CA Paris, 4e ch. B, 6 octobre 1995, n° 92-25604
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Labo France Editeur (SARL)
Défendeur :
Spectra 2000 (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerrini
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Parmentier Hardouin, SCP Varin Petit
Avocats :
Mes Lupasco Massot, Korman.
La société Labo France divulgue depuis 1967 un annuaire regroupant tous les laboratoires d'analyses de biologie médicale privés et hospitaliers, des centres de transfusion sanguine, des laboratoires de radio-immunologie, des laboratoires des hôpitaux des armées et des anatomopathologistes ; cet annuaire est vendu par correspondance ;
Cette société édite également des revues médicales ;
La société de Presse et de Communication de l'Institut (SPCI) édite des revues médicales et notamment la revue " Spectra Biologie " à destination des laboratoires d'analyses de biologie médicale auxquels elle fait ses offres de vente par le moyen de lettres circulaires ;
Labo France, faisant grief à cette société d'avoir utilisé les adresses rassemblées dans son ouvrage, l'a assignée devant le Tribunal de Commerce de Paris en contrefaçon sur le fondement de l'article 40 de la loi du 11 mars 1957 (actuellement article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle) et en concurrence déloyale ;
Par décision du 12 mars 1990, Labo France a été déboutée de toutes ses demandes et condamnée à payer 1 F à titre de dommages intérêts et 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Labo France a interjeté appel de cette décision ; elle en demande l'infirmation dans toutes ses dispositions ; reprenant ses demandes en contrefaçon et concurrence déloyale, elle sollicite paiement de 1 F au titre du préjudice moral et à titre provisionnel, à compléter après expertise celle de 300 000 F pour réparer le préjudice matériel subi, celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi que des mesures d'interdiction et de publication ;
En réplique, SPCI conclut à la confirmation de la décision et formant appel incident, sollicite paiement de 20 000 F pour procédure abusive et de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR qui pour plus ample exposé se réfère à la décision critiquée et aux écritures d'appel.
- Sur la contrefaçon de l'œuvre
Considérant que Labo France se référant aux dispositions de l'article L. 122-4 du CPI indique que son œuvre avait une destination particulière ; qu'il était en effet indiqué que les adresses répertoriées dans cette œuvre ne pouvaient être utilisées à des fins commerciales ;
Qu'elle soutient ainsi qu'en utilisant des adresses contenues dans son œuvre pour envoyer des documents publicitaires afin de démarcher la clientèle de laboratoires pour des revues qu'elle édite, l'intimée a commis des actes de contrefaçon par " violation du droit de destination de Labo sur son œuvre " ;
Considérant que si l'auteur a le droit de s'opposer à la reproduction même partielle de son œuvre et de contrôler si une reproduction autorisée est conforme à la destination de l'œuvre voulue par lui, encore est-il nécessaire d'apprécier si la reproduction contestée est protégeable ; qu'en effet, l'emprunt dans une œuvre de ce qui est une simple information du domaine public n'est pas constitutif de contrefaçon ;
Considérant qu'il est admis dans le présent litige que l'annuaire publié par Labo France est une œuvre de l'esprit protégeable au sens des articles L. 111-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle ; qu'un tel annuaire est protégeable non pas par chacune des adresses le composant mais par la présentation générale qui en est faite, c'est à dire, comme le relève Labo France dans ses écritures, par la liste ordonnée d'adresses suivant une répartition géographique par département et à l'intérieur de chaque département ;
Considérant en conséquence que la reprise isolée des adresses de laboratoires, élément du domaine public, ne peut à elle seule sans reprise d'une présentation générale identique être source de contrefaçon, l'œuvre elle-même n'étant pas reproduite ; qu'il s'ensuit que le moyen développé sur la violation du droit de destination est inopérant, puisqu'il n'existe pas de reproduction de l'œuvre dans ses éléments originaux ; que la décision des premiers juges sera donc confirmée de ce chef ;
Considérant au surplus que l'interdiction inscrite sur l'annuaire de ne pas utiliser les adresses à des fins commerciales n'apparaît que sur un exemplaire d'annuaire versé aux débats en photocopie (1re page et page 401) en date de 1993 et donc postérieur aux actes incriminés de 1987/1988 ; que les autres documents commerciaux qui seraient envoyés aux différents acquéreurs comportant engagement de ces derniers de ne pas divulguer les informations contenues dans l'annuaire sont dénués de toute valeur probante dès lors qu'ils ne comportent aucune date ; qu'il résulte de ces constatations que l'appelante ne rapporte pas la preuve que les utilisateurs aient eu connaissance de ce que l'auteur entendait limiter les informations rassemblées dans cet annuaire ;
- Sur la concurrence déloyale
Considérant que Labo France reproche à l'intimée d'avoir tiré profit de son travail intellectuel et de s'être appropriée à moindre frais les fruits de son effort par l'utilisation des adresses rassemblées pour proposer à la clientèle commune des revues médicales ;
Considérant qu'il est répliqué que, certes, cet annuaire a été compulsé mais qu'il n'était qu'un élément parmi d'autres sources d'informations sur les adresses et le nom des chefs de service des différents laboratoires ;
Considérant cela exposé qu'il ne peut être fait reproche à l'intimée d'avoir repris des adresses pièges ayant figuré dans l'annuaire Labo France dès lors qu'il est prouvé, et d'ailleurs reconnu par l'appelante, que ces adresses ont été reproduites dans le Répertoire des Laboratoires d'analyses de biologie médicale(édition 1981 laboratoire de M. Coulon à Mazamet et laboratoire de M. Dienet à Saint-Gratien) ; que des emprunts ont pu cependant être fait sans d'ailleurs que la démonstration qui incombe à l'appelante soit rapportée ; que ces emprunts, dans la mesure où ils restent parcellaires et ne constituent pas la reprise systématique de la liste d'adresses, ne sont pas susceptibles de constituer un comportement parasitaire; que la décision sera également de ce chef confirmée ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive, l'appelante ayant pu de bonne foi se méprendre sur la portée de ses droits ;
Considérant que l'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties les frais d'appel non compris dans les dépens ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges ; Confirme la décision en toutes ses dispositions ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Labo France aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Varin-Petit, avoués, selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.