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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 14 mars 1996, n° 94-17840

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe Volkswagen France (SA), Skoda Automobilova (Sté)

Défendeur :

Telema (SA), CLM BBDO (SA), Securitest (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Bouche, Mme Cabat

Avoués :

SCP Barrier-Monin, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Dauthy-Naboudet, Me Lecharny

Avocats :

Mes Corone, Fabre, Barjon, Cousi, Henry.

T. com. Paris, 19e ch. du 19 mai 1994

19 mai 1994

La société tchèque Skoda Automobilova as (Skoda Aas) et la société Vag France venant aux droits de la société Skoda France qui la première produit et la seconde importe et distribue en France les véhicules de marque Skoda, ont fait appel d'un jugement prononcé le 19 mai 1994 par le Tribunal de Commerce de Paris qui

- les a déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts fondées sur les articles 1382 et 1383 du Code Civil à l'encontre de la société Securitest annonceur et de l'agence de publicité CLM-BBDO qui elle-même avait appelé en garantie le producteur du film critiqué, la société Telema, à la suite de la diffusion à 65 reprises entre le 15 et le 31 mai 1992 sur les chaînes de télévision d'un spot publicitaire qui aurait porté atteinte à leurs yeux à l'image de marque des produits Skoda,

- les a en outre condamnés à verser sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile la somme de 20 000 F à la société CLM BBDO et 10 000 F à la société Securitest, cependant que la société CLM BBDO qui avait appelé en garantie la société Telema était condamnée à verser à celle-ci au même titre la somme de 10 000 F ;

La société Vag France qui a pris à compter du 1er janvier 1992 le relais d'une société Safidat dans la diffusion en France de la marque Skoda pour laquelle une société Skoda France avait été créée, déclare qu'elle a reçu l'universalité du patrimoine de cette société à l'occasion de sa dissolution le 15 février 1994 et qu'elle agit donc aux droits de la société Skoda France.

La Société Skoda Aas et la société Vag France appelantes, soutiennent, à partir d'une analyse des images du spot publicitaire et du rythme intense de sa diffusion, que ce spot destiné à la promotion des centres de révision de véhicules automobiles de la société Securitest, a porté atteinte à la réputation des produits Skoda en ce qu'il mettait en scène les avatars mécaniques successifs d'un véhicule de marque Skoda et que la chute des immatriculations des voitures de la marque constatée dés juin 1992 ne peut s'expliquer autrement.

Elles observent que le Tribunal a admis que la voiture dangereuse et en mauvaise état présentée pour sensibiliser les conducteurs à la sécurité automobile et à la nécessité de faire procéder à des contrôles techniques par la société Securitest était identifiable comme étant un véhicule de marque Skoda. Elles lui reprochent de ne s'être attaché qu'à l'impact du film sur la population moyenne française, dans l'ensemble peu concernée, alors que ce sont les acheteurs potentiels intéressés par la marque Skoda qui se seraient selon elle trouvés déstabilisés dans leur choix ;

Les appelantes concluent en conséquence à l'infirmation du jugement critiqué, à la désignation d'un expert pour évaluer le montant de leurs préjudices et en tout état de cause à la condamnation solidaire des sociétés Securitest, CLM-BBDO et Telema, à leur verser une provision de 200 000 F à valoir sur leurs préjudices et 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La société Securitest, société de contrôle technique automobile agréée par l'Etat, expose qu'après plusieurs réunions préparatoires avec les sociétés CLM-BBDO et Telema , il a été convenu de réaliser une fiction humoristique et caricaturale mettant en scène un véhicule de marque Trabant quasiment inconnu en France qui a été remplacé, contrairement à ses instructions, par un modèle ancien de marque Skoda 130 R qui n'était plus commercialisé depuis cinq ans.

