CA Amiens, 1re ch. civ., 12 décembre 1995, n° 2476-94
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Protection Individuelle et Collective (SA)
Défendeur :
Kopcio
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chapuis de Montaunet
Conseillers :
Mmes Darchy, Merfeld
Avoués :
SCP Million, Plateau, Me Caussain
Avocats :
Mes Peeters, Laeri.
Lors de l'Assemblée générale de la SARL PIC du 25 janvier 1990, Fabrice Kopcio était nommé gérant. Sa nomination s'accompagnait d'un engagement de non cessation de ses fonctions de gérant et une clause pénale pour le cas où il contreviendrait à son engagement de non-concurrence.
Le 26 décembre 1990, cette assemblée décidait la transformation de la SA PIC en une société anonyme et la cessation des fonctions de gérant de Fabrice Kopcio.
Le 15 mars 1991, le Conseil d'administration désignait Fabrice Kopcio, directeur général et prenait acte que l'exercice par Fabrice Kopcio de ses fonctions de directeur général de la société était exclusif de tout contrat de travail et que, de ce fait, il était mis fin sans contrepartie et sans indemnité à tout contrat de travail ayant pu exister entre la société et l'intéressé.
Le 30 mars 1992, Fabrice Kopcio démissionnait. Le 1er juin 1992, il constituait la société ORSI ayant le même objet que celui de la société qu'il venait de quitter (distribution et entretien de matériels incendie).
Soutenant que Fabrice Kopcio avait contrevenu à la clause de non-concurrence qui s'imposait à lui au 26 décembre 1993, la SA PIC l'a, par acte du 7 juillet 1992, fait assigner en paiement de la somme de 1 million de francs.
Par jugement du 14 avril 1994, le Tribunal de grande instance de Soissons a débouté la SA PIC de l'ensemble de ses prétentions au motif que la délibération du 15 mars 1991 ne faisait aucune référence au procès verbal de l'Assemblée générale de l'ancienne SARL qu'il existait nécessairement deux mandats distincts se succédant l'un à l'autre et qu'en droit, la clause de non-concurrence, de nature dérogatoire, devait faire l'objet d'une stipulation expresse.
Régulièrement appelante, la SA PIC demande à la Cour, infirmant la décision qui lui est déférée :
- à titre principal de condamner Fabrice Kopcio à lui payer la somme de 1 000 000 F pour violation de son obligation de non-concurrence,
- à titre subsidiaire de le condamner à lui verser la somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,
- de condamner Fabrice Kopcio à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
La SARL PIC prétend à l'appui de son appel que les conditions de la novation ne sont pas réunies et que par conséquent la clause de non-concurrence du 25 janvier 1990 a continué à courir malgré les décisions prises lors de la réunion du Conseil d'administration du 15 mars 1991. Elle considère en effet qu'il n'y a pas eu substitution d'une obligation à une autre, que la preuve d'une intention certaine et non équivoque de nover n'est pas rapportée, que dès lors, il n'y a pas eu extinction de l'obligation de non-concurrence, obligation qui s'imposait à Fabrice Kopcio dès la fin de son mandat de gérant, c'est-à-dire dès le 26 octobre 1990 d'autant qu'il n'a reçu mandat de Directeur Général que trois mois plus tard. Elle ajoute que le second mandat dont se prévaut Fabrice Kopcio pour prétendre qu'il y a eu novation ne prévoit ni la naissance d'une seconde obligation de non-concurrence, ni l'extinction de la première mais seulement la fin de tout contrat de travail ayant pu exister, de sorte que cet écrit ne démontrerait pas l'existence de la novation alléguée. Elle estime que la clause de non-concurrence ayant été violée, elle est en droit de réclamer l'application de la clause pénale. A titre subsidiaire, elle réclame la somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts sur le fondement délictuel. Selon elle, la création d'une société concurrente par Fabrice Kopcio s'est faite avec la complicité de collaborateurs de la SARL PIC qui ont démissionné, qui, pour certains, ont été dispensés de l'exécution de leur clause de non-concurrence et qui se sont fait aussitôt embauchés par la nouvelle société et ce, afin de se livrer ensemble au pillage de la clientèle de l'appelante.
Fabrice Kopcio conclut à la confirmation du jugement, au débouté de la SARL PIC d'une demande subsidiaire de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et à sa condamnation à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. Il réplique qu'il y a eu novation des relations contractuelles entre les parties à la date du 15 mars 1991, et que s'il pouvait désormais être révoqué sur le champ sans percevoir aucune indemnité, en revanche aucun engagement de non-concurrence ne lui était plus imposé.
Faisant le parallèle avec le cas similaire de Monsieur Lemière, Directeur Général pour la région Aquitaine, qui aurait été expressément exempté à la même occasion d'une clause de non-concurrence, il en tire la conséquence que les parties n'avaient pas l'intention de maintenir cette clause le 15 mars 1991 et donc d'opérer une novation.
Considérant avoir retrouvé sa liberté de travail et de concurrence, il conteste avoir commis une faute engageant sa responsabilité en créant la société ORSI concurrente de la SARL PIC qui ne rapporterait pas la preuve que ses anciens collaborateurs ont été embauchés par la nouvelle société de Fabrice Kopcio par suite de manœuvres ou pressions caractérisées de celui-ci.
