CA Paris, 1re ch. B, 15 mars 1996, n° 95-26772
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Audio Numérique Recherche (SARL)
Défendeur :
Comptoir Européen Matériel Electronique (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Conseillers :
M. Boval, Mme Varin
Avoués :
Mes Blin, Melun
Avocats :
Mes Tissot, Dailloux.
La société Comptoir Européen Matériel Electronique (CEME) a pour objet la vente de matériels électroniques et électriques, notamment celle de systèmes d'attente et de répondeurs téléphoniques. De 1990 à 1994, elle a commercialisé des produits fabriqués par la société Audio Numérique Rechercher (ANR), animée par MM. Martins et Beja, anciens salariés de la société Reinau, auprès de laquelle elle s'était auparavant approvisionnée.
Au début de l'année 1994, les relations se sont détériorées entre CEME et ANR. Tout en réclamant une diminution des prix pratiqués par ANR, CEME s'est adressée à une société GEGA pour faire reproduire et fabriquer certains des matériels qu'elle achetait précédemment à ANR. ANR a elle-même entrepris de commercialiser directement les produits qu'elle réservait jusque-là à CEME - avec laquelle elle réalisait 98 % de son chiffre d'affaires. CEME a interrompu ses commandes auprès d'ANR, à laquelle elle a adressé des réclamations mettant en cause la qualité de ses produits. Elle a laissé impayées des factures d'un montant total de 1 000 020,96 F émises par ANR entre le 27 avril et le 11 août 1994.
Par actes des 28 juillet et 15 septembre 1994, CEME a fait assigner ANR devant le Tribunal de commerce de Paris pour la voir condamner sous astreinte à lui restituer les éléments des études des produits que celle-ci fabriquait pour son compte et dont elle revendiquait la propriété, et à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale. Elle sollicitait en outre que soit prononcée aux torts d'ANR la résolution de leurs contrats et que soient ordonnées des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication.
ANR s'est opposée à ces demandes, réclamant que soit constatée et, en tant que de besoin, prononcée aux torts de CEME la résiliation de leurs accords contractuels, qu'il soit constaté également que CEME lui était débitrice d'une somme de 1 000 020,96 F et s'était livrée à son encontre à des actes constitutifs de concurrence déloyale.
Par jugement rendu le 24 octobre 1995, le Tribunal de commerce de Paris a :
- dit que la rupture des relations contractuelles entre CEME et ANR s'est effectuée aux torts réciproques des parties,
- condamné ANR à restituer à CEME dans les trente jours de la date de la signification du jugement et sous astreinte de 1 000 F par jour de retard :
* chacun des éléments des études des produits suivants : EAR'COM, ARAS, AR 200, CODEL, AC 16, DUORIS et RETEL, propriétés de CEME, à savoir l'ensemble des plans, listes et nomenclatures des composants, dispositifs de programmation, schémas complets des circuits, plans de fabrication et programmes des dernières versions, plus particulièrement pour le produit EAR'COM, la totalité du programme officiel,
* les informations nécessaires à l'entretien et la réparation du produit ATFM,
- condamné ANR à payer à CEME la somme de 35 876,50 F avec intérêts au taux légal à compter du 23 août 1994 et 250 000 F à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'à cesser tous agissements déloyaux auprès de la clientèle de CEME sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée,
- interdit à ANR de diffuser toutes informations et tous documents se référant aux produits de CEME et de diffuser lesdits produits sous une appellation contrefaisante, nom et marque, cette interdiction ne concernant pas ATFM,
- condamné CEME à payer à ANR la somme de 1 000 020,94 F avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 1994 sur la somme de 926 583,84 F et du 13 décembre 1994 pour le surplus,
- ordonné la compensation entre les sommes dues par chaque partie,
- ordonné l'exécution provisoire à charge pour ANR de fournir une caution légale au montant net que CEME a été condamnée à lui payer,
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et partagé les dépens par moitié.
