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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 28 février 1996, n° 9504447

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Unifrance (Sté)

Défendeur :

Sauvestre, Thifan Industrie (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Casorla

Conseillers :

M. Poumarède, Mme Letourneur-Baffert

Avoués :

Mes Bazille & Genicon, d'Aboville & de Moncuit St Hilaire

Avocats :

Me Corgnet, SCP Sorel Aubert Pillet.

CA Rennes n° 9504447

28 février 1996

Statuant sur l'appel interjeté le 2 juin 1995 par la Société Unifrance à l'encontre d'un jugement rendu le 24 avril 1995 par le Tribunal de Grande Instance de Rennes qui a constaté que la Société Unifrance a contrefait le brevet d'invention n° 83 18988 ainsi que la marque Sauvestre n° 1 363797, constaté que la Société Unifrance a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de Monsieur Sauvestre et de la SARL Thifan Industrie, fait défense à la Société Unifrance de poursuivre toute fabrication ou commercialisation du produit faisant l'objet du brevet 83 18988 ainsi que l'exploitation de la marque Sauvestre 1 363797, sous astreinte de 1.000 francs par infraction constatée, ordonné la destruction des produits saisis ou décrits dans les procès-verbaux de contrefaçon dressés le 26 juillet 1994 sous le contrôle de tout huissier requis par les demandeurs, avec au besoin le concours de la force publique, à la charge et aux frais de la Société Unifrance, fait obligation à la Société Unifrance d'accomplir toutes diligences pour retirer du commerce les produits incriminés, et de retirer toute référence audit produit dans son catalogue, sous astreinte de 1.000 Francs par infraction constatée, condamné la Société Unifrance à verser une provision de 300.000 Francs à Monsieur Sauvestre et de 700.000 Francs à la SARL Thifan Industrie à valoir sur la réparation de leurs préjudices, ordonné une expertise pour chiffrer l'ensemble des préjudices, condamné la société Unifrance à publier le dispositif du jugement dans le catalogue dont elle assure la diffusion à ses adhérents pour la prochaine saison de chasse, rejeté toutes autres demandes, fins, conclusions plus amples ou contraires au présent dispositif comme étant inutiles ou mal fondées, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, condamné la Société Unifrance à verser à Monsieur Sauvestre et à la Société Thifan Industrie ensemble 30.000 Francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure Civile, l'a condamnée en outre aux dépens ;

Considérant qu'il résulte des énonciations non contredites de la décision attaquée, des écritures des parties et des pièces par elles régulièrement produites que Monsieur Jean Claude Sauvestre est titulaire du brevet français n° 83 18988 ayant pour objet une munition pour arme de chasse de type balle flèche se caractérisant par un projectile sous calibré stabilisé par empennage, associé à un sabot ou système de lancement détachable, que d'autre part, Monsieur Jean Claude Sauvestre est titulaire de la marque Sauvestre n° 1 363797 enregistrée le 17 juillet 1986 pour désigner des cartouches pour arme de chasse à âme lisse, faiblement rayée ou fortement rayée, que le Brevet 83 18988 est en vigueur et est exploité par la Société Thifan Industrie conformément à un accord de licence conclu avec Monsieur Sauvestre, que Monsieur Sauvestre avait initialement concédé sa licence de brevet et l'utilisation de sa marque à une société Silverplus, qu'à la suite d'une résiliation judiciaire prononcée des conventions passées entre ladite société et Monsieur Sauvestre, un protocole d'accord intervenait le 5 juin 1992, formalisant la résiliation du contrat de licence entre Monsieur Sauvestre et Silverplus, cette dernière ne pouvant plus fabriquer de balles flèches au delà du 15 septembre 1992 et sous traiter l'encartouchage au delà du 12 novembre 1992, que parmi les sous-traitants, se trouvait la Société Unifrance, que Monsieur Sauvestre et la Société Thifan Industrie reprochaient alors à la Société Unifrance d'avoir avant lesdites dates encartouché et commercialisé des cartouches pour son propre compte et non en qualité de sous traitant comme d'avoir postérieurement aux dites dates continué les mêmes faits ; qu'en vertu de deux ordonnances sur requête rendues respectivement par les Présidents du Tribunal de Grande Instance d'Angoulême et de Saumur, Monsieur Sauvestre et la SARL Thifan Industrie ont fait pratiquer des saisies contrefaçon à l'encontre de la Société Unifrance pour fabrication, offre et détention de balles dites balles Sauvestre et au motif que la Société Unifrance contrefaisait un brevet pour lequel le titulaire, Monsieur Sauvestre, ne lui avait donné aucune autorisation de fabrication et de commerce, pas plus que la SARL Thifan Industrie, titulaire de la concession de licence de Brevet, que de la même manière, qu'en cours de procédure, la Société Unifrance diffusait une circulaire à ses vendeurs aux termes de laquelle elle décidait de pratiquer des rabais afin d'écouler rapidement le stock Sauvestre tout en fixant la clientèle sur un autre produit de substitution, la balle Fier, que c'est dans ces conditions qu'intervenait le jugement querellé, jugement faisant entièrement droit aux prétentions de Monsieur Sauvestre et de la Société Thifan Industrie sur les contrefaçons comme sur le fait de concurrence déloyale ;

