CA Colmar, 1re ch. civ. A, 13 février 1996, n° 9505614
COLMAR
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pascal et Éric Mittnacht Wistub Suzel (SARL)
Défendeur :
Suzel (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gueudet
Conseillers :
M. Muller, Mme Bertrand
Avocats :
Mes Bueb, Heichelbech.
Le 2 juin 1992 la SARL Eric et Pascale Mittnacht a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Colmar, pour l'exploitation à compter du 1er juillet 1992 d'un fonds de commerce, de pâtisserie, salon de thé, winstub à Hunawihr (Haut-Rhin) sous le nom commercial de " Wistub Suzel ".
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 mai 1995 à la SARL " Suzel " inscrite depuis le 13 mars 1980 au registre du commerce et des sociétés de Strasbourg pour l'exploitation à compter du 1er avril 1980 d'un fonds de commerce de pâtisserie, salon de thé, vente de produits régionaux avec adjonction, à compter du 14 mars 1994 d'une activité restaurant, rue des Moulins à Strasbourg, a fait sommation à la SARL E et P Mittnacht de procéder sans délai au changement de dénomination sociale et d'enseigne en supprimant le nom de " Suzel ", aux motifs que l'utilisation de l'enseigne et de la raison sociale " Suzel " par imitation pure et simple pour une activité identique était susceptible de créer une confusion dans l'esprit du public.
La Société EP Mittnacht s'est opposée à cette demande en faisant valoir que lors de la création du fonds de commerce elle avait pris comme nom commercial celui du personnage de Suzel incarnée par Madame Mittnacht lors de manifestations folkloriques annuelles à Hunawhir, qu'aucune marque n'avait été déposée sous le nom de Suzel et qu'il ne pouvait exister aucune confusion.
Sur autorisation du président de la Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Colmar, en date du 19 septembre 1995, la SARL Suzel a assigné à jour fixe la SARL Eric et Pascale Mittnacht en vue d'obtenir sa condamnation sous astreinte à cesser toute utilisation du nom commercial " Suzel ", sa condamnation au paiement de 450 000 F à titre de dommages et intérêts, la publication du jugement à intervenir et la condamnation aux dépens et au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La société demanderesse a fondé son action sur la concurrence déloyale.
Par jugement du 3 novembre 1995 la Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Colmar a condamné la défenderesse à cesser toute utilisation du nom commercial " Suzel " pour toute activité de restauration, de pâtisserie ou d'activité annexe par quelque moyen que ce soit dans un délai de quinze jours à compter de la signification du jugement sous peine d'une astreinte provisoire de 1 000,00 F par jour, a ordonné la publication du jugement aux frais de la défenderesse sans que le coût ne puisse dépasser 3 000,00 F dans les pages régionales des Dernières Nouvelles d'Alsace, a condamné la défenderesse à payer la somme de 50 000,00 F à titre de dommages et intérêts majorée des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement, l'a condamnée aux entiers dépens et au paiement d'une indemnité de 4 000,00 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La SARL E et P Mittnacht a interjeté appel de ce jugement le 17 novembre 1995 et a été autorisée à assigner la partie adverse à jour fixe.
Par conclusions d'appel du 24 novembre 1995 elle fait valoir :
- que les associés de la société, les époux Mittnacht ont choisi comme enseigne commerciale du fonds de commerce qu'ils avaient créé à Hunawihr, le nom " de Wistub Suzel " dans la mesure où Madame Mittnacht incarne depuis 1986, lors des fêtes annuelles du village, le personnage de " Suzel " l'épouse de l'ami Fritz dans le roman d'Erckmann Chatrian.
