CA Dijon, 1re ch. sect. 2, 30 novembre 1995, n° 2536-94
DIJON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Givry Automobiles (SARL)
Défendeur :
Sodirac (SA), Autun Garage (SA), Le Creusot Garage (SA), Garage Central (SA), Garage Moderne (SA), Automobiles du maconnais (SA), Auto Garage Lemaitre (SA), Établissements Gounon (SA), Garage Rebeuf Garnier (SA), Soreva (SA), Corsin Automobiles (SA), Fuchey Automobiles (SARL), Autun Automobiles (SA), Garage Maxime Tramoy (SARL), Saône Automobiles (SA), Actel Moran Automobiles (SA), Sova (SARL), Garage Brenot (SARL), Garage AMR (SARL), Acour (SA), Hadrzynski (SARL), Quagliozzi (SARL), Cedaf (SA), Garage express (SA), Conseil national des professions de l'automobile
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Littner
Conseillers :
M. Jacquin, Mme Arnaud
Avoués :
SCP Bourgeon-Kawala, Me Gerbay
Avocats :
Mes Doury, Portolano.
Exposé de l'affaire
Le Conseil National des Professions de l'Automobile et 24 concessionnaires exclusifs des marques Renault - Citroën - Peugeot - Ford - Volkswagen Audi - Chrysler - Opel - Mazda - Honda - Nissan et Seat du département de Saône-et-Loire ont assigné devant le Tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône la SARL Givry Automobiles pour obtenir, en raison des faits de concurrence déloyale et de publicité mensongère qu'ils lui reprochent, qu'il lui soit fait interdiction de vendre des véhicules neufs en infraction au règlement 123-85 du 12 décembre 1984 et, à la communication CEE du 4 décembre 1991 et qu'elle soit condamnée à verser à chacun 100 000 F à titre de dommages-intérêts, à l'exception du CNPA qui réclame 1 F, et 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ils ont soutenu que la réglementation communautaire ne permet la vente des véhicules neufs que par les réseaux de distribution des constructeurs ou par l'intermédiaire d'un mandataire prestataire de service, qui agit pour le compte d'un acheteur utilisateur final mais qui ne peut être un revendeur et ne doit pas créer une confusion dans l'esprit du public entre l'activité de négoce et celle de mandataire.
Par jugement du 25 juillet 1994, le tribunal a fait droit à la demande en interdisant à la SARL de vendre des véhicules réputés neufs sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée mais à réduit à 3 000 F et 500 F les sommes allouées à chaque concessionnaire à titre de dommages-intérêts et sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la somme accordée au CNPA étant limitée à 1 F et l'exécution provisoire étant ordonnée.
La SARL Givry Automobiles a relevé appel et a sollicité l'arrêt de l'exécution provisoire mais cette requête a été rejetée par ordonnance du 24 août 1995.
A l'appui de son argumentation qui tend principalement à obtenir le rejet des demandes des concessionnaires, la société appelante, qui revendique la possibilité d'exercer librement l'activité de revendeur de véhicules neufs hors réseau, fait valoir :
- que les concessionnaires bénéficient d'une exclusivité de marque, d'implantation et d'action commerciale et non pas d'une exclusivité de vente, les constructeurs se réservant la possibilité d'écouler 40 % de leur production par des voies autres que celle de leur réseau ;
- que la demande des concessionnaires autres que Renault, Peugeot et Citroën doit être déclarée irrecevable faute d'intérêt, aucun véhicule d'une autre marque n'étant commercialisé par la SARL Givry Automobiles ;
- que les contrats de concession ne peuvent, par application de l'article 1165 du code civil, être opposés aux tiers ;
- que les contrats Peugeot - Renault - Citroën ne sont pas conformes au règlement 123-85, notamment à l'article 5 points 2 et 3, ce qui interdit aux concessionnaires de les opposer aux revendeurs et l'a conduite à déposer plainte contre eux devant la Commission ;
- que l'activité de revendeur marchand hors réseau, interdite par aucun texte, national ou communautaire, est une activité licite, reconnue par les auteurs du règlement 123-85, les instances judiciaires européennes, la Commission économique européenne, la Fédération Nationale du Commerce et de l'Artisanat et les constructeurs eux-mêmes ;
- que le débat instauré sur la définition du véhicule neuf (moins de 300 km et moins de 3 mois selon un texte fiscal) est sans intérêt puisqu'elle conclut à la licéité de l'activité de revendeur de véhicules neufs, qui peut d'ailleurs cohabiter avec celle de mandataire ;
- qu'elle a acquis les véhicules neufs en cause de façon parfaitement loyale ;
- que les réseaux Peugeot - Citroën et Renault ne sont pas étanches le constructeur approvisionnant lui-même la distribution parallèle à concurrence de 40 % de sa production, ce qui pourrait être confirmé par expertise et qui interdit de faire peser sur le revendeur une présomption d'acquisition anormale ;
- que l'indication du millésime et la mention du prix de vente des concessionnaires officiels ne constituent pas des actes de concurrence déloyale tandis qu'aucun reproche ne peut lui être adressé au sujet de la tenue de livre de police ;
- qu'aucun préjudice n'est démontré par les concessionnaires.
