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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 18 janvier 1996, n° 95-452

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Plein Soleil Conseil (SARL), Languedocienne de Crédit Immobilier (SA)

Défendeur :

Aloha (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

M. Torregrosa, M. Prouzat

Avoués :

SCP Capdevila-Gabolde, SCP Salvignol-Guilhem, SCP Negre

Avocats :

SCP Delran, SCP Scheuer-Vernhet, SCP Thevenet-Nougaret.

T. com. Montpellier, du 7 déc. 1994

7 décembre 1994

Les faits, la procédure et les prétentions :

Dans des circonstances de temps et de lieu qui sont en elle-même et en partie l'objet du litige, la SARL Aloha et la SA F.D.I. Crédit Immobilier (Le Crédit Immobilier) ont mené chacun une campagne publicitaire qui a démarré respectivement en novembre 1989 et novembre 1990.

Par assignation en date du 25 juin 1995, Aloha s'estimant victime de concurrence déloyale a sollicité du Tribunal de Commerce de Montpellier la condamnation du Crédit Immobilier à réparer son préjudice. Par assignation en date du 23 septembre 1992, le Crédit Immobilier a appelé en garantie l'agence de publicité SARL Plein Soleil conceptrice de sa campagne de publicité.

Le Tribunal de Commerce a ordonné une expertise confiée à M. Prouzet et a statué au fond le 7 décembre 1994 en condamnant le Crédit Immobilier à payer à Aloha 281 992 F au titre du préjudice direct et 100 000 F au titre du préjudice indirect, suite à ses agissements constitutifs de concurrence déloyale. La SARL Plein Soleil a été condamnée à relever et garantir le Crédit Immobilier.

Plein Soleil a relevé appel ainsi que le Crédit Immobilier. Il convient dans le cadre d'une bonne administration de la justice de joindre les recours formés à l'encontre d'une même décision.

Le Crédit Immobilier conteste point par point les conclusions expertales et affirme que la société Aloha n'a subi aucun préjudice résultant de la concurrence déloyale alléguée. Le rapport d'expertise ne peut être homologué et la Cour jugera que le Crédit Immobilier n'a commis aucun agissement parasitaire fautif.

A titre principal, il est donc demandé à la Cour de réformer le jugement entrepris et de débouter Aloha de toutes ses demandes, fins et conclusions. Elle sera condamnée au paiement d'une somme de 100 000 F pour procédure abusive, outre 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Subsidiairement, la société Plein Soleil devra relever et garantir le Crédit Immobilier de toute condamnation prononcée à son encontre, le jugement entrepris étant confirmé sur ce point. Plein Soleil devra faire cesser les poursuites dirigées contre le Crédit Immobilier en réglant les causes en principal, intérêts et frais dans les huit jours de l'arrêt à intervenir, et ce sous astreinte de 1 000 F par jour de retard. (conclusions du 26 avril 1995).

La SARL Plein Soleil Conseil demande à la Cour de réformer le jugement entrepris et de la mettre hors de cause en constatant l'absence de motivation du jugement initial à son égard et le défaut d'agissements en concurrence déloyale à son encontre ;

Subsidiairement, il sera dit et jugé que l'appel en garantie du Crédit Immobilier à l'encontre de Plein Soleil est infondé, en l'absence de tout grief dans l'assignation et de toute démonstration d'une faute de Plein Soleil dans l'exécution de ses prestations contractuelles.

Le Crédit Immobilier sera débouté de son appel en garantie, avec condamnation à payer 10 000 F au titre des frais irrépétibles. (conclusions du 26 avril 1995)

La SARL Aloha forme un appel incident et demande l'homologation des conclusions de l'expert Prouzet mais la condamnation du Crédit Immobilier à lui payer 200 000 F au titre du préjudice indirect. Le jugement du 7 décembre 1994 sera confirmé pour le surplus, les intérêts étant dus au taux légal depuis le 25 juin 1992 et la clause d'anatocisme étant sollicitée. Une somme de 20 000 F est sollicitée au titre des frais irrépétibles.

