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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 27 septembre 1995, n° 7617-95

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

TF1 Télévision (SA)

Défendeur :

Plaisance Films (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gillet

Conseillers :

Mmes Obram-Campion, Liauzun

Avoués :

SCP Lissarrague-Dupuis, SCP Lambert-Debray-Chemin

Avocats :

Mes Petreschi, Bousquet.

T. com. Nanterre, prés., du 4 sept. 1995

4 septembre 1995

I

I-1 Considérant que la société Plaisance Films a conçu et produit l'émission de télévision " Mystères ", relative aux phénomènes dits paranormaux ; que cette émission a été, en application d'une convention conclue le 29 juin 1992, diffusée par la société Télévision Française (TF1) jusqu'en mai 1994 ; que le 21 juin 1995 la société TF1 a diffusé une émission distincte, intitulée " L'Odyssée de L'Etrange " également relative aux phénomènes paranormaux ; que de nouvelles diffusions de cette dernière émission étaient prévues à partir d'octobre 1995 ;

I-2 Considérant que la société Plaisance Films, voyant dans la seconde émission une contrefaçon de la première ou un acte parasitaire et tenant la poursuite de sa diffusion pour trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du Nouveau code de procédure civile, a fait assigner en référé la société TF1 pour que cette diffusion soit interdite sous astreinte et que soit pareillement interdite la diffusion de toute autre émission reproduisant les éléments caractéristiques de " Mystères " ; que, par ordonnance du 4 septembre 1995 le juge des référés du Tribunal de Commerce de Nanterre a fait droit à cette demande ;

II

II-1 Considérant que la société TF1, appelante, demande que soient rejetées les prétentions articulées contre elle et qu'il soit dit n'y avoir lieu à référé ; qu'elle sollicite une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; qu'elle demande par ailleurs qu'il lui soit donné acte de réserves qu'elle forme quant à toute compétence dans un éventuel litige au fond, une telle compétence revenant selon elle aux juridictions parisiennes des suites des conventions conclues ;

II-2 Considérant que la société Plaisance Films conclut à la confirmation de l'ordonnance sauf à porter à 5 000 000 F par infraction constatée l'astreinte fixée par le premier juge à 2 500 000 F ; qu'elle réclame à l'appelante une somme de 50 000 F pour frais hors dépens ;

III

III-1 Considérant que pour qualifier de trouble manifestement illicite la diffusion de l'émission incriminée et de dommage imminent une poursuite de cette diffusion, le premier juge a relevé que " L'Odyssée de l'Etrange " présentait avec " Mystère " des ressemblances telles :

a) une diffusion mensuelle à une heure de grande écoute dite " prime time " ;

b) un " concept " et une structure identiques comprenant une mise en garde du public, la présentation d'un sommaire, un découpage par sujet ou histoire avec "format " composé d'une séquence filmée et d'un débat ;

c) une longue durée avec décor similaire ;

d) une identité de " cible " s'agissant du public ;

e) une identité de thèmes (" soucoupes volantes, maison hantée, phénomènes inexplicables, parapsychologie etc... ") ;

III-2 Considérant que de ces ressemblances étayées par les documents produits et rapprochées de différence insuffisantes à les occulter, le même juge a déduit, relativement aux deux émissions, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public, risque justifiant selon lui les doléances de la société Plaisance Films ;

III-3 Considérant qu'à cette analyse et à ce raisonnement, qu'elle approuve, la société Plaisance Films, qui souligne la compétence du juge saisi en référé, ajoute que les conditions économiques créaient pour la société TF1 une opportunité flagrante à reprendre à son profit le " créneau " du paranormal et que le risque de confusion doit s'apprécier du point de vue du simple téléspectateur, manifestement porté à percevoir un apparentement entre les deux émissions ; qu'elle souligne que " L'Odyssée de l'Etrange ", certes vouée à la présentation de phénomènes paranormaux et présentée par Monsieur Jacques Pradel, figure connue en la matière, a été conçue par des personnes qui, telles Monsieur Yves Casgha, avaient auparavant collaboré de façon étroite à la conception de " Mystères " ; que cette participation accrédite selon elle le plagiat, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter aux différences séparant les deux émissions sur les terrains du décor, de la conception des séquences filmées et du rôle dévolu du public ;

III-4 Mais considérant, comme l'observe la société TF1, que l'heure de diffusion et la durée d'une émission de télévision, paramètres simplement révélateurs de sa capacité présumée d'audience, ne sont pas des critères d'appréciation de son contenu ; que le découpage en séquences filmées suivies de débats ou " validées " par des propros de commentateurs ou de spécialistes, le tout étant éventuellement précédé d'un sommaire avec avertissement préalable, constitue une modalité usuelle de construction d'émissions télévisées, adaptée aux attentes supposées du public ; que la " cible " représentée par le public concerné ou visé ne correspond qu'à la part de marché dont la maîtrise est forcément poursuivie par une société de diffusion audiovisuelle ; que le thème d'une émission de télévision comme de toute autre œuvre de l'esprit, simple sujet sur lequel s'expriment des auteurs, est évidemment insusceptible d'appropriation ; que les " ressemblances " recensées dans l'ordonnance ne sont donc pas déterminantes dans l'optique de l'établissement d'une contrefaçon ou d'un comportement parasitaire, fûssent-elles énumérées par un premier juge soucieux, à juste titre, d'apprécier l'émission incriminée du point de vue du simple téléspectateur ;

III-5 Considérant qu'en se plaçant précisément du même point de vue pour apprécier dans leur ensemble les " ressemblances " énumérées et la façon dont est traité dans L'Odyssée de l'Etrange ", le thème du paranormal, force est de constater, avec la simplicité qui sied au juge des référés et sans préjudice d'un examen au fond, qu'à une heure d'écoute ordinairement propice un traitement usuel paraît avoir été appliqué à un thème banal, cette banalité s'apparentant à celle du thème et du traitement déjà adoptés dans " Mystère "; qu'une telle banalité trouve ailleurs un écho dans la vocation de la seconde émission à viser banalement un public approprié, déjà visé par la première, en intégrant éventuellement, dans un contexte économique, social ou culturel favorable, le savoir-faire de personnes ordinairement intéressées ou vouées au thème et au traitement dont s'agit ; que ces éléments, indépendamment de différences dont l'analyse paraît superflue, empêchent de reconnaître sans plus ample examen au fond, à la fois à l'émission " Mystères " une originalité au regard de laquelle l'émission " L'Odyssée de l'Etrange " pourrait constituer une contrefaçon ou un comportement parasitaire, et à cette dernière émission un apparentement intolérable qui serait constitutif des mêmes griefs ; que faute de cette double reconnaissance il n'est pas possible de tenir pour trouble manifestement illicite la diffusion de l'émission litigieuseni pour dommage imminent une poursuite de cette diffusion ; que l'ordonnance, qui a autrement statué, doit donc être infirmée ;

IV

IV-1 Considérant que l'acte sollicité par la société TF1, indifférent aux droits et obligations des parties, n'a pas à être donné ;

IV-2 Et considérant que les données de la cause ne font ressortir aucun motif particulier d'équité justifiant une application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile au profit de la société TF1 ; que ce texte ne peut profiter à la société Plaisance Films, partie perdante à condamner aux dépens ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Infirmant l'ordonnance entreprise ; Dit n'y avoir lieu à référé et rejette la demande de la société Plaisance Films ; Condamne ladite société aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de la SCP Lissarrague-Dupuis, Avoués. Dit n'y avoir lieu à donné acte ni à allocation d'une somme quelconque pour frais hors dépens.