CA Chambéry, ch. civ. sect. 2, 11 octobre 1995, n° 9501385
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Conseil national des professions de l'automobile, SADAL Diffusion automobile du Léman (SA), Lemuet Genevois Faucigny (SA), Sadia (SA)
Défendeur :
Verdan
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Alberca
Conseillers :
MM. Vigny, Bertrand
Avoués :
SCP Vasseur-Bollonjeon-Arnaud, Me Delachenal
Avocats :
Mes Doury, Puthod.
LA COUR : - Les sociétés Sadal Diffusion Automobile du Leman, SA Lemuet Genevois Faucigny et la SA Sadia concessionnaires exclusifs des marques Citroën, Peugeot et Renault à Annemasse se plaignent de l'activité de revendeurs de voitures neuves qu'exerce M. Bertrand Verdan à Saint Jeoire en Faucigny notamment au moyen de multiples publicités dans la presse ; c'est pourquoi, pour mettre un terme à cette activité constitutive de concurrence déloyale, elles l'attrayaient, aidées en cela par le Conseil National des Professions de l'Automobile (CNPA) devant le Tribunal de grande instance de Bonneville par acte d'huissier du 7 juin 1994 pour voir juger avec exécution provisoire et sous astreinte de 100 000 F par infraction constatée.
Que M. Verdan s'est rendu coupable d'infractions au règlement 123-85 du 12 décembre 1984 et à la communication du 4 décembre 1991 ainsi que de publicité illégale et mensongère le tout étant constitutif de concurrence déloyale à l'encontre des concessionnaires exclusifs Citroën, Peugeot et Renault d'Annemasse ;
Que Bernard Verdan sera interdit de vendre des véhicules neufs ou immatriculés depuis moins de 3 mois ou ayant parcouru moins de 3 000 kms sans se conformer aux dispositions communautaires régissant la publicité de mandataires et pour qu'il soit condamné à payer à titre de dommages-intérêts la somme de 250 000 F à chacun des concessionnaires, la somme de 1 franc au CNPA et celle de 10 000 F à chacun des demandeurs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Par jugement du 1er mars 1995, la Tribunal de grande instance de Bonneville statuant en matière commerciale, estimant que les demandeurs ne rapportaient pas la preuve d'actes de concurrence déloyale commis à leur détriment par Bernard Verdan les a débouté et les a condamnés à payer chacun la somme de 2.500 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, par ailleurs il a débouté M. Verdan de sa demande de dommages-intérêts et a refusé de prononcer l'exécution provisoire.
Appelants de cette décision par déclaration au greffe du 20 avril 1995, les sociétés Sadal, Sadia et le CNPA soutiennent :
- - que chacun des concessionnaires bénéficie de son concédant d'un droit commercial et de vente de véhicules neufs directement ou par l'intermédiaire de tous agents, en parfaite conformité avec la législation européenne qui par son règlement 123-85 du 12 décembre 1984 a édicté une dérogation expresse à l'interdiction d'ententes par les entreprises de sorte que seuls les concessionnaires et les mandataires dans des conditions strictes précisées par la communication de la Commission Européenne du 4 décembre 1991 parue au Journal Officiel des Communautés Européennes du 12 décembre 1991 peuvent vendre des véhicules neufs ;
- que pour faire respecter ce principe d'exclusivité, les constructeurs automobiles n'hésitent pas à prendre des sanctions très lourdes pouvant aller jusqu'à la radiation à l'encontre des concessionnaires étrangers qui alimentent de manière illégale des revendeurs ;
- que l'approvisionnement des revendeurs est nécessairement illégal puisque ceux-ci ont la volonté de concurrencer délibérément les concessionnaires et de désorganiser les réseaux de distribution exclusive que ce soit par l'intermédiaire de concessionnaires étrangers ou de loueurs ;
- que M. Verdan agit comme un revendeur et non comme un mandataire, qu'il a un stock de véhicules neufs non immatriculés exposés à la vente ;
- qu'enfin il trompe ses clients sur le millésime des modèles et sur la garantie du constructeur, en précisant sur les factures qu'elle sera honorée si les révisions périodiques sont effectuées dans ses ateliers ou chez un concessionnaire de la marque ;
Dès lors les sociétés concessionnaires appelantes et le CNPA concluent à la réformation du jugement déféré et demandent à la Cour de dire sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée :
- que M. Verdan s'est rendu coupable d'infractions au règlement 123-85 du 12 décembre 1984 et la communication CEE du 4 décembre 1991 parue dans le Journal Officiel des Communautés Européennes du 18 décembre 1991 et de publicité illégale et mensongère sur le même fondement le tout étant constitutif d'actes de concurrence déloyale à l'encontre des concessionnaires exclusifs Citroën, Peugeot et Renault d'Annemasse ;
- lui interdire de vendre des véhicules neufs assimilés (immatriculés depuis moins de 6 mois ou ayant parcouru moins de 6 000 kms) à tout commerçant personne physique ou morale qui ne soit pas un utilisateur final, lui interdire également de vendre ces mêmes véhicules à tout particuliers utilisateur final ;
- sans s'être au préalable immatriculé au Registre du commerce sous la seule activité de mandataire à l'exclusion de toute autre activité dans l'automobile ;
- sans s'évertuer de rendre impossible dans l'esprit du public toute confusion avec une activité de revendeur marchand et donc en exerçant effectivement la seule activité de mandataire à l'exclusion de toute autre activité dans l'automobile ;
- sans avoir reçu au préalable mandat écrit d'un mandat identifié utilisateur final, avant de commander ou d'aller rechercher le véhicule pour lequel le mandat a été remis ; sans se conformer strictement à l'ensemble des dispositions communautaires régissant l'activité de mandataire ;
- lui interdire de posséder tout stock de véhicules neufs et assimilés ;
- lui interdire de faire toute publicité portant sur des véhicules neufs et assimilés sans se conformer strictement à l'ensemble des dispositions communautaires régissant la publicité des mandataires ;
- ils sollicitent enfin la condamnation de M. Verdan au paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et captation de clientèle pour une somme de 250 000 F pour chacun des concessionnaires et 1 franc pour le CNPA outre 10 000 F pour chacun d'eux sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
M. Verdan demande en réponse à la Cour de constater :
- que les contrats de concession ne respectent pas les dispositions de l'article 2 du règlement 123-85 en ne prévoyant pas au profit des concessionnaires une exclusivité totale de vente puisque les constructeurs dans certains cas se réservent ce droit ;
- que la réglementation européenne ne peut concerner que les pertes au contrat de concession ne serait ce qu'en application de l'article 116 du code civil ; qu'ainsi les tiers ne peuvent se voir appliquer une législation qui ne les concerne pas ;
- qu'enfin ces contrats de concession ne seraient pas applicables en raison des obligations pesant sur les concessionnaires en infraction formelle avec les dispositions du règlement 123-85 ;
En conséquence M. Verdan demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris à l'exception des dommages-intérêts et de dire :
- qu'à défaut d'être en possession de contrats de concession conformes aux dispositions de l'article 2 du règlement 123-85, les sociétés concessionnaires ne peuvent les invoquer à leur profit pour lui reprocher de prétendus faits de concurrence déloyale ;
A titre infiniment subsidiaire il préconise de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice de la Communauté Européenne une question préjudiciable à l'interprétation à donner au règlement 123-85 afin de savoir si les contrats de concessionnaires sont opposables à des tiers commerçants non parties à ces contrats qui parviendraient à se procurer licitement des véhicules au sein d'un réseau et si cette réglementation fait interdiction au revendeur d'importer des véhicules et de les revendre dans un Etat membre au motif qu'il n'est pas mandataire ;
Enfin il demande à la Cour de dire qu'en tout état de cause les concessionnaires ne peuvent se prévaloir des dispositions dérogatoires du règlement 123-85 à raison de la non-conformité des contrats de concession et faisant appel incident il sollicite la condamnation solidaire du CNPA et des sociétés Sadal Lemuet et Sadia à lui payer un montant de 300 000 F au titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial outre celui de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Les sociétés concessionnaires appelantes et le CNPA étaient autorisés à assigner à jour fixe.
