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Décisions

CA Lyon, 1re ch., 21 décembre 1995, n° 93-01554

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hymage (SA)

Défendeur :

Samuel, Goddard, Charles André Etablissements (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mermet

Conseillers :

Mme Biot, M. Jacquet

Avoués :

Me Guilhem, SCP Junillon-Wicky

Avocats :

Mes Massot Pellet, Lucien-Brun, Bizollon.

TGI Lyon, 3e ch., du 28 janv. 1993

28 janvier 1993

Faits-Procédure et prétentions des parties

La société anonyme Etablissements Charles André, ayant son siège social 7, rue Poizat à Villeurbanne et dont l'objet est l'achat, la vente de matériel cinématographique et radio-électrique, a été créée en 1955 et disposait en décembre 1990 d'un effectif de 13 personnes. La société anonyme Hymage dont le siège social est à Saint Fons (Rhône) 8, chemin de Saint Gobain, ayant pour activité l'achat, la vente et la distribution de matériels électroniques et audiovisuels, a été constituée le 1er mars 1991 par des salariés démissionnaires de la société des Etablissements Charles André. Invoquant des actes de concurrence déloyale commis par la société Hymage, la société des Etablissements Charles André a saisi le Tribunal de grande instance de Lyon d'une action en demande d'interdiction d'activité et indemnisation dirigée contre cette société et Messieurs Samuel, Goddard et Varagnat.

Par jugement du 28 janvier 1993, ce tribunal, retenant que le départ massif et délibéré de la moitié de l'effectif de la société Charles André pour une société concurrente sur un même marché restreint alors que celle-ci reprenait les projets déjà engagés par la première, traduisait une volonté de désorganisation interne d'une entreprise rivale et constituait des faits de concurrence déloyale, a dit que la société Hymage, Messieurs Samuel, Goddard et Varagnat devaient, réparer le préjudice causé par ces agissements et a ordonné une expertise en allouant à la société demanderesse une provision de 100 000 F.

Cette décision a débouté la société Charles André de ses demandes tendant à l'interdiction de poursuite d'activité de la société Hymage et de publication du jugement.

La société Hymage, Messieurs Samuel et Goddard, appelants, concluent à l'infirmation du jugement et au rejet des prétentions de la société Charles André en demandant que cette société soit condamnée à leur payer une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Les appelants réfutent les griefs de désorganisation de la société préexistante et le détournement de clientèle qui leurs sont reprochés.

Ils font valoir que l'effectif de la société Charles André était de seize personnes et non de treize et que Messieurs Varagnat, Samuel et Goddard, qui n'étaient pas liés par une clause de non-concurrence, ont loyalement averti leur employeur de leurs intentions de créer une entreprise concurrente et n'ont commis aucune manœuvre de débauchage puisque les salariés qui les ont suivis étaient soit menacés de licenciement, soit en conflit avec leur employeur au sujet de leur rémunération.

Ils indiquent que la société Charles André ne rapporte pas la preuve d'annulation de commandes au bénéfice de la société Hymage, les deux exemples donnés étant la conséquence d'un prix excessif ou de pratiques anti-commerciales.

Ils considèrent enfin que les relations commerciales engagées avec la société STS ne sont pas anti-concurrentielles dès lors que cette société n'était pas liée à la société Charles André par un contrat de distribution exclusive même si elle était l'un de ses principaux fournisseurs.

La société Etablissements Charles André, intimée, conclut à la confirmation du jugement et par voie d'appel incident prie la Cour d'élever la provision à la somme de 3 000 000 F, de faire interdiction à la société Hymage, sous astreinte définitive de 50 000 F par jour de retard, d'exercer toute activité dans la région Rhône-Alpes pendant cinq ans et d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux et périodiques aux frais des défendeurs à concurrence de 5 000 F HT par insertion.

La société intimée, sollicite en outre une indemnité de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Cette société réplique que le départ de plus de 50 % des salariés de la société de façon organisée et concertée, en particulier de ceux qui occupaient un poste clef, a entraîné une désorganisation de l'entreprise qui s'est immédiatement traduite par une chute de son chiffre d'affaires de 6 877 357 F pour l'année 1991.

Elle maintient que la perte de deux interlocuteurs privilégiés, Monsieur Albert et la société STS ainsi que la reprise par la société Hymage de marchés que ses commerciaux avaient préparés l'ont mis dans l'obligation d'accepter des ristournes, certains contrats ayant été définitivement perdus au bénéfice de la société concurrente qui avait pratiqué un démarchage systématique.