Considérant qu'aux termes de ses conclusions, la Société Unifrance demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à titre subsidiaire, sur la réparations des préjudices : rejeter toutes les prétentions formées par Monsieur Sauvestre et par Thifan Industrie supprimer les provisions allouées par le Tribunal, débouter Monsieur Sauvestre et Thifan Industrie de toutes leurs demandes, condamner Monsieur Sauvestre et Thifan Industrie à payer à la Société Unifrance la somme de 50.000 Francs HT au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, condamner Monsieur Sauvestre et Thifan Industrie aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Qu'elle fait valoir qu'elle se fournissait de balles Sauvestre exclusivement auprès de la Société Silverplus qui détenait une licence sur la balle Sauvestre, que toutes les boites de cartouches qui ont été constatées par huissier dans le cadre de la saisie contrefaçon du 25 juillet 1994 portaient la mention Silverplus-Inventeur JC Sauvestre, qu'il n'a été délivré aucune balle de type Sauvestre depuis le 12 novembre 1992, que cependant, compte tenu du stock important restant à sa disposition, la société Unifrance a continué à vendre les cartouches de types balle flèche Sauvestre en sa possession jusqu'à épuisement du stock, que ce n'est pas parce que le constat du 25 juillet 1994 a révélé la présence de balles Sauvestre dans les cartouches vendues par la Société Unifrance que cela suffit pour établir la preuve de faits de contrefaçon de la part de la Société Unifrance ; qu'à la suite d'un contentieux ayant opposé Monsieur Sauvestre et la Société Silverplus, les parties se sont mises d'accord, qu'aux termes de ce protocole d'accord produit aux débats, il a été convenu que jusqu'au 15 novembre 1992, Silverplus avait l'obligation de s'adresser à des sous-traitants pour assurer la fabrication et la commercialisation des balles Sauvestre, notamment à la Société Unifrance pour 50% pour l'encartouchage, qu'il était également convenu que Monsieur Sauvestre pouvait contrôler et intervenir auprès des sous-traitants, que la Société Unifrance n'était pas partie à ce protocole d'accord et qu'ainsi la date de cessation du contrat de licence du 15 novembre 1992 ne lui a jamais été signifiée ni par Silverplus ni par Monsieur Sauvestre qui avait la possibilité d'agir auprès d'elle, que la licence concédée par Sauvestre à Silverplus autorisait ce dernier à sous-traiter la fabrication du produit contractuel dont l'encartouchage fait partie, et également à développer la commercialisation, ce qui se fait notamment par l'intermédiaire de grossiste-distributeur, qu'en l'espèce, Unifrance cumulait les deux qualités de grossiste-distributeur et de sous-traitant puisqu'elle commercialisait pour son propre compte le produit comme tout autre grossiste et intervenait également au dernier stade de sa fabrication à la demande de Silverplus qui lui sous-traitait son activité d'encartouchage, que le sous-traitant étant ici également le distributeur, il n'était pas contrefacteur, qu'à défaut de notification de la part de Monsieur Sauvestre d'une quelconque interdiction d'encartoucher ou de commercialiser les balles flèches, la Société Unifrance ne saurait être considérée comme ayant, de mauvaise foi, continué à écouler son stock, que l'acquisition régulière de produits authentiques vaut autorisation tacite de commercialisation, que l'élément moral faisant défaut, la contrefaçon n'est pas établie, que c'est à tort que le Tribunal a retenu qu'Unifrance avait commis des faits de concurrence déloyale par sa circulaire du 25 octobre 1994 qui n'est destinée qu'à usage interne aux seuls adhérents, que cette circulaire faisait à ses adhérents une information sur l'interdiction qui lui était faite de commercialiser les balles Sauvestre, ce qui était légitime, que le fait de vendre avec une réduction de 10% le restant des balles Sauvestre constitue seulement une réduction du stock et non pas un dénigrement de la balte, que par ailleurs, le fait de proposer à la vente une balle nouvelle qui n'était pas avant dans le catalogue, la balle Fier, fût-elle équivalente à la balle Sauvestre ne constitue pas un fait de concurrence déloyale, puisque la présentation de la balle Fier ne constitue pas un dénigrement ou une confusion avec la balle Sauvestre ;