- que la partie adverse a attendu plus de trois ans après l'ouverture de ce fonds de commerce, pour l'assigner en concurrence déloyale, et qu'il est évident que cette action est motivée par le fait qu'elle a adjoint en 1994 à son activité celle de la restauration,
- que la SARL Suzel ne peut invoquer à l'appui de sa demande la protection attachée à la marque alors en premier lieu qu'elle n'a pas renouvelé le dépôt de la marque Suzel le 21 août 1991, en second lieu que cette marque qui était antériorisée et qui ne protégeait pas l'activité de restauration n'était pas valable,
- que l'action de la SARL Suzel est donc exclusivement fondée sur la concurrence déloyale,
- qu'elle a choisi le nom d'un personnage littéraire passé dans le patrimoine culturel régional, insusceptible d'appropriation, non pour concurrencer la Société Suzel mais en considération des traditions locales et de l'incarnation de ce personnage par Madame Mittnacht, et que l'utilisation de ce nom ne peut être considérée comme fautive alors que ce nom concerne un commerce dont l'activité n'était pas identique et non situé dans le même département et la même ville,
- qu'Erckmann Chatrian a mis en scène dans son ouvrage deux personnages principaux l'Ami Fritz et Suzel et qu'on ne voit pas pourquoi le nom de " Suzel " devrait jouir d'une protection particulière alors que le nom de " l'ami Fritz " est utilisé en Alsace comme nom commercial et enseigne d'au moins sept restaurants,
- que le nom de Suzel a d'ailleurs été utilisé antérieurement comme marque par d'autre commerçants dans la même gamme de produits commercialisés par la demanderesse et que d'ailleurs l'adjonction au nom de Suzel et celui de Wistub ne pouvait entraîner aucune confusion avec la dénomination sociale de la partie adverse,
- que la SARL Suzel ne démontre pas l'existence d'un préjudice et qu'elle ne peut nullement se prévaloir d'une baisse de son chiffre d'affaires entre novembre 1993 et avril 1994 époque où elle a fermé son établissement pour faire exécuter des travaux nécessaires à l'adjonction de l'activité de restauration,
- que la SARL Suzel ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une confusion ou d'un risque sérieux de confusion entre les deux établissements alors que l'activité n'était pas la même, que les deux commerces étaient situés dans des départements différents, que sa notoriété n'est pas celle qu'elle invoque et était limitée à la vente de produits alimentaires et pâtisseries en 1992.
Elle demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de rejeter la demande, de condamner la SARL Suzel au paiement d'une somme de 50 000,00 F à titre de dommages et intérêts pour action abusive, de la condamner aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000,00 F.
Par conclusions en réplique du 22 janvier 1996 la SARL Suzel fait valoir :
- que l'utilisation d'un nom ou d'un prénom d'un personnage imaginaire d'une œuvre littéraire est parfaitement licite,
- qu'elle est en droit d'obtenir en se fondant sur la concurrence déloyale la protection de cette dénomination sociale qui a eu lieu indépendamment de tout risque de confusion car il s'agit de protéger l'état civil d'une société ainsi que son nom commercial et son enseigne, qui sont des signes distinctifs de son entreprise,
- que les conditions de cette action sont remplies en l'espèce alors en premier lieu que les deux parties s'adressent à la même clientèle de touristes visitant l'Alsace dans le cadre de circuits incluant Strasbourg et les villages du vignoble alsacien dont Hunawihr célèbre pour son église fortifiée, en second lieu qu'elles exercent la même activité de salon de thé, restaurant avec spécialités alsaciennes, en troisième lieu que la SARL Suzel a acquis une réputation et une notoriété nationale et internationale dont bénéficie incontestablement la partie adverse qui ne pouvait ignorer ces éléments,
- que le premier juge a parfaitement motivé sa décision en relevant qu'elle avait droit à la protection par le premier usage public du nom et de l'enseigne, que le choix de l'enseigne en Alsace pour des produits et services du même type visait une même clientèle régionale et étrangère amateur de produits culinaires alsaciens proposés dans un cadre typique, que les activités de deux entreprises étaient identiques en tous cas complémentaires qu'il existait bien un risque de confusion, que le préjudice était certain et que la partie adverse parasitait le renom de l'enseigne commercial Suzel et les efforts entrepris pour conférer à son nom et à son enseigne, sa notoriété et sa réputation,
- qu'il importe peu que la SARL E. et P. Mittnacht ait eu ou non l'intention de lui nuire dès lors qu'il lui appartenait avant de choisir son nom commercial de se renseigner sur la disponibilité de nom notoirement connu,
- que l'appropriation du nom d'un personnage littéraire tiré d'une œuvre faisant partie du domaine public est susceptible d'appropriation et qu'il importe peur que d'autres établissements aient adopté le nom commercial " l'Ami Fritz " ou que d'autres commerçants seraient titulaires de droits antérieurs sur le nom de " Suzel ",
- que tout fait de contrefaçon entraîne nécessairement un préjudice lequel est caractérisé en l'espèce par le fait que l'appelante profite sans contrepartie des efforts et des dépenses qu'elle a effectués pour parvenir à la notoriété qui est la sienne,
- que la participation annuelle de Madame Mittnacht aux fêtes annuelles de Hunawihr en incarnant le personnage de " Suzel " ne constitue pas un fait justificatif étant observé que ni l'Ami Fritz, ni Suzel, n'ont, dans le roman d'Erckmann Chatrian séjourné à Hunawihr,
- que la marque Suzel est à nouveau enregistrée depuis le 29 mai 1995 et que si la marque ne peut être invoquée pour des faits de contrefaçon antérieurs à cette date, elle justifie cependant la confirmation du jugement pour les actes qui se sont poursuivis après cette date.
