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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 2 octobre 1995, n° 93005669

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Grialdi

Défendeur :

Axa Assurances Iard (SA), Axa Assurances Vie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouscharain

Conseillers :

Mlle Courbin, M. Ors

Avoués :

SCP Fonrouge-Barennes, Gautier, Me Fournier

Avocats :

Mes Valette, Condat.

TGI Bordeaux, du 7 sept. 1993

7 septembre 1993

Par jugement du 7 septembre 1993, le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux a retenu que, sous couvert de la société d'Etudes Européennes, Monsieur Jean Louis Grialdi avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice des compagnies Axa Assurances Iard et Axa assurances vie dont il avait été l'agent général, et a ordonné une expertise tendant à rechercher les éléments caractérisant le préjudice de ces sociétés.

Le 1er octobre 1993, Monsieur Grialdi a relevé appel de ce jugement.

Le 18 octobre 1994, les sociétés Axa Assurances Iard et Vie ont également interjeté appel intimant la société Européenne d'Etudes Grialdi assurances.

Par conclusions du 1er février 1994, reprises le 21 juin 1995, Monsieur Grialdi prie la Cour de débouter les sociétés Axa Assurances, d'ordonner une expertise, se réservant de demander paiement d'une indemnité d'un million de francs et sollicitant 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Il indique qu'alors qu'il était agent général du groupe Drouot, il a été, dans le cadre de la politique de ce groupe, pressé de prendre l'agence générale de Merignac dans des conditions de précipitation qui ne lui ont pas permis de négocier la valeur du portefeuille, contractant un emprunt de 580 000 F. Or il a rapidement rencontré des difficultés notamment par l'effet de nombreuses résiliations de contrats qui entraînait une perte de valeur du portefeuille de 30 à 40 %. En outre, la compagnie a multiplié les difficultés pour parvenir à réduire le nombre de ses agents généraux. Il a ainsi été amené immédiatement le 31 décembre 1990, les dossiers lui étant immédiatement retirés et aucune information ne lui étant donnée sur la valeur de l'indemnité compensatrice à laquelle il décidait de renoncer pour exercer la profession d'assureur.

Il souligne qu'il n'a passé aucune convention avec le précédent agent général détenant le portefeuille de Mérignac. Il affirme que lors de sa démission, il a entendu invoquer le bénéfice de l'article 26 du statut des agents généraux d'assurances selon lequel, renonçant à l'indemnité, il peut, après un délai de six mois, faire souscrire de nouvelles polices d'assurances en remplacement des contrats constituant le portefeuille dont il a été titulaire.

Il indique qu'au moment de sa démission, les dossiers ont été repris sans qu'il y ait le moindre arrêté de compte.

Faisant valoir qu'il a été dépossédé de l'intégralité des documents concernant les clients, les polices et leur historique, il affirme ne pouvoir vérifier les griefs qui lui sont faits et reproche au Tribunal de les avoir retenus sans être assuré qu'il s'agissait d'anciens clients des parties intéressées. Il dit produire des attestations établissant le comportement déloyal des sociétés Axa assurances. Il soutient que sa faute prétendue ne peut être appréciée sans qu'il ait été procédé contradictoirement à la reconstitution du fichier client.

Il fait grief aux compagnies d'assurance de n'avoir pas respecté les usages de la profession en refusant de prendre en compte la baisse de valeur du portefeuille qu'elles lui avaient vendu. Il leur reproche de l'avoir discrédité, une fois sa démission donnée.

Par conclusions du 17 octobre 1994, les compagnies Axa Assurances Iard et Axa Assurances Vie sollicitent la confirmation du jugement, la publication de l'arrêt à intervenir et l'allocation de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Elles indiquent que par convention du 29 octobre 1992, Monsieur Grialdi a été nommé agent général d'assurances pour divers cantons de Bordeaux et le canton de Cenon, sur la candidature qu'il avait présentée, ayant eu connaissance du départ du précédent agent, le portefeuille ayant été provisoirement géré par un inspecteur, ce qui exclut la précipitation alléguée par Monsieur Grialdi. Elles indiquent que le montant de l'indemnité compensatrice a été déterminée suivant la convention du 1er juillet 1959 et accepté par Monsieur Grialdi par lettre du 10 juillet 1989.

