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Décisions

CA Lyon, 1re ch., 22 février 1996, n° 93-06146

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bureau d'Études Affaires (SA)

Défendeur :

Action Mesure Contrôle (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mermet

Conseillers :

Mme Biot, M. Jacquet

Avoués :

Me Morel, SCP Dutrievoz

Avocats :

Mes Baverez, Deluc.

T. com. Belley, du 6 sept. 1993

6 septembre 1993

Faits procédure prétentions des parties

La SA Bureau d'Etudes Affaires est régulièrement appelante d'un jugement du tribunal de commerce de Belley du 6 septembre 1993, auquel la Cour se réfère pour l'exposé des faits et de la procédure dont le dispositif est le suivant :

- déclare bonne et valable la saisie contrefaçon diligentée le 24 février 1993 par le ministère de Maître Wagner Michel, huissier à Amberieu en Bugey, dans les locaux de la SA Bureau d'Etudes Affaires,

- déclare la Société Action Mesure Contrôle irrecevable et mal fondée en son action en contrefaçon de dessins et modèles à l'encontre de la SA Bureau d'Etudes Affaires,

- Dit que la SA Bureau d'Etudes Affaires a commis à l'égard de la Société Action Mesure Contrôle des actes de concurrence déloyale,

- en conséquence condamne la SA Bureau d'Etudes Affaires à payer à la Société Action Mesure Contrôle la somme de 100 000 F en réparation de son préjudice,

- ordonne à titre de réparation complémentaire la publication par extrait du présent jugement dans cinq journaux ou revues aux choix de la Société Action Mesure Contrôle, sans que le coût de chaque insertion dépasse la somme de 10 000 F hors taxes,

- Condamne la SA Bureau d'Etudes Affaires à payer à la Société Action Mesure Contrôle la somme de 2 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les faits

La Société Bailey's Control a été créée aux USA en 1916, elle était spécialisée dans la fabrication et la vente de servo moteurs de régulation pour l'industrie thermique. Ces produits ont été notamment utilisés en France après la seconde guerre mondiale, dans les centrales thermiques que créait l'Electricité de France.

Une société contrôle Bailey était créée en France en 1955, elle est devenue indépendante de la société américaine en 1968.

En 1985, la Société CGEE Alsthom rachète l'intégralité de la société Contrôle Bailey, qui devient un département Division Contrôle Bailey.

En 1986, un ancien ingénieur de la société Contrôle Bailey, créée la SA Bureau d'Etudes Affaires, qui installée d'abord à Evry et actuellement à Amberieu en Bugey, se spécialise dans la maintenance des dispositifs de régulation dans l'industrie nucléaire et thermique, notamment pour l'EDF.

En 1988, la Société Action Mesure Contrôle rachète la division produit mécaniques à la Société Contrôle Bailey, et elle reçoit l'autorisation d'utiliser pendant une durée de trois ans la marque Contrôle Bailey sur les produits cédés, et de joindre à son nom la formule " successeur de Contrôle Bailey en matière de capteurs et d'actionneurs ", soit jusqu'au 23 novembre 1991.

Par la suite la CGEE Alsthom a cédé la marque Contrôle Bailey à une société japonaise, tandis que la société Américaine Bailey's Control était reprise par la société italienne Elsag.

La Société Action Mesure Contrôle a été placée en redressement judiciaire et a fait l'objet d'un plan de continuation qui à ce jour est respecté.

La Société Action Mesure Contrôle reproche à la SA Bureau d'Etudes Affaires d'avoir contrefait des modèles dont elle a l'exclusivité.

Les prétentions des parties

La SA Bureau d'Etudes Affaires appelante invoque la nullité de la saisie contrefaçon ordonnée hors du cadre de la loi, et alors surtout que la saisie ne peut être ordonnée que sur production du certificat de dépôt s'agissant de dessins et modèles.

Elle demande la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la demande en contrefaçon, les pièces des servo moteurs Bailey n'étant pas susceptibles de bénéficier d'une protection relevant de la propriété intellectuelle.

Elle conteste tout fait de concurrence déloyale en faisant valoir que les références qu'elle utilise sont les mêmes pour tous les fabricants de produits similaires.