A titre subsidiaire, elle souhaite qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce que la Commission Economique Européenne ait statué sur sa plainte ou dans l'attente d'une question préjudicielle à poser à la Cour de Justice Européenne.
Elle déclare enfin se réserver le droit de demander aux concessionnaires tous dommages-intérêts pour le préjudice commercial que leur action a induite sur la bonne marche de ses affaires. Elle souhaite obtenir 70 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le CNPA et les 24 concessionnaires concluent à la confirmation du jugement mais forment appel incident pour voir porter à 100 000 F et 5 000 F les sommes accordées à chaque concessionnaire à titre de dommages-intérêts (sauf le CNPA qui demande 1 F) et en remboursement de leurs frais irrépétibles. Ils soutiennent que leurs contrats, portés à la connaissance de la Commission, sont conformes à la législation communautaire.
Ils affirment que le règlement 123-85 a reconnu aux constructeurs et à leurs concessionnaires la possibilité de prendre toutes mesures utiles en vue de protéger leur système de distribution sélective et exclusive, que la seule possibilité de vente hors réseau est le recours au mandataire, dont l'intervention a été définie par la communication du 4 décembre 1991, et qu'aucune exception n'est prévue au profit des revendeurs.
Ils ajoutent :
- que sont assimilées aux véhicules neufs ceux qui sont immatriculés depuis moins de 6 mois ou ont parcouru moins de 6 000 km mais que cette définition a peu d'importance en l'espèce puisque la société appelante reconnaît vendre des véhicules neufs,
- que le fabricant est en droit, lorsque le réseau de distribution sélective est conforme aux règles de la concurrence, de priver de garantie les marchandises vendues par un distributeur non agréé (arrêt Cartier) ;
- que les autorités françaises sont hostiles à l'activité de revendeur ;
- que l'approvisionnement des revendeurs est nécessairement illégal, que le fournisseur soit un concessionnaire étranger ou un loueur.
Ils font encore observer que les publicités et constats d'huissier versés aux débats démontrent que la SARL Givry Automobiles exerce bien une activité de revendeur interdite, que les clients sont trompés par l'indication d'un millésime inexact et la promesse d'une garantie usine et que la société appelante continue son activité au mépris de la décision d'exécution provisoire du jugement.
Ils en concluent que ces actes constituent une concurrence déloyale dont ils réclament la cessation.
Dans ses écritures en réponse, la société appelante répète qu'elle revendique sa qualité de revendeur, estime que l'arrêt Cartier ne peut être invoqué puisque les règles communautaires ne peuvent concerner un produit importé de Suisse et affirme que son approvisionnement n'est pas illégal mais résulte de la volonté du constructeur d'écouler 40 % de sa production en dehors du réseau. Elle maintient qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être reproché, et révèle que le gouvernement français, dans le mémoire déposé devant la Cour de Justice à la suite de la question préjudicielle posée par le tribunal de commerce d'Albi, a admis qu'un revendeur pouvait importer et revendre des véhicules neufs.
Elle répond enfin que la communication à la Commission des contrats de concession ne peut avoir aucun effet en l'absence de notification formelle ayant invité cette institution européenne à se prononcer sur leur conformité au règlement 123-85.
