CA Aix-en-Provence, 2e ch., 6 décembre 1995, n° 92-19381
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bricaillerie Investissement et Compagnie (SCS)
Défendeur :
Vassiliades, Castorama France (SA), Atmos (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dragon
Conseillers :
MM. Isouard, Cordas
Avoués :
SCP de Saint Ferreol & Touboul, Mes Magnan, Ermeneux, SCP Liberas Buvat Michotey
Avocats :
Mes Puvenel, Bonnafons, Hanicotte, Mollet Vieville.
Exposé du litige :
M. Antoine Vassiliades est titulaire de la marque Sanirenova déposée le 19 septembre 1983 pour désigner des peintures et produits de revêtement pour rénover les baignoires, sanitaires, céramiques et appareils électro-managers.
Par arrêt définitif du 24 mai 1989, cette Cour a :
- validé la marque Sanirenova et désigné M. Vassiliades comme son seul propriétaire ;
- déclaré frauduleux le dépôt de la marque Sanirenova par la société Atmos, ordonné la radiation de celle-ci des registres de l'INPI et condamné cette société à 20 000 F de dommages et intérêts pour dépôt frauduleux de marque ;
- interdit à la société Atmos de faire usage à quelque titre que ce soit, de la dénomination Sanirenova et lui a ordonné de supprimer de ses publicités, affiches, emballages, notices et plus généralement tous documents publicitaires et sur les marchandises qu'elle commercialise, la dénomination Sanirenova et ce, sous astreinte définitive de 100 F par infraction constatée, une infraction étant caractérisée par cette appellation sur un document ou une unité de produit ;
- condamné la société Atmos à payer à M. Vassiliades la somme 50 000 F de dommages et intérêts et celle de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
M. Vassiliades reprochant à la société Atmos de continuer à diffuser son produit sous la marque Sanirenova notamment auprès des sociétés Castorama et Bricaillerie Investissements (la société Bricaillerie) a assigné ces trois sociétés, en contrefaçon de marque, concurrence déloyale et pour la société Atmos liquidation d'astreinte.
Par jugement du 29 septembre 1992, le Tribunal de Grande Instance de Marseille a interdit aux sociétés Castorama et Bricaillerie d'utiliser la dénomination Sanirenova sous astreinte définitive de 1 500 F par infraction constatée et les a condamnées in solidum avec la société Atmos à payer à Monsieur Vassiliades la somme de 20 000 F de dommages et intérêts outre celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le 4 novembre 1992, la société Bricaillerie a interjeté appel de cette décision.
Elle conteste la contrefaçon qui lui est reprochée car elle ne pouvait pas avoir connaissance de l'arrêt du 24 mai 1989 décidant du caractère contrefaisant de la marque "Sanirenova".
Elle soutient qu'aucun acte de concurrence déloyale distinct de la contrefaçon n'est articulé contre elle et que M. Vassiliades ne cerne pas son préjudice.
Elle sollicite l'infirmation du jugement attaqué et le débouté de M. Vassiliades. Subsidiairement, elle demande que la société Atmos la relève et garantisse de toutes les condamnations prononcées à son encontre au profit de M. Vassiliades et lui verse la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Castorama nie, elle aussi, se trouver contrefaisante, exposant avoir apposé des autocollants Atmosani (nouvelle marque de la société Atmos) pour désigner les produits Sanirenova dès que la société Atmos le lui a demandé et avoir ignoré l'arrêt du 24 mai 1989.
Elle conteste la concurrence déloyale et le préjudice de M. Vassiliades.
Elle demande l'infirmation de la décision déférée, le débouté de M. Vassiliades avec sa condamnation à lui verser la somme de 50 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive. Subsidiairement, elle réclame en cas de condamnation, la garantie de la société Atmos et dans tous les cas, la condamnation de celle-ci et de M. Vassiliades à lui payer la somme de 20 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Atmos soulève l'irrecevabilité des réclamations de M. Vassiliades car il ne serait plus titulaire de la marque Sanirenova et allègue de la nullité des constats d'huissier.
Elle prétend n'avoir commis aucune contrefaçon après l'arrêt du 24 mai 1989, n'ayant plus après la signification de cette décision (7 août 1989) commercialisé son produit sous la marque Sanirenova, ni concurrence déloyale.