Elle se fonde en fait sur les éléments établis par l'expertise Prouzet et en droit sur la responsabilité résultant de la concurrence déloyale et du parasitisme commercial.

Le Crédit Immobilier ne conteste qu'il exerce au moins pour partie non négligeable des activités qui sont directement concurrentes de celles d'Aloha tels que la promotion immobilière, le lotissement et la construction de maisons individuelles.

Les agissements ont d'ailleurs cessé aussitôt que l'action a été introduite, l'aveu constituant la reine des preuves (conclusions du 2 novembre 1995).

Le Crédit Immobilier insiste en réponse sur sa vocation de prêteur à l'habitat et accessoirement de promotion immobilière, tandis qu'Aloha est une société qui accomplit en tant qu'agent immobilier des transactions immobilières.

Les campagnes ont été différentes en tous points (conclusions du 20 novembre 1995).

Sur ce :

Attendu que les droit français n'a pas à ce jour renoncé à exiger du demandeur à une action la preuve du fondement juridique de ses prétentions ;

Attendu que depuis son assignation introductive d'instance, Aloha invoque au soutien de ses prétentions le parasitisme du Crédit Immobilier qui a " dégénéré " en concurrence déloyale ;

Attendu qu'à l'appui de ses prétentions, le dossier régulièrement communiqué d'Aloha, ne contient principalement que le rapport d'expertise Prouzet, tout le reste n'étant constitué que d'illustrations (photos, coupures de journaux, lettre du gérant d'Aloha) des faits dénoncés et examinés par l'expert, et de justificatifs du coût de la campagne de publicité d'Aloha ;

Attendu que la Cour est tenue par les conclusions d'Aloha qui indique que :

-" les parties défenderesses démontrent savamment que le slogan Aloha n'est pas protégeable, ce qui ne constitue pas pour elle une information, puisque le fait était d'ores et déjà reconnu dans l'assignation introductive d'instance... "

-" elles insistent également sur l'absence d'originalité intrinsèque des campagnes de presse et d'affichage et des symboles employés par Aloha, ce qui n'est pas davantage discutable sans qu'ils soit besoin de recourir à des ouvrages spécialisés... "

Attendu que par ses écritures dénuées de toute ambiguïté, Aloha reconnaît que son slogan n'est pas protégeable et dénué de toute originalité, ce qui est l'un des fondements de l'argumentation du Crédit Immobilier;

Attendu que Aloha reconnaît donc ce qui tombait sous le sens, à savoir que l'expression " c'est notre métier " est banale, et ne fait qu'employer des mots courants que l'immense majorité des lecteurs ne saurait attribuer à tel ou tel slogan précis, étant précisé si besoin en était que l'expression " l'immobilier " et l'expression " le prêt à l'habitat " n'ont rien de commun ni visuellement, ni phoniquement, ni orthographiquement et ne sauraient être confondues y compris par un individu moyen qui serait parvenu à envisager l'achat d'un logement sans pour autant maîtriser la langue française ;

Attendu que dans la nécessaire recherche d'un fondement qui constitue la mission de la Cour, la continuation de la lecture des conclusions d'Aloha, indique que les campagnes de publicité ont été " servilement imitées " avec :

- un slogan identique

- des affiches au symbolisme proche

- l'emploi de supports semblables

- le chevauchement chronologique ;

Attendu qu'il ne peut en même temps être reproché l'identité d'un slogan - sur laquelle il a été motivé supra - et son caractère banal et non protégeable ;

Attendu que l'affiche d'Aloha représente manifestement un soleil orange sur fond de ciel bleu clair, à moitié immergé dans une mer bleue plus foncée à l'horizon constitué de vaguelettes ;

Attendu que l'affiche du Crédit Immobilier représente un arc en ciel en quart de cercle, sur fond de bleu dégradé ;