Ayant été autorisée à relever appel à jour fixe, ANR poursuit la réformation intégrale du jugement. Elle prie la Cour :
- de dire qu'elle est seule propriétaire des produits ARAS et AR 200 et que la convention qu'elle a conclue avec CEME le 30 juillet 1990 n'a opéré aucun transfert à celle-ci de la technologie qu'elle a mise au point,
- de dire que les matériels CODEL, AC 16, DUORIS et RETEL sont sa propriété parce qu'elle les a conçus et réalisés et qu'aucune convention ne la lie à CEME concernant ces matériels,
- de dire que CEME ne peut se prévaloir que de la propriété du produit EAR'COM,
- de constater que CEME a violé les dispositions d'exclusivité du contrat du 30 juillet 1990 en passant les 10 mai et 2 juin 1994 une commande d'appareils ARAS et AR 200 à la société GEGA,
- de constater que CEME a ainsi rendu impossible la poursuite des relations contractuelles entre les parties,
- de constater et, en tant que de besoin, de prononcer aux torts exclusifs de CEME la résolution des contrats des 15 mars et 30 juillet 1990 conclus entre les parties,
- de constater que CEME s'est livrée par ses courriers des 30 juin, 2 août et 23 septembre 1994 à des actes de dénigrement à son encontre,
- de constater que CEME reste lui devoir une somme de 1 000 020,96 F outre intérêts,
- d'ordonner la restitution des produits livrés correspondant au montant de ces factures, et, si leur restitution en nature s'avère impossible, d'ordonner la restitution en valeur de ces produits,
- de condamner CEME à lui payer une somme de 70 000 F pour rétention abusive de cette somme,
- de condamner CEME à lui payer la somme de 5 498 750 F HT à titre de dommages-intérêts à raison de la résolution à ses torts exclusifs de leurs contrats, soit :
* 4 195 750 F au titre du protocole ARAS,
* 262 000 F au titre du protocole EAR'COM,
* 1 041 000 F au titre des autres produits vendus à CEME,
- de condamner CEME à lui payer la somme de 2 000 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle lui a causé par ses actes de dénigrement, notamment en annonçant aux installateurs le jugement rendu sans hésiter à en trahir le sens,
- d'interdire à CEME de diffuser et commercialiser tout produit dont elle est propriétaire,
- de l'autoriser à informer les installateurs de ses produits de l'arrêt à intervenir par insertion aux frais de CEME dans quatre journaux et trois revues professionnelles,
- d'interdire à CEME, sous astreinte de 40 000 F par infraction constatée de diffuser des informations sur leurs relations commerciales.
CEME conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce que celui-ci a :
- dit qu'elle était exclusivement propriétaire des produits EAR'COM, ARAS, AR 200, CODEL, AC 16, DUORIS et RETEL,
- condamné sous astreinte ANR à lui restituer chacun des éléments des études de ces produits ainsi qu'à lui remettre toutes informations nécessaires à l'entretien et à la réparation du matériel AFTM,
- et condamné ANR également à lui payer la somme de 35 876,50 F avec intérêts au taux légal à compter du 23 août 1994.
Elle sollicite subsidiairement que soit ordonnée une expertise sur la question de la propriété des produits, et elle demande que soit portée à 3 000 F par jour de retard l'astreinte prononcée par le tribunal.
Réclamant que soient écartées des débats deux pièces produites par ANR en appel, CEME conclut pour le surplus à la réformation du jugement et prie la Cour :
- de prononcer aux torts exclusifs d'ANR la résolution du protocole du 30 juillet 1990 relatif au produit ARAS,
- de condamner ANR à lui payer (au titre de frais de réparations qui auraient dû selon elle être supportés par celle-ci pour un montant de 80 648 F, et de la reprise de matériels neufs inutilisables pour 88 338,02 F) la somme de 168 986,02 F avec intérêts au taux légal du 23 août 1994,
- de commettre un expert pour faire les comptes entre les parties avant dire droit sur son obligation au paiement des factures invoquées par ANR pour un montant de 1 000 020,96 F,
- de condamner ANR à lui payer deux indemnités de 5 000 000 F en réparation respectivement du préjudice qu'elle lui a causé par ses actes de dénigrement et de celui résultant de la résolution des contrats qui les liaient,
- de faire interdiction à ANR de commercialiser les produits dont elle est propriétaire, et, sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée, de diffuser par quelque moyen que ce soit toutes informations sur leurs relations commerciales.
Faisant valoir enfin qu'ANR aurait commis de nouveaux agissements déloyaux auprès de sa clientèle, malgré la mesure d'interdiction sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée prononcée par le jugement, CEME réclame au titre de la liquidation de l'astreinte la condamnation de son adversaire au paiement d'une somme de 10 000 000 F.
Il est fait référence au jugement entrepris et aux écritures d'appel pour un plus ample exposé des faits et des prétentions des parties qui réclament chacune une indemnité pour leurs frais irrépétibles.
