CA Montpellier, 2e ch. A, 4 janvier 1996, n° 93-6785
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Lancôme Parfums et Beauté et compagnie (SNC), Parfums et Beauté de France et Compagnie (SNC), Parfums Guy Laroche (SA), Prestige et collection (SNC)
Défendeur :
Thomas, Beauté Parfums Françoise Clipet (Sté), Parfumerie du Cap d'Agde (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ottovy
Conseillers :
MM. Torregrosa, Prouzat
Avocats :
Mes Rivoire, Imbaud, Hidoux, Saint Antonin.
Les sociétés Lancôme Parfums et Beauté et Cie, Parfums et Beauté France, Parfums Guy Laroche, Prestige et Collection qui reprochaient à Muriel Thomas, parfumeur à Clermont-l'Hérault, non agrée par ces sociétés, de s'être procuré des produits diffusés par leur réseau de distribution sélective auprès de certain de leurs distributeurs sélectionnés : les sociétés Beauté Parfums François Clipet, Sopara, Sorepar et Parfumerie du Cap, ont été déboutées de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts et de résiliation des contrats de distribution, mais condamnées solidairement à payer à Muriel Thomas et aux société Parfums du Cap et Sopara une somme de 8 000 F chacune au titre de l'article 700 du NCPC, par le Tribunal de Commerce de Clermont-l'Hérault le 18 mars 1994.
Elles ont régulièrement relevé appel de ce jugement. Elles soutiennent que les réseaux de distribution sélective Lancôme et Guy Laroche sont licites, que les distributeurs sélectionnés ont commis une faute contractuelle en cédant des produits à un revendeur n'appartenant pas au réseau fermé, que Muriel Thomas s'est rendue complice de cette faute, qu'elle a en outre trompé le public en usurpant la qualité de distributeur agréé, que ces fautes leur ont causé un préjudice considérable, s'agissant d'une tentative de désorganisation du réseau de distribution sélective, et d'une grave atteinte à l'image de marque des produits concernés, offerts à la vente sans un choix complet de la gamme, dans un environnement dégradé, sans conseils suffisamment éclairés.
Ainsi les appelants ont conclu, dans un premier temps à faire :
Infirmer la décision du Tribunal de Commerce de Clermont-L'Hérault et,
Dire que les réseaux sélectifs qu'elles ont organisés sont licites,
Dire que les défenderesses se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale fautive au sens de l'article 1382 du Code Civil, et de fautes contractuelles pour ceux des intimés qui avaient signé des contrats de distribution,
Ordonner la résiliation judiciaire des contrats d'agrément liant les sociétés Sopara, Beauté Parfums Francoise Clipet et Parfumerie du Cap d'Agde aux sociétés Lancôme et Guy Laroche,
Ordonner l'interdiction aux intimés de vendre les produits des marques Guy Laroche et Lancôme, et ce sous astreinte de 10.000 F par infraction constatée,
Condamner les intimés solidairement à payer à chacune des sociétés appelantes la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts,
Condamner les intimés solidairement à payer à chacune des sociétés appelantes la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC,
Condamner les intimés solidairement aux frais de publication du présent arrêt dans quatre quotidiens régionaux et un quotidien national, au choix concerté des sociétés appelantes sans que le coût de chaque insertion n'excède la somme de 20.000 F et ce à titre de dommages-intérêts complémentaires,
Condamner les intimés solidairement à payer l'intégralité des frais et dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise.
Cependant les appelantes ont déclaré se désister de leur appel à l'encontre de la Société Parfums Francoise Clipet le 20/11/1994. En outre, à la barre de la Cour, elles se sont désistées de leur appel à l'encontre de la Société Sopara, mise en liquidation judiciaire le 11/09/1995.
En outre, elles n'ont pas conclu à l'encontre du liquidateur de la Société Sorepar, qu'il convient de mettre hors de cause.