Considérant qu'aux termes de leurs conclusions, les intimés demandent à la Cour de dire aussi bien irrecevable que mal fondé l'appel de la Société Unifrance, recevoir Monsieur Sauvestre et la Société Thifan Industrie en leur appel incident, émendant pour partie le jugement entrepris, constater que les faits de contrefaçon dont la Société Unifrance s'est rendue coupable sont aussi bien antérieurs que postérieurs au 15 septembre 1992, en ce qui concerne la mission expertale, dire que l'expert devra vérifier dans la comptabilité de la Société Unifrance l'ensemble de ses facturations de prestataire de service à la Société Silverplus comme l'ensemble des factures de fournitures de corps de balles et d'éléments de plasturgie, ainsi que d'emballage acquittées par la Société Unifrance au profit de la Société Silverplus, confirmer pour le surplus le jugement entrepris en toutes ces dispositions, y ajoutant, ordonner la publication du jugement intervenu comme de l'arrêt à intervenir, outre dans le catalogue de la Société Unifrance, dans cinq journaux professionnels, et ce aux frais de la Société Unifrance, condamner la Société Unifrance à payer et porter à chacune de Monsieur Sauvestre et la Société Thifan Industrie, une somme de 50.000 Francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 50.000 Francs également à chacun sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la condamner aux entiers dépens recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau Code de procédure Civile ;

Qu'ils font valoir que si les premiers juges reconnaissent la contrefaçon caractérisée du brevet dont Monsieur Sauvestre est titulaire et la Société Thifan Industrie concessionnaire, il conviendra néanmoins qu'il soit dit et jugé de manière précise que ces faits de contrefaçon sont antérieurs comme postérieurs au 15 septembre 1992 tant et si bien que les opérations d'expertise devront s'étendre tant en la période antérieure que postérieure, que pour le surplus, la Société Thifan Industrie et Monsieur Sauvestre sollicitent la confirmation pure et simple de la décision entreprise, sauf à ce que outre dans le catalogue de la Société Unifrance la publication du jugement comme de l'arrêt à intervenir soit ordonnée dans cinq journaux professionnels et ce aux frais de la Société Unifrance, d'une part, à ce que d'autre part, la Société Unifrance soit en outre condamnée à payer et porter à chacun de Monsieur Sauvestre et la Société Thifan Industrie 50.000 Francs de dommages et intérêts pour procédure abusive et 50.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure Civile ;

Considérant que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées ;