Sur quoi, LA COUR :
Sur la procédure :
Considérant que CEME demande que soit écartées des débats :
- une attestation de M. Irénée, ancien gérant de la société Reinau, en date du 22 novembre 1995, qui a été produite pour la première fois en appel par son adversaire,
- une plaquette Minista correspondant selon elle à " un montage " effectué à partir de la propre plaquette originale, par ANR,
Mais considérant que ces demandes ne sauraient prospérer, rien n'interdisant à l'appelante de produire des pièces pour la première fois devant la Cour, et la plaquette Minista ayant été régulièrement versée aux débats :
Sur le fond :
Considérant qu'à l'origine des relations entre les parties ont été conclus deux contrats :
- que pour le produit EAR'COM, aux termes d'un protocole d'accord signé le 15 mars 1990, CEME a demandé à ANR l'étude et la réalisation d'une attente musicale numérique à téléchargement ; que le contrat, stipulant que cette étude serait la propriété exclusive de CEME, prévoyait qu'ANR préparerait le dossier technique nécessaire pour obtenir l'agrément du ministère des PTT qui serait déposé par CEME et qu'ANR s'interdirait de vendre tout dispositif ou appareil similaire, CEME s'engageant à n'acheter les appareils objets du protocole qu'à ANR,
- que pour le produit ARAS, par un protocole d'accord signé le 30 juillet 1990, CEME a demandé à ANR " la réalisation d'une attente musicale numérique 1 et 2 minutes permettant de diffuser des messages derrière autocommutateur PTT " ; que ce protocole fixait les prix des appareils en énonçant qu'ils pourraient " être révisés suivant les fluctuations de la vie ", prévoyait des dispositions analogues à celles de l'accord du 15 mars sur la préparation et la présentation du dossier d'agrément et l'exclusivité réciproque convenue par les parties ; qu'il y était en outre stipulé que CEME s'engageait à faire fabriquer annuellement un minimum de 1.000 pièces et que le contrat, conclu pour une durée de 5 ans, serait renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties un an avant la date d'échéance ;
Sur les produits litigieux :
Considérant qu'il est constant qu'après avoir pendant plusieurs années vendu exclusivement à CEME, qui les distribuait ensuite auprès des installateurs, les produits ARAS (de même qu'AR 200 qui en est une déclinaison et EAR'COM, ANR a entrepris début 1994 de commercialiser elle-même ces produits, respectivement sous les dénominations LYS 3, LYS 9 et LYS 11, et IRIS ou IRIS 4 ; qu'elle a pareillement proposé à la vente les produits CODEL, AC 16, DUORIS et RETEL (en présentant ce dernier sous la dénomination LYSTEL) qu'elle fournissait auparavant à CEME ;
Considérant que le tribunal, faisant droit aux préventions de CEME, a dit que ces différents produits étaient la propriété de CEME, soit en application des protocoles ci-dessus mentionnés pour ARAS, AR 200 et EAR'COM, soit parce qu'il s'agissait d'appareils commercialisés auparavant par CEME qui les faisait déjà fabriquer, principalement par la société Reinau, avant de se fournir auprès d'ANR ;
Considérant qu'ANR ne conteste plus devant la Cour les droits de CEME sur le produit EAR'COM dont elle admet qu'elle l'a étudié et réalisé à la demande de CEME, en exécution du protocole du 15 mars 1990 où il avait été stipulé que l'étude resterait la propriété exclusive de CEME - qui a effectivement payé cette étude ; qu'elle soutient en revanche qu'en l'absence de clause similaire dans le protocole du 30 juillet 1990 applicable à ARS et AR 200, elle a la propriété de ces produits qu'elle a seule conçus et fabriqués, de même que celle de CODEL, AC 16, DUORIS et RETEL qu'elle a fournis à CEME sans avoir conclu à ce sujet de contrats-cadres particuliers ;
Considérant que c'est à tort que les premiers juges ont estimé devoir attribuer à CEME la " propriété " de ces produits ; qu'il est constant que l'appareil ARAS avait été réalisé avant la signature du protocole du 30 juillet 1990, et que CEME n'en a ni commandé, ni financé l'étude ; qu'elle ne démontre pas en quoi le fait qu'elle ait présenté à l'administration le dossier d'agrément de ce produit lui confèrerait (en tout cas dans le présent litige de droit privé) des prérogatives particulières ; que s'agissant de CODEL, AC 16, DUORIS et RETEL, le tribunal ne saurait être suivi en ce qu'il a retenu que CEME disposait d'une " antériorité " sur ces appareils parce qu'elle les achetait à la société Reinau avant qu'ANR en entreprenne la fabrication ; que cette circonstance ne prouve nullement que CEME aurait eu sur ces produits des droits différents de ceux d'un distributeur quelconque ; qu'elle va toutefois à l'encontre des prétentions d'ANR tendant à se voir reconnaître la qualité de créatrice et de " propriétaire " des appareils concernés ;