La SARL Parfums du Cap demande à la Cour, de :
A titre principal
Déclarer irrecevables les demandes des sociétés Lancôme et Parfums et Prestige et Collection, qui n'ont pas contracté avec elle,
Déclarer le rapport et les pièces annexes du rapport non recevables, n'étant pas contradictoires à son encontre,
Débouter en conséquence les autres demanderesses,
A titre subsidiaire
Débouter les demanderesses pour défaut de preuve rapportée de licéité du réseau sélectif revendiqué,
A titre infiniment subsidiaire
Débouter la société Lancôme de ses demandes Madame Thomas ne vendant pas de produits Lancôme à l'époque de la cession de très faible nombre à celle-ci et ne les ayant pas commercialisés,
Débouter la société demanderesse pour les produits Laroche de sa demande de condamnation financière,
Dire et juger qu'elle n'a subi aucun préjudice financier (les produits ayant été payés) ni commercial d'atteinte à son image, la parfumerie Thomas ayant été agréé par d'autres grandes marques de parfum,
La débouter de ses demandes de résiliation judiciaire de contrats de distribution conclus postérieurement à l'inexécution et à la connaissance de celle-ci, puisqu'elle a reconduit chaque année le contrat, en connaissance de cause.
En toutes hypothèses :
Condamner chaque demanderesse à la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC, outre les entiers dépens.
Muriel Thomas demande à la Cour,
Confirmant la décision entreprise, de :
Dire et juger que les Sociétés Lancôme Parfums et Beauté et Cie et Parfums et Beauté France et Cie sont irrecevables à se prévaloir du rapport d'expertise de M. Vallat et les débouter de leurs demandes, n'ayant pas participé aux opérations d'expertise et n'ayant même pas été parties à l'instance qui a désigné l'expert Vallat,
Constater que les Sociétés Parfums Guy Laroche et Prestige et Collections et subsidiairement les Sociétés Lancôme Parfums et Parfums et Beauté et Cie ne rapportent pas la preuve de la licéité de leur réseau de distribution sélective,
Très subsidiairement, et dans le cas seulement où la Cour estimerait que la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective est rapportée :
Constater que la preuve de la tierce-complicité de la concluante avec un distributeur agréé n'est pas rapportée.
Plus subsidiairement encore, constater que la preuve de l'existence d'un quelconque préjudice subi par les Sociétés appelantes n'est pas rapportée, les produits du litige leur ayant été régulièrement payés,
Débouter en conséquence, les Sociétés appelantes de leur action en concurrence déloyale et de toutes leurs demandes,
En toutes hypothèses :
Condamner les sociétés appelantes à lui verser la somme de 8.000 F HT au titre de l'Article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens.
Sur ce :
Par l'effet des désistements et de leurs demandes les appelantes concluent uniquement à l'encontre de la SARL Parfumerie du Cap et de Muriel Thomas.
La responsabilité de Muriel Thomas étant recherchée sur le fondement d'actes de concurrence déloyale résultant d'un approvisionnement en produits Lancôme et Guy Laroche, en dehors des réseaux de distribution organisés, seuls les distributeurs de ces produits qui ont organisé lesdits réseaux peuvent se prévaloir du préjudice causé tant aux réseaux qu'à l'image de marque des produits qu'ils distribuent.
D'autre part la responsabilité de la SARL Parfum du Cap étant engagée sur la base d'un contrat de distribution sélective, seul le cocontractant peut prétendre à la réparation du préjudice causé par le non respect des obligations dudit contrat.
C'est donc à bon droit que la SARL Parfum du Cap conclut à l'irrecevabilité des demandes fournies par la SNC Lancôme Parfum et Beauté et Cie qui n'est pas l'organisateur du réseau de diffusion sélective et qui ne précise pas en quelle qualité elle intervient au procès et par la SNC Prestige et Collection, qui ne sont pas parties aux contrats conclus, cette dernière étant seulement le vendeur exclusif pour la France des produits de la SA Parfum Guy Laroche, aux distributeurs agréés par cette dernière société.
Muriel Thomas demande de faire déclarer irrecevables les Sociétés Lancôme Parfums et Beauté et Cie et Parfums et Beauté France et Cie à se prévaloir du rapport de l'expert Vallat commis par le Tribunal de Commerce de Clermont-l'Hérault, le 30/6/1989, à la demande de la Société des Parfums Guy Laroche, pour faire rechercher les fournisseurs des produits Guy Laroche qu'elle avait revendus dans sa parfumerie.
En effet cet expert a retrouvé des factures de fournisseur de produits Guy Laroche, mais figuraient également, sur les mêmes factures, les mentions de livraisons de parfum Lancôme notamment par la SARL Parfum du Cap.