Dans leurs dernières écritures, les intimés indiquent que le règlement 123-85 du 28 juin 1995 a repris les termes du règlement 123-85 autorisant la distribution sélective. Ils maintiennent que la Société Givry Automobiles s'approvisionne par des voies illicites et signalent qu'elle poursuit ses agissements répréhensibles par le biais d'une autre société, dénommée GALM, qui exerce la même activité dans les mêmes locaux.
La SARL Givry Automobiles a par ailleurs fait appel de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône qui a, le 4 août 1994, rejeté sa demande de rétractation de l'ordonnance du 18 avril 1994 ayant autorisé les concessionnaires à assigner à jour fixe.
Elle fait grief au signataire de cette ordonnance d'avoir fait droit à une requête ne comportant pas la liste des pièces invoquées, d'avoir fixé l'affaire à une date trop rapprochée ne lui permettant pas de préparer utilement sa défense et d'avoir prévu qu'aucun renvoi ne serait possible.
Elle réclame l'annulation de cette ordonnance, souhaite à titre subsidiaire que cet appel soit examiné avec l'instance au fond et elle demande 70 000 F à titre de dommages-intérêts ou sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Les intimés répondent que cet appel est irrecevable faute d'intérêt à agir. A titre subsidiaire, ils concluent à la confirmation de l'ordonnance.
Motifs de la décision
1 - Sur la jonction des deux procédures.
Attendu que l'appel formé à l'encontre de la décision du tribunal de commerce statuant sur le fond du litige et celui relatif à l'ordonnance de référé ayant refusé de rétracter l'ordonnance autorisant l'assignation à jour fixe concernent la même procédure ; qu'il est dès lors de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de statuer sur les deux procédures par un même arrêt ;
Qu'il doit donc être fait droit à la demande de jonction ;
2 - Sur l'appel de l'ordonnance de référé.
Attendu que le président du tribunal de commerce a, dans l'ordonnance critiquée fixant l'audience au 9 mai 1994, réduit les délais de comparution et de remise de l'assignation, conformément à l'article 858 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Attendu que cet article, contrairement à l'article 788 du Nouveau Code de Procédure Civile relatif à l'assignation à jour fixe devant le Tribunal de grande instance n'impose pas à l'auteur de la requête de viser les pièces justificatives ;
Qu'il apparaît en l'espèce que le délai réduit accordé par le président du tribunal était encore supérieur à celui prévu par l'article 856 du Nouveau Code de Procédure Civile ; qu'il appartenait au tribunal s'il l'estimait insuffisant, de faire droit à la demande de renvoi, nonobstant la mention maladroite " sans renvoi possible " figurant par erreur dans l'ordonnance mais qui ne pouvait s'imposer à lui ;
Qu'en toute hypothèse, l'appel de cette ordonnance est actuellement sans objet, la Cour étant en raison, de l'appel du jugement du 25 juillet 1994, saisie, par l'effet dévolutif de l'entier litige.
3 - Sur l'appel du jugement.
Attendu que la SARL Givry Automobiles a pour objet social la " vente et location de véhicules neufs ou d'occasion, vente et pose d'accessoires lubrifiants et pièces auto - remise en état de véhicules " -.
