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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 20 novembre 1995, n° 93-022707

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Actiomédia (SARL)

Défendeur :

Fédération Française de Tennis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mes Mandel, Marais

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Bommart Forster

Avocat :

Me Andrieu.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 1er juil…

1 juillet 1993

LA COUR : - Alléguant que les Sociétés Actiomédia, Diff'Rp Mondovoyages, Peleas, World Championship Services, Reunirs Privileges et Serge Mariens (" SM Conseil ") utilisaient sans autorisation cette marque dans leurs documents publicitaires, proposaient à la vente pour assister aux championnats internationaux de France de Tennis des billets qui ne pouvaient être ainsi revendus et tentaient de réaliser des profits importants en se servant indûment de la notoriété desdits championnats, la Fédération Française de Tennis a assigné les 27, 28 et 29 juillet 1992 les susnommés devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de les voir déclarer coupables d'actes de contrefaçon de marque et d'agissements parasitaires.

Outre les mesures habituelles d'interdiction sous astreinte, elle a sollicité la condamnation de chacun des défendeurs à lui verser une provision de 50.000 frs à valoir sur la réparation d'un préjudice à déterminer après expertise ainsi qu'une somme de 10.000 frs en vertu de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile le tout avec exécution provisoire.

Les sociétés Peleas et World Championship Services n'ont pas constitué avocat.

La FFT a renoncé en cours de procédure à ses demandes à l'encontre de la Société Reunirs Privileges.

Par jugement réputé contradictoire du 1er juillet 1993, le Tribunal a :

- déclaré les demandes dirigées contre la Société World Championship Services irrecevables,

- donné acte à la FFT de ce qu'elle renonçait aux demandes formées contre la société Reunirs Privileges,

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par SM conseil au profit du Tribunal de Grande Instance de Créteil,

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation invoquée par la Société Actiomédia,

- déclaré valable et non déchue en application de l'article L. 714-6 du code de la Propriété Intellectuelle la marque " Roland Garros " n° 1.625.392,

- dit qu'en faisant usage sans autorisation de la dénomination " Roland Garros " pour désigner dans des publicités des services de restauration et de divertissements, les Sociétés Actiomédia, Peleas et Diff'Relations Publiques avaient commis des actes de contrefaçon de la marque susvisée,

- dit qu'en commercialisant des billets pour les championnats internationaux de France en se plaçant dans le sillage de la FFT pour vendre leurs services, les Sociétés Actiomédia, Diff'Relations Publiques, Mondovoyages, Peleas et Serge Martens " SM Conseil " avaient commis des agissements fautifs et parasitaires.

Outre l'interdiction sous astreinte de 1.000 frs par infraction constatée à compter de la signification de la décision et avec exécution provisoire de poursuivre de tels faits, le Tribunal a condamné les Sociétés Actiomédia, Diff'Relations Publiques, Mondovoyages, Peleas et Serge Martens " SM Conseil " à payer chacune à la FFT les sommes de 50.000 frs à titre de dommages et intérêts et de 5.000 frs en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

La société Actiomédia a interjeté appel de ce jugement le 6 septembre 1993.

La Société Petit Lecourt et Cie dite Peleas qui avait formé le 17 septembre 1993 un recours contre cette décision s'en est désisté par conclusions du 19 janvier 1994.

La société Diff'Rp également appelante ayant été déclarée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Tours du 11 janvier 1994 son liquidateur, Me Jean-Christophe Lefèvre a fait connaître à la FFT qui a déclaré sa créance entre ses mains qu'il n'entendait pas poursuivre la procédure.

La société Actiomédia demande à la Cour de constater l'absence de toute contrefaçon liée à l'usage de la dénomination " Roland Garros " pour identifier le stade et la manifestation sportive ou, subsidiairement, de relever le caractère exclusivement descriptif du terme en cause et de prononcer l'annulation partielle de la marque en application de l'article L. 714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Elle invoque en outre l'inopposabilité ou, à tout le moins, l'absence de validité de l'interdiction de vente de billets à son égard.

A titre reconventionnel, elle impute à l'intimée des pratiques discriminatoires d'abus de dépendance économique à son encontre et sollicite l'attribution des sommes de 500.000 frs à titre de dommages et intérêts et de 40.000 frs en vertu de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

La Fédération Française de Tennis demande acte de ce qu'elle accepte le désistement d'appel de la Société Petit Lecourt et Cie dite Peleas.

Elle conclut à la confirmation du jugement entrepris à l'encontre de la Société Actiomédia et poursuit la condamnation de celle-ci à lui verser les sommes de 50.000 frs à titre de dommages et intérêts et de 40.000 frs HT en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Sur ce,

Sur la demande principale

Considérant que si la Société Actiomédia invoque aux termes de ses conclusions du 23 décembre 1993, à titre principal, l'absence de toute contrefaçon et à titre subsidiaire, la nullité partielle de la marque Roland Garros, il convient comme l'a fait le Tribunal d'examiner en premier lieu la validité de ladite marque puis, s'il y a lieu, sa contrefaçon.

Sur la validité de la marque " Roland Garros "

Considérant que la société Actiomédia, se fondant sur les dispositions de l'article L. 711-2 a du Code de la Propriété Intellectuelle, allègue que le terme " Roland Garros " utilisé pour identifier les Championnats internationaux de tennis et le lieu géographique où se situe cette manifestation sportive, présente un caractère exclusivement descriptif et en déduit que la FFT ne saurait se prévaloir d'un quelconque droit de marque pour désigner ladite manifestation au titre de divertissements et spectacles.

Mais eu égard aux dispositions de la loi du 31 décembre 1964 applicable à la présente espèce considérant qu'une marque peut être constituée par le patronyme d'un tiers lorsque l'emploi de ce nom n'évoque pas la personnalité de son titulaire ou ne porte pas atteinte à la dignité ou à la réputation historique de celui-ci.

Que l'usage du nom de Roland Garros, dévolu en hommage à un soldat, pionnier de l'aviation, à un stade parisien est licite et arbitraire, parce que nullement nécessaire, usuel, générique ou descriptif, pour désigner notamment des divertissements et spectacles des services d'hôtellerie et de restauration, d'accompagnement en société ou de réservation de chambre d'hôtels pour voyageurs.

Sur la contrefaçon de la marque " Roland Garros "

Considérant que la Société Actiomédia a conçu, édité et publié une plaquette publicitaire intitulée " Internationaux de Tennis de France-Roland Garros " laquelle, après avoir consacré une page à la présentation de la manifestation et souligné son importance sociale expose dès la page suivante, titrée " Actiomédia à Roland Garros ", qu'elle a décidé dans le cadre de son opération " VIP Roland Garros " de mettre, pendant la durée du tournoi, à la disposition de ses partenaires et de leurs invités " un véritable espace totalement privatisé ", constitué de salons d'accueil et de jardins réservés dans le restaurant du Pré Catelan de Gaston Lenotre ainsi qu'un service de transports assurant la liaison permanente avec le stade.

Que la plaquette décrit ensuite le programme d'une " journée type " puis précise les différents tarifs des prestations proposées.

Considérant que si le tribunal a relevé à juste titre que ne saurait être incriminée le fait d'avoir utilisé le terme " Roland Garros " pour désigner la manifestation sportive ou le lieu dans lequel elle se tenait, il a observé à bon droit qu'en revanche constituait un usage illicite de la marque déposée l'emploi de ce même terme pour qualifier non plus un événement de l'actualité sportive mais une opération à des fins personnelles de nature commerciale.

Sur la revente des billets et l'abus de dépendance économique.

Considérant que la FFT expose que la demande de billets étant chaque année plus forte et très largement supérieure à l'offre qu'elle peut en faire, elle a été amenée à prendre un certain nombre de mesures afin de permettre leur répartition équitable à un prix raisonnable et ce, pour lutter contre les surenchères de certains intermédiaires.

Qu'elle a, en conséquence, stipulé comme il est indiqué sur les billets que ceux-ci ne pouvaient être revendus.

Qu'elle soutient qu'en achetant des billets dans des conditions de clandestinité qui auraient dû éveiller son attention et en les commercialisant à son tour dans le cadre de l'opération " VIP Roland Garros ", la Société Actiomédia a commis une faute engageant sa responsabilité.

Considérant que l'appelante réplique que la mention d'interdiction de vente ne peut constituer au mieux qu'un engagement de l'acquéreur auprès de la FFT à l'exclusion de tout autre lien contractuel et qu'il appartenait à l'intimée de poursuivre éventuellement la responsabilité contractuelle de ses partenaires.

Qu'elle ajoute que le fait de tenter d'imposer un choix parmi les acquéreurs constitue une mesure de discrimination et de dépendance économique sanctionnée par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Considérant que l'article 22 des statuts de FFT révèle que ses recettes annuelles comprennent notamment le produit des manifestations qu'elle organise.

Que, pour les Championnats Internationaux de Tennis de Roland Garros, la Fédération émet des billets revêtus, au verso, en caractères très lisibles, de la mention encadrée : " Ce billet ne peut être revendu ".

Que lesdits billets sont offerts à la vente dans un premier temps, à titre individuel aux licenciés de la Fédération puis au public à l'exclusion de toute société autre que celles à qui incombent les opérations de relations publiques à l'intérieur du stade.

Qu'en l'absence de toutes relations d'affaires et de concurrence effective, elle ne saurait soutenir l'existence d'une entente entre la FFT et d'autres entreprises en vue de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché ni invoquer l'exploitation abusive par l'intimée d'une position dominante ou de l'état de dépendance économique incriminée par l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans lequel elle se trouverait en tant que cliente.

Qu'au surplus, la FFT fait observer pertinemment sur ce dernier point que la Société Actiomédia n'a jamais sollicité d'elle l'attribution de places.

Que le Tribunal a ainsi relevé à bon droit que les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 étaient inapplicables en l'espèce, dans la mesure où ne saurait être qualifié d'abusif le refus de la FFT de voir utiliser par des tiers la marque dont elle est titulaire ou de voir ceux-ci tirer profit sans contrepartie de sa notoriété, de ses activités et des bénéfices qu'elles est en droit d'en retirer.

Sur les agissements parasitaires

Considérant que la FFT soutient que la référence aux Championnats Internationaux de France de Tennis figurant à chaque page de la brochure diffusée par la Société Actiomédia dont elle serait le seul point d'intérêt pour ses destinataires suffit à caractériser l'existence d'agissements parasitaires.

Considérant en effet, comme le relèvent les premiers juges, que la Société Actiomédia ne s'est pas bornée à faire référence au tournoi dans un souci d'information du public mais s'est exactement placée dans le sillage de l'intimée et a ainsi entretenu auprès de ses clients une équivoque qui lui permettait de percevoir, à peu de frais, les " retombées " économiques de la manifestation sportive visée.

Sur la réparation du préjudice

Considérant que la FFT sollicite la confirmation du jugement entrepris.

Que celui-ci ayant fait une juste appréciation de la réparation du préjudice de l'intimée, il sera allouée à celle-ci une indemnité de 50.000 frs.

Sur les autres demandes

Considérant que la Société Actiomédia qui succombe, sera déboutée de ses demandes reconventionnelles tant en dommages et intérêts que du chef de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Qu'il est en revanche équitable de porter la somme allouée à ce titre à la FFT par les premiers juges à 15.000 frs.

Par ces motifs : Statuant dans les limites de l'appel interjeté. Donne acte à la Fédération Française de Tennis de ce qu'elle accepte le désistement d'appel de la Société Peleas, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle fondée sur l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile, Le réforme de ce chef et statuant à nouveau, Condamne la Société Actiomédia à payer à la Fédération Française de Tennis une somme de quinze mille francs (15.000 frs), La condamne aux dépens d'appel, Admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de Procédure Civile.