CA Versailles, 13e ch., 16 novembre 1995, n° 12643-93
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Jacadi (SA)
Défendeur :
Painvin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Monteils
Conseillers :
M. Besse, Mme Bardy
Avoués :
Me Robert, SCP Jullien-Lecharny-Rol
Avocats :
Mes Versini-Campinchi, Skelding.
La société Jacadi fait appel du jugement du 22 octobre 1993, par lequel le Tribunal de Commerce de Nanterre a :
- enjoint la société Jacadi de mettre fin à l'utilisation de graphismes, logos, étiquetages, emballages et présentation identiques à ceux utilisés avec antériorité par la marque " Tartine et Chocolat " ou si proches qu'ils puissent entraîner une confusion entre les deux marques, et notamment de ceux évoqués à l'exposé des motifs,
- dit que la société Jacadi sera condamnée à payer à Madame Painvin une astreinte de 5 000 F par infraction constatée au delà d'une période de six mois à compter du présent jugement,
- condamné la société Jacadi à payer à Madame Painvin la somme de 1 F symbolique à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,
- ordonné la publication d'extraits du présent jugement dans six journaux ou périodiques au choix de Madame Painvin Catherine sans que le coût total des insertions puisse excéder 120 000 F,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné Jacadi à lui payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,
- rejeté comme inutiles ou mal fondées toutes demandes ou conclusions plus amples ou contraires des parties, les en a déboutées respectivement,
Madame Catherine Berché épouse Painvin a créé et déposé la marque " Tartine et Chocolat " qui inclut notamment des articles d'habillement pour enfants, des produits de puériculture, parfumerie, peluches.
Elle a concédé des contrats de licence à des sociétés qui diffusent les produits de cette marque.
Elle continue à créer des modèles dans le cadre de contrats de prestation de service. Elle fait assigner la société Jacadi en dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, au motif que la société Jacadi s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale qu'elle qualifie de parasitaire. Elle lui reproche de copier les couleurs qu'utilise la marque " Tartine et Chocolat " : rose, et bleu pâle, rayures blanches, de copier l'étiquetage, avec une griffe ovoïde brodée de fil bleu et rose, l'emballage, les produits, la publicité qu'elle allègue les dommages liés à la confusion entre ses créations et les reproductions de la société Jacadi et la dépréciation de son image par la banalisation.
Les premiers juges ont retenu une inspiration généralisée pouvant entraîner une confusion dans l'esprit du public entre la société Jacadi et la société Tartine et Chocolat.
La Société Jacadi demande :
- d'infirmer le jugement,
à titre principal,
- de déclarer Madame Painvin née Berché irrecevable en sa demande à défaut de justification de qualité pour agir,
- de constater que Madame Painvin ne justifie ni être titulaire à titre personnel de droits de création ou de propriété sur les graphismes, logos ou autre " concepts " dont elle se prévaut, ni être personnellement et directement victime d'un quelconque préjudice, notamment à défaut d'avoir une activité commerciale,
à titre subsidiaire,
- de la déclarer mal fondée en sa demande,
- de constater en effet qu'il ne peut être reproché à la société Jacadi aucun acte constitutif de concurrence déloyale ou parasitaire au détriment de Madame Painvin ou encore des produits diffusés sous l'enseigne Tartine et Chocolat,
dans le deuxième cas,
- de condamner Madame Painvin à lui payer la somme de :
* 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, injustifiée et trouble commercial,
* 40 000 F par application de l'article 700 du NCPC
- d'ordonner la publication par extraits de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou périodiques au choix de la société Jacadi et aux frais de Madame Painvin à hauteur d'un montant global de 60 000 F.