Que les concessionnaires exposent qu'elle a fait paraître dans les journaux d'annonces locales (notamment Gazette Plus des 7 décembre 1993 et 4 janvier 1994 - le 71 du 9 mars 1994) des annonces dans lesquelles elle se présente comme vendeur de véhicules neufs et d'occasion et propose un stock de plus de 200 modèles disponibles, dont certains du millésime 94 ne peuvent être que des véhicules neufs ou très récents ;
Attendu que ces annonces comportent en outre la mention " Crédit - Garantie - Reprise " ; que la possibilité d'acquérir des véhicules d'importation toutes marques est en outre affirmée ;
Attendu que l'huissier Renard, missionné par le CNPA a constaté le 14 janvier 1994 la présence des véhicules neufs suivants : 4 Citroën ZX D, 3 Peugeot 306, dont le gérant de la SARL, M. Moine a expliqué qu'ils provenaient d'un concessionnaire Citroën allemand dont il a précisé l'adresse ;
Attendu qu'un autre huissier, la SCP Graffard - Mallet a noté le même jour dans les locaux de la société située à Torcy la présence de 5 véhicules neufs (Ford - Renault - Volkswagen - Citroën), dont les responsables du garage ont déclaré qu'ils avaient été importés d'Allemagne et d'Italie ;
Attendu que les concessionnaires ont encore versé aux débats diverses factures de la SARL Givry Automobiles dans lesquelles les véhicules vendus (10 km - 220 km - 15 km) sont désignés comme des véhicules d'occasion et qui comportent, pour trois d'entre elles, la mention " véhicule vendu avec garantie de 12 mois constructeur " ;
Attendu que le CNPA et les concessionnaires soutiennent essentiellement que les textes communautaires interdisent la vente de véhicules neufs importés par un intermédiaire n'étant ni membre d'un réseau de distribution ni mandataire d'un utilisateur final ;
Attendu qu'il doit être en premier lieu observé que les éléments fournis à la Cour lui permettent de statuer sur le fond du litige sans qu'il soit nécessaire de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission ait statué sur la plainte de la société appelante ou de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice des Communautés Européennes ;
Qu'en outre la demande de chaque concessionnaire est recevable, même si aucun véhicule neuf de sa marque n'a été découvert dans les locaux de la SARL Givry Automobiles, chacun d'eux ayant un intérêt, au moins moral, à ce que les règles du marché de l'automobile soient respectées par tous et chacun pouvant prétendre attirer la clientèle captée par un revendeur dont il juge l'activité illicite ;
Qu'enfin la définition du véhicule neuf en fonction du kilométrage ou de son âge, est sans incidence dans le présent litige puisque la société appelante revendique la possibilité de vendre des véhicules neufs ;
Attendu que l'article 85-3 du traité instituant la Communauté Économique Européenne permet de limiter dans certains cas l'interdiction, énoncée par l'article 85-1 d'accords et de pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ;
Qu'ainsi cette interdiction peut être déclarée inapplicable à tout accord, décision ou pratique concertée contribuant à améliorer la production ou la distribution des produits, ou à promouvoir les progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateur une partie équitable du profit qui en résulte et sans imposer des restrictions qui ne sont pas indispensables ni éliminer totalement la concurrence ;
Attendu en application de cet article 85-3, la Commission a arrêté le 12 décembre 1984 le règlement n° 123-85 relatif aux accords de distribution et de service de vente et d'après vente de véhicules automobiles ;
Attendu que l'article 1 de ce règlement déclare l'article 85-1 du traité CEE " inapplicable aux accords auxquels ne participent que deux entreprises et dans lesquels une partie à l'accord s'engage vis à vis de l'autre à ne livrer à l'intérieur d'une partie définie du marché commun :
1) que à celle-ci,
ou
2) que à celle-ci et à un nombre déterminé d'entreprises du réseau de distribution,
dans le but de la revente des véhicules automobiles déterminés à trois roues ou plus destinés à être utilisés sur la voie publique et, en liaison avec ceux-ci, leurs pièces de rechange " ;
Attendu que ce règlement exempte donc de l'interdiction résultant de l'article 85-1 du traité les réseaux organisés par les constructeurs ainsi que le précisent clairement les motifs du règlement - point 5 - selon lesquels " les mesures prises par le constructeur et les entreprises de son réseau en vue de protéger son système de distribution sélective sont compatibles avec l'exemption accordée par le présent règlement. Ceci s'applique notamment à un engagement du distributeur finals recourant aux services d'un intermédiaire que s'ils ont mandaté ce dernier à cet effet " ;