La société Securitest conteste que la marque de la voiture qui avait été maquillée, ait été identifiable et que le spot ait pu être interprété, même isolé de son contexte, comme une attaque ou un dénigrement de la marque Skoda ; elle ajoute que la baisse de 30 % des ventes de voitures de la marque Skoda dès le printemps 1992 par rapport à novembre 1991 est en réalité imputable à un changement à la même époque de la politique de distribution de cette marque et que les appelantes ne sont pas en mesure de démontrer le préjudice qui aurait été généré par la diffusion du film ;

Soulignant le caractère abusif de la demande d'expertise des appelantes, elle conclut à la confirmation du jugement déféré, subsidiairement à la condamnation de la société CLM BBDO à la garantir de toutes sommes susceptibles d'être mises à sa charge, et en toute hypothèse à la condamnation des appelantes à lui verser 70 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

La société CLM BBDO reconnaît qu'elle est le concepteur de la campagne publicitaire et par conséquent du film commandé par la société Securitest. Elle demande à la Cour de visionner le spot comme l'ont fait les premiers juges et d'adopter la motivation du jugement déféré sauf à écarter toute possibilité d'identifier dans le véhicule utilisé un produit Skoda parce que le véhicule était maquillé, les images étaient fugitives, le modèle du véhicule était pratiquement inconnu en France, la diffusion du spot avait été fort limitée. Selon l'agence, le préjudice des sociétés VAG et Skoda n'est en outre pas démontré, pas plus qu'un lien de causalité avec le passage du film sur les écrans de télévision ;

La société CLM-BBDO conclut à titre principal à la confirmation du jugement entrepris, à la condamnation des sociétés VAG France et Skoda Aas à lui payer 60 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile en sus des 20 000 F alloués par le Tribunal, et à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer au même titre 10 000 F à la société Telema. Elle demande subsidiairement à être garantie par la société Telema des condamnations susceptibles d'être prononcées contre elle.

En réplique aux diverses conclusions des appelantes et de la société Telema la société CLM-BBDO souligne que l'effondrement des ventes de véhicules Skoda date du début de l'année 1992, et prétend l'expliquer par la disparition provisoire du réseau de distribution de cette marque. Elle rejette tout amalgame entre les marques Skoda et Volkswagen distribuées par la société VAG France.

Elle insiste enfin sur le rôle actif de la société Telema, producteur de films publicitaires, dont elle demande la garantie, outre désormais la condamnation à lui payer 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Elle prétend que la recevabilité de l'appel principal suffit à rendre recevable l'appel incident qu'elle a formé à l'encontre de la société Telema ;

La société Telema aux termes de premières conclusions du 30 novembre 1995 complétées à plusieurs reprises en réplique à celles des autres parties mais dont les dernières postérieures à la clôture de la mise en état sont rejetées des débats, demande que l'appel de la société VAG France à son encontre soit déclaré irrecevable et que le jugement soit confirmé sauf en ce qu'il l'a déboutée d'une demande de 50 000 F de dommages-intérêts qu'elle forme à nouveau en appel à l'encontre de la société CLM BBDO. Elle conclut en outre à la condamnation de la société VAG France à lui verser 50 000 F hors taxes au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

En réplique à ces conclusions la société VAG France et la société Skoda déclarent renoncer à leur demande de condamnation de la société Telema à leur verser 200 000 F de dommages-intérêts mais sollicitent son maintient dans la procédure.

Motifs de la Cour

Considérant qu'il n'est ni contesté sérieusement ni contestable que le spot publicitaire litigieux dans lequel une voiture automobile perd successivement un certain nombre d'organes essentiels, serait susceptible de dissuader d'éventuels acheteurs de choisir un véhicule de la marque si celle-ci était identifiable ;

Considérant que le spot publicitaire qui avait reçu le visa du Bureau de vérification de la Publicité, n'a qu'une durée de quinze secondes ; qu'il a fait l'objet d'une étude méticuleuse des premiers juges, phase par phase ; que le véhicule Skoda n'est visible que dans certaines des phases et deux fois en entier dont une de loin ; que des encarts écrits en début et en fin de spot réduisent la durée des images ;

Qu'après avoir visionné à plusieurs reprises le spot, la Cour rejoint l'avis du tribunal sur le caractère très fugitif de la vue du véhicule de face (phase 3) susceptible de permettre son identification, l'efficacité des transformations opérées par des artifices de maquillage, la monopolisation de l'attention du spectateur dès le début de la projection sur la sécurité et non sur le modèle de la voiture elle-même grâce à l'annonce :

" cet homme s'apprête à vérifier... etc... " et la très faible notoriété du véhicule en cause, dont le modèle n'était plus commercialisé en France depuis cinq ans, et n'aurait, selon les statistiques de l' " AAA ", en ses formules coupé, " amélioré ", été vendu qu'à trente et un exemplaires en 1990, trois en 1991 (s'il s'agit bien de ce même coupé) et un seul en 1992 ;

