CA Paris, 25e ch. B, 22 septembre 1995, n° 25690-93
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Papeterie du Siècle (SA)
Défendeur :
Expansion Française Papeterie (Sté), Madar
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pinot
Conseillers :
M. Weill, Mme Canivet
Avoués :
SCP Gibou-Pignot Grapotte-Benetreau, SCP Garrabos Alizard
Avocats :
SCP Dolla Vial, Me Benhamou.
LA COUR statue sur l'appel relevé par la société Papeterie du Siècle du jugement contradictoire, rendu le 13 mai 1993 par le Tribunal de commerce de Bobigny qui l'a déboutée de ses demandes dirigées contre la société Expansion Française Papeterie et a rejeté toutes autres prétentions des parties.
Référence faite aux énonciations du jugement pour l'exposé des faits, des procédures antérieures et des prétentions et moyens initialement présentés, il suffit de rappeler que le litige porte sur la clause de non-concurrence insérée dans la transaction conclue le 14 juin 1991, laquelle selon la société Papeterie du Siècle aurait été enfreinte par son ancien employé, M. Dove Madar, avec la complicité de la société Expansion Française Papeterie, sa concurrente, qui se serait livrée, en outre, à des actes de concurrence déloyale, agissements contestés, ces derniers.
Par le jugement déféré, le Tribunal a retenu, pour l'essentiel, que la transaction était valable, que la société Expansion Française Papeterie ayant fourni les justificatifs comptables, la mesure d'instruction sollicitée ne s'imposait pas, que ni la violation de la clause de non-concurrence, ni les actes de concurrence déloyale n'étaient établis.
Appelante, la société Papeterie du Siècle soutient :
- que la clause de non-concurrence est valable, que la preuve est rapportée de la violation de ladite clause par le débiteur de l'obligation, avec la complicité de la société Expansion Française Papeterie, qui employait ce dernier clandestinement,
- que les actes de concurrence déloyale commis par la société Expansion Française Papeterie et M. Dove Madar ont causé un détournement de sa clientèle.
Poursuivant donc la réformation de la décision déférée, elle demande à la Cour de condamner solidairement la société Expansion Française Papeterie et M. Dove Madar au paiement d'une indemnité de 200.000 F en réparation du préjudice résultant de la violation de l'engagement contractuel, de constater que la preuve est rapportée des actes de concurrence déloyale commis par la société Expansion Française Papeterie et M. Dove Madar, d'ordonner une expertise comptable à l'effet d'évaluer son préjudice aux frais de ces derniers, de rejeter les prétentions de la société Expansion Française Papeterie, enfin de lui allouer 20 000 F en application de l'article 700 NCPC.
Intimée et Appelante Incidemment, La société Expansion Française Papeterie conclut à la confirmation de la décision entreprise ainsi qu'à la condamnation de la société Papeterie du Siècle au paiement de 50.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et encore 10.000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.
Elle fait valoir :
- que le protocole conclu entre la société Papeterie du Siècle et M. Dove Madar ne peut produire aucun effet en ce qui la concerne puisqu'elle est un tiers à la convention, que, en tout état de cause, ledit protocole ne fait pas interdiction à M. Dove Madar d'avoir une activité concurrente à celle de la société Papeterie du Siècle soit personnellement, soit par personne interposée, qu'en embauchant le fils de M. Dove Madar, elle n'a pas participé à la prétendue violation de la clause de non-concurrence ;
- qu'elle ne peut être tenue de réparer le préjudice causé à l'employeur par la rupture abusive du salarié alors qu'elle n'avait pas connaissance de la clause de non-concurrence ;
- que le détournement de clientèle n'est pas établi ;
- que la demande d'expertise permettrait à la société Papeterie du Siècle d'avoir accès à sa comptabilité.
Intimée, M. Dove Madar a été régulièrement assigné et réassigné en mairie. Il n'a pas constitué avoué. Il sera donc statué par arrêt réputé contradictoire.