Cette dernière société conclut d'ailleurs également à faire déclarer inopposable à son encontre cette expertise qui n'est pas contradictoire à son égard.
Cependant Muriel Thomas ne conteste pas le caractère contradictoire des opérations d'expertises auxquelles elle a été régulièrement représentée.
En outre la livraison des produits Lancôme n'est pas contestée par la SARL Parfum du Cap, dont la facture qu'elle avait émise à cette occasion a été annexée au rapport.
Enfin le rapport de l'expert Vallat a été régulièrement communiqué et a ainsi été soumis à la libre discussion de toutes les parties au procès.
Ce rapport se trouve enfin corroboré par le constat de l'huissier Lacaze du 25 février 1990.
Il n'y a donc pas lieu de faire droit aux demandes des intimés sur ce point.
Il n'est pas discuté qu'en demandant la condamnation d'un intermédiaire non agréé, les sociétés appelantes invoquent une dérogation au principe de la libre concurrence et qu'il leur incombe dès lors de rapporter la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective qu'elles ont organisé pour commercialiser leurs produits, au regard des dispositions des Articles 7 et 8 de l'Ordonnance du 1er décembre 1986 et de celles de l'article 85 du Traité de Rome.
Il résulte des contrats de distributeur agréé souscrits par la SARL Parfums du Cap le 30 décembre 1987 avec la SA Parfum Guy Laroche et le 3 mars 1988 avec la SNC Parfum et Beauté France et Compagnie que :
le distributeur s'engageait à vendre les produits exclusivement dans le magasin agréé, et uniquement au détail et à des consommateurs directs, compte tenu des aménagements pour la CEE, à disposer d'un service de conseil et de démonstration suffisant, à détenir en permanence une quantité suffisante de produits représentatifs de l'ensemble de la gamme offerte par le fabricant, dans un parfait état de fraîcheur et de conservation, à assurer une rotation minimale de ce stock-outil, à s'interdire de vendre des produits susceptibles par leur voisinage de déprécier l'image de marque des produits du cocontractant.
Laroche et PBF s'engageaient de leur côté à mettre à la disposition de la Société Parfum du Cap la documentation et le matériel publicitaire utiles, à délivrer leurs produits portant leurs marques uniquement à des détaillants engagés aux même obligations par un contrat de distributeur agréé, à s'interdire d'accorder des avantages au personnel du dépositaire agréé sans l'autorisation préalable et écrite de ce dernier.
Il résulte également de ces contrats et de leurs annexes que le choix des distributeurs agréés est effectué en fonction de critères objectifs, du caractère qualitatif uniformément imposés tenant à l'aspect extérieur du magasin, à son aménagement, à la qualification de son personnel, après inscription sur une liste d'attente chronologique, sans que la limitation quantitative du nombre de points de vente ait un autre but que d'éviter un surcoût de publicité et un affaiblissement des moyens de contrôle de la qualité de la distribution, dans l'intérêt du consommateur.
Ces contrats garantissent en outre une libre fixation des prix de vente par le distributeur.
Enfin il est constant que le marché de la parfumerie de luxe est soumis à une vie concurrence et qu'aucune marque n'a pu y conquérir une part dominante.
Ainsi il est prouvé que les réseaux de distribution sélective en litige sont licites.
Au demeurant Muriel Thomas conteste essentiellement les critères de sélection établis puisqu'elle fait grief aux appelantes de ne pas l'avoir agréée. Cependant elle ne démontre pas qu'elle avait réuni les critères de sélection qualitative agréés, notamment quant à l'environnement de marques et à leur nombre. En outre elle ne saurait reprocher aux appelantes la maîtrise du nombre d'ouverture de points de vente qu'elles exerçaient dans la région, au demeurant l'Hérault.