Un prêt lui a été consenti, du montant de cette indemnité, remboursable à compter du 1er janvier 1990. Par lettre du 10 décembre 1990, Monsieur Grialdi a démissionné pour convenance personnelle et par lettre du 18 février 1991, il les a informées de son intention de ne pas présenter de successeur à la reprise du portefeuille et de ne pas demander l'indemnité compensatrice prévue par le statut.

Après sa démission, Monsieur Grialdi est devenu gérant d'une société de courtage en assurances, installée dans les anciens bureaux de l'agence, l'activité de courtage portant sur la même branche d'assurance et s'exerçant dans le même secteur géographique.

Une fois expiré le délai statutaire de six mois, Monsieur Grialdi a entrepris des actions systématiques de prospection et de démarchage de son ancienne clientèle, par l'envoi de lettres circulaires au contenu révélateur de ses intentions, avec des propositions de rabais, des indications équivoques sur l'identité de la personne gérant le contrat d'assurances, Monsieur Grialdi utilisant les connaissances acquises lors de la souscription des anciens contrats et incitant les assurés à les résilier, pour obtenir des propositions tarifaires plus avantageuses. Monsieur Grialdi a en outre démarché personnellement d'anciens clients. Il y a actes positifs de détournement de clientèle caractérisant la concurrence déloyale. De plus, Monsieur Grialdi a volontairement entretenu la confusion entre son activité nouvelle et son ancienne activité d'agent d'assurances, exerçant dans les mêmes locaux et sous le nom de " Grialdi Assurances ".

Elles indiquent que 1301 polices ont été résiliées, pour l'essentiel après le 30 juin 1990, correspondant à un chiffre d'affaires de 2 102 880 F. La plupart des lettres de résiliation ont été postées depuis le bureau de poste de Caudéran, même pour des clients résidant hors de la Gironde, la majorité des enveloppes étaient prétimbrées, de marque identique, et portaient des numéros consécutifs de série d'avis de réception.

Elles font grief au Tribunal de n'avoir pas statué sur leur demande de publication de la décision et d'avoir provisoirement laissé les dépens à leur charge.

Comme appelantes, les sociétés Axa Assurances Iard et Axa Assurances Vie ont déposé le 10 novembre 1994, des conclusions identiques à celles déposées le 17 octobre 1994.

La Société Européenne d'Etudes Grialdi Assurances a été assignée à personne habilité et n'a pas constitué avoué.

L'instruction a été close le 28 août 1995.

Sur quoi :

Attendu qu'il est conforme à une bonne administration de la justice de juger ensemble les appels formés contre le même jugement ;

Que la jonction de ceux-ci sera ordonnée ;

Attendu que Monsieur Jean Louis Grialdi, agent général d'assurances pour le compte du Groupe Drouot ensuite devenu Axa assurances depuis 1982, a démissionné de ses fonctions à effet au 31 décembre 1990, renonçant à percevoir l'indemnité compensatrice prévue par les dispositions statutaires et astreint de ce fait à une interdiction de concurrence pendant une période de six mois ;

Attendu que le jugement attaqué a retenu que Monsieur Grialdi, sous couvert de la société de courtage qu'il avait créée, s'est livré à des actes de concurrence déloyale à l'égard des sociétés Axa Assurances Vie et Iard ; que pour justifier sa décision, le Tribunal a retenu que Monsieur Grialdi avait frauduleusement utilisé son ancien fichier client, démarché son ancienne clientèle en proposant des tarifs inférieurs pour des garanties prétendument supérieures, en évoquant la possibilité de rabais, retenant en outre que les sociétés Axa Assurances avaient reçu après le 30 juin 1991 de nombreuses lettres de résiliation dont la plupart avaient été expédiées du même bureau de poste et quasiment à la même heure pour des clients résidant hors du département, les numéros de série des accusés de réception se suivant et la majorité des enveloppes contenant ces lettres étant similaires ; attendu que, sans contester ces appréciations, Monsieur Grialdi se borne à reprocher au Tribunal d'avoir statué ainsi qu'il l'a fait, tout en retenant qu'aucune détermination contradictoire de la liste de ses anciens clients n'avait été faite lors de la cessation des relations contractuelles ; que cette contestation ne peut être retenue, car même à admettre que Monsieur Grialdi n'aurait pas conservé une connaissance exhaustive de la liste des clients de l'agence qu'il a exploitée, il résulte des pièces produites, tant par lui-même que par les compagnies d'assurances qu'il avait conservé sur son ancienne clientèle des renseignements qui lui ont permis d'établir les lettres produites, dont au moins une comporte les énonciations révélant une exacte connaissance des contrats souscrits par le destinataire; qu'au surplus, alors que les sociétés Axa Assurances produisent aux débats à la fois les lettres litigieuses et la partie de liste de clients correspondante, Monsieur Grialdi n'oppose aucune dénégation précise et circonstanciée qui permette de considérer que les destinataires des correspondances litigieuses, n'étaient pas d'anciens clients des sociétés Axa ayant dépendu du portefeuille dont il a assuré la gestion;