Attendu que se pose dès lors la question de savoir si ce texte a pour effet d'interdire toute activité de revendeur à l'intermédiaire qui n'est pas un revendeur agréé et qui n'est pas mandataire ou s'il autorise seulement certains modes de commercialisation dont le constructeur apprécie l'opportunité de les utiliser ou de les rejeter ;
Attendu qu'il doit être rappelé en premier lieu que la Cour de Justice des Communautés européennes (18 décembre 1986 VAG France) a dit pour droit que le règlement 123-85 n'établissait pas de prescription contraignante affectant directement la validité ou le contenu de clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à y adapter le contenu de leur contrat mais se limitait à établir les conditions qui, si elles sont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l'interdiction et par conséquent à la nullité de plein droit prévues par l'article 85 § 1 et 2 du traité ;
Attendu que le Tribunal de première instance des Communautés européennes (22 avril 1993 - SA Peugeot) a également en reprenant la position exprimée par la Cour de Justice dans un arrêt du 22 mars 1984, rappelé que, compte tenu du principe général d'interdiction des ententes anticoncurrentielles, les dispositions à caractère dérogatoire ne sauraient faire l'objet d'une interprétation extensive et ne peuvent pas être interprétées de façon à étendre les effets du règlement au delà de ce qui est nécessaire à la protection des intérêts qu'elles visent à garantir ;
Attendu que les juridictions communautaires ont ainsi fait application du principe selon lequel un règlement d'exemption par catégorie n'emporte pas prescription contraignante mais a pour seul effet d'offrir aux entreprises qui s'y soumettent une exemption automatique ;
Qu'il en résulte dans l'espèce que les constructeurs et les concessionnaires ont la possibilité d'organiser entre eux des réseaux de distribution dans le cadre de contrats répondant aux exigences du règlement, que la vente des véhicules peut également se réaliser par un intermédiaire mandaté à cet effet conformément aux indications contenues dans la " clarification de l'activité des intermédiaires en automobile " du 18 décembre 1991; que le règlement ne peut en revanche avoir pour effet d'interdire l'activité de revendeur hors réseau;
Attendu que cette position est d'ailleurs celle exprimée par le gouvernement français dans l'affaire Grand Garage Albigeois et autres contre Massol, dans laquelle le tribunal de commerce d'Albi a, le 22 juillet 1994, posé une question préjudicielle à la Cour de Justice ; qu'en effet les agents du gouvernement français ont proposé à la Cour, le 8 novembre 1994, de répondre au juge de renvoi que " le règlement 123-85 ne saurait à lui seul s'opposer à ce qu'un revendeur qui n'est ni revendeur agréé du réseau de la marque concernée, ni mandataire au sens de l'article 3 - 11 ° du règlement importe et revende des véhicules neufs de cette marque et de lui indiquer que l'appréciation des effets de contrats de distribution exclusive ou sélective conformes aux dispositions de ce règlement à l'égard des tiers relève uniquement d'une application du droit national " ;
Attendu que cet avis rejoint celui exprimé par la Commission européenne le 4 novembre 1994 dans la même affaire : " la commission propose à la Cour de Justice de répondre à la question posée par le tribunal de commerce d'Albi que le règlement 123-85 de la commission doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose par à ce qu'une société se livre à une activité de revente de véhicules neufs au seul motif qu'elle n'appartient pas à un réseau de distribution d'un constructeur automobile et qu'elle n'agit pas comme un intermédiaire mandaté par écrit dans les conditions décrites à l'article 3 paragraphe 11 dudit règlement " ;
Attendu que M. Temple Lang, directeur de la Direction Générale de la Concurrence à la Commission a également estimé dans plusieurs courriers (20 septembre 1993 - 20 septembre 1994), que, si un revendeur indépendant parvient à se procurer licitement des véhicules neufs au sein d'un réseau, ni le règlement 123-85 ni la jurisprudence de la Cour de Justice ne justifient que le constructeur ou son importateur dans un Etat membre s'opposent à ce que ce revendeur les importe et les revende dans cet Etat au seul motif qu'il n'est pas un revendeur agréé ou qu'il n'est pas un mandataire ;
Attendu que Me Bourgeon, présenté dans le programme du colloque du 14 novembre 1995 sur le règlement CEE 1475-95 comme l'avocat des concessionnaires a admis qu'un règlement d'exemption communautaire n'interdit rien et qu'il ne peut être sérieusement soutenu devant une juridiction que le règlement 123-85 exclurait toute possibilité de commercialisation de véhicules neufs par des revendeurs agréés ;