Madame Painvin demande :
- de débouter la société Jacadi de son appel,
- de constater ou au besoin de dire que la société Jacadi s'est rendue coupable à son préjudice, en sa qualité de propriétaire de la marque Tartine et Chocolat, qu'en sa qualité de modéliste et conceptrice exclusive de son principal licencié, d'acte de parasitisme constitutif d'une concurrence déloyale,
- de dire ces actes fautifs par application des dispositions de l'article 1382 du Code Civil,
- de confirmer le jugement,
- de condamner l'appelante à lui verser 10 000 F à titre de dommages et intérêts et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Discussion
Considérant que Madame Berché-Painvin s'estime recevable à engager une action à l'encontre de la société Jacadi au motif qu'elle a déposé le 28 mars 1977 la marque Tartine et Chocolat, qu'elle est modéliste exclusive des collections de mode enfantine diffusées par la société Tacoma et par la société Nounours, qu'elle a donc qualité et intérêt pour agir ;
Considérant qu'il est exact que Madame Berché a déposé la marque et le logo Tartine et Chocolat et que ce dépôt a été régulièrement renouvelé depuis le 28 mars 1977 ; qu'elle ne prétend pas cependant avoir déposé d'autres modèles ou dessins que le logo de sa marque ;
Considérant qu'elle ne rapporte pas non plus la preuve qu'elle est conceptrice de tous les modèles vendus par Tartine et Chocolat ;
Considérant qu'elle est recevable à agir pour faire sanctionner les atteintes à la marque qu'elle a déposée, mais qu'elle ne peut étendre son action à la protection de ce qu'elle qualifie de " style " ou de " concept ", sans toutefois en définir précisément les contours ;
Considérant que Madame Painvin soutient que la marque déposée en février 1991 qui est constituée d'un cartouche ovale long brodé d'une surpiqûre dans lequel est écrit en lettres anglaises les mots de la marque, a inspiré le logo de la société Jacadi qui utilise donc à tort des lettres en écriture anglaise et un cartouche oblong ;
Considérant tout d'abord que la société Jacadi a été constituée en mai 1978 et sa marque déposée en 1980 ; alors que les lettres anglaises dans un cartouche oblong ne sont utilisées par Tartine et Chocolat que depuis 1980 ;
Considérant en outre que Madame Painvin ne saurait se prévaloir d'une quelconque exclusivité pour l'utilisation de caractères imitant l'écriture en usage depuis le XVème siècle dans la typographie ;
Considérant que l'utilisation par la société Jacadi de ce type d'écriture ne peut être considéré comme concurrentiel ;
Considérant que Madame Painvin se plaint également de l'utilisation par la société Jacadi de couleurs pastels, bleu pour les garçons, rose pour les filles, de rayures roses et blanches ou bleues et blanches, qu'elle dit avoir spécialement créées ;
Considérant que l'usage de la couleur bleue pâle pour les petits garçons et rose pâle pour les petites filles est constant depuis des décennies, que Madame Painvin ne peut sans présomption prétendre l'avoir inventé ; qu'il en est de même pour le tissu de coton rayé blanc et rose ou blanc et bleu dont l'utilisation est connue depuis le XVIIIème siècle;
Considérant qu'il ne s'agit donc pas de copie servile, ni d'une organisation délibérée d'une concurrence parasitaire mais simplement d'une tendance de mode qui se manifeste périodiquement dans les mêmes conditions que pour la mode adulte;
Considérant que Madame Painvin ne peut donc prétendre faire protéger un concept qu'elle n'a pas inventé et un " style " qui n'est pas exclusif ;
Considérant qu'elle ne démontre pas non plus qu'il a pu s'instaurer une confusion dans l'esprit de la clientèle entre la marque qu'elle a créée et les produits de la société Jacadi;
Considérant que les demandes de Madame Painvin ne sont donc pas fondées, que le jugement sera infirmé et Madame Painvin déboutée ;
Considérant que la société Jacadi formule une demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et trouble commercial ; qu'elle ne justifie pas cependant du préjudice qu'elle dit avoir subi, qu'il n'est pas établi qu'une publicité quelconque ait été donnée à la décision du Tribunal de Commerce qui n'était pas assortie de l'exécution provisoire ; qu'il n'y a donc pas lieu à dommages et intérêts, non plus qu'à publication dans des journaux ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Jacadi, la totalité des frais irrépétibles qu'elle a exposés ;
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement du 22 octobre 1993, Déboute Madame Berché-Painvin de toutes ses demandes, La condamne à payer à la société Jacadi la somme de 20 000 F (Vingt Mille Francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC. Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne Madame Berché-Painvin aux dépens de première instance et d'appel et accorde à Maître Robert, avoué, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.