Attendu qu'Aloha, se fondant sur le rapport Prouzet, estime que le symbolisme de ces affiches est proche ;

Attendu qu'à adopter un tel raisonnement, et de proche en proche, Aloha est susceptible de s'approprier la pluie, dont chacun s'accorde à reconnaître qu'elle précède l'arc en ciel, les nuages qui précèdent la pluie, et pourquoi pas le soleil à l'origine de toute vie sur la terre ;

Attendu que même si elle y a été encouragée par un expert qui indique tout à fait gratuitement que :

" le thème du soleil et de la mer est tout à fait représentatif d'Aloha, agence située au départ à la Grande Motte et commercialisant des logements de loisirs et dont le nom est aussi évocateur d'évasion... " et qui souhaiterait " qu'une société comme le Crédit Immobilier fasse apparaître sur ses affiches des constructions plutôt qu'une évocation du rêve, de nature et de vacances ", Aloha est infondée à soutenir le rapprochement symbolique que constituerait l'arc en ciel par rapport au soleil couchant ;

Attendu que dès lors que le slogan et l'affiche ne peuvent être rapprochées en aucune manière, l'on ne discerne pas la pertinence de l'argumentation relative aux supports publicitaires et à la chronologie des campagnes,

Attendu que l'utilisation des supports extérieurs de surface et du seul support publicitaire de presse important sur la région (Midi Libre) n'a rien de significatif, seul le contenu étant essentiel dont la similitude (à écarter en l'espèce ainsi que motivé ci-dessus) pourrait conduire à s'interroger sur les dates de publication ;

Attendu qu'au surplus il n'est pas contesté au dossier et il est justifié que la campagne du Crédit Immobilier a commencé à Montpellier avant celle d'Aloha ;

Attendu que les quatre assertions d'Aloha contenues dans ses conclusions à l'appui du parasitisme (page trois de ses conclusions, quatrième paragraphe) ne résistent donc pas à l'examen de ses propres conclusions (même page, premier et deuxième paragraphe) et à celui comparé des slogans et des affiches ;

Attendu que l'avant dernière argumentation d'Aloha est celle de la concurrence des activités, étant produit à cet effet l'extrait du registre du commerce du Crédit Immobilier où l'on cherche sans succès l'activité d'agent immobilier ou de courtier en immobilier, alors que le Crédit Immobilier affirme, sans être démenti que Aloha - qui omet de produire la description de son objet social - est une agence immobilière qui se livre à une activité de transactions immobilières ; et est titulaire d'une carte professionnelle " Hérault n° 1183 " à ce titre ;

Attendu que la lecture de l'expertise sur ce point est confondante, l'expert n'hésitant pas à écrire en page 17 que :

" il est donc incontestable que le Crédit Immobilier dans sa branche promotion, qui constitue une part non négligeable de son activité, se trouvait pendant la période litigieuse, en concurrence directe avec Aloha, agence immobilière de transactions " ;

Attendu que sauf à confondre le coucher de soleil et le lever de l'arc en ciel, il est fort généralement retenu par une doctrine dominante (M. Prouzet constituant la première exception connue) qui se fonde sur les textes en vigueur que l'activité de promotion immobilière n'a ni au plan juridique, ni au plan commercial de rapport avec la transaction immobilière dont elle se distingue radicalement tant par son objet que par des régimes légaux de garanties et d'assurances distincts ;

Attendu qu'à cet égard, Aloha ne rapporte pas la moindre tentative de preuve de ce qu'un quelconque client ait été abusé ou trompé par la publicité litigieuse et que, souhaitant acheter, vendre ou louer un bien par le biais d'une agence immobilière, il se soit retrouvé sans s'en apercevoir accédant à la propriété après avoir bénéficié d'un prêt à l'habitat ;

Attendu que la dernière argumentation contenue aux conclusions d'Aloha (page quatre) est celle de l'aveu que constituerait la cessation des agissements après l'introduction de l'action, étant bien connu que " l'aveu est la reine des preuves "