Attendu que les concessionnaires et le CNPA soutiennent donc à tort que les textes communautaires interdisent l'activité de revendeur de véhicules neufs hors réseau, activité dont la licéité doit être reconnue sans qu'il soit utile d'examiner la conformité des contrats de concession au règlement 123-85 ;
Attendu qu'il est cependant nécessaire, pour que l'opération soit régulière, que le revendeur se soit procuré licitement les véhicules neufs qu'il propose à la vente ;
Attendu qu'il n'est pas reproché à la SARL Givry Automobiles de refuser de s'expliquer sur l'origine de ces véhicules neufs, ce qui aurait constitué un acte de concurrence déloyale (Com. 27 octobre 1994) ; qu'elle a au contraire expliqué d'une part qu'elle a la possibilité d'acquérir des véhicules neufs auprès de concessionnaires ou de loueurs étrangers ou d'autres revendeurs puisque les constructeurs n'assurent pas l'étanchéité de leur réseau, d'autre part que les faits qui lui sont reprochés relatifs au millésime des véhicules, à la comparaison des prix de vente ou à la garantie ne constituent pas des actes de concurrence déloyale ;
Attendu qu'il est en premier lieu démontré, notamment par l'analyse des contrats de concession versés aux débats que les constructeurs en cause se sont tous réservés la possibilité de procéder à des ventes hors réseau (personnel - filiales - Etat - départements et administrations publiques - fournisseurs attitrés - entreprises de première importance - loueur), ce qui fait échapper 40 % de la production au circuit de distribution des concessionnaires ;
Que cette pratique, voulue par les constructeurs, permet aux revendeurs de s'approvisionner en véhicules neufs et fait peser sur les concessionnaires la charge de la preuve d'une acquisition irrégulière;
Attendu que la SARL Givry Automobiles démontre, par les documents versés aux débats que les véhicules neufs ou à faible kilométrage proposés à la vente, et dont le nombre est restreint par rapport aux véhicules d'occasion (12 sur 98 et 5 sur 40 dans les publicités querellées) proviennent de concessionnaires français ou étrangers, des succursales spécialisées des constructeurs (succursale du Pays de Montbéliard - succursale Peugeot à Chambourcy - Créteil - Lyon - Bordeaux - Marseille - Rennes spécialisées dans la vente directe aux professionnels de véhicules très récents faiblement kilométrés - centres occasion Citroën de Bezons - Coignières - Thiais par exemple) de grossistes habilités par les constructeurs, d'achats effectués lors de ventes aux enchères publiques, de cession par des loueurs (Avis par exemple) ou de rétrocessions par d'autres revendeurs (Guillerminet de St-Amour - DFA de Dôle par exemple) ;
Attendu que l'achat régulier auprès de concessionnaires, en dépit des droits d'exclusivité dont bénéficie à leur connaissance le titulaire d'un contrat de distribution sélective, ne constitue pas un acte de concurrence déloyale des revendeurs(Com. 27 octobre 1994) ;
Attendu par ailleurs que l'acquisition auprès de succursales du constructeur, de grossistes, de commissaires priseurs, de loueurs ou d'autres revendeurs ne peut être considéré comme fautif dans la mesure où il n'est accompagné d'aucune manœuvre frauduleuse ou mise en scène ou tromperie; qu'il n'est pas prétendu que le revendeur ait participé à la violation d'une obligation imposée à ces divers intermédiaires, aucune interdiction de revente n'étant notamment justifiée à la charge des loueurs et la société appelante n'ayant en définitive fait que profiter de la libre concurrence que l'article 85 du traité a voulu garantir;
Attendu qu'il n'y a donc pas concurrence déloyale à ce titre;
Attendu qu'en ce qui concerne les inconvénients pouvant résulter pour l'utilisateur final des règles relatives au millésime des véhicules, qui ne sont pas les mêmes en France (changement de millésime le 1er juillet) et à l'étranger (le millésime correspond à l'année civile), les intimés soutiennent que la société appelante a trompé ses clients en vendant au cours du second semestre 1993 des voitures modèle 1994 qui étaient en réalité des modèles 1993 ;
Mais attendu que cette affirmation n'est pas justifiée par les pièces du dossier ;
Qu'en effet il n'est pas démontré que les véhicules annoncés dans la publicité du 7 décembre 1993 comme étant des modèles 1994 proviennent de l'étranger ;
Que l'huissier Renard a seulement constaté la présence de véhicules neufs dont la SARL a justifié qu'ils lui avaient été livrés le 12 janvier 1994 par le garage Borgnat de la Coteau ;
Que l'huissier Graffard-Mallet a relevé la présence de véhicules neufs provenant de l'étranger mais qu'il n'est pas démontré que les factures aux clients aient mentionné un millésime inexact ;