Sur quoi LA COUR,
Attendu qu'aux termes de l'article 1271 du code civil, la novation s'opère notamment lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l'ancienne, laquelle est éteinte ;
Attendu que la novation suppose donc le remplacement de l'ancienne obligation par une nouvelle ;
Attendu que l'acte du 25 janvier 1990 comportait à la charge de Fabrice Kopcio une clause de non-concurrence ;
Attendu que l'acte du 15 mars 1991 n'a pas repris cette clause de non-concurrence et n'y fait pas allusion ;
Attendu que précisant que les nouvelles fonctions de Fabrice Kopcio étaient exclusives de tout contrat de travail et qu'il était mis fin à tout contrat de travail ayant pu exister entre la société et l'intéressé, il emportait implicitement de la part de celui-ci renonciation à réclamer une contrepartie ou une indemnité, c'est-à-dire l'obligation de s'abstenir d'un recours au titre d'un contrat de travail ; qu'il y avait donc création d'une nouvelle obligation ;
Attendu que l'article 1273 du Code Civil dispose que la novation ne se présume pas et que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte ;
Attendu qu'à défaut d'être exprimée en termes formels, la volonté de nover doit être non équivoque et résulter clairement des faits et actes intervenus entre les parties ; qu'il convient donc de rechercher dans les faits de la cause quelle a été la commune intention des parties ;
Attendu que force est de constater que si le second acte a mis à la charge de Fabrice Kopcio une obligation nouvelle, il ne comporte pas d'obligation de non-concurrence ; qu'en droit la clause de non-concurrence, de nature dérogatoire, doit faire l'objet d'une stipulation expresse ;
Attendu par ailleurs qu'au bas du procès-verbal du Conseil d'administration du 15 mars 1991, Fabrice Kopcio a porté la mention manuscrite suivante :
" Bon pour acceptation des fonctions de Directeur Général aux conditions et dans les limites prévues au présent procès verbal " ; que cette mention traduit la volonté, acceptée par le conseil d'administration, de limiter ses engagements, au nombre desquels ne figurait aucune clause de non-concurrence ;
Attendu que Fabrice Kopcio qui devenait révocable ad hoc nutum et qui ne voyait refuser les avantages liés à un contrat de travail ne pouvait se voir contraint d'accepter un cumul d'obligations ;
Attendu en outre qu'il ressort d'une attestation du 1er décembre 1992 de Bernard Deruelle, que Bernard Demière, qui se trouvait pour la région Aquitaine dans la même situation que Fabrice Kopcio, s'est vu lorsqu'il a été nommé Directeur Général exempté dans le contexte de l'époque d'une clause de non-concurrence ;
Attendu que la comparaison entre les deux situations analogues permet donc de retenir que la volonté commune des parties a été de supprimer, en ne la prévoyant pas dans le second acte, la clause de non-concurrence ;
Attendu que rien ne s'opposait à cette suppression même si le second acte n'est intervenu que trois mois après la cessation de ses fonctions de gérant par Fabrice Kopcio ;
Attendu qu'il y a eu substitution d'une obligation à une autre ; que si la volonté de nover n'a pas été exprimée dans l'acte de novation, elle résulte cependant clairement des faits de la cause, que les conditions de la novation étant récente, il y a eu extinction de la clause de non-concurrence prévue dans l'acte du 25 septembre 1990 ;
Attendu qu'il ne peut donc être reproché à Fabrice Kopcio d'avoir violé une obligation contractuelle en créant une société concurrente; que la SARL PIC est ainsi mal fondée à réclamer l'application de la clause pénale prévue à l'acte du 25 septembre 1990 ;
Attendu qu'à titre subsidiaire la SARL PIC prétend que Fabrice Kopcio a fait preuve de concurrence déloyale à son égard et qu'il a ainsi engagé sa responsabilité délictuelle ;
Attendu que si à l'époque où Fabrice Kopcio a démissionné de la SARL PIC, d'autres collaborateurs ou VRP de cette société, manifestement en désaccord avec la politique de la nouvelle direction, ont massivement démissionné et ont pour certains été relevés de leur clause de non-concurrence, aucun élément objectif ne permet de retenir que cette démission collective relevait d'une action concertée visant à nuire à la SARL PIC et organisée par Fabrice Kopcio ;
Attendu que si, par la suite, certains démissionnaires ont été embauchés par la société ORSI créée par Fabrice Kopcio et si certains d'entre eux ont fait l'objet de plaintes ou de procédures de la part de la SARL PIC pour des agissements personnels, la preuve n'est cependant pas rapportée que Fabrice Kopcio ait usé de manœuvres ou de pressions pour débaucher le personnel de la SARL PIC dans le but d'accaparer par ce biais sa clientèle et ainsi de lui nuire;
Attendu qu'aucune force probante ne peut être accordée au témoignage de Ch. Bordillon accréditant la thèse d'une concurrence déloyale organisée, alors que le témoin se montre manifestement contrarié ou déçu de ne pas avoir été embauché, malgré de prétendues promesses, par la société ORSI.
Attendu dans ces conditions, que la baisse de chiffre d'affaires et de bénéfices enregistrée par la SARL PIC depuis la création de la société ORSI ne saurait être imputée à des procédés ou des agissements déloyaux alors que le principe économique de la libre concurrence permet d'expliquer une telle baisse, baisse qui peut avoir également de multiples autres causes ;
Attendu que la demande de la SARL PIC fondée à titre subsidiaire sur la responsabilité délictuelle n'est pas fondée ; que le jugement sera dès lors confirmé ;
Attendu que déboutée de ses prétentions et succombant en son appel, la SARL PIC réglera à Fabrice Kopcio la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Par ces motifs: Statuant contradictoirement, déclare l'appel recevable en la forme, au fond, le rejetant, confirme le jugement, Condamne la SARL PIC aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile, La condamne à payer à Fabrice Kopcio la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.