Elle soutient que l'attitude de la Société Action Mesure Contrôle lui cause un préjudice dont elle demande réparation par le paiement d'une somme de 1 000 000 F, et la publication du présent arrêt dans cinq journaux de son choix aux frais de la Société Action Mesure Contrôle.

La Société Action Mesure Contrôle intimée, conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit bonne et valable la saisie contrefaçon .

Devant la Cour, elle précise ne pas reprendre sa demande en contrefaçon de dessins et modèles, mais elle invoque des faits de concurrence déloyale commis par l'appelante.

En effet elle soutient que la SA Bureau d'Etudes Affaires a été créée par un ancien employé de Contrôle Bailey, qui connaissait le savoir faire et les plans de son ancien employeur, plans sans lesquels il est impossible de procéder à la fabrication des pièces.

La SA Bureau d'Etudes Affaires s'est emparée du marché notamment du principal client qu'est l'EDF. Elle demande donc la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu les faits de concurrence déloyale.

Elle forme appel incident pour demander de porter à 5 000 000 F le montant de la réparation de son préjudice. Subsidiairement elle réclame une expertise et une provision de 550 000 F. Elle réclame enfin 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Motifs et décision

Sur la validité de la saisie contrefaçon

Attendu qu'aux termes des articles L. 511-5 et L. 521-1 les dessins et modèles régulièrement déposés jouissent seul de la protection conférée par la loi et leur saisie ne peut être autorisée que sur la production du certificat de dépôt ;

Attendu que la Société Action Mesure Contrôle ne conteste pas n'avoir pas déposé les dessins et modèles dont elle réclame protection que dès lors la saisie n'était pas possible et qu'elle doit être annulée ;

Sur la contrefaçon de modèles

Attendu d'ailleurs que devant la Cour la Société Action Mesure Contrôle ne soutient pas sérieusement son action en contrefaçon insistant surtout sur son action en concurrence déloyale, qu'il convient de confirmer la jugement déféré en ce qu'il a dit irrecevable l'action en contrefaçon de dessins et modèles ;

Sur la concurrence déloyale

Attendu qu'il est constant que la Société Action Mesure Contrôle venant aux droits de la société Cegelec elle même venant aux droits de la société Bailey Contrôle, était implantée sur le marché antérieurement à la SA Bureau d'Etudes Affaires dont la création n'est intervenue qu'en 1986 ;

Attendu que la Société Action Mesure Contrôle reproche à la SA Bureau d'Etudes Affaires des actes de concurrence déloyale consistant à s'être emparé, par l'intermédiaire d'un ancien salarié de la Société Bailey Contrôle, de ses plans et de son savoir faire ;

Attendu qu'il n'a été trouvé aucun plan dans les locaux de la SA Bureau d'Etudes Affaires, que par des motifs que la Cour adopte les premiers juges ont relevé que la Société Action Mesure Contrôle qui n'avait eu l'autorisation d'utiliser la marque Contrôle Bailey que pour trois ans à compter de 1988, ne peut prétendre avoir un droit exclusif sur cette marque aujourd'hui, qu'elle n'a pas non plus procédé au dépôt de modèles qui lui seraient propres, et qu'elle ne produit pas de plans semblables aux siens qui seraient utilisés par son adversaire, de sorte que cet argument doit être écarté ;

Attendu que la Société Action Mesure Contrôle ne démontre pas que l'arrivée de la SA Bureau d'Etudes Affaires, sur le marché de la maintenance des systèmes mis en place dans les centrales thermiques de l'EDF soit parasitaire ;

Attendu que la Société Action Mesure Contrôle invoque un préjudice qu'elle pourrait subir en se voyant réclamer par EDF la garantie du constructeur pour des pièces qu'elle n'aurait jamais fabriquée ;

Attendu que la SA Bureau d'Etudes Affaires est seulement un distributeur et non un constructeur de pièces, qu'elle s'approvisionne notamment chez la Société Action Mesure Contrôle, qui est à la fois distributeur et fabricant, que les pièces produites pour démontrer le préjudice allégué ne sont pas suffisamment claires pour l'établir, de sorte que cet argument doit être rejeté ;