Attendu enfin que les éléments versés aux débats ne permettent pas de dire que la mention " année modèle 1994 " portée sur les factures des 21 février (Peugeot 306 XTDT), 19 janvier (Citroën ZX Turbo), 26 avril (Nissan), 1er février 1994 (Golf) soit inexacte ; que dans la facture du 1er décembre 1993 (Chrysler Voyager), le vendeur a seulement indiqué " véhicule immatriculé après juillet 1993 ", ce qui n'est pas fautif ;
Qu'il n'y a pas concurrence déloyale sur ce point ;
Attendu qu'en ce qui concerne la comparaison des prix de vente, aucun fait de ce type n'est allégué de façon précise et n'est en toute hypothèse démontré par les pièces versées aux débats ;
Attendu enfin que les intimés reprochent à la SARL Givry Automobiles de promettre une garantie usine qu'elle ne pourra assurer ;
Attendu que cette affirmation n'est pas inscrite dans les publicités versées aux débats, celle du 7 décembre 1993 annonçant seulement une " garantie ", et celle du 4 janvier 1994 affirmant " 25 personnes disponibles pour vos garanties ", ce qui n'est pas critiquable ;
Attendu en revanche que les factures des 19 janvier, 26 avril et 1er février 1994 portent la mention " véhicule vendu avec une garantie de 12 mois constructeur ";
Attendu que la Cour de Justice des Communautés Européennes a dit pour droit, le 13 janvier 1994, en réponse à une question préjudicielle posée par l'Oberlandes gericht de Düsseldorf que " dès lors qu'un système de distribution sélective satisfait aux critères de validité de l'article 85 du traité CEE, tels qu'ils ont été précisés par la jurisprudence de la Cour, il y a lieu de considérer également comme valide la limitation de la garantie du fabricant aux produits contractuels acquis auprès des distributeurs agréés ";
Que cette limitation de la garantie internationale de la marque a également été affirmée par la Cour de Cassation (Com. 8 octobre 1994 - Bull. n° 310) ;
Que dès lors l'affirmation inscrite dans les trois factures litigieuses est abusive et constitue un acte de concurrence déloyale puisque la promesse de la garantie du constructeur a attiré des clients qui, en l'absence de cette garantie, auraient pu renoncer à leur achat et s'adresser aux concessionnaires de marques;
Attendu qu'il est donc nécessaire de faire interdiction à la société appelante de promettre la garantie du constructeur ;
Attendu que le préjudice des intimés est cependant limité puisque seules trois factures sont revêtues de la mention critiquable, les autres faisant seulement état d'une garantie contractuelle du vendeur, ce qui n'est pas critiquable ; que chacun des intimés doit donc recevoir une somme de 1 F en réparation de ce préjudice de principe ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de donner acte à la SARL Givry Automobiles de ce qu'elle se réserve de réclamer tous dommages intérêts aux concessionnaires, cette faculté d'engager une action, dont elle appréciera l'opportunité, étant de droit sans qu'il soit nécessaire qu'une juridiction lui en ait réservé la possibilité ;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application aux parties des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que la demande de la société appelante fondée sur l'article 1382 du code civil ne peut être admise à défaut de justification d'un préjudice ;
Que les parties succombant chacune pour une part doivent conserver la charge de leur dépens ;
Décision
Par ces motifs. LA COUR, Ordonne la jonction des procédures suivies sous les numéros 2536-94 et 2537-94 ; Constate que l'appel formé contre l'ordonnance de référé du 18 août 1994 est devenu sans objet ; Déclare recevable l'action engagée par l'ensemble des concessionnaires de marques ; Réforme le jugement du 25 juillet 1994 et, statuant à nouveau, Dit que la SARL Givry Automobiles a le droit d'exercer une activité de revendeur des véhicules neufs qu'elle s'est procurés licitement ; Dit qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale en promettant dans trois factures la garantie du constructeur ; Lui fait en conséquence interdiction de promettre à ses clients dans toute publicité ou document contractuel la garantie du constructeur et la condamne à payer à chacun des concessionnaires intimée et au CNPA la somme de 1 F chacun à titre de dommages intérêts ; Dit que les autres actes de concurrence déloyale allégués ne sont pas établis et déboute les intimés de leurs demandes ; Dit n'y avoir lieu à donner acte à la SARL Givry Automobiles de ce qu'elle se réserve de réclamer des dommages et intérêts ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Dit que l'appelante d'une part, les intimés d'autre part conserveront la charge de leurs dépens tant d'instance que d'appel.