelconque au titre de l'article 700 du NCPC,

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel, jugé régulier, Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 22 janvier 1996, et dit que la clôture de l'instruction est prononcée à la date des débats, Infirme le jugement rendu le 28 mars 1994 par le Tribunal de commerce de Castres, Statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à renvoi préjudiciel conformément à l'article 177 du Traité de Rome, Déboute la SA Etablissements Marlaud de toutes ses demandes, fins et conclusions, Met les dépens de première instance et d'appel à la charge des Etablissements Marlaud et dit que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par la SCP Boyer Lescat, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC.