CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 21 novembre 1995, n° 1040-95
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Direct Auto Diffusion-Lezeau (SARL)
Défendeur :
Conseil national des professionnels de l'automobile secteur de la Charente-Maritime, Groupement amical des concessionnaires automobiles rochelais, Brenuchot (SA), Rochelaise de Diffusion Automobile (SA), La Rochelle automobile (SA), Comptoir automobile rochelais (SA), Porte Dauphine automobile (SA), Savia (SA), Euro Garage (SA), Patrice Pozzi (SA), LGA (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Saint-Arroman
Conseillers :
Mmes Braud, Mechiche
Avoués :
SCP Landry-Tapon, SCP Gallet
Avocats :
Mes Portolano, Doury.
Par jugement du 24 septembre 1993, statuant sur une demande émanant du Conseil National des professionnels de l'Automobile-secteur de la Charente-Maritime, du Groupement Amical des Concessionnaires Automobiles Rochelais et de neuf sociétés concessionnaires de marques, et tendant à ce qu'il soit fait défense à l'Eurl Direct Auto Diffusion (DAD), d'offrir à la vente des voitures neuves sans se conformer aux prescriptions de la directive 123-85 de la Commission des communautés européennes, de se livrer à une publicité mensongère pour la promotion de ces ventes et à la condamnation de l'EURL DAD à réparer le préjudice subi par les demanderesses du fait des activités illicites sus-énoncées, le Tribunal de Commerce, statuant sur assignation à jour fixe :
- a rejeté les demandes de sursis à statuer jusqu'à ce que le Tribunal des communautés européennes ait statué sur le recours en annulation formé contre la recommandation de la Commission du 4 décembre 1991 et dit n'y avoir lieu de saisir la Cour de Justice des communautés européennes d'une question préjudicielle ;
- a dit que l'EURL Lezeau avait méconnu la réglementation européenne en matière de vente de véhicules neufs, établie par le règlement 123-85 du 12 décembre 1984, complété par la recommandation du 4 décembre 1991.
- a dit que l'EURL s'était livrée à une publicité comparative contraire aux dispositions de la loi du 18 janvier 1992.
- a alloué, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 1 F aux deux groupements et les sommes de 10 000 F aux sociétés concessionnaires de marques françaises et de 1 000 F aux sociétés concessionnaires de marques françaises ;
Appelante de cette décision, l'EURL DAD soutient ce qui suit :
- les contrats de concession dont se prévalent les concessionnaires ne sont que des contrats de marque et non des contrats de vente exclusive dans la mesure où les concédants se réservent le droit de vendre directement y compris dans la zone de concession ;
- l'exclusivité prévue par ces contrats ne saurait être opposable aux tiers en vertu de textes de droit européen ou de droit interne français particuliers et l'article 1165 du code civil prévoyant expressément l'effet relatif des contrats ;
- le règlement 123-85 de la Commission Européenne se borne à déclarer les contrats de concessions licites par dérogation aux dispositions de l'article 85 - mais cette licéité est soumise à des conditions strictes qui ne sont pas respectées dans les contrats invoqués dans la mesure où les concessionnaires sont, en vertu de ces contrats, dans un état de dépendance à l'égard des concédants sans que les raisons objectives leur permettant de se libérer, soient précisées : ces contrats étant ainsi entachés d'une illégalité structurelle, sont nuls de plein droit ; à tout le moins convient-il d'attendre qu'il ait été répondu à la question préjudicielle posée.
- l'EURL DAD ne prétend pas agir en qualité de mandataire ou ne pas vendre des véhicules neufs, mais revendique le droit de revendre des véhicules neufs, de posséder des stocks et de faire de la publicité sans être concessionnaire de marque, de sorte que la question du respect des règles imposées aux mandataires par la recommandation du 4 décembre 1991, est sans objet dans le présent litige : En effet, l'activité de revendeur marchand est une activité licite qu'aucun texte, et notamment pas le règlement 123-85 ne prohibe au seul motif que son auteur n'appartient pas à un réseau de distribution ;
- les concessionnaires ne peuvent du seul fait de la légalité de leurs réseaux, reconnue par l'article 123-85, exclure du marché les revendeurs non agréés ;
- l'EURL DAD a donc la possibilité soit d'agir comme mandataire, soit d'agir comme revendeur négociant libre.
L'appelant expose ensuite que selon que le réseau des constructeurs est étanche ou non, les revendeurs non agréés ont ou non la charge de prouver la légitimité des achats des véhicules qu'ils revendent. Or, l'étanchéité des réseaux Peugeot-Citroën, Renault VAG, Ford et Opel n'existe pas, puisque ces marques distribuent 40 % de leur production en dehors de leurs réseaux et ce sans manquer aux contrats qui les lient à leurs concessionnaires, puisqu'en vertu de ces contrats, ils se réservent le droit de vendre une partie de leur production, soit par des sociétés qui dépendent d'eux, soit à leurs salariés et aux salariés de leurs filiales, soit à des sociétés de location, soit à l'Administration ou à des grandes entreprises - Ainsi, ce sont les constructeurs eux-mêmes qui alimentent les revendeurs indépendants qui s'approvisionnent auprès de ces organismes ;
L'EURL DAD demande à la Cour, si elle ne s'estime pas en mesure de statuer immédiatement :
- soit de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de Justice ait statué sur l'interprétation du règlement 123-85, soit de poser elle-même une question préjudicielle à la Cour, soit enfin de demander un avis à la Commission ces trois possibilités étant prévues par les traités européens.
L'appelante soutient qu'elle ne s'est livrée à aucune concurrence déloyale dans la mesure où les véhicules qu'elle vend sont en réalité identiques à ceux que vendent les concessionnaires, et que dès lors elle peut faire état de différences de prix objectives entre les véhicules qu'elle vend et ceux que vendent les concessionnaires ;
Elle rappelle enfin que la garantie et le service après-vente, sont les obligations qui s'imposent aux constructeurs, et non aux revendeurs ;
L'appelante demande en définitive que la Cour, après avoir constaté l'exactitude de son argumentation sur vingt questions de droit ou de fait découlant de ses conclusions,
- d'infirmer le jugement et de statuer à nouveau pour dire que les contrats de concessionnaire ne renferment qu'une exclusivité de marque, et non une exclusivité de produits ; qu'ils ne peuvent lui être opposés en vertu des dispositions de l'article 1165 du code civil et du fait que ces contrats sont, en raison des dérogations qu'ils comportent hors du champ d'application du règlement 123-85, de dire qu'aucun texte n'interdit l'exercice du commerce de revendeur hors réseau ;
- subsidiairement, surseoir à statuer sur les demandes des concessionnaires,
- soit jusqu'à ce que la Commission économique européenne ait statué sur la plainte qu'elle a déposée.
- soit dans l'attente de la question préjudicielle à poser à la Cour de justice européenne sur la question de l'opposabilité des contrats de concession aux revendeurs indépendants ;
- l'appelante demande enfin à la Cour de rejeter comme non étayées en droit et en fait les demandes de dommages intérêts, et, reconventionnellement de lui allouer la somme de 70 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 et de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de demander des dommages intérêts, à raison de l'assignation des concessionnaires ;
Les intimés répliquent en rappelant tout d'abord les principes qui régissent la matière de la distribution automobile et selon lesquels ;
- la mise en œuvre d'une exclusivité de vente au moyen de contrat de concession, qui répond à des nécessités économiques et techniques, est admise par le droit européen et ses modalités sont fixées par le règlement 123-85 et la communication du 18 décembre 1991.
- en vertu de ces textes et de la jurisprudence, ceux qui veulent se livrer à des ventes de véhicules neufs sans appartenir à un réseau, doivent soit justifier d'un mandat préalable de l'acheteur, soit justifier de la licéité de leur approvisionnement ;
Ils exposent que l'EURL DAD est inscrite au registre du commerce comme négociant, et fait paraître dans la presse des publicités de revendeur dans lesquelles elle se livre à des comparaisons entre les prix des véhicules neufs vendus par des concessionnaires et les prix auxquels elle propose les mêmes véhicules et dans lesquelles elle fait état de la garantie constructeurs, ils ajoutent qu'elle adresse également des fax à des négociants pour leur proposer des voitures neuves ;
Ils soulignent qu'elle ne justifie pas de l'origine des véhicules ainsi proposés, alors que selon la jurisprudence il lui incombe de justifier de la régularité de ses approvisionnements ;
Ils font valoir aussi qu'elle trompe les acheteurs en soutenant qu'elle assume la garantie constructeur alors que ces constructeurs subordonnent cette garantie à sa mise en œuvre par leur réseau ;
Ils font valoir qu'alors même que l'étanchéité de leur réseau n'est pas une condition de la validité des contrats d'exclusivité, les constructeurs auxquels ils sont liés s'efforcent de rendre leurs réseaux étanches en droit comme en fait en sanctionnant les concessionnaires qui ne respectent pas leurs obligations en vendant des voitures neuves à des revendeurs ;
Ils affirment qu'il découle des considérations qui ont permis d'admettre la validité des contrats de concession que l'opposabilité de ces contrats, aux tiers, condition de leur efficacité, doit également être reconnue.
Ils estiment que la validité de ces contrats qui ne pourrait être contestée que par les concessionnaires, est entière dans la mesure où ces contrats prévoient des contreparties réciproques équilibrées ;
Ils soutiennent que l'EURL DAD s'est aussi livrée à une publicité illicite en procédant à des comparaisons de prix entre des produits non rigoureusement identiques et vendus dans des conditions non identiques, notamment en ce qui concerne le service après-vente, qu'elle n'est pas habilitée à effectuer en droit et qu'elle ne peut assurer en fait, faute d'atelier ;
Ils font valoir qu'en citant le prix annoncé par les concessionnaires comme étant un prix imposé, elle trompe le public dans la mesure où ces prix sont des prix maximum au dessous duquel les concessionnaires descendent régulièrement ;
Ils soutiennent que par la concurrence déloyale et la publicité mensongère qu'elle fait, l'EURL DAD a détourné à son profit une partie de la clientèle et l'a obligée à faire des rabais qui ont réduit anormalement leurs marges eu égard à leurs frais généraux.
Ils demandent la condamnation de l'EURL DAD à leur verser à ce titre
- 1 F symbolique à chacun des deux groupements,
- 250 000 F à chaque société concessionnaire de marques françaises,
- 100 00 F à chaque société concessionnaire de marques étrangères.
Ils concluent en définitive :
- à la confirmation du jugement dans son principe,
- à ce que la Cour y ajoute en condamnant l'appelante sous astreinte de 100 000 F par infraction constatée,
- à ce que la Cour dise que l'appelante s'est rendue coupable d'infraction au règlement 123-85 et à la communication du 4 décembre 1991 et de publicité illégale et mensongère, l'ensemble étant constitutif de concurrence déloyale ;
- à ce qu'il leur soit fait interdiction de vendre des véhicules neufs ou assimilés à tout autre qu'un utilisateur final sans détenir un mandat préalable et sans l'immatriculer comme mandataire et sans s'évertuer à rendre impossible entre cette activité et celle du revendeur,
- à ce qu'il lui soit fait interdiction de détenir des stocks de véhicules neufs ou assimilés,
- à ce qu'il soit interdit de faire toute publicité sans se conformer aux prescriptions communautaires régissant la publicité des mandataires,
- à la condamnation de l'EURL à verser à chacun des appelants les sommes sus-rappelées, ainsi qu'une somme de 4 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 NCPC.
Motifs :
Sur la licéité et le contenu des contrats de concession ;
Attendu que les contrats de concession territoriale exclusive, dont la Commission des communautés européennes a considéré qu'ils étaient préférables en matière automobile, à la libre concurrence pour rapprocher le service de la vente du service après-vente, ne peuvent dans leur principe qu'être considérés comme licites au regard du règlement 123-85.
Attendu qu'il ne peut être admis, comme soutenu par l'appelante, que ces contrats conféreraient aux concessionnaires une exclusivité de marque et non une exclusivité de produits ou de vente dès lors que par ces contrats les constructeurs s'engagent à livrer l'ensemble des produits de leur marque destinés à un secteur géographique déterminé à leurs concessionnaires, à l'exception de certains produits qu'ils se réservent le droit de vendre directement dans des conditions précisément définies dans ces contrats, à des personnes physiques ou morales, qu'en tout cas, ne peuvent être des revendeurs qui pourraient être des concurrents de ces concessionnaires;
Attendu qu'en ce qui concerne l'affirmation de l'appelante, selon laquelle, ces contrats seraient nuls pour non conformité au règlement 123-85 en ce que les conditions dans lesquelles les concessionnaires peuvent se dégager de leurs obligations ne sont pas suffisamment précises, il convient de constater que n'étant pas partie à ces contrats, elle n'a pas qualité pour en faire la critique sur ce point qui ne relève que de l'appréciation des signataires;
Sur l'effet relatif des contrats de concession et la concurrence déloyale ;
Attendu certes que les contrats n'ont d'effet qu'entre les parties.
Attendu cependant que l'EURL Lezeau, qui n'ignore pas l'existence de ces contrats et leur économie, ne peut ignorer qu'en vendant elle-même des voitures neuves sans supporter les charges imposées aux concessionnaires en contrepartie de leur agrément, elle leur cause injustement un préjudice commercial;
Attendu qu'à supposer même qu'il puisse être admis que les règles de la libre concurrence et de l'effet relatif des contrats s'opposent à ce que les concessionnaires puissent se prévaloir de ces contrats pour s'opposer aux négociants hors réseaux, telle l'EURL DAD, encore conviendrait-il que ceux-ci justifient de ce qu'ils s'approvisionnent en produits identiques dans des conditions normales au regard des usages commerciaux ;
Attendu à cet égard qu'il convient de constater que l'EURL DAD, qui ne peut s'approvisionner ni auprès des constructeurs, ni auprès des concessionnaires, en est nécessairement réduite à se procurer les voitures qu'elle vend qu'auprès de concessionnaires étrangers, ou auprès de membres du personnel des constructeurs ou de leur filiale, ou auprès des sociétés de location ;
Attendu que ces deux formes d'approvisionnement doivent être tenues pour illicites ;
Attendu en effet :
- d'une part, qu'il est justifié de ce que les concessionnaires s'assurent de l'étanchéité de leurs réseaux en stipulant dans tous les contrats de concession l'interdiction de revente à des négociants, de sorte qu'en s'approvisionnant auprès de concessionnaires étrangers infidèles, l'EURL se rendrait complice de la violation par ceux-ci de leurs engagements ;
- d'autre part, qu'en s'approvisionnant soit auprès de membres du personnel des constructeurs ou de leurs filiales, soit auprès de sociétés de location, elle se livre à une pratique qui doit être jugée anormale et déloyale au regard des règles de la concurrence commerciale dans la mesure où elle profite sans contrepartie ni motif légitime, de reventes à l'état neuf de voitures destinées à être utilisées par ces personnes ou sociétés pour leur usage personnel et non à être revendues en cet état à des négociants ;
Attendu qu'il ne saurait en effet être considéré, comme le voudrait l'appelante, qu'en procédant à des ventes directes à leur personnel ou à des clients importants les constructeurs aient pour objectif d'alimenter les réseaux parallèles à l'effet de résorber leurs stocks, dès lors que de telles ventes ont des justifications d'ordre social ou commercial évidentes ;
Attendu qu'ainsi il doit être considéré qu'en vendant des voitures neuves obtenues dans ces conditions, l'EURL DAD s'est rendue coupable de concurrence déloyale ;
Sur la publicité mensongère :
Attendu qu'en portant sur ces documents publicitaires la mention : " garantie constructeur " alors que cette mention est inexacte en ce qui concerne la partie de cette garantie qui est conditionnée à sa mise en œuvre par un concessionnaire, l'EURL s'est livrée à une publicité mensongère;
Sur le sursis à statuer :
Attendu qu'il ressort de la motivation qui précède que la Cour est en mesure de statuer immédiatement, sans avoir à attendre l'avis de la Commission européenne et de la Cour de justice ; que la demande de sursis à statuer doit être rejetée ;
Sur le préjudice :
Attendu que c'est à bon droit que le premier juge a alloué à titre symbolique 1 F au Conseil National des professions de l'automobile et 1 F au Groupement amical des concessionnaires automobiles rochelais ;
Attendu que c'est également à bon droit, eu égard à l'ensemble des éléments de la cause, qu'il a alloué 10 000 F à chacun des concessionnaires de marques françaises et 1 000 F à chacun des concessionnaires de marques européennes ;
Sur l'astreinte :
Attendu que c'est à bon droit qu'il a interdit à l'EURL de vendre des véhicules neufs sans se conformer aux obligations qui s'imposent aux mandataires ainsi que d'utiliser une publicité non conforme à la loi française, sous une astreinte de 20 000 F par infraction constatée ;
Attendu enfin que c'est avec équité que le Tribunal a condamné l'EURL à verser 3 000 F à chacun des intimés sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l'équité justifie que la même somme leur soit allouée au titre des frais non répétibles exposés en appel ;
Par ces motifs : Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne l'EURL Direct Auto Diffusion à verser à chacun des intimés une somme de 3 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens ; Autorise la SCP J. et N-H. Gallet, à recouvrer directement ceux de ses dépens, dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.