Considérant que la validité de la clause de non-concurrence, insérée dans l'accord du 14 juin 1991, n'est plus discutée ;
Considérant que l'article 1er de cette convention énonce que M. Dove Madar "confirme son engagement de ne pas visiter personnellement ou de faire visiter par un membre de sa famille la clientèle qui lui était confiée au cours des douze mois qui viennent";
Considérant que la violation de la clause de non-concurrence résulte de la constatation que le débiteur a été en situation de concurrence avec le créancier dans les limites de temps et d'espace prohibées notamment en s'embauchant dans une entreprise exerçant la même activité, alors même que l'acte de concurrence incrimé n'aurait entraîné aucun avantage ;
Qu'à cet égard, et sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les conséquences de l'activité exercée clandestinement par M. Dove Madar, il résulte des éléments produits, contradictoirement débattus, attestations, organigramme des services de la société Expansion Française Papeterie, investigations menées par un enquêteur privé, que M. Dove Madar, et non son fils Abitol, s'est trouvé au contact de la clientèle de la société Papeterie du Siècle, notamment Antenne 2 et Télé Star, avec laquelle il avait traité au temps où il était salarié de la société Papeterie du Siècle ;
Que M. Dove Madar doit donc répondre des conséquences entraînées par les manquements dont il s'est rendu coupable ;
Considérant que la société Expansion Française Papeterie, exerçant une activité exactement concurrentielle de la société Papeterie du Siècle, qui a manifestement permis la violation de l'obligation souscrite par M. Dove Madar, en intégrant celui-ci dans son activité, sans que son statut soit, à tout le moins, clairement défini, sans procéder à une quelconque vérification qu'imposait l'expérience professionnelle de M. Dove Madar, doit répondre sur le fondement quasi-délictuel du préjudice causé par l'auteur de la violation dont il s'est rendu complice, lors même qu'aucun détournement de clientèle ne serait établi ;
Qu'il s'ensuit que M. Dove Madar et la société Expansion Française Papeterie doivent être condamnés in solidum à réparer le préjudice résultant pour la société Papeterie du Siècle de la violation susvisée que la Cour estime devoir fixer, compte tenu de l'indemnité contractuellement perçue par M. Dove Madar en exécution de l'accord délibérément enfreint à la somme de 150.000 F ;
Considérant que la société Papeterie du Siècle ne démontre pas la réalité du détournement de clientèle dont elle se prétend victime à la suite des agissements de concurrence déloyale commis par la société Expansion Française Papeterie ;
Qu'il n'est nullement établi que des commandes aient été détournées au préjudice de la société Papeterie du Siècle, étant observé que Antenne 2 est un client ancien de la société Expansion Française Papeterie et que le chiffre d'affaires réalisé avec cette dernière procède d'un appel d'offres ;
Que, pas davantage, pour les trois autres clients revendiqués par la société Papeterie du Siècle, Agence Univers, Télé Star, Helvim, n'est rapportée la preuve d'un démarchage déloyal ou systématique de la société Expansion Française Papeterie ;
Qu'il s'ensuit que la demande tendant à voir ordonner une expertise devient sans objet ;
Considérant qu'il résulte du sens du présent arrêt que la société Expansion Française Papeterie ne peut voir accueillir sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Considérant qu'aucune circonstance d'équité, pas plus que la situation économique des parties ne commandent de faire application des dispositions de l'article 700 NCPC à leur profit ;
Considérant que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par moitié par la société Expansion Française Papeterie et M. Dove Madar ;
Par ces motifs : Statuant par arrêt réputé contradictoire : Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau : Condamne in solidum, la société Expansion Française Papeterie et M. Dove Madar à payer à la société Papeterie du Siècle la somme de 150.000 F. Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire des parties ; Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par moitié par la société Expansion Française Papeterie et M. Dove Madar et Admet la SCP Gibou Pignot - Grapotte Benetrau, avoué, au bénéfice de l'article 699 NCPC.