Sur quoi, LA COUR,
Attendu qu'à l'exception du CNPA chargé de défendre les intérêts des professionnels de l'automobile, les sociétés appelantes sont toutes titulaires, pour chacune avec un constructeur différent (Citroën, Peugeot et Renault) d'un contrat de concession leur permettant de revendre aux utilisateurs finals, que sont les automobilistes, des véhicules neufs, pièces de rechange, accessoires et équipements et de bénéficier, en contrepartie d'exigences strictes, d'un droit exclusif d'implantation sur un territoire donné et d'action commerciale ;
Attendu que cette forme de distribution à la fois exclusive et sélective, a été admise par la Commission Européenne dans son règlement 123-85 du 12 décembre 1984 dans le secteur des véhicules automobiles par application de l'article 85-3 du traité de Rome par dérogation de l'article 85-1 du même texte qui vise à " interdire tous accords entre entreprises, toutes décisions d'association d'entreprises et toutes pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence... " ;
Qu'en effet, prenant en considération les caractéristiques particulières que présente l'automobile, notamment en raison de ses exigences techniques et de son service après vente nécessitant l'utilisation d'ateliers spécialement adaptés, la Commission Européenne a estimé " rationnelles et indispensables " les clauses concernant la distribution exclusive et sélective dans ce secteur d'activité et a autorisé les constructeurs à attribuer un monopole de la vente de leurs véhicules à un réseau, sans pour autant leur interdire de vendre directement à des utilisateurs finals dans des conditions définies par le contrat de concession ;
Qu'elle a, ce faisant, légalisé le refus de vente que doit opposer le concessionnaire ou le distributeur d'un réseau, à un intermédiaire commerçant ou pas établi hors de son territoire qui achèterait pour revendre ;
Que toutefois pour atténuer les rigueurs de ce système de distribution elle a permis à un utilisateur final d'acheter un véhicule neuf sans passer par le réseau officiel en utilisant les services d'un intermédiaire mandataire qui a acheté pour le compte d'un mandant ;
Attendu que cette activité de mandataire qui tendait à se développer de façon anarchique faute pour la Commission Européenne d'en avoir défini les contours, a dû faire l'objet d'une communication clarificatrice de sa part le 4 décembre 1991 destinée à préciser les conditions d'exercice et les dispositions strictes auxquelles le mandataire, prestataire de service, doit se conformer, notamment en matière de publicité et d'approvisionnement ;
Que s'appuyant donc sur ce principe de distribution exclusive et sélective à l'exclusion du mandataire dont M. Verdan ne revendique pas la qualité, les sociétés appelantes concessionnaires Citroën, Peugeot et Renault ainsi que le CNPA estiment que M. Verdan qui ne supporte ni les contraintes du concessionnaire ni le coût du service après vente, se rend coupable d'actes de concurrence déloyale en vendant des véhicules neufs qu'il se procure en Italie et en faisant de la publicité pour attirer la clientèle ;
Qu'il convient pour définir le caractère fautif de ces actes de concurrence de rechercher si les dispositions communautaires précitées qui ont une autorité primant celle du droit interne notamment dans sa partie relative à l'effet des conventions, ont érigé en sus du principe d'exclusivité valable entre " les parties à l'accord " au sens des articles 1 et 10 du règlement 123-85, un principe d'interdiction de vente à toute personne qui n'est pas membre du réseau ou qui n'a pas la qualité de mandataire ;
Attendu que le règlement 123-85 applicable jusqu'au 30 septembre 1995 dont les dispositions ont été reconduites à l'identique par le règlement 1475-95 applicables jusqu'au 30 septembre 2002 sont suffisant claires, la Cour estime ne pas avoir besoin de les soumettre à l'interprétation de la Cour de Justice des Communautés Européennes ;