Considérant qu'il importe en effet de relever ici que, sous réserve des marques que CEME justifie avoir fait enregistrer en mars et avril 1994 pour protéger les dénominations EAR'COM, ARAS et AR 200, les parties n'ont procédé à aucun dépôt de brevet ou de modèle (et n'invoquent pas de droits d'auteur) de sorte qu'elles ne peuvent prétendre à aucun droit de propriété intellectuelle sur les produits qui font l'objet du présent litige ; qu'elles n'agissent d'ailleurs pas en contrefaçon, mais simplement en concurrence déloyale - ou en concurrence " anticontractuelle " en s'accusant réciproquement d'avoir violé l'exclusivité qu'elles s'étaient promises aux termes des protocoles signés en mars et juillet 1990 ;
Sur les griefs de concurrence déloyale :
Considérant que le tribunal a retenu qu'ANR s'était " rendue coupable d'actes de concurrence déloyale accompagnés de tentatives de détournement de clientèle et d'allégations mensongères au préjudice de CEME " :
- en commercialisant des produits dont cette société était " propriétaire ",
- en diffusant auprès des installateurs, les 25 juillet et 9 septembre 1994, des courriers les informant que les produits litigieux distribués jusque-là par CEME étaient les siens et qualifiant cette dernière société d'intermédiaire ;
Qu'il a en revanche écarté les griefs de concurrence déloyale développés par ANR à l'encontre de CEME en estimant :
- que cette société avait la propriété intellectuelle des matériels antérieurement fabriqués par ANR pour son compte,
- et qu'ANR dès lors n'était pas fondée à lui reprocher d'avoir adressé à sa clientèle, les 30 juin, 2 août et 23 septembre 1994, des lettres dans lesquelles elle indiquait que les produits litigieux étaient sa propriété, qu'ANR était seulement chargée de leur fabrication et qu'elle-même continuait à en assurer la distribution ;
Considérant que CEME sollicite la confirmation de ces chefs du jugement, dont ANR poursuit au contraire la réformation ;
Considérant que s'il ne peut être reproché à ANR d'avoir commercialisé la plupart des produits litigieux sur lesquels CEME ne disposait d'aucun droit exclusif, la société appelante a eu incontestablement un comportement déloyal et parasitaire en vendant à des tiers les produits IRIS et IRIS 4 correspondant à l'appareil EAR'COM, que CEME avait introduit sur le marché après en avoir financé l'étude et la réalisation ; que par ailleurs, les courriers mentionnés par le tribunal et diffusés par ANR auprès des clients de CEME présentent un caractère fautif en ce qu'ils tendaient à un démarchage systématique de la clientèle de cette société, s'insérant dans un ensemble de manœuvres critiquables (allégations inexactes selon lesquelles CEME aurait cessé de distribuer les produits litigieux, recherche de confusion tenant à l'utilisation de tarifs reprenant exactement la présentation de ceux de CEME);
Mais considérant qu'il est également établi, par un procès-verbal de constat dressé par un huissier de justice à la requête d'ANR le 29 juin 1994, que CEME a fait reproduire et fabriquer par une société GEGA des appareils copiés, tant en ce qui concerne leur carte électronique que leur coffret, sur les matériels réalisés par ANR qu'elle avait jusque-là distribués sous les dénominations ARAS et AR 200 ;que CEME s'est livrée par ailleurs à des actes de dénigrement en diffusant auprès des installateurs, courant novembre 1995, un document intitulé par elle " publication judiciaire " dans lequel, prétendant rendre compte du jugement, elle affirme notamment de façon inexacte que la clientèle démarchée par ANR se rendrait, en traitant avec elle, " complice de contrefaçon " ;
Considérant qu'en réparation des actes de concurrence déloyale ci-dessus visés CEME réclame une indemnité de 5 000 000 F, ANR demandant pour sa part une somme de 2 000 000 F ; que si ces demandes qui ne sont appuyées d'aucune justification précise apparaissent très exagérées, il est manifeste que les agissements commis par chacune des parties ont causé préjudice à l'autre ; que la Cour dispose d'élément suffisants pour fixer à 250 000 F le montant des dommages-intérêts qu'ANR sera condamnée à payer à CEME, et à 100 000 F le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de CEME et au profit d'ANR ;
Considérant qu'il convient au surplus :