Elle demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris, de condamner l'appelante aux entiers dépens y compris ceux de la procédure de référé, de la condamner à tous les dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 4 000,00 F pour la procédure de référé et de celle de 20 000,00 F pour la procédure au fond.
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versés au dossier et les mémoires des parties auxquels la Cour se réfère pour plus ample exposé de leurs moyens ;
Attendu que la dénomination sociale ou la raison sociale est la dénomination de la personne morale qui exploite le fonds de commerce alors que le nom commercial est la désignation du fonds ou de l'entreprise exploitée par le commerçant personne physique ou morale ;
Que le nom de l'enseigne commerciale qui peut être la même que celui du fonds de commerce ou de l'entreprise ne s'identifie qu'au local d'exploitation sur lequel elle est apposée ;
Attendu que les sociétés en litige ont une dénomination sociale différente, l'une étant la SARL " Suzel " et l'autre la SARL " Eric et Pascale Mittnacht " ;
Attendu que la première de ces sociétés utilise depuis sa création en 1980 le même nom de " Suzel " pour sa raison sociale, son nom commercial et son enseigne ;
Que la seconde de ces sociétés utilise depuis sa création en Octobre 1992 le nom commercial de " Wistub Suzel " et la même enseigne commerciale ;
Attendu que " Suzel " est un prénom connu en Alsace, ayant pour origine celui de Suzanne et est surtout le prénom d'un personnage d'un roman d'Erckmann Chatrian, la petite " Suzel " fiancée de Fritz publié en 1864 sous le titre " l'Ami Fritz " ;
Qu'elle y est décrite comme " une petite fille blonde et rose de 16 à 17 ans, fraîche comme un bouton d'églantine, les yeux bleus, le petit nez droit aux narines délicates, les lèvres gracieusement arrondies, en petite jupe de laine blanche et casaquin de toile bleue " ;
Attendu qu'un commerçant est en droit dès lors que l'œuvre est tombée dans le domaine public, de prendre comme nom commercial ou comme enseigne commerciale le prénom d'un personnage issu d'une œuvre d'imagination ;
Que les parties admettent que le prénom de Suzel et non " Sûzel " comme orthographié dans le roman (Erckmann Chatrian-Gens d'Alsace et de Lorraine l'Ami Fritz-éditions Omnibus septembre 1993) est celui du personnage de l'œuvre de cet auteur ;
Qu'en tous cas il n'est nullement établi que " Sûzel " serait le pseudonyme de Madame Odette Jung, gérante de la SARL Suzel ou celui de Madame Mittnacht associée de la SARL " E. et P. Mittnacht " ;
Attendu que le nom commercial comme l'enseigne commerciale s'acquièrent par le premier usage sans qu'il soit nécessaire que mention en soit portée au registre de commerce, et que le commerçant peut exercer toute action utile en vue d'assurer leur protection juridique ;
Attendu qu'il est admis que depuis 1980 la SARL " Suzel " a fait un usage public et continu de son nom commercial et de son enseigne ;
Attendu qu'en l'état d'avoir renouvelé le dépôt de le marque Suzel le 21 août 1991 pour les produits de classe 29-30 " fruits et légumes conservés, séchés et cuits, produits alimentaires congelés, pâtes congelées, farines et préparations faites de céréales, fours biscuits, pâtisseries et confiseries, glaces comestibles " la SARL Suzel a fondé son action sur la concurrence déloyale voire parasitaire à l'encontre de la SARL E. et P. Mittnacht ;
Attendu que l'action en concurrence déloyale qui a pour objet de protéger le nom et l'enseigne, éléments incorporels d'un fonds de commerce, ne nécessite pas que soit constatée une faute intentionnelle à l'égard de l'entreprise concurrente, mais qu'elle exige que les entreprises soient en situation de concurrence, c'est à dire qu'elles exercent leur activité dans le même domaine de spécialité et dans le même secteur géographique délimité par la notoriété du nom commercial, que l'utilisation du nom ou de l'enseigne de l'entreprise concurrente entraîne ou du moins risque d'entraîner une confusion dans l'esprit d'une clientèle moyennement avisée et qu'elle entraîne un préjudice pour l'entreprise qui se prétend lésée ;