Ainsi l'existence d'une clause de " réseau fermé " qui prohibe la vente et l'approvisionnement en dehors du réseau, démontre que Muriel Thomas, parfumeur non agréé, a obtenu des produits Guy Laroche et Lancôme en violation des engagements contractuels de dépositaires agréés, ce que confirment les travaux de l'expert Vallat. Cet approvisionnement irrégulier auprès des dépositaires agréés qu'elle a sollicités, puis la revente de ces produits dans son propre commerce alors que leur emballage mentionnait que leur vente était réservée aux dépositaires agréés, sans les garanties exigées par les fabricants, notamment quant au choix d'une gamme complète offert aux consommateurs, par un personnel spécialisé dans la vente desdits produits, constituent une faute qui a désorganisé le réseau de distribution sélective (un seul commerçant étant agréé à Clermont-l'Hérault) et a porté atteinte à l'image de marque des produits ainsi commercialisés.
En ce qui concerne la SARL Parfumerie du Cap, elle reconnaît avoir vendu à Muriel Thomas 35.000 F de produits Guy Laroche et 4.555 F de produits Lancôme.
Elle ne peut sérieusement soutenir qu'elle n'a commis aucune faute contractuelle, en ayant cru de bonne foi que ce commerçant était un dépositaire agréé de ces marques du seul fait que des produits de ces fabricants se trouvaient exposés en vitrine, avec d'autres marques de renom, alors que, soumise à l'obligation de vendre dans le point de vente agréé, à des consommateurs directs, ou de s'entourer de toutes précautions utiles si la commande ne semblait pas correspondre à la consommation et à l'usage personnel d'un consommateur ou bien excédait 6 unités de la même référence, elle a expédié le 18 mai 1988 42 flacons de 3 produits Lancôme différents et 262 flacons de 9 produits Guy Laroche différents, au commerce " la Rose de France " à Clermont-l'Hérault, exploité par Muriel Thomas. Il n'est pas non plus établi que les marques Lancôme et Guy Laroche soient commercialisées dans les supermarchés de parfums auxquels fait référence la Parfumerie du Cap.
La faute contractuelle de la SARL Parfumerie du Cap ayant rendu possible les agissements de Muriel Thomas, et ayant concouru avec les fautes de Muriel Thomas au préjudice des demanderesses, c'est à bon droit que ces dernières concluent à une condamnation solidaire des deux intimées.
Compte tenu de la nature des fautes commises, de leur durée, de l'importance des marchandises détournées des réseaux de vente, de l'atteinte portée à leur organisation et au renom des marques la Cour est en mesure de chiffrer à 30.000 F ce préjudice occasionné aux sociétés distributrices exclusives.
Il conviendra en outre de prévenir le renouvellement des faits à l'encontre de Muriel Thomas par le prononcé d'une astreinte provisoire.
La résiliation judiciaire des contrats d'agrément liant les demanderesses à la SARL Parfumerie du Cap ne s'impose pas pour des manquements datant de 1988 et commis depuis plusieurs années, dans la mesure où lesdits contrats ont été signés pour une durée de 12 mois renouvelable, et où aucune des deux sociétés concernées n'a jugé utile de le rompre comme la possibilité leur en était offerte.
Mais il a lieu de faire droit à la demande de publication de la condamnation, à titre de réparation complémentaire, mais en modérant sensiblement l'importance de son coût.
Les intimés qui succombent en cause d'appel supporteront les entiers dépens et seront en outre condamnés à payer solidairement 5.000 F au titre de l'article 700 du NCPC à chaque société.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Constate le désistement d'appel des appelants à l'encontre de la Société Beauté Parfum Françoise Clipet et de la Société Sopara, Constate l'extinction de l'instance et le dessaisissement de la Cour en ce qui les concerne, Met hors de cause le liquidateur de la Société Sorepar, Condamne les appelants aux dépens d'appel en ce qui concerne ces trois parties, Déclare irrecevables les demandes des Sociétés Lancôme Parfum et Beauté et Compagnie, et Prestige et Collection, Condamne solidairement la SARL Parfumerie du Cap et Muriel Thomas à payer 30.000 F à titre de dommages et intérêts et 5.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, à chacune des sociétés Parfum et Beauté France et Cie, et Parfums Guy Laroche, Les condamne aux frais de publication du présent arrêt dans 2 quotidiens régionaux et un national, au choix des appelants, sans que le coût total de ces insertions n'excède 10.000 F, Fait interdiction à Muriel Thomas de vendre les produits de marque Guy Laroche et Lancôme sous astreinte provisoire de 10.000 F par infraction constatée, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne solidairement les intimés aux dépens de première instance et aux autres dépens d'appel lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.