Elle soutient, après cet arrêt, avoir informé ses distributeurs, notamment les sociétés Castorama et Bricaillerie de la nécessité de ne plus utiliser la marque Sanirenova.
Ainsi, elle conclut au rejet des demandes formées contre elle tant à titre principal par M. Vassiliades qu'à titre de garantie par les sociétés Castorama et Bricaillerie et à la condamnation de celui-ci à lui verser les sommes de 50 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
M. Vassiliades conclut à la confirmation dans son principe du jugement déféré et formant appel incident à la condamnation :
- in solidum des sociétés Atmos, Castorama et Bricaillerie à lui payer la somme de 1 000 000 F de dommages et intérêts pour contrefaçon ;
- de la société Atmos au paiement de la somme de 300 000 F au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée par l'arrêt du 24 mai 1989 ;
- in solidum des sociétés Atmos, Castorama et Bricaillerie au paiement d'une somme de 100 000 F de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Il sollicite la publication de cet arrêt dans cinq journaux sans que le coût de chacune des insertions ne puisse excéder la somme de 25 000 F et l'allocation à son profit de la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Il argue de la réalité de la contrefaçon commise par ses trois adversaires ainsi que de la concurrence déloyale.
Motifs de la décision :
Sur le droit de M. Vassiliades à agir :
Les faits de contrefaçon argués par M. Vassiliades se situent, à l'exception d'un seul, en 1989 et 1990 à l'époque où il bénéficiait de la protection de sa marque par le dépôt du 19 septembre 1983.
De plus, ce dépôt a été renouvelé le 6 août 1993 de sorte que M. Vassiliades reste toujours propriétaire de la marque Sanirenova.
Son droit à agir en défense de cette marque ne peut sérieusement lui être contesté et son action s'avère recevable.
Sur la validité des constats d'huissier :
Il est soulevé la nullité des constats d'huissier effectués à la requête de M. Vassiliades des 10 novembre 1989, 22 juin 1990 et 17 février 1994 aux motifs qu'ils n'ont été ni autorisés ni effectués dans les conditions prévues par l'article L. 716-7 du Code de la Propriété Intellectuelle (en réalité article 25 alinéa 2 de la Loi du 31 décembre 1964 applicable aux deux premiers) et du constat du 10 juillet 1990 car il aurait été dressé dans un autre lieu que celui permis par le Magistrat.
En matière de contrefaçon, la preuve est libre et la partie désireuse d'établir l'imitation de sa marque peut justifier de cette infraction par tout moyen, notamment par constat d'huissier sans devoir nécessairement suivre les prescriptions établies par les textes visés ci-dessus et notamment l'autorisation du Magistrat ou l'obligation d'assigner dans le délai de quinze jours.
Concernant plus particulièrement le procès-verbal du 10 juillet 1990, il est reproché à M.Vassiliades de l'avoir fait dresser chez la société Bricaillerie alors que l'ordonnance du Président du Tribunal de Marseille du 26 juin 1990 concernait un constat chez la société Castorama.
Mais, cette autorisation judiciaire si elle comme l'huissier pour se rendre à la société Castorama lui permet aussi d'effectuer ses constatations dans tous les locaux ou magasins sis dans le ressort du Tribunal de Marseille où des kits de rénovation pour sanitaires marqués Sanirenova sont actuellement mis en vente.
Ainsi, le constat effectué au magasin de la société Bricaillerie à Marseille n'enfreint pas les dispositions de l'ordonnance du 26 juin 1990.
Les procès-verbaux de constat sont réguliers.
Sur la contrefaçon :
Ces constats démontrent que des produits portant la marque Sanirenova se trouvaient sur les rayons des sociétés Castorama et Bricaillerie. D'ailleurs, cette présence n'est pas contestée par elles et la société Castorama reconnaît aussi dans ses conclusions, l'édition d'un catalogue 1989 où la marque Sanirenova apparaît.
En mettant en vente un produit de la marque Sanirenova, ces deux sociétés ont commis une contrefaçon sans qu'il y ait lieu à rechercher ni leur bonne foi indifférence à constituer l'infraction ni, à ce stade, si elles avaient eu connaissance au nom de l'arrêt du 24 mai 1989. En effet, cette décision déclaratrice de droit, ne fait que constater le caractère contrefaisant de la marque Sanirenova lequel existe depuis sa création et non par l'arrêt de la Cour.