Attendu que l'activité des deux sociétés n'était pas exactement la même, au moment où la SARL " E. et P. Mittnacht " a ouvert son commerce en 1992, puisque la SARL Suzel, au vu de tous les articles de presse et guides parus antérieurement à cette date, exerçait essentiellement une activité de salon de thé pâtisserie, à l'exclusion de celle de Winstub qui a été rajoutée en 1994, et que l'autre société exploitait essentiellement une activité de Winstub mais également de pâtisserie, salon de thé;
Attendu qu'en tous cas il existait une activité commune celle de salon de thé, pâtisserie, et que l'activité " Winstub " qui traditionnellement en Alsace était très différente de la précédente à tendance à devenir une activité complémentaire, dans la mesure ou de plus en plus de salons de thé ou pâtisseries offrent à leur clientèle à midi des petits plats même si ce ne sont pas exactement les mêmes que ceux servis dans une Winstub;
Attendu que dès lors il convient d'admettre que ces deux sociétés exerçaient une activité similaireet qu'elles pouvaient sur ce point se trouver en situation de concurrence ;
Attendu toutefois qu'il est constant que ces deux sociétés n'exerçaient pas leur activité dans le même secteur géographique;
Attendu que la SARL E. et P. Mittnacht exerce son activité dans le petit village de Hunawhir (Haut-Rhin) décrit dans un prospectus " comme un village pittoresque blotti à l'ombre d'une magnifique église fortifiée "... qui accueille chaque année l'Ami Fritz et la charmante Suzel héros du célèbre roman d'Erckmann-Chatrian ", et qui est situé à environ 60 kilomètres de Strasbourg ;
Attendu que la SARL " Suzel " exerce son activité au cour de Strasbourg dans le quartier réputé de " la Petite France " auquel l'établissement est souvent associé dans les articles des différentes revues versées aux débats, par exemple dans un article paru dans Paris Match en Octobre 1985 sur Strasbourg ville gourmande au chapitre P comme Petite France " Découvrez également Suzel dont le salon de thé est un véritable musée alsacien " ou encore dans un article de la même revue paru en octobre 1988 à la rubrique salon de thé intitulé " Suzel gardienne de Musée " : " une façade adorable au cour de la Petite France " ou enfin dans Prisma en 1986 dans un article consacré à Strasbourg " sous la rubrique coup de cour : " Au cour de la Petite France il faut bon y venir déguster les pâtisseries maisons faites le matin même... " ;
Attendu qu'à la lecture de tous les articles de presse, ou des guides parus avant octobre 1992 et même 1994, essentiellement dans le cadre d'informations touristiques sur la ville de Strasbourg, il apparaît que la SARL Suzel était présentée au public désireux de se rendre dans cette ville comme un salon de thé réputé par ses produits, son accueil et son cadre : " une charmante pâtisserie au cour du quartier de la Petite France " (Revue Maxi 1988) ou encore " Suzel ouvert de 12 à 18 heures une pâtisserie de conte pour enfants ou Royaume de Petite France (Gault et Millau Novembre 1987) ou enfin " on dirait une maison de poupée avec ses chaises anciennes, ses tables recouvertes de nappes à carreaux, ses rideaux de dentelles et ses pains sculptés accrochés au mur... " (Géo 1989 sous la rubrique salon de thé-Suzel 2 rue des Moulins) ;
Attendu que le nom commercial " de Suzel ", qui, sauf pour de nombreux Strasbourgeois, n'est connue que de certains spécialistes et touristes séduits par Strasbourg, par les informations touristiques données sur cette ville, ne peut être considéré comme jouissant d'une notoriété telle, qu'il puisse être dérogé au principe de territorialité;
Que d'ailleurs la SARL " Suzel " avait adopté une enseigne caractéristique sur la façade de son établissement dont rien n'indique qu'elle serait reproduite ou imitée par la SARL E. et P. Mittnacht ;