Attendu qu'il est enfin reproché l'utilisation par la SA Bureau d'Etudes Affaires de façon servile des références internes de la Société Action Mesure Contrôle de façon à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle ;

Attendu qu'il ne faut pas oublier que l'essentiel de la clientèle est l'EDF ;

Attendu que la Société Action Mesure Contrôle de fonde d'abord sur les éléments fournis par le procès-verbal de saisie contrefaçon, que celui ci ayant été annulé ne peut servir de moyen de preuve, qu'il convient de rechercher s'il est fourni d'autres pièces permettant d'établir ce reproche ;

Attendu que la SA Bureau d'Etudes Affaires soutient que ces références sont communes et qu'étant destinées à des ensembles très complexes il est indispensable que ces pièces soient identifiées et que le fabricant de pièces détachées peut mentionner les numéros de références que leur a donné le constructeur ;

Attendu que la SA Bureau d'Etudes Affaires, n'est pas un fabricant, qu'elle se contente de revendre des pièces notamment à l'EDF, qu'il résulte cependant des documents produits (notamment d'une commande portant sur un matériel Référence BEA 64001 41, commandé par OTOM, alors que ce numéro est celui de cette même pièce dans les catalogues Cegelec et AMC) qu'elle identifie ces pièces par ses références à celles construites sous la marque Contrôle Bailey, de sorte que comme l'ont relevé les premiers juges, cette numérotation est de nature à créer la confusion dans la mesure où la SA Bureau d'Etudes n'indique pas qu'en réalité les pièces ne sont pas toujours fabriquées par la Société Contrôle Bailey ou ses ayant droits;

Attendu qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu ce seul fait de concurrence déloyale ; que la somme de 100 000 F allouée en réparation du préjudice apparaît suffisante pour réparer ce préjudice dont l'importance n'est pas démontrée, le marché en question étant restreint et l'EDF ne pouvant manquer de connaître les divers fabricants des pièces qui lui sont nécessaires;

Sur le préjudice allégué par la SA B.E.A.

Attendu que la SA Bureau d'Etudes Affaires soutient que la saisie contrefaçon irrégulière, lui a causé un préjudice la Société Action mesure Contrôle ayant procédé ainsi à une véritable mesure d'espionnage industriel ;

Attendu qu'il y a là source de préjudice puisque la Société Action Mesure Contrôle concurrente de la SA Bureau d'Etudes Affaires en ce qui concerne la distribution et les travaux de maintenance a eu connaissance de faits qui relèvent du secret des affaires, alors qu'elle savait parfaitement ne pouvoir faire pratiquer cette saisie contrefaçon ;

Attendu que la SA Bureau d'Etudes Affaires qui évalue son préjudice à 1 000 000 de F, ne fournit aucun élément à l'appui de cette demande, qu'une indemnité de principe lui sera allouée évaluée à 100 000 F ;

Attendu que les sommes allouées à chacune des deux sociétés étant identiques il convient d'en ordonner la compensation ;

Attendu que chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions devant la Cour, il n'y a lieu ni à dommages intérêts ni à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, que chacune d'entre elle gardera ses frais de première instance et d'appel ;

Attendu que pour les mêmes raisons il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt ;

Par ces motifs : LA COUR reçoit l'appel, confirme le jugement déféré, En ce qu'il a déclaré la Société Action Mesure Contrôle irrecevable et mal fondée en son action en contrefaçon de dessins et modèles contre la SA Bureau d'Etudes Affaires, En ce qu'il a dit que la SA Bureau d'Etudes Affaires a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la Société Action Mesure Contrôle, et l'a condamnée à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts ; Le réformant pour le surplus et y ajoutant, Dit nulle la saisie contrefaçon pratiquée le 24 février 1993 par maître Wagner Michel dans les locaux de la SA Bureau d'Etudes Affaires, Dit que cette saisie a causé un préjudice à la SA Bureau d'Etudes Affaires, condamne la Société Action Mesure Contrôle à payer à la SA Bureau d'Etudes Affaires la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts, Ordonne la compensation entre les dommages intérêts alloués à chacune des parties, Dit n'y avoir lieu à dommages intérêts supplémentaires ni à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Dit n'y avoir lieu à publication du présent arrêt, Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens de première instance et d'appel.