- de condamner ANR à restituer à CEME tous les éléments de l'étude du produit EAR'COM, à lui communiquer les informations nécessaires à la maintenance des produits ARAS, AR 200, CODEL, AC 16, DUORIS, RETEL et ATFM, et enfin de lui faire interdiction de commercialiser EAR'COM, qu'elle avait entrepris de distribuer sous les dénominations IRIS et IRIS 4,
- de faire interdiction à CEME de commercialiser tout produit reproduisant servilement les matériels ARAS et AR 200 tels qu'ils avaient été réalisés par ANR ;
Sur la rupture des relations commerciales :
Considérant que le tribunal ayant dit que la rupture des relations contractuelles entre CEME et ANR s'était effectuée aux torts réciproques des parties, l'une et l'autre prient la Cour, par réformation du jugement, de prononcer aux torts exclusifs de leur adversaire la résolution des protocoles des 15 mars et 30 juillet 1990 ; qu'ANR réclame de ce chef une somme de 5 498 750 F à titre de dommages-intérêts ; que CEME demande une indemnité de 5 000 000 F ;
Considérant que s'agissant de contrats à exécution successive, il n'y a pas lieu à résolution, mais simplement à résiliation des protocoles litigieux dès lors qu'il est constant que les deux parties ont gravement méconnu leurs engagements respectifs ; que les circonstances de la rupture, tout autant imputable à l'une qu'à l'autre partie, ne justifient pas l'allocation de dommages-intérêts distincts de ceux accordés au titre de agissements de concurrence déloyale, qui pour l'essentiel (commercialisation d'EAR'COM par ANR sous les dénominations IRIS et IRIS 4, copies serviles d'ARAS faites à l'instigation de CEME) constituent aussi des manquements aux obligations qui incombaient contractuellement aux deux sociétés ;
Sur les sommes de 35 876,50 F et 168 986,02 F réclamées par CEME :
Considérant que CEME demande confirmation du jugement en ce que celui-ci a condamné ANR à lui payer la somme de 35 876,50 F correspondant à la valeur de divers matériels confiés en réparation à ANR et non restitués par celle-ci ; que les premiers juges ont relevé qu'ANR ne contestait pas détenir ces matériels et ne contestait pas non plus les valeurs énoncées par CEME ; qu'ils ont avec raison fait droit à cette demande et condamné en conséquence ANR à payer à CEME la somme de 35 876,50 F outre intérêt au taux légal à compter du 23 août 1994 ;
Considérant que CEME demande également qu'ANR soit condamnée à lui payer, avec intérêts au taux légal à compter du 23 août 1994, la somme de 168 986,02 F, dont 80 648 F au titre de frais de réparations qui auraient dû selon l'intimée être supportés par son adversaire, et 88 338,02 F correspondant à des matériels neufs qu'elle a en stock et qui seraient inutilisables parce que dépareillés ;
Mais considérant que ces demandes ont été justement repoussées par le tribunal ;
Que les devis versés aux débats sans être accompagnés des justifications des réparations effectuées ne peuvent fonder la demande en paiement de la somme de 80 648 F ;
Que s'agissant des matériels neufs dépareillés en stock, CEME ne saurait en obtenir le remboursement alors qu'elle n'établit pas les avoir payés ; qu'ANR réclamant la restitution en nature de ces produits, CEME sera condamnée à les restituer, la somme de 88 338,02 F venant en déduction du montant des factures dont le recouvrement est poursuivi par ANR ;
Sur les factures impayées :
Considérant que CEME a laissé impayées diverses factures émises par ANR pour un montant total de 1 000 020,96 F ; que le tribunal a écarté les contestations de CEME concernant son obligation au paiement de cette somme, et rejeté sa demande d'institution d'une expertise aux fins de faire les comptes entre les parties ; qu'il a condamné CEME à payer à ANR la somme de 1 000 020,94 F, avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 1994 sur un montant de 926 583,84 F ayant fait l'objet d'une mise en demeure à cette date, et à compter du 13 décembre 1994 pour le surplus ;
Considérant que CEME conclut à la réformation du jugement de ce chef en réitérant sa demande d'expertise ; qu'ANR prie la Cour de constater que CEME reste lui devoir la somme de 1 000 020,96 F, d'ordonner la restitution des produits livrés correspondant au montant de ces factures et, si cette mesure s'avérait impossible du fait de leur revente, la restitution de ces produits en valeur ;
Considérant que la demande d'expertise présentée par CEME a été à bon droit rejetée par les premiers juges, qui ont relevé que cette demande avait un caractère purement dilatoire, alors que cette société n'avait émis aucune réserve à l'occasion des livraisons ou de la réception des factures, qu'il avait déjà été statué sur le montant de ses demandes et qu'elle ne rapportait pas la preuve de ses allégations concernant le caractère prétendument défectueux des produits livrés ;