Que cette enseigne qui figure sur plusieurs photographies illustrant les informations touristiques sur Strasbourg sur la Petite France et qui semble être restée la même depuis 1994, constitue un signe particulièrement attractif de ralliement de la clientèle (voir notamment Strasbourg en habit de rêve et l'illustration de Nicole Helle) et ne peut nullement être confondue avec celle apparemment plutôt banale de " la Winstub Suzel " ;
Que cette enseigne qui comprend sur la façade de la maison à colombage le nom de Suzel entourée d'une couronne de fleurs enrubannée avec de chaque côté, à gauche l'inscription " salon de thé " et à droite celle de " Zuem Kaffeekranzel " est d'ailleurs significative de l'activité de cet établissement ;
Attendu qu'enfin de par la situation, le cadre, les produits offerts, les prix pratiqués par chacun de ces établissements il n'apparaît pas qu'ils puissent s'adresser à la même clientèle et qu'il existe un risque que la SARL " E. et P. Mittnacht " puisse capter la clientèle de la SARL " Suzel ";
Attendu qu'il convient d'observer que la SARL " Suzel " qui a laissé périmer sa marque en 1991, a attendu Mai 1995, après qu'elle ait adjoint à son activité principale de salon de thé une activité de Winstub, pour mettre en demeure la SARL " E. et P. Mittnacht " d'adopter un autre nom commercial, alors que cet établissement était ouvert sous ce nom depuis le 1er juillet 1992 et qu'au cours de presque trois ans d'exploitation il n'a été fait état d'aucun élément permettant d'établir que la coexistence de ces deux établissements pendant cette période avait pu entraîner une confusion dans l'esprit d'une clientèle moyennement attentive ;
Attendu que la notoriété du nom de " Suzel " comme pâtisserie ou salon de thé en 1992, ne s'étendait pas au-delà d'une clientèle strasbourgeoise et d'une clientèle touristique avisée et bien informée sur les charmes de Strasbourg et de son quartier renommé de la Petite France ;
Attendu qu'il n'est pas possible d'admettre que pour un client moyennement avisé ou attentif il puisse exister une confusion entre l'établissement dénommé " Suzel " connu à cette époque essentiellement comme un salon de thé situé au cour de ce quartier de Strasbourg et celui de " Winstub Suzel " situé à 60 kilomètres dans le département du Haut-Rhin dans un petit village du vignoble alsacien, où l'église fortifié ne peut attirer qu'un certain nombre de spécialistes et qui n'est pas nécessairement situé, malgré son charme, sur l'itinéraire obligé des touristes français ou étrangers qui visitent Strasbourg, ou quelques " perles " des villages réputés du vignoble alsacien tels que Riquewhir, Turckheim ou Eguisheim dans le Haut-Rhin après un passage quasi obligé à " Colmar " ;
Attendu que cette confusion apparaît d'autant moins certaine qu'en Alsace, le personnage de " Suzel " fait partie du patrimoine culturel alsacien auquel il est associé à celui de l'Ami Fritz, que de nombreuses fêtes folkloriques drainant des centaines de touristes l'été, notamment à Hunawhir ou à Marlenheim mettent en scène le mariage de Suzel et de l'Ami Fritz, que dans l'esprit de la clientèle alsacienne qui sait très bien faire la différence entre un salon de thé et une Winstub et celui d'une partie de la clientèle touristique moyennement avisée, attirée par les nombreuses fêtes villageoises alsaciennes, le nom de Suzel n'est pas associé à celui d'un établissement de Strasbourg mais à celui d'un personnage " alsacien " tout comme celui l'Ami Fritz qui constitue le nom commercial et l'enseigne de nombreux restaurants ;
Attendu que le fait que le nom de Suzel soit précédé de celui de l'activité de l'établissement démontre que l'activité principale est elle d'une Winstub servant des plats typiquement alsaciens et que cette adjonction a encore pour effet de différencier les deux commerces, dans l'esprit de la clientèle ;