Que les sociétés appelantes n'apportent pas d'éléments qui contredisent les constatations opérées lesquelles excluent que la diffusion éphémère du spot ait pu avoir un réel impact négatif sur des acheteurs potentiels d'une voiture de marque Skoda ; que le véhicule dont s'est servi la société CLM-BBDO était à ce point si peu connu du marché français que l'argus de février 1993 qui répertorie la valeur des voitures de 1986 à 1992, inclus ne mentionne pas de coupé Skoda 130 R après 1987, ce qui confirme bien la cessation de sa commercialisation depuis cette époque ; que les sociétés Skoda et VAG ont d'ailleurs dû admettre dans leurs conclusions du 14 décembre 1995 qu'elle n'avaient " jamais prétendu que le véhicule utilisé avait une notoriété considérable... " ;

Qu'il demeure seulement qu'un spectateur particulièrement attentif et connaisseur pouvait s'apercevoir à l'aspect général du véhicule qu'il avait été fabriqué dans les pays de l'Est ; que les appelantes ne justifient d'une identification de la marque que par trois concessionnaires particulièrement concernés ; qu'il n'est pas établi que des clients potentiels ou non aient pu en faire autant ;

Considérant en outre que l'impact d'une identification de la voiture sur les ventes de la société Skoda n'est pas davantage démontré ;

Qu'en précisant que seul l'acheteur potentiel intéressé par les véhicules de la marque Skoda pouvait être dissuadé d'un achat par la diffusion d'un tel spot, les sociétés appelantes, qui reprochent aux premiers juges de s'être référés plutôt au comportement sociologique du téléspectateur " moyen " qui ne serait pas concerné selon elles par les produits Skoda, admettent implicitement que leur part de marché était très limitée et que l'influence du spot sur la diminution des ventes n'est guère aisée à démontrer ;

Que la baisse des ventes est intervenue pour l'ensemble de la marque dès le début de 1992 avant même la diffusion du spot ;

Que la disparition du réseau de distribution de la marque en novembre 1991 et sa restructuration complète à l'occasion de son rachat par la société Volkswagen restent de toute évidence les facteurs déterminants de la chute des ventes à cette époque ; que les ventes de véhicules de la marque Skoda, qu'il ne faut pas confondre avec la marque Volkswagen infiniment plus connue, ont repris progressivement avec la mise en place du nouveau réseau qui comptait en mars 1993 une centaine de concessionnaires ;

Considérant en conséquence qu'en l'absence de preuve d'un lien de causalité entre d'une part les 65 diffusions du spot opérées sur les chaînes de télévision pendant 15 jours seulement ce qui exclut statistiquement en fait qu'un même téléspectateur ait pu les voir plus d'une à deux fois, et la baisse des ventes des véhicules de la marque Skoda, le jugement critiqué doit être confirmé y compris en ce qu'il a condamné les sociétés CLM-BBDO, qui a reçu 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, à payer 10 000 F au même titre à la société Telema ;

Considérant qu'il serait inéquitable que les sociétés CLM BBDO et Securitest conservent en appel la charge de leurs frais irrépétibles de défense ; qu'en revanche cette équité ne commande pas que les sociétés appelantes, qui ont reconnu l'irrecevabilité de leur recours à l'égard de la société Telema, l'indemnise à nouveau au même titre, alors que c'est la société CLM BBDO qui formule à son encontre une demande subsidiaire de garantie ;

Que la société Telema ne justifie pas du préjudice qu'elle aurait subi par suite de l'action en garantie dont elle a été l'objet et ne prouve pas que l'agence de publicité ait agi par malveillance à son égard ; qu'elle doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Par ces motifs, Confirme le jugement du 19 mai 1994 en toutes ses dispositions ; Faisant partiellement droit aux demandes reconventionnelles des sociétés Securitest et CLM BBDO, Condamne solidairement les sociétés Groupe Volkswagen France dont l'ancienne dénomination est VAG France et Skoda AAS à payer au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile - 20 000 F à la société Securitest, - 20 000 F à la société CLM BBDO, Déboute la société Telema de ses demandes, Condamne les sociétés Groupe Volkswagen France et Skoda Aas aux entiers dépens, Admet la société civile professionnelle Fisselier Chiloux Boulay, Maîtres Lecharny et la société civile professionnelle Dauthy Naboudet, avoués, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.