Qu'en effet il ressort, de l'analyse de ce texte que si la réglementation européenne, prenant en compte la spécificité du marché de l'automobile, a autorisé par dérogation au principe de la libre concurrence qui demeure par ailleurs la distribution sur un mode exclusif et sélectif, en prenant soin cependant d'organiser leur rapport pour bénéficier de privilège, elle n'a pas pour autant exclu la possibilité pour une personne physique ou morale de se procurer licitement des véhicules neufs, pour les revendre, développant ainsi un marché parallèle concurrent, en dehors desdits accords de distribution et de service après vente dont l'effet contraignant n'est limité qu'aux constructeurs et à leurs concessionnaires et agents ;
Que si le consommateur va en période d'instabilité monétaire pouvoir tirer un profit immédiat de cette opération passée en dehors du circuit traditionnel de la distribution, il n'en demeure pas moins qu'il se prive des services des concessionnaires dont la formation et les équipements sont un gage de sécurité et qu'il pourrait, le cas échéant, se voir opposer un refus de garantie de la part du constructeur ;
Attendu que M. Verdan reconnaît s'approvisionner régulièrement, notamment en Italie auprès d'une entreprise de louage qui lui cède des véhicules assimilés neufs compte tenu de leur faible kilométrage et de leur date récente d'acquisition;
Que ce procédé pénalisant pour les concessionnaires qui ne bénéficient pas de la possibilité d'effectuer des remises aussi importantes que celles offertes par M. Verdan, s'il utilise de toute évidence un manque d'étanchéité du réseau officiel n'en est pas pour autant illicite;
Que dès lors que M. Verdan est en situation de concurrencer légalement les concessionnaires locaux, il ne peut lui être reproché de recourir à l'utilisation fréquente des supports publicitaires dans la presse locale et ce n'est pas une erreur relative au millésime d'un véhicule ni même la mention trompeuse figurant au bas de ses factures à propos des conditions d'octroi de la garantie du constructeur dont seuls ses clients sont susceptibles de supporter les conséquences qui constituent des actes fautifs de concurrence;
Qu'en conséquence, à défaut de justifier d'agissements constitutifs de concurrence déloyale au titre du règlement 123-85 ou de publicité illégale sur le même fondement le jugement du Tribunal de grande instance doit être confirmé sans qu'il y ait lieu d'examiner superfétatoirement le moyen tiré de l'inapplicabilité de ce règlement à raison des obligations pesant sur les concessionnaires ;
Sur la demande de dommages-intérêts de M. Verdan :
Attendu que M. Verdan ne justifie d'aucun préjudice qui serait lié au comportement des parties ; qu'en effet il n'établit pas que les insertions publicitaires dont il a sollicité la parution dans des journaux de publicité, distribués localement, aient été amputés de mentions concernant la vente de véhicules neufs à la demande ou sous la pression des sociétés concessionnaires ou du CNPA ;
Qu'au surplus, M. Verdan ne peut reprocher au CNPA, qui a en charge les intérêts des professionnels de l'automobile, une intervention tendant à conseiller au consommateur d'acheter chez un professionnel en France afin d'éviter notamment des difficultés liées à l'incertitude du millésime des voitures alors qu'il n'est pas personnellement mis en cause ;
Qu'en conséquence, il n'est pas fondé à solliciter des dommages-intérêts et c'est à juste titre que les premiers juges les lui ont refusés ;
Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Attendu que pour faire valoir ses droits en appel M. Verdan a dû exposer des frais irrépétibles importants, compte tenu de la complexité de la procédure ;
Il paraît donc équitable de les mettre à la charge de chacun des appelants à hauteur de 3 000 F ;
Attendu que le CNPA et les sociétés concessionnaires Citroën, Peugeot, Renault d'Annemasse succombent dans leurs prétentions ; ils supporteront les dépens d'appel ;
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare recevables en la forme mais mal fondés les appels du CNPA, de la SA Sadal (Citroën), de la SA Lemuet Genevois Faucigny (Peugeot) et de la SA Sadia ainsi que l'appel incident partiel de M. Verdan. Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Bonneville du 1er mars 1995. Et y ajoutant : Condamne les sociétés Sadal, Lemuet Genevois Faucigny et la SA Sadia aux dépens dont distraction au profit de Me Delachenal, avoué, dans la mesure de ses avances sans provisions.