Que tous les articles consacrés à la SARL Suzel prennent soin de relever les qualités de Madame Odette Jung dirigeant de la SARL Suzel et qu'il n'est pas à craindre que des clients puissent confondre cet établissement avec celui de Hunawhir dirigé par Monsieur Mittnacht, les cartes commerciales mentionnant expressément à côté du nom commercial " de Wistub Suzel " celle des associés Eric et Pascale Mittnacht ;
Qu'aucune publicité de la SARL " E et P. Mittnacht " ne situe son activité dans le cadre des circuits touristiques alsaciens de Strasbourg à Colmar et qu'il n'est nullement fait mention directement ou indirectement d'une association, entre les établissements de Strasbourg et ceux du vignoble alsacien, qui aurait pu être de nature à faire naître une confusion dans l'esprit de la clientèle ;
Attendu qu'en Alsace la notoriété du nom " de Suzel " s'attache davantage à celle du personnage d'Erckmann Chatrian passé dans le patrimoine alsacien et source d'inspiration dans le cadre de la promotion du tourisme régional, qu'à celle du salon de thé de Strasbourg ;
Qu'il n'apparaît pas qu'en prenant comme nom commercial et comme enseigne commerciale le nom " de Wistub Suzel " pour un petit établissement situé dans le village de Hunawhir, la SARL E. et P. Mittnacht ait entendu bénéficier sans contrepartie du renom acquis par la SARL Suzel grâce à son savoir faire essentiellement dans le domaine du salon de thé de qualité, et qu'elle ne serait ainsi constitué une clientèle par parasitisme commercial ;
Que la clientèle qui fréquente les " salon de thé " ou " Kaffeekranzel " surtout l'après-midi dans la tradition alsacienne, que ce soit à titre habituel ou à l'occasion de la visite touristique d'une ville n'est pas la même que celle fréquente, dans un village une winstub ou une wistub dans le Haut-Rhin pour se restaurer à midi ou le soir, même si elle a également la possibilité d'y prendre un petit déjeuner ou un thé accompagné de pâtisseries ;
Attendu que l'action est fondée sur la concurrence déloyale et qu'il importe peu, que la SARL Suzel s'étant aperçue qu'elle avait laissé périmer la marque " Suzel " ait de nouveau fait enregistrer, avec effet du 29 mai 1995, cette marque pour des produits de classe 20-21-25-29-30-42 (articles en bois et en matières plastiques, à savoir figurines en bois ou en matière plastique-Petites ustensiles non électriques et récipients pour le ménage et la cuisine (ni en métaux précieux ni en plaqué) vaisselle en verre, porcelaine ou faïence, vêtements, fruits et légumes en conserve gelées, confitures, compotes, préparations faites de céréales, pâtisseries, confiseries, glaces comestibles, miels, restauration à l'exception des services de bar et de services de boissons) " ;
Que la SARL Suzel ne peut dans le cadre de la présente procédure invoquer la contrefaçon de marque, pour les faits qui se sont produits postérieurement au 29 mai 1995 alors qu'aucune demande n'avait été formée de ce chef en première instance et, qu'elle sollicite expressément la confirmation du jugement qui s'est prononcé non sur la contrefaçon mais sur une concurrence déloyale ;
Qu'à titre superfétatoire la partie adverse invoque des antériorités de marque et qu'il serait à tout le moins nécessaire que dans le cadre d'une autre action un débat contradictoire ait lieu sur ce point ;
Attendu que le jugement déféré à la Cour doit donc être infirmé ;
Attendu que les dépens de première instance et d'appel doivent incomber à la SARL " Suzel " ;
Attendu que la SARL Suzel a soumis au tribunal un litige réel dont la solution n'était pas évidente, que les arguments qu'elle a invoqués même s'ils n'ont pas été retenus en appel étaient cependant sérieux ;
Que dans ces conditions il n'apparaît par que l'équité exige qu'il soit fait droit aux demandes d'indemnité de procédure présentées par l'une et l'autre des parties bien que la SARL Suzel ait été déboutée de sa demande.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré, Déclare l'appel recevable en la forme, Au fond ; infirme le jugement entrepris, Déboute la SARL Suzel de ses demandes, La condamne aux dépens de première instance et d'appel, Déboute les parties de leurs demande d'indemnité de procédure.