Attendu qu'il ne peut être considéré que le Crédit Immobilier ait avoué au sens civil du terme quoi que ce soit, l'aveu ne constituant d'ailleurs qu'un mode de preuve parmi d'autres ;

Attendu qu'ainsi, l'argumentation d'Aloha étant épuisée, il n'est pas superflu d'ajouter que la lecture exhaustive de l'expertise ne permet nullement de suppléer la carence à rapporter la preuve d'un quelconque parasitisme qui ne pourrait résulter que d'une faute consistant à copier ou à piller de façon servile les efforts et les initiatives d'Aloha, ou d'une concurrence déloyale qui n'est convenable que dans le même secteur d'activité ;

Attendu en effet, l'expert est manifestement parvenu à des conclusions fausses et empreintes de subjectivité en ne délimitant pas les secteurs d'activités concernés, en ne recherchant aucun critère précis et objectif de calcul du préjudice allégué qui ne pouvait découler que d'une perte de clientèle directement consécutive aux agissements critiqués, et en se limitant à une analyse de similitude totalement hors du sujet et où l'affirmation de principe le dispute à la platitude consternante et à l'imprécision manifeste (notamment sur l'état du marché immobilier en 1992 et 1993 et sur le préjudice qualifié " d'indirect ") ;

Attendu qu'en conclusion, et sans qu'il soit besoin de réaffirmer le principe - nécessaire à asseoir la responsabilité - d'un préjudice qui est impossible à concevoir en l'espèce puisque la preuve n'est nullement rapportée qu'un seul client ait été capté par le Crédit Immobilier qui n'exerce pas sur le même secteur d'activité ou que la campagne d'Aloha ait perdu de son efficacité par le fait du Crédit Immobilier, l'absence de toute faute ne pouvant être retenue à partir des conclusions Aloha ou du rapport Prouzet amène la Cour à faire droit à l'appel et à infirmer le jugement critiqué ;

Attendu que Plein Soleil, qui a été appelée en garantie par le Crédit Immobilier, étant précisé que Aloha a sollicité la confirmation du jugement initial en ce qui concerne donc aussi la condamnation de Plein Soleil, doit prospérer dans son appel avec condamnation de Aloha à lui payer 6 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile sans qu'il soit équitable de faire droit à la demande de frais irrépétibles formée contre le Crédit Immobilier ;

Attendu que le Crédit Immobilier sollicite une somme de 100 000 F au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ; qu'il apparaît pour le moins en effet audacieux de diligenter une telle action sans pouvoir rapporter la moindre preuve qu'un seul client potentiel de Aloha ait été " détourné " au profit du Crédit Immobilier, en partant du principe que la baisse du chiffre d'affaires n'a pu être que la conséquence exclusive d'une campagne de publicité dont le symbolisme est qualifié de " proche " mais qui ne concerne absolument pas le même secteur d'activité ;

Mais attendu que le même principe de droit ayant conduit au débouté d'Aloha doit s'appliquer au Crédit Immobilier qui ne rapporte pas la preuve que la légèreté fautive qui a présidé à cette action lui ait causé un préjudice concret et quantifiable autre que celui compensé par l'allocation de frais irrépétibles que la Cour estime devoir fixer à 10 000 F ;

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Joint les dossiers 95-316 et 95-452 ; Déclare les appels recevables. Au fond, y fait droit et infirme dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Commerce de Montpellier en date du 07 décembre 1994 ; Statuant à nouveau, déboute Aloha de toutes ses prétentions et dit n'y avoir lieu à appel en garantie du Crédit Immobilier à l'égard de Plein Soleil ; Déboute le Crédit Immobilier de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive. Condamne Aloha à payer au Crédit Immobilier 10 000 F et à Plein Soleil Conseil 6 000 F au titre des frais irrépétibles. Condamne Aloha aux entiers frais et dépens dont ceux d'expertise qui seront, pour ceux d'appel, recouvrés par les avoués du Crédit Immobilier aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.