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Décisions

Cass. com., 27 février 1996, n° 94-16.885

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Pompes funèbres de l'Estérel (SA)

Défendeur :

Delesse (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocat :

Me Choucroy.

T. com. Toulon, prés., du 15 avr. 1992

15 avril 1992

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 mai 1994) que la société Delesse, qui exploite à Toulon et à Fréjus un fonds de commerce ayant pour objet l'activité de pompes funèbres, a assigné la société Pompes funèbres de l'Estérel devant le président du tribunal de commerce statuant en référé pour qu'il lui soit fait défense d'utiliser de quelque manière que ce soit le nom patronymique de Leclerc précédé ou non du prénom Michel, ainsi que les mots Roc'Eclerc l'utilisation de ce patronyme, mis en exergue sur l'enseigne et les documents commerciaux, créant une confusion dans l'esprit des clients avec le "groupe" Leclerc, constitutive à son égard de concurrence déloyale ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Pompes funèbres de l'Estérel fait grief à l'arrêt d'avoir fait droit à cette demande, alors, selon le pourvoi, qu'il appartient à celui qui s'en prévaut de prouver l'existence d'un "trouble manifestement illicite" et, partant, l'existence d'un risque manifeste de confusion de nature à caractériser une concurrence déloyale ; qu'à cet égard, la société Pompes funèbres de l'Estérel avait produit des éléments concordants, de nature à établir que M. Michel Leclerc, dans son combat contre le monopole des pompes funèbres et en faveur de la baisse des prix sur le marché du funéraire, avait acquis une notoriété distincte de celle par ailleurs acquise, dans un tout autre domaine, par les "Centres Leclerc", ce qui excluait tout risque de confusion dans l'esprit de la clientèle dans le cadre du marché du funéraire ; que la société Pompes funèbres de l'Estérel avait produit plusieurs décisions de cours d'appel écartant effectivement, sur ce fondement, le caractère manifeste d'illicéité du trouble ; que la société Delesse intimée, qui avait fait défaut devant la cour d'appel, n'avait opposé aucune réfutation à ces éléments, sur lesquels le premier juge ne s'était pas, non plus prononcé ; que dans ces conditions, en l'absence de toute contestation des éléments de nature à établir la notoriété distincte de M. Michel Leclerc et, partant, l'absence de risque manifeste de confusion, la cour d'appel ne pouvait, en faisant reposer à tort la charge de la preuve sur la société Pompes funèbres de l'Estérel, juger que la société Delesse avait satisfait à la charge, qui lui incombait, de prouver le caractère manifeste du trouble allégué, ou à tout le moins de contester et de réfuter les éléments de nature à faire écarter le caractère manifeste du risque de confusion, sans renverser la charge de la preuve et violer l'article 1315 du Code civil et priver sa décision de tout fondement légal au regard de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que pour retenir le trouble illicite allégué par la société Delesse, l'arrêt a relevé que la société Pompes funèbres de l'Estérel utilisait de façon ostentatoire sur ses documents commerciaux le nom de Michel Leclerc, suivi du titre de directeur, le nom du gérant apparaissant en petits caractères de façon à profiter abusivement de la renommée des centres Leclerc créés par Edouard Leclerc "; qu'appréciant, en outre, les éléments de preuve versés au débats par la société Pompes funèbres de l'Estérel, la cour d'appel a constaté que cette société ne démontrait pas que "Michel Leclerc" ait acquis une notoriété qui soit distincte de celle des centres Leclerc créés par Edouard Leclerc, de nature à annihiler tout risque de confusion entre les entreprises "; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Pompes funèbres de l'Estérel fait grief à l'arrêt de lui avoir interdit d'utiliser, sous quelque forme que ce soit, le nom de Leclerc, alors que, d'une part, selon le pourvoi, l'action en concurrence déloyale suppose établie l'existence d'un préjudice du demandeur ; qu'ainsi, en jugeant que le demandeur aurait pu prétendre faire cesser le trouble constitué par une situation de concurrence déloyale sans démontrer l'existence d'un préjudice, la cour d'appel a violé les articles 1382 du Code civil et 873 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, d'autre part, ce préjudice doit être personnellement et directement subi par le demandeur ; qu'ainsi, en jugeant que le préjudice aurait pu résulter du "préjudice moral" subi en raison de la déloyauté d'actes commis dans la branche considérée, sans justifier en quoi ce préjudice aurait été personnel et direct, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1382 du Code civil et 873 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il découlait nécessairement des actes déloyaux constatés par la cour d'appel l'existence d'un préjudice, fût-il moral, pour la société Delesse, résultant des procédés fautifs utilisés par la société concurrente; que la cour d'appel a pu, dès lors, statuer ainsi qu'elle l'a fait sans encourir les griefs du pourvoi ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.