L'arrêt du 24 mai 1989 réprime et répare les contrefaçons commises par la société Atmos antérieurement à sa date de mise en délibéré (20 avril 1989).
Aucun des éléments versés aux débats ne démontre que la société Atmos ait commercialisé le produit Sanirenova après cette date et notamment que ceux dont les huissiers ont constaté la présence dans les rayons des sociétés Bricaillerie et Castorama leur aient été livrés postérieurement à ladite date.
La société Atmos après avoir vendu son produit Sanirenova à ses distributeurs, avait perdu son pouvoir sur celui-ci et n'avait pas obligation de le retirer de la vente, ce que d'ailleurs l'arrêt du 24 mai 1989 n'exige pas.
Ainsi, aucun acte nouveau de contrefaçon n'est établi à son encontre.
En conséquence, M. Vassiliades doit être débouté de sa demande de ce chef.
Le préjudice créé par la contrefaçon des sociétés Bricaillerie et Castorama doit être évalué, compte tenu du nombre relativement réduit des produits contrefaisants (les constats d'huissier ne relatant pas le contraire) et de certaines précautions prises pour réduire la contrefaçon qui seront plus amplement exposés lors de l'examen des appels en garantie, pour chacune des sociétés à la somme de 30 000 F sans qu'il y ait solidarité entre elles, s'agissant d'infractions distinctes.
Il doit leur être aussi interdit sous astreinte de 500 F par produit qui courra à compter de la signification de cet arrêt, d'offrir à la vente des produits sur lesquels la marque Sanirenova apparaît.
Sur la liquidation de l'astreinte :
Il vient d'être démontré ci-dessus que la société Atmos n'avait plus commis de contrefaçon après le 20 avril 1989 et a fortiori après le 7 août 1989, date de la signification de l'arrêt du 24 mai 1989 faisant courir le début de l'astreinte.
En conséquence, cette astreinte n'a pas joué et sa demande en liquidation doit être rejetée.
Sur les dommages et intérêts pour concurrence déloyale :
A l'appui de sa demande en dommage et intérêts pour concurrence déloyale, M. Vassiliades n'articule à l'encontre des sociétés Bricaillerie et Castorama aucun fait distinct de la contrefaçon. Il doit être débouté de sa demande de ce chef.
Après l'arrêt du 24 mai 1989, la société Atmos a diffusé le 2 juin 1989, une lettre circulaire à ses clients où elle indique le changement de la dénomination du produit Sanirenova en Atmosami, l'identité des deux produits et précise à la fin "Tout autre produit qui se réclamerait de notre ancienne marque ou dénomination Sanirenova ou s'en approcherait dans le but de créer une confusion sur le marché, ne pourrait être de la même origine et ne pourrait en aucun cas être confondu au nôtre ni se réclamer du label de qualité Atmos".
Par là, la société Atmos insinue que le produit Sanirenova imiterait et créerait une confusion avec le sien alors que c'est elle-même qui en contrefaisant la marque Sanirenova est à l'origine de la possibilité de confusion.
Il s'agit là d'un dénigrement de la marque de M. Vassiliades constitutif d'une concurrence déloyalequi justifie l'allocation de 30 000 F de dommages et intérêts.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement ; Réforme le jugement du 29 septembre 1992 du Tribunal de Grande Instance de Marseille. Statuant à nouveau : Condamne la société Bricaillerie Investissement et la société Castorama à payer chacune à M. Vassiliades, la somme de 30 000 F (trente mille francs) de dommages et intérêt pour contrefaçon ; Interdit aux sociétés Bricaillerie Investissement et Castorama, sous astreinte de 500 F (cinq cents francs) par produit qui courra à compter de la signification de cet arrêt, d'offrir à la vente des produits sur lesquels la marque Sanirenova apparaît ; Condamne la société Atmos à payer à M. Vassiliades la somme de 30 000 F (trente mille francs) de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, Condamne la société Atmos à relever et garantir les sociétés Bricaillerie investissement et Castorama des condamnations prononcées contre elles par cet arrêt à concurrence d'un tiers ; Condamne les sociétés Atmos, Bricaillerie Investissement et Castorama à payer à M. Vassiliades la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne les sociétés Atmos, Bricaillerie Investissement et Castorama aux dépens et admet Me Magnan, Avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.