Considérant qu'il convient en conséquence de condamner CEME, d'une part à restituer dans le délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt les produits énumérés dans ses conclusions qu'elle indique avoir conservés pour une valeur de 88 338,02 F (et à défaut de restitution de payer cette somme à ANR), et d'autre part de la condamner à payer à ANR le surplus, soit la somme de 911 682,94 F (1 000 020,96 F - 88 338,02 F) avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 1994 ;
Considérant qu'ANR qui ne justifie pas d'un préjudice indépendant du retard de paiement réparé par les intérêts légaux sera déboutée de sa demande tendant à l'allocation d'une indemnité de 70 000 F pour rétention abusive du montant des factures ;
Sur la liquidation d'astreinte réclamée par CEME :
Considérant que dans ses dernières écritures CEME fait valoir qu'après le prononcé du jugement ANR aurait commis de nouveaux agissements déloyaux auprès de sa clientèle, en insérant au mois de novembre et décembre 1995 dans le journal du téléphone des annonces relatives aux produits LYS 3/9/11, ainsi que DUORIS et CODEL, malgré la mesure d'interdiction sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée décidée par les premiers juges ; qu'elle réclame au titre de la liquidation de l'astreinte la condamnation de son adversaire au paiement d'une somme de 10 000 000 F ;
Mais considérant qu'il a été précédemment constaté que les produits ci-dessus mentionnés ne sont pas, contrairement à ce qu'avait retenu le tribunal, la propriété de CEME ; qu'ANR était libre de les offrir à la vente ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de liquidation d'astreinte présentée par l'intimée ;
Considérant que les circonstances de l'espèce ne justifient pas que soient allouées à l'une ou l'autre des parties les indemnités réclamées sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; qu'il convient enfin de dire que chaque partie supportera les dépens par elle exposés en première instance et en appel ;
Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau : Dit que les sociétés Audio Numérique Recherche et Comptoir Européen Matériel Electronique ont commis chacune au préjudice de l'autre des actes constitutifs de concurrence déloyale ; Prononce aux torts réciproques des parties la résiliation des protocoles des 15 mars et 30 juillet 1990 ; Condamne : - la société Audio Numérique Recherche à payer à la société Comptoir Européen Matériel Electronique la somme de 250 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 23 août 1994, - condamne la société Comptoir Européen Matériel Electronique à payer à la société Audio Numérique Recherche la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 911 682,94 F avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 1994 ; Condamne la société Comptoir Européen Matériel Electronique à restituer à la société Audio Numérique Recherche, dans le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt, les matériels neufs énumérés dans ses écritures qu'elle indique avoir conservés pour un montant total de 88 338,02 F ; Dit qu'à défaut de restitution en nature dans le délai prescrit, la société Comptoir Européen Matériel Electronique devra payer à la société Audio Numérique Recherche la somme de 88 338,02 F avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 1994 sur la somme de 14 900,90 F et du 13 décembre 1994 pour le surplus ; Condamne la société Audio Numérique Recherche à remettre à la société Comptoir Européen Matériel Electronique, sous astreinte de 3 000 F passé le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt : - chacun des éléments de l'étude du produit EAR'COM, - les informations nécessaires à la maintenance des produits ARAS, AR 200, CODEL, AC 16, DUROIS, RETEL et ATFM ; Fait interdiction, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée : - à la société Audio Numérique Recherche de commercialiser sous quelque dénomination que ce soit le produit EAR'COM - à la société Comptoir Européen Matériel Electronique de commercialiser tout produit reproduisant servilement les matériels ARAS et AR 200 tels qu'ils avaient été réalisés par la société Audio Numérique Recherche ; Ordonne la compensation entre les sommes dues par chacune des parties ; Rejette toute autre demande ; Dit que chacune des parties supportera les dépens par elle exposés en première instance et en appel.