Que les constatations qui précèdent démentent l'affirmation de Monsieur Grialdi selon laquelle il aurait été dépossédé de l'intégralité des documents concernant les clients, les polices et leur historique ; que d'ailleurs cette affirmation apparaît peu compatible avec l'indication donnée par Monsieur Grialdi à la société Axa assurances dans sa lettre du 12 février 1991 qui précise qu'il était équipé de systèmes informatiques qui lui ont permis de travailler avec un strict minimum de papier, les impératifs de sécurité, dans un tel mode de travail, commandant de sauvegarder systématiquement les informations mémorisées ;

Qu'ainsi, dans le principe le jugement sera confirmé ;

Qu'en l'état de l'indétermination du préjudice allégué par les sociétés Axa Assurances et de l'expertise ordonnée, l'appréciation de la réparation adéquate du préjudice de ces sociétés est prématurée et l'appel incident, en ce qu'il tend à la réparation en nature de celui-ci, par la publication de l'arrêt, ne peut être isolément examiné ; qu'il sera sursis à cet examen jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ;

Attendu que Monsieur Grialdi forme une demande qu'il qualifie d'appel incident pour obtenir l'organisation d'une expertise relative notamment à l'apurement des comptes entre parties et à la recherche d'éléments susceptibles de caractériser la responsabilité des sociétés d'assurances dans les modalités de la cessation des relations contractuelles comme devant la diminution brutale de clientèle du portefeuille de Mérignac et l'absence de révision du prix de cession de ce portefeuille ;

Attendu à cet égard qu'il est justifié que, par jugement du 22 juin 1993, une expertise a été ordonnée tendant pour l'essentiel à l'établissement du compte de gestion de Monsieur Grialdi à la date de cessation de ses fonctions ; que cette mesure recouvre la première partie des prétentions de Monsieur Grialdi qui n'est dès lors pas fondé à obtenir en la présente instance une mesure ayant sensiblement le même objet ;

Attendu sur la seconde partie de la mission sollicitée qu'il appartiendrait à Monsieur Grialdi de prouver la faute des compagnies d'assurances, ce qu'il ne fait pas, se bornant à procéder par affirmation, sans établir ni la faute de celles-ci dans le dénigrement prétendu, les compagnies s'étant bornées à informer leurs clients du changement d'agent d'assurances, ni l'usage invoqué en vertu duquel les compagnies seraient tenues de réviser le prix de cession d'un portefeuille qui connaîtrait ultérieurement une importante chute de clientèle ;

Que sur ce point, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée pour suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve ;

Attendu que Monsieur Grialdi et la société Européenne d'Etudes, qui perdent, supporteront in solidum les dépens ; qu'ils participent en équité, à concurrence de 6 000 F, aux frais exposés ensemble en défense de leurs intérêts par les sociétés Axa Assurances Iard et Vie ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt réputé contradictoire, Joint les appels, Déclare mal fondé l'appel de Monsieur Jean Louis Grialdi et partiellement fondé l'appel des sociétés Axa Assurances Vie et Axa assurances Iard contre le jugement rendu le 7 septembre 1993 par le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux, Confirme le jugement, Dit n'y avoir lieu à nouvelle expertise, Surseoit, jusqu'au dépôt du rapport des experts désignés par le Tribunal, à statuer sur la demande de publication de l'arrêt, Condamne in solidum Monsieur Grialdi et la société Européenne d'Etudes à payer aux sociétés Axa Assurances Vie et Axa assurances Iard, ensemble, la somme de 6 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Condamne in solidum Monsieur Grialdi et la société Européenne d'Etudes aux dépens jusqu'à présent exposés, Autorise M. Fournier, avoué, à recouvrer directement sur les parties condamnées ceux des dépens qu'il a pu avancer.