Motifs et décision

Sur la désorganisation de la société Etablissements Charles André

Attendu que la société demanderesse reproche aux salariés démissionnaires d'avoir préparé la création de la future société Hymage alors qu'ils travaillaient encore pour son compte, en particulier par l'organisation de nombreuses réunions et la conception d'un logo ;

Mais attendu que ces simples préparatifs qui n'ont pas été accompagnés de démarches de nature à nuire à l'entreprise ni d'actes effectifs de concurrence, ne sont pas illicites ;

Attendu cependant que ces premières dispositions ont été suivies de la démission de 7 salariés entre le 4 février et le 3 avril 1991 alors que la société comptait entre 13 et 15 salariés à cette époque ;

Que ce départ massif de deux agents technico-commerciaux, d'un responsable technique, d'un technicien et d'une secrétaire commerciale qui bénéficiaient d'une solide expérience professionnelle au sein de l'entreprise, a privé celle-ci de ses forces vives ;

Attendu que six de ces salariés sont devenus administrateurs de la société Hymage qui a commencé son exploitation le 1er mars 1991 dans un secteur d'activité identique et une localisation territoriale proche ;

Attendu que ces démissions concomitantes qui ne peuvent s'expliquer par des querelles soudaines de récupération et de paiement d'heures supplémentaires alors que les griefs ne sont pas justifiés et que la rémunération de chaque salarié correspondait à sa qualification et aux usages présentent donc un caractère concerté ;

Attendu que l'incidence néfaste du départ de Messieurs Goddard et Samuel sur le fonctionnement de la société Charles André et les relations de celle-ci avec sa clientèle est démontrée par les attestations de Messieurs Pernias et Gilbert, produites aux débats par la société Hymage elle-même ;

Attendu qu'ainsi le tribunal a exactement retenu par des motifs adoptés par la Cour que la société Hymage avait procédé à un débauchage massif d'une partie importante du personnel de la société Charles André en vue de tirer profit de l'expérience acquise par celui-ci au sein de cette société, notamment de ses contacts commerciaux et d'entraîner par voie de conséquence une désorganisation de l'entreprise concurrente ;

Attendu que ce débauchage est constitutif de faute ;

Sur le détournement de clientèle

Attendu que la société Charles André prétend que la création de la société Hymage a engendré une perte immédiate de marchés qui avaient été préparés par ses commerciaux comme en attestent les nombreux devis établis en fin d'année 1990 versés aux débats ;

Qu'elle se fonde sur une attestation de Monsieur Raspillard pour prouver le dénigrement commis par Monsieur Samuel ainsi que sur un courrier du 7 juillet 992 émanant du dirigeant de la société STS pour établir que nombre d'affaires ont été reprises par la société nouvelle ;

Mais attendu que l'attestation établie par un des salariés de cette société et rapportant les propos de tiers doit être écartée ;

Que la lettre adressée à Monsieur Samuel démontre toutefois que trois clients se sont détournés de la société Charles André au profit de la société Hymage ;

Qu'en outre les documents produits établissent qu'une commande du 27 février 1991 passée à la suite d'un devis de novembre 1990 a été annulée le 19 mars 1991 sous de fallacieux prétextes pour être finalement conclue avec la société Hymage ;

Attendu qu'ainsi la création de la société Hymage a entraîné un déplacement concomitant de clientèle qui ne peut être le simple résultat du hasard ;

Sur la perte de partenaires

Attendu que les documents produits par la société Charles André en particulier le courrier du 2 octobre 1991, signé par Monsieur Bouteille, prouvent que la société STS fournisseur privilégié sinon exclusif de cette société, s'est tournée vers la société Hymage pour assurer la distribution de son matériel, ce qui a eu pour conséquence d'entraîner également la clientèle vers le nouvel installateur ;

Attendu que cette désorganisation de la société et cette perte de clientèle se sont traduites par une baisse sensible de chiffres d'affaires dans le secteur du cinéma et celui de l'installation de laboratoire comme le démontre la comparaison des résultats des exercices 90 et 91 ;

Attendu qu'au vu de l'ensemble de ces éléments dont la réunion ne forme pas un faisceau de présomptions de faute mais s'ajoute à la faute prouvée de démantèlement volontaire d'une entreprise concurrente par un débauchage de ces principaux collaborateurs, c'est avec raison que le Tribunal a décidé que la société Hymage devait répondre de ce comportement déloyal et réparer le préjudice ainsi causé ;

Attendu que les premiers juges ont également condamné à bon droit Messieurs Samuel, Goddard et Varagnat qui ont été les instigateurs de la création de la société Hymage et qui ont participé activement aux agissements anti-concurrentiels en raison des contacts personnels qu'ils avaient pu entretenir au cours des années précédentes ;

Attendu qu'au vu des premiers éléments comptables produits par la société Charles André, il convient, réformant le jugement sur le point, de fixer à 500 000 F le montant de la provision à valoir sur l'indemnisation définitive du préjudice ;

Mais attendu que par justes motifs le Tribunal a débouté la société demanderesse du surplus de ses prétentions ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la société intimée la charge des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel ; qu'il y a lieu de lui allouer une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement, Dit toutefois que l'indemnité provisionnelle allouée à la société Charles André doit être portée à la somme de 500 000 F, Ajoutant à la décision, Déboute la société Charles André de ses demandes complémentaires, Condamne in solidum Messieurs Didier Samuel, Jean Goddard et la société anonyme Hymage à payer à la société Charles André une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, Les condamne aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Junillon-Wicky, société d'avoués.