Sur quoi la Cour

Considérant que les moyens invoqués par l'appelant comme par les intimés dans leur appel incident au soutien de leur recours ne font que réitérer sous une forme nouvelle mais sans justification complémentaire utile ceux dont le Tribunal a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts que la Cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation, qu'en effet, le jugement dont appel retient à juste titre que l'ignorance invoquée par Unifrance spécialiste des munitions et de l'armurerie du protocole d'accord en sa qualité de tiers au dit protocole est indifférente dans la mesure où en réalité l'activité de Unifrance s'analyse en une activité de sous licencié exclusive de toute bonne foi, que le dossier établit que dès le 15 novembre 1992 Unifrance sans autorisation, a fabriqué pour son propre compte des munitions en achetant des corps de balles pour les encartoucher, que Unifrance, professionnel reconnu, ne peut ni en fait ni en droit prétendre à une quelconque bonne foi, que les procès-verbaux de saisie-contrefaçon et les pièces comptables saisies prouvent une facture de Silverplus à Unifrance en date du 12 novembre 1992 pour 12.000 cartouches au prix HT de 87.600 Francs, alors et de surcroît que la facture du 12 novembre 1992 concerne bien des balles nues, que dès lors et à juste titre, les premiers Juges ont retenu qu'alors que la sous-traitance exclut l'achat du produit à sous-traiter et la revente du produit fini par le sous-traitant, les saisies contrefaçon dont la validité n'est pas contestée ont révélé que Unifrance achetait exclusivement des balles flèches qu'elle encartouchait puis offrait à la vente les cartouches Sauvestre par l'intermédiaire de son catalogue et qu'en aucun cas elle ne facturait ses prestations à Silverplus, que sur la marque, le Tribunal analysant la contrefaçon de marque et de brevet tout à la fois, retient à juste titre que la Société Unifrance a contrefait la marque Sauvestre sous laquelle elle vendait le produit contrefait, que de la même manière, il convient de confirmer le jugement entrepris sur ce point, qu'enfin les premiers Juges, sur la concurrence déloyale, ont à bon droit jugé que la diffusion par Unifrance en cours de la procédure de la circulaire du 25 octobre 1994 présentant de manière orientée caractéristique de la mauvaise foi le litige l'opposant à Monsieur Sauvestre et à la Société Thifan Industrie et offrant un rabais de 10% jusqu'à épuisement du stock de cartouches Sauvestre tout en vantant les mérites d'un produit censé s'y substituer, suffisait à caractériser la concurrence déloyale,qu'il conviendra de confirmer également sur ce point, que la décision d'expertise en ce qu'elle vise à préciser les préjudices subis et les provisions telles qu'arbitrées par le Tribunal au vu des pièces du dossier n'encourent aucune critique justifiée, qu'il y a lieu dès lors de confirmer le jugement dans toutes ses dispositions, la publication ordonnée et qui sera confirmée devant comporter en outre la mention "Confirmé par arrêt de la Cour d'Appel de Rennes en date du 28 février 1996";

Considérant qu'il n'est pas suffisamment établi qu'en faisant appel, la Société Unifrance ait agi de façon malicieuse et dans l'intention de nuire, que la demande de dommages-intérêts des intimés pour procédure abusive sera donc rejetée ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé les frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel et qu'il y a lieu en conséquence de condamner la Société Unifrance à leur payer la somme de 20.000 Francs à chacun ;

Considérant qu'il n'est pas équitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu'elles ont exposées en cause d'appel, ne succombant en son appel, elle sera également condamnée aux dépens ;

Par ces motifs, confirme en toutes ses dispositions le jugement et dit que la publication ordonnée du dispositif du jugement dans le catalogue dont la Société Unifrance assume la diffusion pour la prochaine saison de chasse devra comporter la mention "Confirmé par arrêt de la Cour d'Appel de Rennes en date du 28 février 1996", rejette la demande de dommages-intérêts pour appel abusif de Monsieur Sauvestre et de la Société Thifan Industrie, condamne la Société Unifrance à payer à Monsieur Sauvestre et à la Société Thifan Industrie, à chacun la somme de 20.000 Francs au titre des frais irrépétibles, condamne la Société Unifrance aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.